Sommet franco-anglais de 2010

Le secteur des missiles, un nouveau modèle pour l’industrie de défense en Europe

Dossier : Dossier FFEMagazine N°715 Mai 2016
Par Antoine BOUVIER (80)

Le Livre Blanc sur la défense et la sécu­ri­té natio­nale de 2013 et celui de 2008 l’affirment tous les deux : l’industrie de défense est une com­po­sante essen­tielle de l’autonomie stra­té­gique. En d’autres termes, l’industrie de défense per­met à la Nation d’exercer plei­ne­ment sa sou­ve­rai­ne­té en lui appor­tant des com­pé­tences et des maté­riels per­for­mants, qui donnent aux Forces armées la capa­ci­té d’intervenir quand les gou­ver­ne­ments le décident, là où ils le décident.

L’industrie de défense contri­bue ain­si à la liber­té de déci­sion et à la liber­té d’action de nos Forces armées et assure l’accès direct aux tech­no­lo­gies mili­taires cri­tiques. Ce constat n’est pas propre à la France. En Europe, il est par­ta­gé par le Royaume-Uni avec lequel la France a désor­mais une coopé­ra­tion stra­té­gique très étroite, qui va jusqu’à la mise en com­mun d’un cer­tain nombre de moyens de sou­tien à leur dissuasion.


Som­met de Lan­cas­ter House, novembre 2010 : Nico­las Sar­ko­zy et David Came­ron décident d’explorer la conso­li­da­tion de leurs indus­tries de défense en com­men­çant par la filière mis­siles. © PM’s Office 2010.

Il est éga­le­ment par­ta­gé à des degrés divers par des pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou la Suède si on veut se limi­ter aux pays qui, en juillet 1998, ont signé la LoI (Let­ter of Intent) pour faci­li­ter une conso­li­da­tion de leurs indus­tries de défense.

Hier, comme aujourd’hui, cette conso­li­da­tion reste la seule réponse à la baisse struc­tu­relle des bud­gets en Europe, alors qu’émergent de nou­velles puis­sances pla­né­taires et que les bud­gets de défense croissent par­tout ailleurs qu’en Europe.

Deux décen­nies après la signa­ture de cette LoI, il convient de recon­naître que le pro­ces­sus de conso­li­da­tion euro­péenne est allé beau­coup moins vite qu’espéré. Pour­tant cet objec­tif reste plus que jamais d’actualité.

L’exemple de MBDA montre même qu’il est pos­sible pour une entre­prise euro­péenne de défense d’avoir une taille com­pa­rable à celle de ses prin­ci­paux concur­rents amé­ri­cains et d’être for­te­ment expor­ta­trice, avec plus de la moi­tié de son car­net de com­mandes hors d’Europe. En démon­trant ain­si qu’elle est com­pé­ti­tive et pérenne, MBDA rem­plit les deux condi­tions essen­tielles qu’une puis­sance sou­cieuse de pou­voir assu­mer sa sou­ve­rai­ne­té attend de son indus­trie de défense.

Mais, dans une Europe où les bud­gets natio­naux per­met­tront de moins en moins de main­te­nir une taille cri­tique dans un péri­mètre pure­ment natio­nal, ces deux condi­tions en appellent une troi­sième : l’acceptation d’un cer­tain niveau de dépen­dance mutuelle en coopé­rant sur les pro­grammes et en conso­li­dant dans un cadre euro­péen la base industrielle.

Ce que les Bri­tan­niques résument de cette for­mule lapi­daire : « share it or lose it » et qui repose sur la néces­si­té de par­ta­ger un cer­tain nombre d’objectifs stra­té­giques et de capa­ci­tés tech­no­lo­giques et industrielles.

Missile de croisière SCALP
Le mis­sile d’interception aérienne Meteor, déve­lop­pé en coopé­ra­tion par MBDA pour les six pays de la LoI et les trois avions de com­bat euro­péens. Le sym­bole de ce que l’Europe réunie peut faire de meilleur. © MBDA Th. Wurtz.

Entre France et Royaume-Uni, ce pro­ces­sus a débu­té en 1996, quand les deux pays ont déci­dé de lan­cer ensemble le pro­gramme de mis­sile de croi­sière Scalp. Réa­li­sant à quel point cette capa­ci­té, qui per­met aux forces d’entrer en pre­mier sur un théâtre d’opérations, est essen­tielle pour la sou­ve­rai­ne­té et struc­tu­rante pour l’industrie, les deux pays ont eu la sagesse de sou­te­nir la fusion des deux indus­triels natio­naux impli­qués dans l’affaire : Matra Défense et BAe Dynamics.

Ain­si, lan­cé en février 1997, le pro­gramme a pu être pilo­té par une équipe unique s’appuyant sur une struc­ture de mana­ge­ment inté­grée, sans éche­lons de super­vi­sion natio­naux ris­quant d’interférer avec le suc­cès du pro­jet commun.

Sept ans plus tard, en mars 2003, le mis­sile fran­co-bri­tan­nique était opé­ra­tion­nel et employé en Irak par la Royal Air Force. Lan­cé en 1997 le même jour que le mis­sile Scalp, le mis­sile amé­ri­cain direc­te­ment concur­rent, le JASSM, n’est deve­nu opé­ra­tion­nel qu’en 2009, soit 6 ans après le Scalp. La valeur de l’organisation inté­grée ima­gi­née par Matra BAe Dyna­mics (MBD) était ain­si démontrée.

Lorsque, pour deve­nir MBDA, MBD absor­ba en 2001 les acti­vi­tés mis­siles d’Aerospatiale en France et de Fin­mec­ca­ni­ca en Ita­lie, cette orga­ni­sa­tion inté­grée a été éten­due au nou­veau groupe et conti­nue aujourd’hui de régir son fonctionnement

Au som­met de Lan­cas­ter House en 2010, la France et le Royaume-Uni déci­daient d’aller encore plus loin, de ne plus se conten­ter de coopé­rer pro­gramme par pro­gramme, mais de conso­li­der, au tra­vers du pro­jet One MBDA, leur base indus­trielle et tech­no­lo­gique dans les mis­siles au prix d’une inter­dé­pen­dance accrue. Cette avan­cée ne fut pos­sible que parce que les deux pays recon­nais­saient que le sec­teur des mis­siles était cri­tique pour leur auto­no­mie stratégique1 et que la conver­gence de leurs objec­tifs stra­té­giques per­met­tait d’accepter cette inter­dé­pen­dance en échange d’une meilleure com­pé­ti­ti­vi­té de cette filière industrielle.

Missile d’interception aérienne Meteor
Le mis­sile d’interception aérienne Meteor, déve­lop­pé en coopé­ra­tion par MBDA pour les six pays de la LoI et les trois avions de com­bat euro­péens. Le sym­bole de ce que l’Europe réunie peut faire de meilleur. © MBDA Th. Wurtz.

Cinq ans et un nou­veau pro­gramme en coopé­ra­tion, le mis­sile Anti Navire Léger (ANL), plus tard, les déci­sions de Lan­cas­ter House se tra­duisent par la mise en oeuvre par MBDA des pre­miers centres d’excellence indus­trielle uni­fiés entre la France et le Royaume-Uni. Ain­si, créés en 2015, des centres d’excellence spé­cia­li­sés per­mettent de main­te­nir au plus haut niveau les com­pé­tences tech­niques et indus­trielles au pro­fit des deux pays et de four­nir les tech­no­lo­gies néces­saires à leurs besoins et déve­lop­pe­ments nou­veaux, tout en rédui­sant au mini­mum le niveau de dupli­ca­tion indus­trielle pré­exis­tante entre les deux pays.

En 2015, les deux pays signaient ain­si un accord inter­gou­ver­ne­men­tal pour enca­drer le pilo­tage éta­tique de ces centres et se garan­tir mutuel­le­ment l’accès aux com­pé­tences désor­mais mises en com­mun. C’est une for­mule inédite dans l’industrie de défense. Cette étape accom­plie, l’objectif pour MBDA est à pré­sent d’en faire un levier d’optimisation pour les futurs pro­grammes et d’élargir à l’avenir le péri­mètre de ces centres d’excellence à l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne.

Plus que jamais, l’objectif pour MBDA est de s’affirmer comme le maître d’oeuvre euro­péen capable de pour­suivre la conso­li­da­tion du sec­teur des mis­siles en Europe et sus­cep­tible de ser­vir d’exemple pour des ini­tia­tives dans d’autres sec­teurs de l’industrie de défense euro­péenne, comme cela fût anti­ci­pé par les gou­ver­ne­ments fran­çais et bri­tan­niques en 2010 dans le trai­té de Lan­cas­ter House.

En effet, afin d’assurer sur le long terme à la France et aux pays euro­péens l’accès néces­saire aux tech­no­lo­gies de sou­ve­rai­ne­té, la seule solu­tion réa­liste passe par la conso­li­da­tion de l’industrie de défense et la réduc­tion des dupli­ca­tions nationales.

Par le suc­cès de ses pro­grammes, natio­naux ou en coopé­ra­tion, par ses suc­cès à l’exportation, par la recherche constante de ratio­na­li­sa­tion entre ses dif­fé­rentes enti­tés natio­nales, MBDA démontre qu’il est pos­sible d’avoir en Europe une indus­trie de défense à la fois com­pé­ti­tive au plan mon­dial et capable de four­nir aux États les tech­no­lo­gies dif­fé­ren­cia­trices sur le plan mili­taire, celles qui per­met­tront sur le long terme d’assurer la sécu­ri­té des Européens.

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