Crus bourgeois du Médoc, l’exemple de Château Poujeaux

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°532 Février 1998Rédacteur : Laurens DELPECH

Les crus bour­geois ont une longue his­toire der­rière eux : ils remon­tent au développe­ment, depuis la fin de la guerre de Cent ans des pro­priétés viti­coles des rich­es marchands de la Jurade de Bor­deaux, béné­fi­ciant des priv­ilèges obtenus par ces “ bour­geois ” lors de la dom­i­na­tion anglaise.

Ces crus con­nurent un bel essor au XIXe siè­cle, notam­ment sur les marchés d’Europe du Nord. Comme tout le Médoc, leur expan­sion fut com­pro­mise par la crise phyl­loxérique, puis par la crise de 1929. Dès 1932, cepen­dant, à la demande de la Cham­bre d’Agriculture et de la Cham­bre d’Industrie et de Com­merce de Bor­deaux, des courtiers établirent une liste de 444 domaines ven­tilés en trois caté­gories ; crus bour­geois supérieurs excep­tion­nels, crus bour­geois supérieurs et crus bour­geois. Venu top tôt et dans un con­texte mar­qué par la crise économique, ce classe­ment fut vite oublié.

En 1962, les pro­duc­teurs se regroupèrent dans un nou­veau Syn­di­cat des crus bour­geois, qui compte aujourd’hui 285 mem­bres (sur un total de 419 crus bour­geois actuelle­ment en pro­duc­tion). L’entrée dans ce “club” est soumise à l’avis d’une com­mis­sion d’une dizaine de mem­bres. Pour être éli­gi­ble, le domaine doit avoir une sur­face min­i­male de 7 hectares. La Com­mis­sion con­trôle la vigne, les cuviers et les chais et goûte les vins avant de pren­dre sa décision.

À la suite d’une déci­sion de la CEE, la régle­men­ta­tion actuelle ne recon­naît plus qu’une seule men­tion pou­vant fig­ur­er sur l’étiquette, celle de “ cru bour­geois ”, exit donc les “ supérieurs ” et “ supérieurs exceptionnels ”.

L’ensemble des crus bour­geois cou­vre plus de 7 000 hectares, soit près de la moitié du Médoc. Ils se répar­tis­sent sur deux appel­la­tions régionales : Médoc (50 % de l’AOC), Haut-Médoc (66 %) et six appel­la­tions com­mu­nales : Lis­trac (70%), Moulis (85%), Saint-Estèphe (50%), Pauil­lac (10 %), Saint-Julien (15 %) et Mar­gaux (25 %).

Dans le Médoc, les plus con­nus sont les Châteaux La Car­donne, Loudenne, La Tour de By, Les Ormes-Sor­bet, Poten­sac et Tour Haut-Caussan.

Dans le Haut-Médoc, ce sont les Châteaux Bel Orme Tron­quoy de Lalande, Cit­ran, Lestage-Simon, Liv­er­san, Hanteil­lan, Socian­do-Mal­let et Lanessan.

À Lis­trac, ce sont les Châteaux Clarke, Saran­sot-Dupré, Four­cas-Dupré et Fourcas-Hosten.

À Moulis, ce sont les Châteaux Bis­ton-Bril­lette, Chas­se- Spleen, Mau­cail­lou et Poujeaux.

À Mar­gaux, ce sont les Châteaux Bel Air Mar­quis d’Aligre, Labé­gorce-Zédé, Mon­bri­son et Siran.

À Saint-Julien, ce sont les Châteaux Glo­ria, Moulin de La Rose, Ter­rey Gros Cail­lou et Lalande-Borie.

À Pauil­lac, ce sont les Châteaux Fon­badet, Lafleur- Milon et Pibran.

À Saint-Estèphe, enfin, ce sont les Châteaux Le Crock, Lil­ian-Ladouys, Les Ormes de Pez, Meyney, de Mar­buzet, Haut-Mar­buzet, Phélan-Ségur et Tronquoy-Lalande.

L’exemple du Château Poujeaux cru bourgeois à Moulis

Moulis fait par­tie de ces com­munes qui n’ont pas été retenues dans le classe­ment de 1855. Ce dernier a classé entre pre­mier et cinquième cer­tains crus des com­munes de Mar­gaux, Pauil­lac, Saint-Estèphe et Saint-Julien. Cepen­dant, de l’avis unanime des experts et… du marché, des pro­priétés comme Pou­jeaux ou Chas­se-Spleen ont large­ment la valeur d’un cru classé.

Le vig­no­ble fut créé entre le XVIe siè­cle et le début des années 1800. Actuelle­ment, sa super­fi­cie est de l’ordre de 50 hectares d’un seul ten­ant. L’âge moyen des vignes est de vingt-cinq à trente ans pour le Château Pou­jeaux et cinq ans pour le Château La Salle de Pou­jeaux, le deux­ième vin de la propriété.

Rap­pelons que presque tous les grands châteaux pro­duisent un sec­ond vin : Pavil­lon Rouge à Château-Mar­gaux, les Car­ru­ades de Lafite à Château-Lafite… Générale­ment, comme on fait à Bor­deaux des vins d’assemblage (plusieurs cépages sont assem­blés à la dif­férence de la Bour­gogne où seul le Pinot Noir est cul­tivé pour les vins rouges), les pro­prié­taires ont pris l’habitude de pro­pos­er à leurs clients un autre vin, issu du même ter­roir, mais aux vignes plus jeunes (replan­tées) ou à la matu­rité un peu moins par­faite que celle réservée au pre­mier vin.

Obtenus à l’intérieur de la quan­tité max­i­male autorisée à être pro­duite, ces vins, ven­dus à moitié prix, se boivent plus jeunes et sont une par­faite intro­duc­tion aux très grands vins.

Le ter­roir de Pou­jeaux est con­sti­tué d’un sol sablo-grav­eleux. Il accueille un encé­page­ment de Caber­net-Sauvi­gnon à 45 %, de Mer­lot à 35 % et de Caber­net-Franc et de Petit Ver­dot à 10% cha­cun. Les vins vieil­lis­sent en fûts de chêne pen­dant dix-huit mois, la futaille étant renou­velée par tiers chaque année. La ven­dan­ge est, bien sûr, manuelle et Pou­jeaux pro­duit env­i­ron 300 000 bouteilles par an.

Voici nos com­men­taires de dégus­ta­tion sur quelques vins pro­duits par Château Pou­jeaux dans des mil­lésimes récents.

Poujeaux 1990

La couleur est de type fon­cé, pour­pre, presque noire. Olfac­tive­ment, le fruit est bien mar­qué, avec une dom­i­nante à noy­au (prune/pruneau) car­ac­téris­tique du Caber­net, et des notes épicées (poivrées). En bouche, l’attaque est sou­ple et laisse très vite se dégager une sen­sa­tion de puis­sance avec beau­coup de matière. Les tanins sont sou­ples, pas encore totale­ment fon­dus. Des notes vanil­lées liées au bois sont présentes et se com­bi­nent très bien aux arômes de fruits noirs. Le vin pos­sède un bel équili­bre et la per­sis­tance, signe d’un grand vin, mesurée en cau­dalies (sec­on­des), est très longue.

Château La Salle de Poujeaux 1993

(le Château La Salle de Pou­jeaux est le sec­ond vin du Château Poujeaux)

Le mil­lésime 1993, sans attein­dre la con­cen­tra­tion de son frère aîné (Pou­jeaux 93), est très agréable. Moins con­cen­tré il est déjà prêt à boire et peut encore vieil­lir qua­tre-cinq ans. Au nez, on relève des notes vanil­lées avec des arômes de fruits noirs (cas­sis), bien mûrs. En bouche, les tanins sont encore présents, ne sont pas astrin­gents, et don­nent une belle matière (struc­ture). Belle finale fruitée (prune).

Château La Salle de Poujeaux 1992

Le mil­lésime 1992 est issu de tries sévères qui ont per­mis d’élaborer un très beau vin dans une année dif­fi­cile. Du reste, le Château Pou­jeaux a gag­né en 1995 la coupe des crus bour­geois, con­cours offi­ciel où des oeno­logues et pro­fes­sion­nels réputés désig­nent le meilleur vin sur trois mil­lésimes (1990, 1991 et 1992).

La couleur est rouge grenat avec quelques signes d’évolution. En bouche, c’est un vin ten­dre et agréable, plein de fruits (rouges) et doté d’une belle vivac­ité (acid­ité). C’est le vin typ­ique pour un plaisir immé­di­at bien que sa bonne struc­ture tan­nique per­me­tte de penser qu’il pour­ra se con­serv­er cinq ans sans problèmes.

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