La Logan de Renault

Le projet Kwid : du low-cost à l’ultra-low-cost

Dossier : L'automobileMagazine N°717 Septembre 2016
Par Arnaud DEBOEUF (87)
Par Gérard DÉTOURBET

Le low-cost Logan a eu son suc­cès sur les mar­chés émer­gents, mais ne conve­nait pour l’Inde. Alors une équipe auto­nome a concu l’ul­tra-low-cost Kwid qui se revèle être une réus­site. Une réin­ven­tion de chaque pièce de l’automobile, car­ros­se­rie, boîte, moteur résul­tant d’un nou­veau type de pro­jet automobile. 

Pour reve­nir rapi­de­ment sur l’origine du pro­jet Logan (2001 à 2004), il s’agissait de divi­ser par deux le coût de la voi­ture par rap­port à celui d’une Clio. 

“ Diviser par deux le coût de la voiture par rapport à celui d’une Clio ”

On a com­men­cé par revoir la défi­ni­tion du pro­duit pour la concen­trer sur le « mini­mum vital » : une voi­ture spa­cieuse pour pou­voir voya­ger confor­ta­ble­ment à cinq adultes, une méca­nique fiable pour évi­ter de tom­ber en panne au milieu de nulle part et une défi­ni­tion moderne, c’est-à-dire aux niveaux de qua­li­té et de sécu­ri­té européens. 

Pour le reste, il a fal­lu révi­ser le conte­nu du pro­duit, en reve­nant par exemple aux mani­velles pour lever les vitres. 

Ensuite, il fal­lait réduire le coût de déve­lop­pe­ment, d’où une réuti­li­sa­tion de com­po­sants déjà vali­dés et éprou­vés sur des modèles pré­cé­dents, une fabri­ca­tion très manuelle et le déve­lop­pe­ment de four­nis­seurs locaux, assis­tés cepen­dant de four­nis­seurs globaux. 

Enfin, la fabri­ca­tion de la voi­ture a été loca­li­sée en Europe de l’Est, dans l’usine Dacia nou­vel­le­ment acquise, afin de réduire les coûts de fabrication. 

Tout cela a été ren­du pos­sible par un mana­ge­ment de pro­jet adap­té, fon­dé sur une équipe d’ingénieurs Renault expé­ri­men­tés et de sous-trai­tants, dédiée à ce pro­jet et iso­lée du reste de l’entreprise à quelques kilo­mètres du Tech­no­centre de Renault pour assu­rer son autonomie. 

REPÈRES

À son retour d’un voyage en Russie en 1997, Louis Schweitzer a eu l’intuition qu’il fallait donner accès, dans les pays de l’Europe de l’Est qui s’ouvraient, à l’automobile moderne, mais à un coût identique aux productions archaïques locales.
C’est ce qui amena le projet Logan, lancé en 2004. Renault a alors acquis un leadership reconnu et indiscuté dans la conception de véhicules d’accès à l’automobile : des véhicules fiables, spacieux et modernes dont le prix a permis de conquérir les marchés émergents.

LA LOGAN PÉNALISÉE PAR LA LOI INDIENNE

Ini­tia­le­ment, la Logan était déve­lop­pée comme une voi­ture cor­res­pon­dant aux dimen­sions du seg­ment C mais au prix d’une voi­ture du seg­ment B. Or, en 2007, une nou­velle loi en Inde impo­sait une sur­taxe des voi­tures longues de plus de 4 mètres. 

“ Une nouvelle méthode de design to cost a été développée ”

La Logan s’est retrou­vée dans le seg­ment C en termes de prix, mais avec le conte­nu d’une voi­ture de seg­ment B : exac­te­ment le contraire de son ambition. 

Il fal­lait réagir, d’autant plus qu’apparaissaient des défauts non repé­rés lors du pas­sage de la direc­tion à gauche à la direc­tion à droite. Mais Renault n’était pas encore réel­le­ment inter­na­tio­nal et le temps de réac­tion pour cor­ri­ger ces défauts, bais­ser le prix de la voi­ture en rédui­sant la part impor­tée et la repo­si­tion­ner dans le seg­ment C s’est révé­lé beau­coup trop long. 

MIEUX QUE LA CONCURRENCE POUR LE MÊME PRIX

Pour accom­pa­gner le déve­lop­pe­ment de Renault et de Nis­san en Inde, Car­los Ghosn a donc déci­dé de rele­ver le défi : s’attaquer au cœur de ce seg­ment en divi­sant à nou­veau par deux les coûts de pro­duc­tion et de déve­lop­pe­ment par rap­port à la Logan. 

La pre­mière nou­veau­té fut de créer en Inde un pla­teau pro­jet auto­nome, regrou­pant entre 350 et 450 ingé­nieurs et tech­ni­ciens dédiés au déve­lop­pe­ment de Kwid, dont seule­ment 10 % en pro­ve­nance de Renault ou de Nis­san. Il pou­vait bien sûr s’appuyer sur les exper­tises cen­trales quand c’était nécessaire. 


Pour réduire le coût de déve­lop­pe­ment de la Logan, des com­po­sants déjà vali­dés et éprou­vés sur des modèles pré­cé­dents ont été réutilisés.

Ensuite, la défi­ni­tion du pro­duit s’est faite sui­vant des options dif­fé­rentes du pro­jet Logan initial : 

  • un desi­gn très moderne, en rup­ture à ce niveau de seg­ment et de prix, répon­dant à l’engouement obser­vé dans le monde entier pour les SUV ; 
  • une gamme de ver­sions élar­gie, pour offrir des prix très attrac­tifs mais aus­si une mon­tée en gamme avec des équi­pe­ments qui n’appartiennent qu’aux seg­ments supérieurs ; 
  • des inno­va­tions d’architecture, pour offrir le maxi­mum d’espace aux occu­pants tout en res­pec­tant la contrainte de lon­gueur impo­sée en Inde (le porte-à-faux avant de la voi­ture a été réduit pour libé­rer de l’espace dans l’habitacle) ;
  • un tra­vail en paral­lèle sur la méca­nique (moteur et boîte de vitesses) pour offrir la meilleure consom­ma­tion du seg­ment, voire du mar­ché, en essence ; 
  • le ciblage à des­ti­na­tion des prin­ci­paux mar­chés émergents ; 
  • le déve­lop­pe­ment en paral­lèle de deux véhi­cules dif­fé­rents pour les clients mais avec le maxi­mum de pièces com­munes (un véhi­cule pour Renault, l’autre pour Dat­sun, marque du groupe Nissan). 

PARTIR D’UNE FEUILLE BLANCHE

Contrai­re­ment à la Logan, nous avons pri­vi­lé­gié la feuille blanche pour conce­voir les pièces nou­velles, y com­pris en méca­nique, ce qui per­mit de les loca­li­ser au maxi­mum en Inde et de pro­fi­ter de la fru­ga­li­té des four­nis­seurs locaux. Une nou­velle méthode de desi­gn to cost a été déve­lop­pée selon les prin­cipes suivants : 

LES SPÉCIFICITÉS DU MARCHÉ INDIEN

Le marché indien est certainement le marché le plus compétitif du monde, avec 70 % des voitures vendues à moins de 8 000 euros, des produits et des marques spécifiques dont deux gros leaders qui représentent à eux seuls plus de 65 % des parts de marché : Maruti-Suzuki et Hyundai.
C’est par ailleurs un marché très dynamique où sont introduits chaque année de plus en plus de nouveaux véhicules modernes, avec des designs convaincants.
C’est enfin un marché dont la croissance est soutenue et qui garde un potentiel de croissance élevé, attisant les appétits des constructeurs, car la voiture y reste un symbole de réussite sociale.
Cependant, dans ce marché, le segment A dominé par l’Alto de Maruti-Suzuki et l’Eon de Hyundai n’avait jamais été attaqué avant l’arrivée de Kwid, car nul n’avait osé relever le défi du coût.
  • l’objectif de coût pour chaque pièce, défi­ni dès le démar­rage du pro­jet, pré­vaut sur tout autre objec­tif et est sui­vi heb­do­ma­dai­re­ment, voire quotidiennement ; 
  • le tra­vail avec les four­nis­seurs démarre très tôt, avec plu­sieurs four­nis­seurs sur chaque pièce pour mettre en concur­rence non seule­ment leurs coûts mais aus­si leurs solu­tions techniques ; 
  • un tra­vail sur la concep­tion des pièces est mené pour s’adapter aux sys­tèmes de pro­duc­tion indiens exis­tants (des­sins adap­tés au pro­cess et non l’inverse) ;
  • les boucles de tra­vail avec chaque four­nis­seur ont lieu plu­sieurs fois par semaine, pro­fi­tant de la réac­ti­vi­té des four­nis­seurs indiens ; 
  • le plan­ning est allon­gé pour cette phase : ce n’est pas le res­pect d’un plan­ning mais l’atteinte de l’objectif de coût qui marque l’arrêt de l’optimisation d’une pièce. 

CENT MILLE COMMANDES EN DEUX MOIS ET DEMI

Le suc­cès média­tique a été excep­tion­nel dès la pré­sen­ta­tion sta­tique du véhi­cule par Car­los Ghosn : le desi­gn et la per­cep­tion haut de gamme mar­quaient une rup­ture par rap­port à la concur­rence, comme l’a immé­dia­te­ment sou­li­gné la presse. De pre­miers juge­ments ampli­fiés lors des essais dyna­miques una­ni­me­ment salués. 

“ L’annonce des prix de vente a créé une explosion des commandes ”

Enfin, l’annonce des prix de vente, en des­sous des esti­ma­tions faites par la presse pro­fes­sion­nelle, a créé une explo­sion des com­mandes qui ont dépas­sé les 100 000 uni­tés en deux mois et demi. 

Elles dépassent de loin les capa­ci­tés de pro­duc­tion, et de ce fait les délais de livrai­son sont supé­rieurs à six mois. 

LOGAN ET KWID : DEUX PROJETS DIFFÉRENTS AVEC UN MÊME ADN

Kwid, design et haut de gamme
Le desi­gn et la per­cep­tion haut de gamme marquent une rup­ture par rap­port à la concurrence.

PREMIÈRES MONDIALES

Les innovations dans le développement de la Kwid se sont accompagnées de premières mondiales pour le lancement marketing : la Kwid Apps, application sur smartphone donnant dès les essais presse toutes les informations sur le véhicule et permettant de commander sa voiture en ligne, et le show-room virtuel, dialogue en ligne autour d’une voiture entre plusieurs acheteurs potentiels et un vendeur.

Nous nous sommes effor­cés ici de sou­li­gner des dif­fé­rences entre les pro­jets Logan et Kwid, mais il est évident qu’ils gardent une même géné­tique : le prix est fixé dès le départ et l’objectif est de don­ner le maxi­mum pour ce prix ; chaque dépense doit être jus­ti­fiée aux yeux du client ; le coût de chaque pièce est au cœur de tout le pro­cess de développement. 

Ces prin­cipes nous ont fait déve­lop­per une méthode de desi­gn to cost qui implique les four­nis­seurs au plus tôt et qui exige une équipe auto­nome et dédiée au pro­jet, capable de faire des choix tech­niques innovants. 

Cette méthode, que nous avons appli­quée à l’automobile, pour­rait inté­res­ser d’autres pro­jets indus­triels cher­chant une rup­ture dans leurs coûts ; quant au pro­jet Kwid, il montre qu’il n’est pas d’objectif dans l’optimisation des coûts qui ne puisse être réexaminé.

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