Goethe

Le système éducatif allemand

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998
Par Werner ZETTELMEIER

I – Principes fondateurs du système éducatif allemand

• Partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les Länder

I – Principes fondateurs du système éducatif allemand

• Partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les Länder

Ce qui frappe d’a­bord l’ob­ser­va­teur étran­ger, c’est la struc­ture admi­nis­tra­tive du sys­tème édu­ca­tif alle­mand. Le par­tage des com­pé­tences entre le gou­ver­ne­ment fédé­ral et les Län­der en matière d’é­du­ca­tion reste l’une des concré­ti­sa­tions du fédé­ra­lisme alle­mand les plus immé­dia­te­ment res­sen­ties par chaque citoyen, et ceci, pour ain­si dire, dès son plus jeune âge. En effet, les pré­ro­ga­tives du minis­tère fédé­ral de la For­ma­tion et des Sciences, créé seule­ment en 1969 et reva­lo­ri­sé depuis 1994 par la fusion avec celui de la Recherche et de la Tech­no­lo­gie, sont à l’o­ri­gine limi­tées pour l’es­sen­tiel à la codi­fi­ca­tion de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ini­tiale, et, plus pré­ci­sé­ment, à la par­tie extra-sco­laire de cette for­ma­tion qui se déroule en entre­prise, ain­si qu’à l’oc­troi de l’aide sociale accor­dée aux étu­diants de l’en­sei­gne­ment supérieur.

Depuis un impor­tant amen­de­ment de la loi fédé­rale de 1969, le gou­ver­ne­ment fédé­ral concourt, de concert avec les Län­der, au finan­ce­ment de la construc­tion d’u­ni­ver­si­tés et a en outre acquis la com­pé­tence de légi­fé­rer dans le domaine de l’en­sei­gne­ment supé­rieur par la voie d’une loi-cadre. Cette loi-cadre, adop­tée en 1976 et amen­dée une pre­mière fois en 1985, a ins­tau­ré un cadre légal com­mun à tous les Län­der pour l’or­ga­ni­sa­tion de l’en­sei­gne­ment supé­rieur en géné­ral, le mode de fonc­tion­ne­ment interne des éta­blis­se­ments, l’ad­mis­sion à l’en­sei­gne­ment supé­rieur et la réforme du conte­nu des for­ma­tions supé­rieures ; un cadre à l’in­té­rieur duquel chaque Land a par la suite adop­té sa propre légis­la­tion rela­tive aux éta­blis­se­ments qui relèvent de sa res­pon­sa­bi­li­té territoriale.


Goethe dans la cam­pagne romaine (détail), 1787, par Johann Hein­rich Wil­hem Tisch­bein. © ROGER-VIOLLET

• Auto-concertation entre les Länder

Cette ouver­ture en direc­tion d’un fédé­ra­lisme coopé­ra­tif entre le gou­ver­ne­ment fédé­ral et les Län­der ne s’é­tend cepen­dant pas à l’en­sei­gne­ment pri­maire et secon­daire. Dans ce domaine, ce sont les Län­der qui détiennent la tota­li­té des pou­voirs quant à la défi­ni­tion des pro­grammes d’en­sei­gne­ment, la for­ma­tion des ensei­gnants, la défi­ni­tion du sta­tut même de l’en­sei­gnant, la défi­ni­tion des diplômes sco­laires, la recon­nais­sance des diplômes étran­gers, quant au règle­ment interne des éta­blis­se­ments et la ges­tion des res­sources humaines, etc.

L’ab­sence d’un pou­voir déci­sion­nel cen­tral rend cepen­dant néces­saire une auto-concer­ta­tion régu­lière entre les Län­der. Cette fonc­tion est assu­rée par la Confé­rence per­ma­nente des ministres de la Culture et de l’É­du­ca­tion des 16 Län­der (KMK). Elle est per­ma­nente en ce sens qu’elle dis­pose d’une struc­ture admi­nis­tra­tive per­ma­nente à Bonn. Il s’a­git donc d’un organe de l’exé­cu­tif qui assume cette fonc­tion en quelque sorte au détri­ment du pou­voir légis­la­tif des 16 par­le­ments des Län­der. Afin d’as­su­rer l’har­mo­ni­sa­tion néces­saire de la poli­tique pour­sui­vie dans les Län­der, les 16 ministres, égaux en droit et dont les déli­bé­ra­tions requièrent l’u­na­ni­mi­té, ont ten­dance à cher­cher le plus petit déno­mi­na­teur commun.

Les par­le­ments régio­naux qui doivent se pro­non­cer sur les « recom­man­da­tions », suf­fi­sam­ment souples, de la KMK et les tra­duire en une légis­la­tion propre à chaque Land peuvent dif­fi­ci­le­ment s’y oppo­ser au risque de remettre en cause les com­pro­mis trou­vés. C’est un pro­ces­sus déci­sion­nel très long et sou­vent labo­rieux qui pré­sente ain­si des incon­vé­nients indé­niables, mais aus­si des avan­tages. Des incon­vé­nients en rai­son de la len­teur même du pro­ces­sus qui peut être blo­qué par un seul des acteurs et empê­cher ain­si des réformes jugées néces­saires par les autres Län­der. Des avan­tages, puisque la logique de sub­si­dia­ri­té qui pré­side est sus­cep­tible de mieux prendre en compte, dans un domaine poli­tique hau­te­ment sen­sible, les spé­ci­fi­ci­tés et attentes régio­nales, en rai­son de la proxi­mi­té (géo­gra­phique et ins­ti­tu­tion­nelle) des centres de déci­sion et réagir ain­si de façon plus souple à l’é­vo­lu­tion d’une demande d’é­du­ca­tion de plus en plus différenciée.

Si, dans l’op­tique alle­mande, les avan­tages l’ont empor­té jus­qu’à pré­sent sur les incon­vé­nients, des voix se font entendre, depuis le début des années 90, pour déplo­rer la diver­si­té des struc­tures édu­ca­tives, deve­nues encore plus com­plexes avec l’u­ni­fi­ca­tion alle­mande en rai­son de la créa­tion de cinq nou­veaux Län­der aux tra­di­tions poli­tiques dia­mé­tra­le­ment oppo­sées à celles pré­va­lant à l’Ouest. La défense achar­née par les Län­der de leurs pré­ro­ga­tives pose en effet non seule­ment un pro­blème de lisi­bi­li­té du sys­tème édu­ca­tif, interne à l’Al­le­magne, mais est consi­dé­rée par cer­tains cri­tiques comme le reflet d’un par­ti­cu­la­risme désuet, obé­rant les marges de manœuvre de la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale de l’Al­le­magne dans son ensemble. Une réforme de cet état de fait pas­se­ra néces­sai­re­ment par une refonte du fédé­ra­lisme alle­mand et, pro­ba­ble­ment, par une dimi­nu­tion du nombre des Län­der.

• Un système éducatif placé sous la responsabilité des pouvoirs publics, mais…

Si l’é­du­ca­tion est pla­cée par prin­cipe sous la res­pon­sa­bi­li­té des pou­voirs publics, l’Al­le­magne ne connaît pas une sépa­ra­tion aus­si nette entre l’É­tat et l’É­glise, comme c’est le cas en France. En effet, les éta­blis­se­ments sco­laires publics dis­pensent un ensei­gne­ment reli­gieux, auquel les élèves, sauf avis contraire de leurs parents, doivent assis­ter. Les pou­voirs publics assurent éga­le­ment la for­ma­tion, le recru­te­ment et la rému­né­ra­tion des ensei­gnants de cette matière.

À l’âge de qua­torze ans, chaque élève peut deman­der à être dis­pen­sé de suivre cet ensei­gne­ment. Les éta­blis­se­ments pri­vés sco­la­risent quelque 500 000 élèves au total, ce qui cor­res­pond à envi­ron 11 % – en moyenne natio­nale, avec cepen­dant de fortes varia­tions régio­nales – des effec­tifs du second degré, sec­teur où les éta­blis­se­ments pri­vés sont le plus repré­sen­tés. Les trois quarts des élèves du pri­vé fré­quentent des éta­blis­se­ments appar­te­nant aux deux Églises (catho­lique et pro­tes­tante). Pour ces éta­blis­se­ments, envi­ron 70 % – les pro­por­tions varient selon le Land consi­dé­ré – des coûts sont pris en charge par les pou­voirs publics.

II – L’enseignement général : stabilité apparente des structures sur fond de mutations sociologiques importantes

En Alle­magne, le sec­teur pré-élé­men­taire ne relève pas, en règle géné­rale, des auto­ri­tés sco­laires, mais des ministres régio­naux des Affaires sociales. Les per­son­nels des mater­nelles sont consi­dé­rés comme des édu­ca­teurs et non pas comme des ensei­gnants, avec une for­ma­tion très dif­fé­rente des ensei­gnants du pri­maire. Tou­jours est-il que l’ob­jec­tif affi­ché par une loi récente de pro­po­ser, dès 1996, une place dans une mater­nelle à chaque enfant de trois ans est très loin d’être atteint, les taux variant en effet entre 80 et 90 % selon les Län­der. En tout cas, la plu­part des mater­nelles sont pri­vées, du moins en Alle­magne de l’Ouest, et ne prennent les enfants qu’à par­tir de trois ans mini­mum et ceci pour la demi-jour­née, sans repas servi.

La sco­la­ri­té obli­ga­toire com­mence donc à l’âge de six ans, lorsque l’en­fant entre, pour quatre ans dans la plu­part des Län­der, à l’é­cole pri­maire. Quant à l’en­sei­gne­ment secon­daire, le pay­sage actuel res­semble encore beau­coup, pour ce qui est des déno­mi­na­tions des ins­ti­tu­tions, à ce qui exis­tait déjà il y a qua­rante ans, voire avant.

Si l’Al­le­magne fédé­rale a connu dans les années 60 et 70 d’im­por­tantes réformes dans son sys­tème édu­ca­tif, il n’y a pas eu, au niveau de l’en­sei­gne­ment secon­daire, de ratio­na­li­sa­tion des struc­tures sco­laires héri­tées, dans une large mesure, du XIXe siècle. À ce niveau, on dis­tingue donc trois types d’é­ta­blis­se­ment « clas­siques » et un qua­trième à voca­tion réfor­ma­trice qui est de créa­tion plus récente. Le pre­mier type est celui de la Haupt­schule qui, tra­di­tion­nel­le­ment, pré­pare les élèves en cinq ans à un pas­sage vers une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle dans le cadre du sys­tème dual, for­mant aux dif­fé­rents métiers de l’artisanat.

Le deuxième type est celui de la Real­schule qui pré­pare les élèves en six ans à un pas­sage vers une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, éga­le­ment le plus sou­vent dans le sys­tème dual, du moins pour la plu­part. Il s’a­git de for­ma­tions pré­pa­rant à des fonc­tions tech­ni­co-com­mer­ciales dans l’in­dus­trie et/ou dans le sec­teur des ser­vices. Le troi­sième type d’é­ta­blis­se­ment enfin est celui du Gym­na­sium (lycée) qui, en prin­cipe, pré­pare les élèves en neuf ans au bac­ca­lau­réat et donc au pas­sage vers l’en­sei­gne­ment supérieur.

On peut donc remar­quer dès à pré­sent le main­tien, et ceci pour un âge pré­coce (dès dix ans), d’une offre très dif­fé­ren­ciée de cur­sus sco­laires visant, a prio­ri, des qua­li­fi­ca­tions pro­fes­sion­nelles ulté­rieures très dis­tinctes. Un qua­trième type, appe­lé Gesamt­schule et for­te­ment ins­pi­ré par des expé­riences bri­tan­niques et scan­di­naves, a été créé vers le début des années 70 dans tous les Län­der de l’Ouest. Selon les vœux des pro­ta­go­nistes de l’é­poque, la Gesamt­schule aurait dû, sous le leit­mo­tiv de la démo­cra­ti­sa­tion de l’é­cole et de l’é­ga­li­té des chances pour tous, se sub­sti­tuer pro­gres­si­ve­ment aux trois types exis­tants pour deve­nir une sorte de col­lège unique à l’al­le­mande, tout en per­met­tant aux élèves de pas­ser les diplômes clas­siques de l’en­sei­gne­ment secondaire.

Très vite, le prin­cipe même de la Gesamt­schule a sou­le­vé des débats idéo­lo­giques et est deve­nu l’ob­jet de confron­ta­tions par­ti­sanes entre les par­tis poli­tiques, ce qui a for­te­ment nui à sa quête de légi­ti­mi­té auprès d’une par­tie de l’o­pi­nion publique. Selon les par­tis poli­tiques au pou­voir dans les Län­der, la Gesamt­schule est actuel­le­ment très inéga­le­ment repré­sen­tée dans le pays.

Cette sta­bi­li­té des struc­tures ne sau­rait cepen­dant cacher des chan­ge­ments impor­tants inter­ve­nus dans la répar­ti­tion des flux de sor­tie du sys­tème édu­ca­tif. Si, dans les années 50 et 60, la majeure par­tie des enfants de l’âge de 10 ans (entre 50 et 70 % selon les Län­der) se diri­geait vers la Haupt­schule et vers les tra­jec­toires pro­fes­sion­nelles qui s’y rat­ta­chaient, alors que le lycée était réser­vé à une élite sociale, la répar­ti­tion est actuel­le­ment à peu près la sui­vante : un tiers des enfants se dirigent vers la Haupt­schule, un tiers vers la Real­schule et le troi­sième tiers vers le lycée, avec de fortes varia­tions au détri­ment de la Haupt­schule selon les Länder.

Cette der­nière peut être en effet consi­dé­rée comme le parent pauvre du sys­tème édu­ca­tif alle­mand, puisque, dans cer­taines régions, elle n’at­tire plus que 10 à 15 % des enfants sor­tant de l’en­sei­gne­ment pri­maire. Elle devient ain­si l’é­cole « à pro­blèmes » recueillant de fait les enfants des couches socia­le­ment défa­vo­ri­sées. L’ou­ver­ture très large du lycée consti­tue donc le trait domi­nant de l’é­vo­lu­tion des trente der­nières années de sorte que le nombre de bache­liers repré­sente désor­mais entre 35 et 40 % d’une classe d’âge.

Avec quelque 310 000 bache­liers en 1996, dont 70 000 jeunes dis­po­sant d’un bac­ca­lau­réat spé­cia­li­sé ne don­nant pas accès à l’u­ni­ver­si­té, le bac­ca­lau­réat est cepen­dant loin de consti­tuer la clé de voûte de tout le sys­tème, un rôle qu’au­cun res­pon­sable poli­tique, toutes ten­dances confon­dues, ne sou­haite d’ailleurs lui attri­buer. Cet état de fait s’ex­plique si l’on tient compte de l’im­por­tance de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ini­tiale en Allemagne.

III – La formation professionnelle initiale dans le cadre du système dual

Dans le sys­tème dual de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, ce sont des acteurs autres que sco­laires qui ont un rôle pré­pon­dé­rant, et notam­ment l’en­tre­prise for­ma­trice, alors que celui de l’é­cole pro­fes­sion­nelle est plu­tôt com­plé­men­taire. Ce par­tage des com­pé­tences entre acteurs pri­vés et acteurs publics est la consé­quence de l’é­vo­lu­tion sociale, éco­no­mique et his­to­rique en Alle­magne à la fin du XIXe siècle, lorsque le sys­tème dual, basé sur la tra­di­tion médié­vale de l’ar­ti­sa­nat, a réus­si à s’im­plan­ter éga­le­ment dans l’in­dus­trie et, par la suite, dans les ser­vices et les pro­fes­sions libé­rales comme modèle domi­nant d’ac­cès à une qua­li­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle, même si la codi­fi­ca­tion juri­dique actuelle du sys­tème ne date que de 1969. Ain­si, l’ap­pren­tis­sage repré­sen­tait en 1996 envi­ron 1,6 mil­lion d’ap­pren­tis, soit envi­ron 500 000 nou­veaux contrats par an, tous sec­teurs d’ac­ti­vi­tés éco­no­miques confon­dus, pour une for­ma­tion qui dure trois ans en règle générale.

Les deux tiers de la classe d’âge des 16–19 ans sont concer­nés par ce type de for­ma­tion, quel que soit le niveau sco­laire atteint. S’il n’y a pas d’o­bli­ga­tion pour les entre­prises de for­mer, l’en­tre­prise for­ma­trice (une sur cinq) doit consa­crer des moyens finan­ciers et humains consé­quents à la for­ma­tion. Orga­ni­sé sépa­ré­ment de l’en­sei­gne­ment géné­ral et ne s’ins­cri­vant pas dans une logique de filière struc­tu­rée par niveaux de qua­li­fi­ca­tion à atteindre, le sys­tème dual s’est construit autour de la notion d’un Beruf (métier) à apprendre.

Ce prin­cipe fon­da­teur du sys­tème signi­fie non seule­ment l’ac­qui­si­tion de connais­sances fac­tuelles pour l’exer­cice d’un métier, mais tout autant une socia­li­sa­tion au monde du tra­vail avec toutes ses règles éco­no­miques, sociales et cultu­relles. C’est à ce double titre que le sys­tème béné­fi­cie d’une forte légi­ti­mi­té auprès de l’o­pi­nion publique alle­mande, le rôle for­ma­teur de l’en­tre­prise repo­sant en effet sur un très large consen­sus entre pou­voirs publics et par­te­naires sociaux. Ces der­niers sont for­te­ment impli­qués dans le fonc­tion­ne­ment et le contrôle du sys­tème à tous les niveaux déci­sion­nels (entre­prise, chambres d’in­dus­trie et de com­merce pour la déli­vrance des diplômes pro­fes­sion­nels, niveaux régio­nal et fédéral).

Si le sys­tème a fait preuve jus­qu’à pré­sent d’une grande capa­ci­té d’a­dap­ta­tion, il doit rele­ver à l’a­ve­nir le défi de la glo­ba­li­sa­tion de l’é­co­no­mie alle­mande ; de plus en plus d’en­tre­prises hésitent par consé­quent à consa­crer des moyens consi­dé­rables (jus­qu’à 40 000 DM par appren­ti et par an dans les grandes entre­prises) à la for­ma­tion ini­tiale et s’en désen­gagent, ce qui pour­rait mettre en cause l’é­di­fice dans son ensemble.

IV – L’enseignement supérieur allemand : entre idéal humboldtien et université de masse

Fon­dée au début du XIXe siècle dans un élan réfor­ma­teur qui englo­bait de larges pans de la vie sociale, éco­no­mique et par­tiel­le­ment poli­tique des ter­ri­toires alle­mands de l’é­poque, notam­ment en Prusse, l’u­ni­ver­si­té hum­bold­tienne a exer­cé une influence durable sur le déve­lop­pe­ment de l’en­sei­gne­ment supé­rieur alle­mand par sa concep­tion péda­go­gique néo-huma­niste d’un épa­nouis­se­ment indi­vi­duel de la per­son­na­li­té à tra­vers un pro­ces­sus d’ap­pren­tis­sage auto­nome basé sur la recherche.

Il est clair que l’i­déal de l’u­ni­ver­si­té hum­bold­tienne, dis­po­sant d’une auto­no­mie interne presque totale sous la tutelle de l’É­tat, pour­sui­vant une recherche libre de toute ins­tru­men­ta­li­sa­tion à des fins éco­no­miques et sépa­rant stric­te­ment for­ma­tion uni­ver­si­taire de la pra­tique pro­fes­sion­nelle, idée for­te­ment ins­pi­rée par les concep­tions phi­lo­so­phiques de l’i­déa­lisme alle­mand, est dif­fi­ci­le­ment com­pa­tible avec la réa­li­té actuelle d’un ensei­gne­ment de masse des­ti­né à envi­ron 1,9 mil­lion. d’é­tu­diants répar­tis dans quelque 250 éta­blis­se­ments (essen­tiel­le­ment les 82 uni­ver­si­tés et les 113 Fach­hoch­schu­len, éta­blis­se­ments dis­pen­sant un ensei­gne­ment plus court et plus pro­fes­sion­na­li­sé dans un nombre de dis­ci­plines limité).

La refonte com­plète de la loi-cadre sur l’en­sei­gne­ment supé­rieur, qui doit redé­fi­nir entiè­re­ment les mis­sions de l’u­ni­ver­si­té dans le contexte actuel et dont l’en­trée en vigueur est pré­vue pour le prin­temps 1998, dépas­se­ra de loin le cadre du sys­tème édu­ca­tif. Compte tenu de la posi­tion stra­té­gique de l’en­sei­gne­ment supé­rieur dans les socié­tés modernes, elle aura une valeur de test pour témoi­gner de la capa­ci­té de moder­ni­sa­tion de la socié­té alle­mande dans son ensemble.

S’ins­cri­vant dans un mou­ve­ment géné­ral d’ex­pan­sion de l’en­sei­gne­ment supé­rieur dans la qua­si-tota­li­té des pays indus­tria­li­sés depuis le début des années 70, les uni­ver­si­tés alle­mandes, qui réunissent plus des deux tiers du nombre total des étu­diants alle­mands, doivent aujourd’­hui faire face à d’é­mi­nents pro­blèmes d’ac­cueil, d’en­ca­dre­ment et de ges­tion d’un public estu­dian­tin aux attentes indi­vi­duelles et col­lec­tives plus diver­si­fiées qu’il y a vingt ou trente ans, dans un envi­ron­ne­ment en forte muta­tion sociale et éco­no­mique, ain­si que dans un contexte de rigueur bud­gé­taire draconienne.

À cela s’a­joute, dans le sillage de l’u­ni­fi­ca­tion, la restruc­tu­ra­tion com­plète de l’en­sei­gne­ment supé­rieur dans les nou­veaux Län­der, où le sys­tème uni­ver­si­taire se carac­té­ri­sait par une orga­ni­sa­tion aux anti­podes des modes de fonc­tion­ne­ment en cours à l’Ouest : une cen­tra­li­sa­tion extrême des déci­sions admi­nis­tra­tives et péda­go­giques, un accès extrê­me­ment sélec­tif aux uni­ver­si­tés pour des motifs tant éco­no­miques qu’i­déo­lo­giques, et enfin, une prio­ri­té très nette don­née aux orga­nismes de recherche extra-uni­ver­si­taires au prix d’un assè­che­ment lourd de consé­quences pour la recherche et l’en­sei­gne­ment universitaires.

V – Convergences et divergences franco-allemandes

Si les ins­ti­tu­tions édu­ca­tives alle­mandes se dis­tinguent donc, dans l’en­semble, par une conti­nui­té plus grande que les ins­ti­tu­tions poli­tiques, l’é­cole – au sens large – ne pou­vait par consé­quent jouer un rôle aus­si capi­tal de fac­teur d’i­den­ti­té et de conscience natio­nales qu’a joué l’é­cole en France pour la consti­tu­tion de l’É­tat-Nation depuis le XIXe siècle. Lieu de cris­tal­li­sa­tion par excel­lence de la réflexion sur l’es­sence même de l’É­tat-Nation, sur la répu­blique, sur les droits de l’homme, sur la laï­ci­té, et d’autres ques­tions socié­tales de pre­mière impor­tance, l’é­cole et la poli­tique d’é­du­ca­tion, en rai­son de leur poids poli­tique et cultu­rel dans l’his­toire récente et de leur mode d’or­ga­ni­sa­tion actuel tou­jours très cen­tra­li­sé, relèvent en France d’un débat natio­nal qua­si permanent.

En Alle­magne, en revanche, l’or­ga­ni­sa­tion admi­nis­tra­tive décen­tra­li­sée du sys­tème édu­ca­tif consti­tue à la fois le fruit de la genèse his­to­rique par­ti­cu­lière de l’É­tat en Alle­magne au XIXe siècle et la leçon de l’ex­pé­rience vécue d’un sys­tème édu­ca­tif cen­tra­li­sé à outrance et ins­tru­men­ta­li­sé tota­le­ment aux fins meur­trières du régime nazi. Pour ces mêmes rai­sons, la place de l’é­cole et du sys­tème édu­ca­tif dans la mémoire col­lec­tive des Alle­mands, a for­tio­ri dans l’Al­le­magne uni­fiée, ain­si que sa place par­mi les pré­oc­cu­pa­tions poli­tiques et sociales actuelles sur l’a­gen­da poli­tique dif­fèrent donc de la situa­tion française.

Ces dif­fé­rences appa­raissent dans la coopé­ra­tion fran­co-alle­mande en matière d’en­sei­gne­ment et de for­ma­tion, comme en témoigne l’his­toire des rela­tions bila­té­rales depuis une qua­ran­taine d’années.p> Mais, loin de consti­tuer des obs­tacles insur­mon­tables, elles se sont révé­lées comme des défis intel­lec­tuels et pra­tiques enri­chis­sants pour le débat natio­nal res­pec­tif sur l’é­du­ca­tion comme en témoigne le nombre impres­sion­nant d’ins­ti­tu­tions et de pro­grammes d’é­changes fran­co-alle­mands dans ce domaine, une coopé­ra­tion bila­té­rale qui, en rai­son de son carac­tère exem­plaire, a très sou­vent ouvert la voie à une coopé­ra­tion mul­ti­la­té­rale, notam­ment dans le cadre européen.

En effet, en dépit des dif­fé­rences de tra­di­tions cultu­relles et de modes de fonc­tion­ne­ment admi­nis­tra­tif actuels, on ne sau­rait sous-esti­mer l’im­por­tance des conver­gences crois­santes quant aux défis aux­quels doivent faire face les sys­tèmes édu­ca­tifs dans les deux pays : défis liés à l’é­vo­lu­tion de la demande d’é­du­ca­tion vers des for­ma­tions supé­rieures et plus longues, aux muta­tions tech­no­lo­giques et éco­no­miques rapides qui néces­sitent des qua­li­fi­ca­tions appro­priées, et ceci sous la forme d’une for­ma­tion (pro­fes­sion­nelle) conti­nue tout au long de la vie, défis liés enfin aux phé­no­mènes d’ex­clu­sion et de mar­gi­na­li­sa­tion d’un nombre tou­jours trop impor­tant de jeunes sans édu­ca­tion et for­ma­tion de base suf­fi­santes pour avoir une chance sur le mar­ché de l’emploi, avec toutes les consé­quences désta­bi­li­sa­trices qui en découlent pour la cohé­sion sociale de nos sociétés.

Étant don­né qu’en rai­son des tech­no­lo­gies de com­mu­ni­ca­tion modernes et de l’in­ter­dé­pen­dance crois­sante de l’en­vi­ron­ne­ment éco­no­mique et social ces évo­lu­tions dépassent le cadre du sys­tème édu­ca­tif natio­nal, la coopé­ra­tion trans­na­tio­nale s’im­po­se­ra encore plus à l’a­ve­nir en matière d’é­du­ca­tion pour cher­cher des syner­gies, tant au niveau de l’i­den­ti­fi­ca­tion des pro­blèmes qu’à celui des solu­tions à apporter.

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