Zoe véhicule Renault électrique

Le véhicule électrique, projet de société

Dossier : L'automobileMagazine N°717 Septembre 2016
Par Thomas ORSINI (89)

L’amélio­ra­tion des moteurs con­ven­tion­nels ne per­me­t­tra pas de sat­is­faire les deman­des envi­ron­nemen­tales et rend inéluctable l’électrification des véhicules. Mais il n’existe pas de solu­tion unique pour cette évo­lu­tion, beau­coup sont com­plé­men­taires, même si les solu­tions recharge­ables devien­dront incon­tourn­ables dès lors que les infra­struc­tures seront là. 

Lors de la COP 21 à Paris, les États ont présen­té de très nom­breux plans d’action en vue de réduire leur empreinte car­bone. Sans sur­prise, nom­bre de ces plans d’action con­cer­nent le trans­port routi­er, et par­mi ceux-ci plus de la moitié con­ti­en­nent des mesures visant à pro­mou­voir la mobil­ité électrique. 

REPÈRES

L’électrification peut être réalisée avec une recharge des batteries sans apport externe : c’est le cas des voitures mild hybrid qui récupèrent l’énergie au freinage (gain de consommation de 4 % à 8 %) et des voitures full hybrid, rechargées par le moteur thermique comme les Toyota Prius I et II (gain de 10 % à 15 %).
La vraie rupture visà- vis des énergies fossiles n’est toutefois actée que lorsque la recharge est assurée par le réseau électrique soit de façon exclusive comme pour la Zoé (réduction de 20 % à 90 % selon le mix énergétique), soit en association avec un moteur thermique qui peut entraîner les roues (Prius III par exemple) ou recharger les batteries, comme pour l’Opel Ampera (gain de 10 % à 80 %).

L’ÉLECTRIFICATION, ENJEU ENVIRONNEMENTAL

Pour le véhicule par­ti­c­uli­er, cela sig­ni­fie une réduc­tion des émis­sions des véhicules ven­dus en 2050 de 50 % par rap­port à aujourd’hui (soit – 5,3 % par an). 

L’amélioration des moteurs con­ven­tion­nels ne per­me­t­tant a pri­ori qu’une réduc­tion de 2 % à 3 % par an, l’écart ne saurait être comblé que par l’électrification des véhicules, sous toutes ses formes. 

Seule l’électrification des véhicules, asso­ciée à une amélio­ra­tion du mix néces­saire à la pro­duc­tion de l’électricité, peut per­me­t­tre d’atteindre de tels taux de réduc­tion d’émissions : une Zoé n’émet en effet que 16 g de CO2 aux 100 km, à com­par­er aux 110 g d’une Clio Diesel. 

Dans ce con­texte, tous les con­struc­teurs ont dévelop­pé un qua­si-con­tin­u­um de con­cepts de véhicules élec­tri­fiés (en se lim­i­tant aux véhicules légers). 

DES SOLUTIONS MAIS PAS DE PANACÉE

Il est dif­fi­cile d’établir un classe­ment dans l’absolu de ces dif­férentes tech­nolo­gies, et leur diver­sité illus­tre le fait qu’il n’existe pas à ce jour de solu­tion qui l’emporte haut la main sur toutes les autres. 

Tout dépend des usages et des attentes des util­isa­teurs, notam­ment en ter­mes d’arbitrage entre autonomie, coûts et presta­tions dynamiques. Chaque degré d’électrification présente ses avan­tages et inconvénients. 


Renault a priv­ilégié les véhicules « zéro émis­sion ».  CC — KIRILL BORISENKO

L’hybridation légère (mild hybrid) con­siste à inté­gr­er une petite bat­terie Lithi­um-ion en plus de la bat­terie clas­sique au plomb, qui récupère de l’énergie au freinage. Cette énergie gra­tu­ite est réu­til­isée pour ali­menter les aux­il­i­aires de la voiture (chauffage, phares, start-stop s’il existe) ou apporter un com­plé­ment de cou­ple au moteur ther­mique au démar­rage ou dans les phas­es d’accélération (cas des bat­ter­ies de 48 V). 

Ces bat­ter­ies ne sont pas assez puis­santes pour per­me­t­tre un roulage en mode 100 % élec­trique, mais la récupéra­tion d’énergie se traduit par des gains sig­ni­fi­cat­ifs de con­som­ma­tion à un moin­dre coût. 

Les full hybrids, dont le représen­tant his­torique est la Toy­ota Prius, dis­posent d’une bat­terie plus impor­tante et sont capa­bles de rouler en mode 100 % élec­trique sur quelques kilo­mètres (de 1 à 5 km en général). Les gains en con­som­ma­tion sont de même nature que pour la caté­gorie mild hybrid, même s’ils peu­vent être plus sig­ni­fi­cat­ifs du fait de la taille de la batterie. 

Dans les deux cas, la seule source externe d’énergie pour le véhicule reste le car­bu­rant fos­sile. Même si cette tech­nolo­gie a été précurseur, elle est main­tenant plutôt en perte de vitesse, le gain de CO2 par rap­port au sur­coût se révélant moins com­péti­tif que pour les alter­na­tives (mild hybrid ou même diesel mod­ernes), et la réduc­tion du coût des bat­ter­ies pousse les con­struc­teurs comme Toy­ota à pro­pos­er des plug-in hybrids en com­plé­ment ou en lieu et place. 

VOITURES BRANCHÉES

On change alors de caté­gorie : les plug-in hybrids, comme les véhicules 100 % élec­triques, dis­posent d’un moteur élec­trique, d’une bat­terie plus impor­tante, et surtout d’une prise leur per­me­t­tant d’être ali­men­tés directe­ment par le réseau et donc de réelle­ment rouler à l’électricité provenant d’une autre source que leur moteur à combustion. 

Dans cette caté­gorie, les offres vari­ent en fonc­tion de la taille de la bat­terie, qui déter­mine l’autonomie élec­trique disponible, et de la présence ou non d’un moteur ther­mique en com­plé­ment de ladite autonomie. 

Dans cer­tains cas, le moteur ther­mique peut faire rouler la voiture ; dans d’autres il ne sert qu’à recharg­er la bat­terie, la propul­sion étant exclu­sive­ment élec­trique. À l’extrémité du spec­tre, on sup­prime le moteur ther­mique et on a le véhicule 100 % élec­trique, seul véhicule « zéro émis­sion » (en roulage). 

DES GAINS DÉPENDANT DES USAGES

Les gains en ter­mes de con­som­ma­tion et de CO2, poten­tielle­ment beau­coup plus impor­tants, dépen­dent en fait des usages (part de con­duite 100 % élec­trique) ain­si que du con­tenu CO2 de l’électricité util­isée. Les sur­coûts de ces tech­nolo­gies sont égale­ment plus impor­tants, en fonc­tion notam­ment de la taille de la bat­terie et de l’existence ou non d’une dou­ble motorisation. 

Les prévi­sions sur le suc­cès respec­tif de ces dif­férentes tech­nolo­gies restent très incer­taines et vari­ent forte­ment selon les zones géo­graphiques, notam­ment compte tenu de l’importance des poli­tiques publiques en la matière et des réglementations. 

LE GRAND FLOU DE L’ÉVOLUTION DU MARCHÉ

Aux États-Unis, les motori­sa­tions hybrides se sont dévelop­pées plus rapi­de­ment qu’en Europe, en par­tie comme alter­na­tive aux moteurs Diesel pour amélior­er l’efficacité des moteurs ther­miques et respecter les règles CAFE de plus en plus con­traig­nantes. Les véhicules hybrides ont représen­té 86 % de ventes de véhicules élec­tri­fiés en 2014. 

Toute­fois, on assiste actuelle­ment à un bas­cule­ment net vers les tech­nolo­gies plug-in qui con­cen­trent les aides finan­cières, et sont même dev­enues oblig­a­toires dans quinze États dont la Californie. 

UNE SITUATION CONTRASTÉE

En Europe, la sit­u­a­tion est comme tou­jours plus frag­men­tée et con­trastée par pays, mais on observe la même ten­dance : les full hybrids, sig­ni­fi­cat­ifs depuis 2010, sem­blent attein­dre une asymp­tote autour de 1,5 % des ventes totales. 

LE POIDS DE LA CHINE

La Chine sera dès cette année le premier marché pour les véhicules électriques. Les new energy vehicles y regroupent les véhicules rechargeables sur le réseau et les véhicules avec pile à hydrogène, avec un volume dépassant les 100 000 voitures et des taux de croissance exponentiels (les ventes de 2015 sont le triple de celles de 2014).
Dans ce marché, tiré par des politiques publiques très volontaristes à la fois au niveau national (règles CAFE qui limitent les émissions réalisées par chaque marque sur la base d’une moyenne des véhicules vendus, en fonction du poids ou des catégories de véhicules) et local (bonus, exemption de la limitation des plaques d’immatriculation), on s’attend à un basculement d’une majorité actuelle de véhicules full hybrid (plus de 50 % en 2014) vers une prédominance de véhicules rechargeables sur le réseau (plus de 80 % dès 2020 selon le BIPE).

On assiste depuis 2012 à un décol­lage des mod­èles plug-in, selon des rythmes et des mix très dif­férents selon les pays. 

À court terme, le marché des véhicules élec­tri­fiés reste très dépen­dant de fac­teurs non directe­ment liés à la tech­nolo­gie elle-même, à savoir essen­tielle­ment la qual­ité des offres de pro­duits mis­es en avant, asso­ciée aux poli­tiques publiques et au niveau de matu­rité de l’écosystème (présence de bornes de recharge). 

Ce n’est qu’à plus long terme, lorsque les tech­nolo­gies seront plus banal­isées et les poli­tiques publiques moins déter­mi­nantes dans l’équation économique, que les dif­férentes tech­nolo­gies seront dis­crim­inées par leur com­péti­tiv­ité intrinsèque. 

DES STRATÉGIES AU DÉPART DIVERGENTES

Dans ce con­texte, les straté­gies d’électrification des con­struc­teurs dépen­dent à leur tour de deux fac­teurs : à court et moyen terme, le besoin de répon­dre aux régle­men­ta­tions (CAFE un peu partout, régle­men­ta­tion ZEV aux États-Unis, NEV en Chine, etc.) en lien avec leurs pri­or­ités géo­graphiques et les seg­ments de marché sur lesquels ils sont présents, et à long terme celui de se posi­tion­ner sur les tech­nolo­gies les plus promet­teuses d’un point de vue à la fois d’image de mar­que et de porte­feuille technologique. 

DES CHOIX CLIVANTS

La Prius de Toyota
La Prius a con­nu un véri­ta­ble suc­cès. © SJOERD VAN DER WAL

On a ain­si assisté à des choix ini­ti­aux cli­vants. Renault et Nis­san ont choisi de se posi­tion­ner comme les lead­ers du véhicule zéro émis­sion, en intro­duisant entre 2010 et 2012 cinq mod­èles de grande série 100 % élec­triques, dont trois sur des plate­formes dédiées, et en visant des prix com­pa­ra­bles aux véhicules ther­miques équivalents. 

De fait, sur les 232 000 véhicules 100 % élec­triques ven­dus dans le monde en 2015, 36 % étaient de mar­que Renault ou Nis­san. La Renault Zoé est le pre­mier véhicule élec­trique ven­du en Europe, et la Nis­san Leaf le pre­mier au niveau mondial. 

Toy­ota a axé sa stratégie sur le full hybrid dès les années 2000 : la Prius, après des débuts laborieux, a con­nu un véri­ta­ble suc­cès com­mer­cial qui a forgé une image forte de Toy­ota dans ce domaine. Elle a con­tribué à pop­u­laris­er la tech­nolo­gie sur tous les marchés. 

Daim­ler ou BMW ont pu se per­me­t­tre de dévelop­per en par­al­lèle les tech­nolo­gies hybrides recharge­ables pour leurs mod­èles haut de gamme et des solu­tions 100 % élec­triques pour les plus petites voitures (Smart élec­trique, BMW i3). 

D’autres groupes, comme Volk­swa­gen ou le groupe Hyundai-Kia, ont eu des approches plus atten­tistes, focal­isées dans un pre­mier temps sur les véhicules hybrides pour con­cur­rencer Toy­ota aux États-Unis, et ont fait des tests en élec­tri­fi­ant des mod­èles thermiques. 

Enfin, Tes­la a bâti son suc­cès sur une approche en rup­ture, attaquant le marché par le très haut de gamme tout élec­trique et évolu­ant vers des véhicules plus abordables. 

UNE ÉVOLUTION VERS DES PORTEFEUILLES TECHNOLOGIQUES LARGES

Compte tenu des évo­lu­tions tech­nologiques rapi­des et surtout de l’émergence d’un con­sen­sus sur le fait que la réponse au défi des réduc­tions de CO2 ne passera pas par une tech­nolo­gie unique, mais bien par un porte­feuille de solu­tions d’électrification qui devront être appliquées de manière opti­misées selon les seg­ments de marché et les zones géo­graphiques, on assiste actuelle­ment à un rééquili­brage des straté­gies des dif­férents con­struc­teurs, avec en défini­tive le développe­ment par tous d’un porte­feuille de tech­nolo­gies assez large. 

La Tesla, véhicule tout électrique.
La Tes­la, sym­bole du très haut de gamme tout élec­trique. © GANGIS KHAN

Ain­si, l’Alliance Renault-Nis­san dis­pose d’une offre full hybrid aux États-Unis et au Japon, et pré­pare des pro­duits plug-in, notam­ment pour les marchés nord-améri­cain et chinois. 

Hyundai a dévelop­pé une plate­forme dédiée à l’électrique sur le seg­ment C avec trois solu­tions recharge­ables sur le même véhicule, pou­vant ain­si cou­vrir tous les marchés et tous les mix de motorisation. 

Volk­swa­gen sem­ble miser forte­ment sur l’hybride recharge­able mais prévoit égale­ment de pro­pos­er des ver­sions 100 % élec­triques sur la plu­part de ses modèles. 

Toy­ota pro­pose main­tenant des hybrides recharge­ables (Prius III) et des véhicules pure­ment élec­triques au Japon et aux États-Unis, même si ces derniers ne représen­tent pour l’instant que 5 % de ses ventes de véhicules électrifiés. 

Par ailleurs, à l’horizon 2021, date d’entrée en vigueur du prochain palier de normes CO2 en Europe, la plu­part des mod­èles ther­miques de tous les con­struc­teurs seront équipés de tech­nolo­gies mild hybrid.

UN MOUVEMENT QUI S’ACCÉLÈRE

Borne de recharge pour véhicules électriques
Le développe­ment des infra­struc­tures de recharge est un fac­teur essen­tiel d’évolution du marché. © HELENEDEVUN

On com­prend donc qu’il faut observ­er ces straté­gies en mode dynamique, et que les dif­férentes tech­nolo­gies d’électrification ne sont pas tant con­cur­rentes que complémentaires. 

Les prévi­sions s’appuient essen­tielle­ment sur des études de coût total d’utilisation, qui elles-mêmes dépen­dent énor­mé­ment à court terme de l’évolution des poli­tiques publiques, et à moyen terme de l’évolution du coût des tech­nolo­gies (notam­ment le coût des bat­ter­ies par kilowatt-heure). 

Il s’agit là de fac­teurs impor­tants, néces­saires, mais pas suff­isants, comme le mon­tre très bien la diver­sité des per­for­mances selon les pays européens : la vitesse d’adoption des tech­nolo­gies plug-in – du fait notam­ment de la dis­rup­tion en ter­mes d’usage qu’elles imposent (besoin de recharge au domi­cile ou sur l’espace pub­lic) – dépend avant tout de l’engagement coor­don­né de tous les acteurs de l’écosystème.

C’est ce qui a fait leur suc­cès en Norvège, et qui explique pourquoi la France est le pre­mier pays européen en matière de véhicule élec­trique à ce jour : le véhicule élec­trique n’est pas l’affaire des con­struc­teurs, mais c’est bien un pro­jet de société. 

De ce point de vue, l’urgence envi­ron­nemen­tale, la mul­ti­pli­ca­tion des offres de véhicules élec­tri­fiés et des ser­vices asso­ciés (fort lien avec l’autopartage et le véhicule con­nec­té et autonome à terme), le développe­ment des infra­struc­tures de recharge et les pro­grès sig­ni­fi­cat­ifs des tech­nolo­gies de bat­ter­ies pointent vers une accéléra­tion de cette adop­tion dans de nom­breux pays dans les trois à cinq ans qui viennent. 

Les con­struc­teurs s’y pré­par­ent activement.

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