Goethe

Le système éducatif allemand

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998
Par Werner ZETTELMEIER

I — Principes fondateurs du système éducatif allemand

• Partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les Länder

I — Principes fondateurs du système éducatif allemand

• Partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les Länder

Ce qui frappe d’abord l’ob­ser­va­teur étranger, c’est la struc­ture admin­is­tra­tive du sys­tème édu­catif alle­mand. Le partage des com­pé­tences entre le gou­verne­ment fédéral et les Län­der en matière d’é­d­u­ca­tion reste l’une des con­créti­sa­tions du fédéral­isme alle­mand les plus immé­di­ate­ment ressen­ties par chaque citoyen, et ceci, pour ain­si dire, dès son plus jeune âge. En effet, les prérog­a­tives du min­istère fédéral de la For­ma­tion et des Sci­ences, créé seule­ment en 1969 et reval­orisé depuis 1994 par la fusion avec celui de la Recherche et de la Tech­nolo­gie, sont à l’o­rig­ine lim­itées pour l’essen­tiel à la cod­i­fi­ca­tion de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ini­tiale, et, plus pré­cisé­ment, à la par­tie extra-sco­laire de cette for­ma­tion qui se déroule en entre­prise, ain­si qu’à l’oc­troi de l’aide sociale accordée aux étu­di­ants de l’en­seigne­ment supérieur.

Depuis un impor­tant amende­ment de la loi fédérale de 1969, le gou­verne­ment fédéral con­court, de con­cert avec les Län­der, au finance­ment de la con­struc­tion d’u­ni­ver­sités et a en out­re acquis la com­pé­tence de légifér­er dans le domaine de l’en­seigne­ment supérieur par la voie d’une loi-cadre. Cette loi-cadre, adop­tée en 1976 et amendée une pre­mière fois en 1985, a instau­ré un cadre légal com­mun à tous les Län­der pour l’or­gan­i­sa­tion de l’en­seigne­ment supérieur en général, le mode de fonc­tion­nement interne des étab­lisse­ments, l’ad­mis­sion à l’en­seigne­ment supérieur et la réforme du con­tenu des for­ma­tions supérieures ; un cadre à l’in­térieur duquel chaque Land a par la suite adop­té sa pro­pre lég­is­la­tion rel­a­tive aux étab­lisse­ments qui relèvent de sa respon­s­abil­ité territoriale.


Goethe dans la cam­pagne romaine (détail), 1787, par Johann Hein­rich Wil­hem Tis­chbein. © ROGER-VIOLLET

• Auto-concertation entre les Länder

Cette ouver­ture en direc­tion d’un fédéral­isme coopératif entre le gou­verne­ment fédéral et les Län­der ne s’é­tend cepen­dant pas à l’en­seigne­ment pri­maire et sec­ondaire. Dans ce domaine, ce sont les Län­der qui déti­en­nent la total­ité des pou­voirs quant à la déf­i­ni­tion des pro­grammes d’en­seigne­ment, la for­ma­tion des enseignants, la déf­i­ni­tion du statut même de l’en­seignant, la déf­i­ni­tion des diplômes sco­laires, la recon­nais­sance des diplômes étrangers, quant au règle­ment interne des étab­lisse­ments et la ges­tion des ressources humaines, etc.

L’ab­sence d’un pou­voir déci­sion­nel cen­tral rend cepen­dant néces­saire une auto-con­cer­ta­tion régulière entre les Län­der. Cette fonc­tion est assurée par la Con­férence per­ma­nente des min­istres de la Cul­ture et de l’É­d­u­ca­tion des 16 Län­der (KMK). Elle est per­ma­nente en ce sens qu’elle dis­pose d’une struc­ture admin­is­tra­tive per­ma­nente à Bonn. Il s’ag­it donc d’un organe de l’exé­cu­tif qui assume cette fonc­tion en quelque sorte au détri­ment du pou­voir lég­is­latif des 16 par­lements des Län­der. Afin d’as­sur­er l’har­mon­i­sa­tion néces­saire de la poli­tique pour­suiv­ie dans les Län­der, les 16 min­istres, égaux en droit et dont les délibéra­tions requièrent l’u­na­nim­ité, ont ten­dance à chercher le plus petit dénom­i­na­teur commun.

Les par­lements régionaux qui doivent se pronon­cer sur les “recom­man­da­tions”, suff­isam­ment sou­ples, de la KMK et les traduire en une lég­is­la­tion pro­pre à chaque Land peu­vent dif­fi­cile­ment s’y oppos­er au risque de remet­tre en cause les com­pro­mis trou­vés. C’est un proces­sus déci­sion­nel très long et sou­vent laborieux qui présente ain­si des incon­vénients indé­ni­ables, mais aus­si des avan­tages. Des incon­vénients en rai­son de la lenteur même du proces­sus qui peut être blo­qué par un seul des acteurs et empêch­er ain­si des réformes jugées néces­saires par les autres Län­der. Des avan­tages, puisque la logique de sub­sidiar­ité qui pré­side est sus­cep­ti­ble de mieux pren­dre en compte, dans un domaine poli­tique haute­ment sen­si­ble, les spé­ci­ficités et attentes régionales, en rai­son de la prox­im­ité (géo­graphique et insti­tu­tion­nelle) des cen­tres de déci­sion et réa­gir ain­si de façon plus sou­ple à l’évo­lu­tion d’une demande d’é­d­u­ca­tion de plus en plus différenciée.

Si, dans l’op­tique alle­mande, les avan­tages l’ont emporté jusqu’à présent sur les incon­vénients, des voix se font enten­dre, depuis le début des années 90, pour déplor­er la diver­sité des struc­tures éduca­tives, dev­enues encore plus com­plex­es avec l’u­ni­fi­ca­tion alle­mande en rai­son de la créa­tion de cinq nou­veaux Län­der aux tra­di­tions poli­tiques diamé­trale­ment opposées à celles pré­valant à l’Ouest. La défense acharnée par les Län­der de leurs prérog­a­tives pose en effet non seule­ment un prob­lème de lis­i­bil­ité du sys­tème édu­catif, interne à l’Alle­magne, mais est con­sid­érée par cer­tains cri­tiques comme le reflet d’un par­tic­u­lar­isme désuet, obérant les marges de manœu­vre de la coopéra­tion inter­na­tionale de l’Alle­magne dans son ensem­ble. Une réforme de cet état de fait passera néces­saire­ment par une refonte du fédéral­isme alle­mand et, prob­a­ble­ment, par une diminu­tion du nom­bre des Län­der.

• Un système éducatif placé sous la responsabilité des pouvoirs publics, mais…

Si l’é­d­u­ca­tion est placée par principe sous la respon­s­abil­ité des pou­voirs publics, l’Alle­magne ne con­naît pas une sépa­ra­tion aus­si nette entre l’É­tat et l’Église, comme c’est le cas en France. En effet, les étab­lisse­ments sco­laires publics dis­pensent un enseigne­ment religieux, auquel les élèves, sauf avis con­traire de leurs par­ents, doivent assis­ter. Les pou­voirs publics assurent égale­ment la for­ma­tion, le recrute­ment et la rémunéra­tion des enseignants de cette matière.

À l’âge de qua­torze ans, chaque élève peut deman­der à être dis­pen­sé de suiv­re cet enseigne­ment. Les étab­lisse­ments privés sco­larisent quelque 500 000 élèves au total, ce qui cor­re­spond à env­i­ron 11 % — en moyenne nationale, avec cepen­dant de fortes vari­a­tions régionales — des effec­tifs du sec­ond degré, secteur où les étab­lisse­ments privés sont le plus représen­tés. Les trois quarts des élèves du privé fréquentent des étab­lisse­ments appar­tenant aux deux Églis­es (catholique et protes­tante). Pour ces étab­lisse­ments, env­i­ron 70 % — les pro­por­tions vari­ent selon le Land con­sid­éré — des coûts sont pris en charge par les pou­voirs publics.

II — L’enseignement général : stabilité apparente des structures sur fond de mutations sociologiques importantes

En Alle­magne, le secteur pré-élé­men­taire ne relève pas, en règle générale, des autorités sco­laires, mais des min­istres régionaux des Affaires sociales. Les per­son­nels des mater­nelles sont con­sid­érés comme des édu­ca­teurs et non pas comme des enseignants, avec une for­ma­tion très dif­férente des enseignants du pri­maire. Tou­jours est-il que l’ob­jec­tif affiché par une loi récente de pro­pos­er, dès 1996, une place dans une mater­nelle à chaque enfant de trois ans est très loin d’être atteint, les taux vari­ant en effet entre 80 et 90 % selon les Län­der. En tout cas, la plu­part des mater­nelles sont privées, du moins en Alle­magne de l’Ouest, et ne pren­nent les enfants qu’à par­tir de trois ans min­i­mum et ceci pour la demi-journée, sans repas servi.

La sco­lar­ité oblig­a­toire com­mence donc à l’âge de six ans, lorsque l’en­fant entre, pour qua­tre ans dans la plu­part des Län­der, à l’é­cole pri­maire. Quant à l’en­seigne­ment sec­ondaire, le paysage actuel ressem­ble encore beau­coup, pour ce qui est des dénom­i­na­tions des insti­tu­tions, à ce qui exis­tait déjà il y a quar­ante ans, voire avant.

Si l’Alle­magne fédérale a con­nu dans les années 60 et 70 d’im­por­tantes réformes dans son sys­tème édu­catif, il n’y a pas eu, au niveau de l’en­seigne­ment sec­ondaire, de ratio­nal­i­sa­tion des struc­tures sco­laires héritées, dans une large mesure, du XIXe siè­cle. À ce niveau, on dis­tingue donc trois types d’étab­lisse­ment “clas­siques” et un qua­trième à voca­tion réfor­ma­trice qui est de créa­tion plus récente. Le pre­mier type est celui de la Hauptschule qui, tra­di­tion­nelle­ment, pré­pare les élèves en cinq ans à un pas­sage vers une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle dans le cadre du sys­tème dual, for­mant aux dif­férents métiers de l’artisanat.

Le deux­ième type est celui de la Realschule qui pré­pare les élèves en six ans à un pas­sage vers une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, égale­ment le plus sou­vent dans le sys­tème dual, du moins pour la plu­part. Il s’ag­it de for­ma­tions pré­parant à des fonc­tions tech­ni­co-com­mer­ciales dans l’in­dus­trie et/ou dans le secteur des ser­vices. Le troisième type d’étab­lisse­ment enfin est celui du Gym­na­si­um (lycée) qui, en principe, pré­pare les élèves en neuf ans au bac­calau­réat et donc au pas­sage vers l’en­seigne­ment supérieur.

On peut donc remar­quer dès à présent le main­tien, et ceci pour un âge pré­coce (dès dix ans), d’une offre très dif­féren­ciée de cur­sus sco­laires visant, a pri­ori, des qual­i­fi­ca­tions pro­fes­sion­nelles ultérieures très dis­tinctes. Un qua­trième type, appelé Gesamtschule et forte­ment inspiré par des expéri­ences bri­tan­niques et scan­di­naves, a été créé vers le début des années 70 dans tous les Län­der de l’Ouest. Selon les vœux des pro­tag­o­nistes de l’époque, la Gesamtschule aurait dû, sous le leit­mo­tiv de la démoc­ra­ti­sa­tion de l’é­cole et de l’é­gal­ité des chances pour tous, se sub­stituer pro­gres­sive­ment aux trois types exis­tants pour devenir une sorte de col­lège unique à l’alle­mande, tout en per­me­t­tant aux élèves de pass­er les diplômes clas­siques de l’en­seigne­ment secondaire.

Très vite, le principe même de la Gesamtschule a soulevé des débats idéologiques et est devenu l’ob­jet de con­fronta­tions par­ti­sanes entre les par­tis poli­tiques, ce qui a forte­ment nui à sa quête de légitim­ité auprès d’une par­tie de l’opin­ion publique. Selon les par­tis poli­tiques au pou­voir dans les Län­der, la Gesamtschule est actuelle­ment très iné­gale­ment représen­tée dans le pays.

Cette sta­bil­ité des struc­tures ne saurait cepen­dant cacher des change­ments impor­tants inter­venus dans la répar­ti­tion des flux de sor­tie du sys­tème édu­catif. Si, dans les années 50 et 60, la majeure par­tie des enfants de l’âge de 10 ans (entre 50 et 70 % selon les Län­der) se dirigeait vers la Hauptschule et vers les tra­jec­toires pro­fes­sion­nelles qui s’y rat­tachaient, alors que le lycée était réservé à une élite sociale, la répar­ti­tion est actuelle­ment à peu près la suiv­ante : un tiers des enfants se diri­gent vers la Hauptschule, un tiers vers la Realschule et le troisième tiers vers le lycée, avec de fortes vari­a­tions au détri­ment de la Hauptschule selon les Länder.

Cette dernière peut être en effet con­sid­érée comme le par­ent pau­vre du sys­tème édu­catif alle­mand, puisque, dans cer­taines régions, elle n’at­tire plus que 10 à 15 % des enfants sor­tant de l’en­seigne­ment pri­maire. Elle devient ain­si l’é­cole “à prob­lèmes” recueil­lant de fait les enfants des couch­es sociale­ment défa­vorisées. L’ou­ver­ture très large du lycée con­stitue donc le trait dom­i­nant de l’évo­lu­tion des trente dernières années de sorte que le nom­bre de bache­liers représente désor­mais entre 35 et 40 % d’une classe d’âge.

Avec quelque 310 000 bache­liers en 1996, dont 70 000 jeunes dis­posant d’un bac­calau­réat spé­cial­isé ne don­nant pas accès à l’u­ni­ver­sité, le bac­calau­réat est cepen­dant loin de con­stituer la clé de voûte de tout le sys­tème, un rôle qu’au­cun respon­s­able poli­tique, toutes ten­dances con­fon­dues, ne souhaite d’ailleurs lui attribuer. Cet état de fait s’ex­plique si l’on tient compte de l’im­por­tance de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ini­tiale en Allemagne.

III — La formation professionnelle initiale dans le cadre du système dual

Dans le sys­tème dual de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, ce sont des acteurs autres que sco­laires qui ont un rôle prépondérant, et notam­ment l’en­tre­prise for­ma­trice, alors que celui de l’é­cole pro­fes­sion­nelle est plutôt com­plé­men­taire. Ce partage des com­pé­tences entre acteurs privés et acteurs publics est la con­séquence de l’évo­lu­tion sociale, économique et his­torique en Alle­magne à la fin du XIXe siè­cle, lorsque le sys­tème dual, basé sur la tra­di­tion médié­vale de l’ar­ti­sanat, a réus­si à s’im­planter égale­ment dans l’in­dus­trie et, par la suite, dans les ser­vices et les pro­fes­sions libérales comme mod­èle dom­i­nant d’ac­cès à une qual­i­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle, même si la cod­i­fi­ca­tion juridique actuelle du sys­tème ne date que de 1969. Ain­si, l’ap­pren­tis­sage représen­tait en 1996 env­i­ron 1,6 mil­lion d’ap­pren­tis, soit env­i­ron 500 000 nou­veaux con­trats par an, tous secteurs d’ac­tiv­ités économiques con­fon­dus, pour une for­ma­tion qui dure trois ans en règle générale.

Les deux tiers de la classe d’âge des 16–19 ans sont con­cernés par ce type de for­ma­tion, quel que soit le niveau sco­laire atteint. S’il n’y a pas d’oblig­a­tion pour les entre­pris­es de for­mer, l’en­tre­prise for­ma­trice (une sur cinq) doit con­sacr­er des moyens financiers et humains con­séquents à la for­ma­tion. Organ­isé séparé­ment de l’en­seigne­ment général et ne s’in­scrivant pas dans une logique de fil­ière struc­turée par niveaux de qual­i­fi­ca­tion à attein­dre, le sys­tème dual s’est con­stru­it autour de la notion d’un Beruf (méti­er) à apprendre.

Ce principe fon­da­teur du sys­tème sig­ni­fie non seule­ment l’ac­qui­si­tion de con­nais­sances factuelles pour l’ex­er­ci­ce d’un méti­er, mais tout autant une social­i­sa­tion au monde du tra­vail avec toutes ses règles économiques, sociales et cul­turelles. C’est à ce dou­ble titre que le sys­tème béné­fi­cie d’une forte légitim­ité auprès de l’opin­ion publique alle­mande, le rôle for­ma­teur de l’en­tre­prise reposant en effet sur un très large con­sen­sus entre pou­voirs publics et parte­naires soci­aux. Ces derniers sont forte­ment impliqués dans le fonc­tion­nement et le con­trôle du sys­tème à tous les niveaux déci­sion­nels (entre­prise, cham­bres d’in­dus­trie et de com­merce pour la délivrance des diplômes pro­fes­sion­nels, niveaux région­al et fédéral).

Si le sys­tème a fait preuve jusqu’à présent d’une grande capac­ité d’adap­ta­tion, il doit relever à l’avenir le défi de la glob­al­i­sa­tion de l’é­conomie alle­mande ; de plus en plus d’en­tre­pris­es hési­tent par con­séquent à con­sacr­er des moyens con­sid­érables (jusqu’à 40 000 DM par appren­ti et par an dans les grandes entre­pris­es) à la for­ma­tion ini­tiale et s’en désen­ga­gent, ce qui pour­rait met­tre en cause l’éd­i­fice dans son ensemble.

IV — L’enseignement supérieur allemand : entre idéal humboldtien et université de masse

Fondée au début du XIXe siè­cle dans un élan réfor­ma­teur qui englobait de larges pans de la vie sociale, économique et par­tielle­ment poli­tique des ter­ri­toires alle­mands de l’époque, notam­ment en Prusse, l’u­ni­ver­sité hum­bold­ti­enne a exer­cé une influ­ence durable sur le développe­ment de l’en­seigne­ment supérieur alle­mand par sa con­cep­tion péd­a­gogique néo-human­iste d’un épanouisse­ment indi­vidu­el de la per­son­nal­ité à tra­vers un proces­sus d’ap­pren­tis­sage autonome basé sur la recherche.

Il est clair que l’idéal de l’u­ni­ver­sité hum­bold­ti­enne, dis­posant d’une autonomie interne presque totale sous la tutelle de l’É­tat, pour­suiv­ant une recherche libre de toute instru­men­tal­i­sa­tion à des fins économiques et séparant stricte­ment for­ma­tion uni­ver­si­taire de la pra­tique pro­fes­sion­nelle, idée forte­ment inspirée par les con­cep­tions philosophiques de l’idéal­isme alle­mand, est dif­fi­cile­ment com­pat­i­ble avec la réal­ité actuelle d’un enseigne­ment de masse des­tiné à env­i­ron 1,9 mil­lion. d’é­tu­di­ants répar­tis dans quelque 250 étab­lisse­ments (essen­tielle­ment les 82 uni­ver­sités et les 113 Fach­hochschulen, étab­lisse­ments dis­pen­sant un enseigne­ment plus court et plus pro­fes­sion­nal­isé dans un nom­bre de dis­ci­plines limité).

La refonte com­plète de la loi-cadre sur l’en­seigne­ment supérieur, qui doit redéfinir entière­ment les mis­sions de l’u­ni­ver­sité dans le con­texte actuel et dont l’en­trée en vigueur est prévue pour le print­emps 1998, dépassera de loin le cadre du sys­tème édu­catif. Compte tenu de la posi­tion stratégique de l’en­seigne­ment supérieur dans les sociétés mod­ernes, elle aura une valeur de test pour témoign­er de la capac­ité de mod­erni­sa­tion de la société alle­mande dans son ensemble.

S’in­scrivant dans un mou­ve­ment général d’ex­pan­sion de l’en­seigne­ment supérieur dans la qua­si-total­ité des pays indus­tri­al­isés depuis le début des années 70, les uni­ver­sités alle­man­des, qui réu­nis­sent plus des deux tiers du nom­bre total des étu­di­ants alle­mands, doivent aujour­d’hui faire face à d’émi­nents prob­lèmes d’ac­cueil, d’en­cadrement et de ges­tion d’un pub­lic estu­di­antin aux attentes indi­vidu­elles et col­lec­tives plus diver­si­fiées qu’il y a vingt ou trente ans, dans un envi­ron­nement en forte muta­tion sociale et économique, ain­si que dans un con­texte de rigueur budgé­taire draconienne.

À cela s’a­joute, dans le sil­lage de l’u­ni­fi­ca­tion, la restruc­tura­tion com­plète de l’en­seigne­ment supérieur dans les nou­veaux Län­der, où le sys­tème uni­ver­si­taire se car­ac­téri­sait par une organ­i­sa­tion aux antipodes des modes de fonc­tion­nement en cours à l’Ouest : une cen­tral­i­sa­tion extrême des déci­sions admin­is­tra­tives et péd­a­gogiques, un accès extrême­ment sélec­tif aux uni­ver­sités pour des motifs tant économiques qu’idéologiques, et enfin, une pri­or­ité très nette don­née aux organ­ismes de recherche extra-uni­ver­si­taires au prix d’un assèche­ment lourd de con­séquences pour la recherche et l’en­seigne­ment universitaires.

V — Convergences et divergences franco-allemandes

Si les insti­tu­tions éduca­tives alle­man­des se dis­tinguent donc, dans l’ensem­ble, par une con­ti­nu­ité plus grande que les insti­tu­tions poli­tiques, l’é­cole — au sens large — ne pou­vait par con­séquent jouer un rôle aus­si cap­i­tal de fac­teur d’i­den­tité et de con­science nationales qu’a joué l’é­cole en France pour la con­sti­tu­tion de l’É­tat-Nation depuis le XIXe siè­cle. Lieu de cristalli­sa­tion par excel­lence de la réflex­ion sur l’essence même de l’É­tat-Nation, sur la république, sur les droits de l’homme, sur la laïc­ité, et d’autres ques­tions socié­tales de pre­mière impor­tance, l’é­cole et la poli­tique d’é­d­u­ca­tion, en rai­son de leur poids poli­tique et cul­turel dans l’his­toire récente et de leur mode d’or­gan­i­sa­tion actuel tou­jours très cen­tral­isé, relèvent en France d’un débat nation­al qua­si permanent.

En Alle­magne, en revanche, l’or­gan­i­sa­tion admin­is­tra­tive décen­tral­isée du sys­tème édu­catif con­stitue à la fois le fruit de la genèse his­torique par­ti­c­ulière de l’É­tat en Alle­magne au XIXe siè­cle et la leçon de l’ex­péri­ence vécue d’un sys­tème édu­catif cen­tral­isé à out­rance et instru­men­tal­isé totale­ment aux fins meur­trières du régime nazi. Pour ces mêmes raisons, la place de l’é­cole et du sys­tème édu­catif dans la mémoire col­lec­tive des Alle­mands, a for­tiori dans l’Alle­magne unifiée, ain­si que sa place par­mi les préoc­cu­pa­tions poli­tiques et sociales actuelles sur l’a­gen­da poli­tique dif­fèrent donc de la sit­u­a­tion française.

Ces dif­férences appa­rais­sent dans la coopéra­tion fran­co-alle­mande en matière d’en­seigne­ment et de for­ma­tion, comme en témoigne l’his­toire des rela­tions bilatérales depuis une quar­an­taine d’années.p> Mais, loin de con­stituer des obsta­cles insur­monta­bles, elles se sont révélées comme des défis intel­lectuels et pra­tiques enrichissants pour le débat nation­al respec­tif sur l’é­d­u­ca­tion comme en témoigne le nom­bre impres­sion­nant d’in­sti­tu­tions et de pro­grammes d’échanges fran­co-alle­mands dans ce domaine, une coopéra­tion bilatérale qui, en rai­son de son car­ac­tère exem­plaire, a très sou­vent ouvert la voie à une coopéra­tion mul­ti­latérale, notam­ment dans le cadre européen.

En effet, en dépit des dif­férences de tra­di­tions cul­turelles et de modes de fonc­tion­nement admin­is­tratif actuels, on ne saurait sous-estimer l’im­por­tance des con­ver­gences crois­santes quant aux défis aux­quels doivent faire face les sys­tèmes édu­cat­ifs dans les deux pays : défis liés à l’évo­lu­tion de la demande d’é­d­u­ca­tion vers des for­ma­tions supérieures et plus longues, aux muta­tions tech­nologiques et économiques rapi­des qui néces­si­tent des qual­i­fi­ca­tions appro­priées, et ceci sous la forme d’une for­ma­tion (pro­fes­sion­nelle) con­tin­ue tout au long de la vie, défis liés enfin aux phénomènes d’ex­clu­sion et de mar­gin­al­i­sa­tion d’un nom­bre tou­jours trop impor­tant de jeunes sans édu­ca­tion et for­ma­tion de base suff­isantes pour avoir une chance sur le marché de l’emploi, avec toutes les con­séquences désta­bil­isatri­ces qui en découlent pour la cohé­sion sociale de nos sociétés.

Étant don­né qu’en rai­son des tech­nolo­gies de com­mu­ni­ca­tion mod­ernes et de l’in­ter­dépen­dance crois­sante de l’en­vi­ron­nement économique et social ces évo­lu­tions dépassent le cadre du sys­tème édu­catif nation­al, la coopéra­tion transna­tionale s’im­posera encore plus à l’avenir en matière d’é­d­u­ca­tion pour chercher des syn­er­gies, tant au niveau de l’i­den­ti­fi­ca­tion des prob­lèmes qu’à celui des solu­tions à apporter.

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