Le projet de Constitution de l’Union Européenne

Dossier : ExpressionsMagazine N°587 Septembre 2003Par Dickran INDJOUDJIAN (41)

Le pro­jet de Con­sti­tu­tion auquel a abouti la Con­ven­tion européenne avant le Con­seil européen de Thes­sa­lonique — auquel le prési­dent Gis­ard d’es­taing l’a présen­té le 20 juin 2003 — est à la fois impar­fait et inespéré. Il eût été chimérique d’imag­in­er que la Con­ven­tion pût par­venir à un con­sen­sus plus constructif.

Résul­tat du pre­mier véri­ta­ble débat européen, ce pro­jet com­porte quelques avancées et quelques statu quo, mais aucun recul.

En matière de clarification et de simplification

Il définit plus claire­ment la répar­ti­tion des com­pé­tences entre l’U­nion et les États mem­bres et intro­duit, à côté des com­pé­tences exclu­sives et des com­pé­tences partagées, le con­cept de “domaine d’ac­tion d’ap­pui”, facil­i­tant des actions com­munes ou de coordination.

Il crée un mécan­isme de con­trôle pour l’ap­pli­ca­tion du principe de sub­sidiar­ité et ce en impli­quant pour la pre­mière fois les par­lements nationaux.

Il sim­pli­fie les instru­ments juridiques d’ac­tion de l’U­nion européenne en ramenant leur nom­bre de quinze à six.

Il attribue à l’U­nion européenne une per­son­nal­ité juridique unique.

Il sup­prime les dis­tinc­tions entre les “trois piliers”, sources de con­fu­sion et de chevauche­ment ; mais il main­tient, ce qui est nor­mal, quelques spé­ci­ficités de procédure.

Il sim­pli­fie la ter­mi­nolo­gie, facil­i­tant ain­si la com­préhen­sion du citoyen.

Pour aller vers plus d’Europe

Il crée un véri­ta­ble espace de lib­erté, de jus­tice et de sécu­rité dans l’U­nion (recon­nais­sance mutuelle accrue des déci­sions de jus­tice, développe­ment d’Eu­ro­just et d’Europol).

Il crée un poste de min­istre des Affaires étrangères de l’U­nion européenne, nom­mé par le Con­seil européen et respon­s­able devant lui, min­istre qui sera à la fois prési­dent du Con­seil des min­istres des Affaires étrangères et vice-prési­dent de la Com­mis­sion, afin d’as­sur­er la coor­di­na­tion entre l’ac­tion diplo­ma­tique et la poli­tique d’aide au développement.

Il prévoit la créa­tion d’une “Agence européenne de l’arme­ment, de la recherche et des capac­ités mil­i­taires”, ain­si que des pos­si­bil­ités accrues de coopéra­tion entre les États mem­bres désireux d’aller plus avant dans ce domaine.

Il prévoit l’amélio­ra­tion des procé­dures de coor­di­na­tion des poli­tiques économiques et budgétaires.

Toute­fois, mal­gré le désir de l’Alle­magne, du Benelux, de la France et de l’I­tal­ie d’aller plus loin, la forte oppo­si­tion de l’Es­pagne et de plusieurs des nou­veaux États mem­bres à dépass­er les dis­po­si­tions du traité de Nice n’a pas per­mis l’adop­tion de mesures assur­ant une réelle effi­cac­ité dans ce domaine.

En matière institutionnelle

Le ” tri­an­gle insti­tu­tion­nel ” (Com­mis­sion européenne, Con­seil européen, Par­lement européen) a été préservé et même renforcé.

Le Par­lement européen inter­vient avec un pou­voir de codé­ci­sion (avec le Con­seil européen) dans env­i­ron 80 domaines, au lieu de 37 aujourd’hui.

La com­po­si­tion du Par­lement européen sera revue, mais seule­ment avant l’élec­tion de 2009. Mal­heureuse­ment il n’a pas été pos­si­ble de for­muler dans le pro­jet de Con­sti­tu­tion les règles pré­cis­es qui sup­primeraient les anom­alies du régime actuel.

Le Con­seil européen éli­ra son prési­dent pour une durée de deux ans et demi (renou­ve­lable une fois). Les pou­voirs pro­pres de ce prési­dent seront mod­estes, mais la pré­pa­ra­tion, la con­ti­nu­ité et l’ef­fi­cac­ité des réu­nions, ain­si que la col­lab­o­ra­tion avec la Com­mis­sion devraient s’en trou­ver sig­ni­fica­tive­ment améliorées.

Des amélio­ra­tions sont apportées aux for­ma­tions du Con­seil des min­istres et le Con­seil des min­istres des Affaires étrangères sera présidé (cf. supra) par le min­istre des Affaires étrangères de l’Union.

Le prob­lème de la majorité qual­i­fiée était l’un des plus dif­fi­ciles à résoudre. Le prési­dent de la Con­ven­tion a évité le blocage qui était très menaçant en repor­tant à 2009 la nou­velle — et très bonne — déf­i­ni­tion de la majorité qual­i­fiée : majorité des États mem­bres représen­tant les trois cinquièmes de la pop­u­la­tion de l’Union.

Toute­fois on peut déplor­er que trop de sujets (env­i­ron cinquante) restent soumis au droit de veto.

C’est aus­si le fac­teur temps qui a per­mis un con­sen­sus sur la Com­mis­sion. Le statu quo sera main­tenu jusqu’au renou­velle­ment de 2009, date à par­tir de laque­lle le nom­bre des com­mis­saires sera fixé à 15 (y com­pris le prési­dent et le min­istre des Affaires étrangères, vice-prési­dent). La rota­tion sera égale entre la total­ité des États mem­bres dont ces com­mis­saires seront originaires.

Toute­fois, la Com­mis­sion sera com­plétée par la nom­i­na­tion de com­mis­saires sans droit de vote, venant de tous les États mem­bres ne fig­u­rant pas au collège.

Il est clair que cette solu­tion alour­di­ra dan­gereuse­ment le fonc­tion­nement de la Com­mis­sion d’i­ci 2009. En out­re elle pal­liera très impar­faite­ment après cette date les anom­alies comme la suiv­ante : l’un au moins des trois États baltes (qui comptent 7,5 mil­lions d’habi­tants) sera tou­jours présent à la Com­mis­sion, mais non l’Alle­magne, la France, l’I­tal­ie ou le Roy­aume-Uni (dont le moins peu­plé compte 57,5 mil­lions d’habi­tants et le plus peu­plé 82 mil­lions d’habi­tants) ; cha­cun de ces qua­tre États mem­bres n’é­tant présent en moyenne que 60 % du temps (s’il n’y a que 25 États membres) !

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Le résumé précé­dent met en évi­dence cer­taines des erreurs ou insuff­i­sances de ce pro­jet de Con­sti­tu­tion. En par­ti­c­uli­er le main­tien du veto est un grave incon­vénient dans les domaines comme ceux de la créa­tion de ressources pro­pres, l’har­mon­i­sa­tion fis­cale, la créa­tion de ser­vices publics européens (notam­ment pour la sur­veil­lance des fron­tières de l’U­nion), la poli­tique étrangère et — plus grave encore — la rat­i­fi­ca­tion de la Con­sti­tu­tion et sa révi­sion (au moins dans les cas à définir qui mérit­eraient une procé­dure moins lourde).

Le prob­lème de la rat­i­fi­ca­tion est red­outable : celle-ci exige en principe l’u­na­nim­ité. La lec­ture de l’ar­ti­cle IV‑7 du pro­jet de Con­sti­tu­tion nous plonge dans un abîme de per­plex­ité et sin­gulière­ment son alinéa 3 :

Si, à l’is­sue d’un délai de deux ans à compter de la sig­na­ture du traité insti­tu­ant la Con­sti­tu­tion, les qua­tre cinquièmes des États mem­bres ont rat­i­fié led­it traité et qu’un ou plusieurs États mem­bres ont ren­con­tré des dif­fi­cultés pour procéder à ladite rat­i­fi­ca­tion, le Con­seil européen se saisit de la question.

On se dit d’abord : quel flou ! quel euphémisme ! quelle absence de portée juridique ! Puis on se plaît à espér­er que ce flou ne cache pas seule­ment l’im­puis­sance actuelle à adopter des dis­po­si­tions de bon sens écar­tant l’u­na­nim­ité, mais aus­si la déter­mi­na­tion secrète, si quelques États mem­bres votaient non, “d’in­ven­ter” alors une solu­tion évi­tant que cet énorme tra­vail col­lec­tif soit réduit à néant — et de l’in­ven­ter, para­doxale­ment, avec un prag­ma­tisme tout bri­tan­nique… pour sauver l’U­nion européenne.

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Les temps gram­mat­i­caux du présent et du futur ont été util­isés dans le texte ci-dessus. Qui ne partagerait pas mon opti­misme mesuré et red­outerait une “décon­struc­tion” par la Con­férence inter­gou­verne­men­tale de l’au­tomne, intro­duira le conditionnel.

Il y a néan­moins des raisons d’e­spér­er que la CIG ne déna­tur­era pas un texte dont elle devrait com­pren­dre qu’il cor­re­spond assez large­ment aux attentes de l’opin­ion publique et qu’il n’est prob­a­ble­ment pas de meilleure base aujour­d’hui pour les pro­grès à réalis­er dans quelque cinq ou dix ans à la lumière de l’expérience.

Le texte final du pro­jet de Con­sti­tu­tion, amélioré dans sa forme française (grâce à l’A­cadémie française !) et légére­ment mod­i­fié dans sa par­tie III sur des points “tech­niques”, a été remis le 18 juil­let à Rome par le prési­dent Gis­card d’Es­taing à M. Berlus­coni, prési­dent en exer­ci­ce du Con­seil européen.

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