Le sursaut : Vers une nouvelle croissance pour la France

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°607 Septembre 2005Par : Groupe de travail présidé par Michel CamdessusRédacteur : Hubert LÉVY-LAMBERT (53)

1) Notre sit­u­a­tion est para­doxale­ment faite d’un mélange de traits envi­ables et promet­teurs d’une part, inac­cept­a­bles de l’autre.

2) Nous sommes sub­rep­tice­ment engagés dans un proces­sus de décrochage qui peut nous con­duire, si rien n’est fait, à une sit­u­a­tion, à terme d’une dizaine d’années, dif­fi­cile­ment réversible.

3) Les raisons mêmes à l’origine de nos maux les plus inac­cept­a­bles accentuent ce décrochage : elles résul­tent de nos choix col­lec­tifs et de poli­tiques con­duites depuis des décen­nies, beau­coup plus que d’une con­trainte extérieure que nous sommes sou­vent ten­tés de retenir comme seule expli­ca­tion de nos maux.

4) Notre pays est simul­tané­ment con­fron­té désor­mais au triple choc des évo­lu­tions des tech­nolo­gies, de la démo­gra­phie et de la mon­di­al­i­sa­tion ; il pour­rait, suiv­ant la façon dont il y sera fait face, pré­cip­iter ce qui deviendrait alors notre déclin, ou ren­forcer nos chances de men­er à bien les grandes ambi­tions que nous gar­dons encore.

5) Cela ne peut aller sans un sur­saut immé­di­at et un ren­verse­ment de cer­tains choix.

6) Ce ren­verse­ment peut nous appa­raître – compte tenu du poids des habi­tudes et de la médi­ocrité de notre dia­logue social – hors de portée ; s’y résign­er serait con­sen­tir au déclin : choix absurde puisque, même sans aller bien loin, nous obser­vons que d’autres, à nos portes, ont su men­er à bien des réformes d’une ampleur au moins égale, tout en préser­vant ou amélio­rant l’efficacité de leur pro­tec­tion sociale.

7) Les réformes sont donc pos­si­bles et urgentes. Con­duites avec déter­mi­na­tion, en con­for­mité avec une approche respectueuse du développe­ment durable, elles peu­vent nous met­tre en mesure de ren­forcer notre cohé­sion sociale et de répon­dre aux ambi­tions de notre pays.

Inti­t­ulé Le sur­saut, tel est le début du diag­nos­tic porté fin 2004 par la Com­mis­sion d’experts indépen­dants réu­nie par Michel Camdessus (MC), ancien gou­verneur de la Banque de France et directeur général du FMI, afin de pro­pos­er au gou­verne­ment une stratégie macroé­conomique pour la crois­sance et d’apporter un éclairage sur les obsta­cles struc­turels qui entra­vent le dynamisme de notre économie1.

Ce diag­nos­tic est sans com­plai­sance et con­traste avec les pro­pos lénifi­ants qui nous sont habituelle­ment ser­inés par les princes qui nous gou­ver­nent, d’où résulte ce que MC appelle un “ syn­drome de déni ” qui enraye les ten­ta­tions de réforme autres que superficielles.

On y relève par exem­ple que la France est avant-dernière de tous les pays de l’OCDE pour le nom­bre d’heures tra­vail­lées par an. Le taux d’emploi des jeunes de 16 à 25 ans est de 24 % en France con­tre 44 % pour l’OCDE. Pour les vieux de 55 à 64 ans2, le taux d’emploi est de 34% en France con­tre 50 % pour l’OCDE ! On se vante de ce qu’un Français pro­duit 5 % de plus qu’un Améri­cain par heure tra­vail­lée mais mal­heureuse­ment il pro­duit 13% de moins par an et 36 % de moins sur l’ensemble de sa vie active.

On y relève que le taux de pau­vreté français est très supérieur à celui des pays nordiques, mal­gré des trans­ferts soci­aux cinq fois plus élevés, que nous sommes en queue de pelo­ton des pays d’Europe (avec l’Allemagne, mais cela ne nous con­sole pas) pour le taux de crois­sance des dix dernières années, que l’endettement pub­lic dépasse large­ment les chiffres déjà noirs que nous con­nais­sons, si l’on prend en compte l’augmentation spon­tanée des dépens­es de san­té et de retraite liées au vieil­lisse­ment inex­orable de la pop­u­la­tion. Ce vieil­lisse­ment n’est pas spé­ci­fique à la France, mais cela ne nous con­sole pas. Il provient de l’accroissement de la longévité, dont il faut se féliciter, et de la baisse dra­ma­tique de la natal­ité, liée à la préférence des Français pour les loisirs et pour la con­som­ma­tion immé­di­ate, qui con­duit au non-renou­velle­ment des généra­tions, phénomène de société dont il est de bon ton de ne pas parler.

Le réflexe con­stant des Français est de deman­der à l’État la solu­tion immé­di­ate de toute dif­fi­culté, d’où une hyper­tro­phie de la sphère publique qui con­somme aujourd’hui 54,7 % du PIB, un taux de prélève­ments oblig­a­toires par­mi les plus élevés des pays indus­tri­al­isés. Le bud­get de l’État est en déséquili­bre depuis vingt ans, d’où une dette passée en vingt ans de 20 à 60 % du PIB, cou­verte par des emprunts crois­sants qui devront être payés par nos enfants, voire nos petits-enfants. Le pacte de sta­bil­ité européen nous pro­tégeait con­tre nous-mêmes en inter­dis­ant plus de 3 % de déficit par rap­port au PIB mais nous l’avons fait sauter avec l’aide des Alle­mands, autres mau­vais élèves. Pas de quoi être fiers, surtout si l’on cal­cule le déficit pub­lic comme il se doit, en pour­cent­age des recettes publiques et non en pour­cent­age du PIB.

Après ce sévère diag­nos­tic, MC pro­pose six direc­tions d’action :

• s’orienter hardi­ment vers une économie de la connaissance ;
• mobilis­er toutes les ressources de tra­vail pour ramen­er le chô­mage à moins de 5%;
• amélior­er l’efficacité des marchés en sup­p­ri­mant les obsta­cles injustifiés ;
• cibler les inter­ven­tions de l’État vers ceux qui en ont besoin ;
• réformer l’État et lui ren­dre son agilité ;
• inscrire nos ini­tia­tives dans le cadre européen et mondial.

Dans cha­cune de ces direc­tions, le rap­port four­mille de propo­si­tions con­crètes, pas tou­jours poli­tique­ment cor­rectes, comme don­ner l’autonomie aux uni­ver­sités, créer un con­trat de tra­vail unique, ouvrir les pro­fes­sions fer­mées comme les phar­ma­ciens ou les taxis parisiens3, rem­plac­er un fonc­tion­naire sur trois par­tant à la retraite, vous avez bien lu un sur trois, pré­par­er une grande réforme fis­cale. D’autres réformes sont à mon avis plus con­testa­bles, comme la créa­tion d’un sys­tème de bonus-malus pour dés­inciter aux licen­ciements, qui aurait le même effet per­vers que la con­tri­bu­tion Dela­lande cen­sée pro­téger les salariés âgés ou le développe­ment des ser­vices à la per­son­ne, miroir aux alou­ettes qui fait croire que les prob­lèmes de la France seraient réglés si cha­cun employ­ait deux heures de femme de ménage de plus !

Le rap­port se ter­mine par la con­tri­bu­tion d’un groupe d’experts européens qui rap­pelle qu’il n’est de richess­es que d’hommes (mais en prê­tant cet apho­risme à Alfred Sauvy (20 S), ce qui con­firme bien que l’on ne prête qu’aux rich­es !) et qui con­state que les pays où des change­ments struc­turels ont été réal­isés avec suc­cès ont mis leurs forces vives en sit­u­a­tion de s’approprier les défis, d’en effectuer le diag­nos­tic et de soutenir un change­ment équitable et de longue durée.

Il con­clut que toutes ces ambi­tions appel­lent un sur­saut4.

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1. La Doc­u­men­ta­tion française, Paris, novem­bre 2004, 269 pages.

Grand Dic­tio­n­naire Larousse ency­clopédique, p. 9 925.

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