La Biologie, l’Homme et l’Éthique à l’aube du XXIe siècle

Dossier : Libres proposMagazine N°551 Janvier 2000Par : Georges H. WERNER, docteur ès sciences, membre de l’Académie nationale de pharmacie, Institut de chimie des substances naturelles, CNRS, Gif-sur-Yvette

La biologie

La biologie

Le mot bio­lo­gie, créé par le natu­ra­liste alle­mand Tre­vi­ra­nus, a été employé pour la pre­mière fois en fran­çais en 1802 par le zoo­lo­giste Lamarck et lar­ge­ment uti­li­sé par Auguste Comte. Dans l’é­di­tion de 1889 le dic­tion­naire de Lit­tré donne comme défi­ni­tion à la bio­lo­gie : Science qui a pour sujet les êtres orga­ni­sés et dont le but est d’ar­ri­ver, par la connais­sance des lois de l’or­ga­ni­sa­tion, à connaître les lois des actes que ces êtres mani­festent. Le même dic­tion­naire défi­nit aus­si le terme bio­chi­mie : Branche de la bio­lo­gie qui traite de la consti­tu­tion chi­mique des sub­stances pro­duites par l’ac­tion de la vie.

C’est au milieu du XXe siècle qu’ap­pa­raît le terme : bio­lo­gie molé­cu­laire pour dési­gner une dis­ci­pline qui s’oc­cupe non seule­ment de la consti­tu­tion chi­mique des sub­stances propres aux êtres vivants mais vise à expli­quer le fonc­tion­ne­ment des êtres vivants, leur repro­duc­tion et leur héré­di­té par des méca­nismes met­tant en jeu des molé­cules de struc­ture défi­nie et spé­ci­fique (acides nucléiques, pro­téines, sucres, lipides) et à décrire les inter­ac­tions entre ces molécules. 

Les pro­grès de la bio­lo­gie et plus spé­cia­le­ment de la bio­lo­gie molé­cu­laire ont eu des appli­ca­tions nom­breuses et essen­tielles en méde­cine mais aus­si dans plu­sieurs domaines indus­triels, ce qui a conduit à créer le terme bio­tech­no­lo­gie. Depuis long­temps d’ailleurs la pré­pa­ra­tion du pain, des bois­sons fer­men­tées, des fro­mages ain­si qu’un grand nombre de pra­tiques agri­coles (cultures et éle­vages) fai­saient appel à ce que l’on peut appe­ler des biotechnologies. 

Il était dans la nature des choses que l’es­sor des appli­ca­tions de la bio­lo­gie à la méde­cine et à d’autres acti­vi­tés humaines conduise à por­ter un juge­ment moral sur la por­tée et les consé­quences de ces appli­ca­tions, ce qui a for­gé le mot bioé­thique.

Enfin, l’u­ti­li­sa­tion pos­sible, dans cer­tains conflits, d’armes bio­lo­giques (virus, bac­té­ries patho­gènes, toxines micro­biennes) cor­res­pond à ce que l’on doit, hélas, appe­ler le bio­ter­ro­risme.

La génétique

Par ses concepts et par ses appli­ca­tions actuelles et poten­tielles, l’une des branches les plus impor­tantes et les plus dyna­miques de la bio­lo­gie n’est autre que la science de l’hé­ré­di­té, en d’autres termes : la géné­tique. Depuis les tra­vaux, d’a­bord sur­tout des­crip­tifs, puis de plus en plus expli­ca­tifs de Gre­gor Men­del (1822−1884), de T. H. Mor­gan (1866−1945) et de très nom­breux autres géné­ti­ciens, la géné­tique est deve­nue elle aus­si molé­cu­laire, comme l’illustre l’é­tude de la consti­tu­tion chi­mique et de la struc­ture de l’a­cide désoxy­ri­bo­nu­cléique (ADN), sup­port du code géné­tique, de celles des gènes eux-mêmes, puis le séquen­çage des génomes (c’est-à-dire de la tota­li­té des gènes) d’or­ga­nismes vivants de plus en plus com­plexes : virus, bac­té­ries (par exemple le bacille de la tuber­cu­lose), d’une levure, tout récem­ment de la Dro­so­phile (la petite mouche du vinaigre, tant uti­li­sée par Mor­gan et ses suc­ces­seurs), en atten­dant le décryp­tage, pré­vu pour les pre­mières années du siècle pro­chain, du génome humain. 

D’ores et déjà, la tech­nique des « empreintes géné­tiques » déter­mi­nées à par­tir de frag­ments d’ADN pré­sen­tant un très haut degré de spé­ci­fi­ci­té indi­vi­duelle révo­lu­tionne la méde­cine légale. 

Comme l’a sou­li­gné Fran­çois Jacob, les concep­tions théo­riques en matière de géné­tique humaine sont à la base de sys­tèmes de pen­sée poli­tique pro­fon­dé­ment dif­fé­rents. À la ques­tion de savoir quelle est, dans le com­por­te­ment humain, la part du déter­mi­nisme géné­tique, deux phi­lo­so­phies s’af­frontent : celle du « tout géné­tique » et celle de la « cire vierge ». 

Pour les par­ti­sans de cette der­nière, qui découle logi­que­ment de la pen­sée mar­xiste, l’in­di­vi­du est entiè­re­ment façon­né par sa classe sociale et son édu­ca­tion, et son patri­moine géné­tique n’a qu’une impor­tance secon­daire. Il est into­lé­rable que les carac­tères des plantes, des ani­maux et de l’es­pèce humaine soient figés, déter­mi­nés par la struc­ture des gènes : le sys­tème social et le pou­voir poli­tique doivent être capables de s’op­po­ser à ce déter­mi­nisme géné­tique. C’est dans cette optique que Sta­line a accor­dé toute sa confiance à un pseu­do-géné­ti­cien, Tro­fim Lys­sen­ko (1898−1976), lequel, extra­po­lant à par­tir de tech­niques de ver­na­li­sa­tion, qu’il connais­sait, a pu faire croire au dic­ta­teur sovié­tique qu’il était pos­sible de modi­fier dura­ble­ment et favo­ra­ble­ment, par des influences exté­rieures, les génomes de céréales et d’autres végé­taux, autre­ment dit que l’on pou­vait trans­mettre héré­di­tai­re­ment des carac­tères acquis pen­dant la vie. La confor­mi­té de cette croyance erro­née avec la doc­trine mar­xiste a même pro­vo­qué la dépor­ta­tion en Sibé­rie de plu­sieurs géné­ti­ciens sovié­tiques qui n’ac­cep­taient pas les vues tota­le­ment fan­tai­sistes de Lyssenko ! 

À l’in­verse, les par­ti­sans trop sys­té­ma­tiques de la concep­tion du « tout géné­tique », à savoir le déter­mi­nisme abso­lu des gènes, ont été à l’o­ri­gine, dès le début de ce siècle, de mou­ve­ments visant à l’eu­gé­nisme, cher­chant à amé­lio­rer l’es­pèce humaine en éli­mi­nant, par la sté­ri­li­sa­tion for­cée, les por­teurs de « tares » consi­dé­rées à l’é­poque comme héré­di­taires : retard men­tal, alcoo­lisme, tuber­cu­lose, syphi­lis, épi­lep­sie, voire pauvreté… 

Au début de ce siècle, l’eu­gé­nisme a été d’a­bord prô­né en Grande-Bre­tagne, par des géné­ti­ciens de renom, de droite comme de gauche, mais les lois visant à empê­cher la repro­duc­tion des por­teurs de tares n’ont pas été appli­quées. Aux États-Unis, dès la fin du XIXe siècle et jus­qu’en 1917, cer­tains États pra­ti­quaient la sté­ri­li­sa­tion for­cée de por­teurs de tares dites héré­di­taires, et ces pra­tiques eugé­niques ont éga­le­ment été uti­li­sées, sur une assez grande échelle, en Nor­vège et en Suède. 

La France a échap­pé aux ten­ta­tions eugé­niques peut-être sim­ple­ment parce que la géné­tique n’a­vait, avant la Deuxième Guerre mon­diale, pra­ti­que­ment aucune place dans les ensei­gne­ments uni­ver­si­taires de notre pays… 

Il est tout à l’hon­neur du Pape Pie XI d’a­voir solen­nel­le­ment condam­né, dès 1930, l’eu­gé­nisme sous toutes ses formes, et cela avant même que l’Al­le­magne nazie ne pousse, sous le vocable ignoble « d’hy­giène raciale », l’eu­gé­nisme dans ses pires excès : sté­ri­li­sa­tion for­cée et en masse des faibles d’es­prit, des alcoo­liques, des schi­zo­phrènes, des mania­co­dé­pres­sifs, des aveugles et des sourds de nais­sance, pré­lude atroce aux géno­cides des Tzi­ganes et des Juifs… 

Le décryp­tage en cours du génome humain condui­ra cer­tai­ne­ment à d’im­por­tantes et déci­sives avan­cées en méde­cine, mais on peut aus­si s’at­tendre à ce que ce décryp­tage jette une lumière vive et pré­cise sur le déter­mi­nisme géné­tique des capa­ci­tés intel­lec­tuelles, affec­tives et morales de l’es­pèce humaine. Cela pour­rait éven­tuel­le­ment mettre en évi­dence des dif­fé­rences ou des inéga­li­tés innées exis­tant dans ces domaines entre indi­vi­dus ou même entre popu­la­tions ; des sur­prises seront pos­sibles, allant à l’en­contre du « poli­ti­que­ment cor­rect » et un affron­te­ment entre géné­ti­ciens et hommes poli­tiques n’est pas exclu… 

Notons d’ailleurs que, à l’heure actuelle, une vision fata­liste du « tout géné­tique » semble impré­gner le dis­cours des médias, jus­qu’à faire croire aux lec­teurs ou aux audi­teurs que tout dans le com­por­te­ment humain est ins­crit dans nos gènes, ce qui à la limite abou­ti­rait à réduire à néant la part du libre arbitre et celle de l’é­du­ca­tion et à sup­pri­mer la res­pon­sa­bi­li­té morale indi­vi­duelle. L’i­mage d’un homme pri­son­nier de son génome paraît être à la mode aujourd’­hui et cette vision réduc­tion­niste repré­sente un réel danger. 

En effet, le rôle et la fonc­tion des gènes sont beau­coup plus com­plexes que cette vision sché­ma­tique conduit à pen­ser : une carac­té­ris­tique phy­sique don­née pour­ra dépendre de l’ac­tion de plu­sieurs gènes et d’autre part, il convient de dis­tin­guer entre la pré­sence dans le génome de tel ou tel gène et l’ex­pres­sion de ce gène, c’est-à-dire sa capa­ci­té réelle de jouer son rôle de code : si des influences exté­rieures n’ont aucune capa­ci­té de modi­fier un gène (à l’ex­cep­tion des tech­niques de « génie géné­tique » men­tion­nées plus loin), elles ont le pou­voir d’en modu­ler l’expression. 

Récem­ment, des géné­ti­ciens sont par­ve­nus par intro­duc­tion d’un gène par­ti­cu­lier dans le génome de ron­geurs (sou­ris, cam­pa­gnols) à sti­mu­ler les capa­ci­tés d’ap­pren­tis­sage et de mémo­ri­sa­tion de ces ani­maux ou à modi­fier leur com­por­te­ment sexuel : de là à conclure, comme l’ont fait quelques jour­na­listes, qu’il exis­te­rait dans l’es­pèce humaine un « gène de l’in­tel­li­gence » ou un « gène de la fidé­li­té conju­gale », l’ex­tra­po­la­tion est ridicule. 

Ain­si que l’a écrit Fran­çois Jacob : Chez les orga­nismes plus com­plexes, le pro­gramme géné­tique devient moins contrai­gnant, plus ouvert : il ne pres­crit pas en détail les dif­fé­rents aspects du com­por­te­ment, mais laisse à l’or­ga­nisme la pos­si­bi­li­té du choix. Même les cer­veaux de vrais jumeaux ne sont pas iden­tiques. Depuis les ani­maux les plus simples jus­qu’à l’homme, le sys­tème ner­veux com­porte une part d’in­di­vi­dua­li­sa­tion qui n’est pas dic­tée par le génome. Cette part s’ac­croît à mesure qu’on s’é­lève dans l’é­chelle de la com­plexi­té neu­ro­nale, elle est maxi­male chez l’homme. 

L’ob­jec­tif des recherches actuelles en géné­tique humaine est pré­ci­sé­ment de dis­tin­guer, pour tel ou tel com­por­te­ment patho­lo­gique, pour telle ou telle mala­die, la part reve­nant aux gènes et celle reve­nant à l’en­vi­ron­ne­ment. Le pro­fes­seur Ber­nard Jean­re­naud a rap­pe­lé que l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale de la san­té vient de recon­naître que l’o­bé­si­té était deve­nue un pro­blème majeur de san­té publique dans de nom­breux pays indus­tria­li­sés. Aux États-Unis, le pour­cen­tage d’a­dultes cli­ni­que­ment obèses est de 20 à 25 % ; il est de 17 à 19 % en Alle­magne et en Grande-Bre­tagne, de 11 à 15 % en Espagne, de 9 à 10 % en France, de 6 à 7 % en Italie. 

Bien enten­du, les causes prin­ci­pales de cette aug­men­ta­tion du nombre d’o­bèses se trouvent dans des com­por­te­ments ali­men­taires tout à fait aber­rants mais cepen­dant cer­taines formes d’o­bé­si­té sont dues à une patho­lo­gie neu­ro-endo­cri­nienne qui est géné­ti­que­ment condi­tion­née et qui met en jeu deux fac­teurs inter­agis­sant au niveau du cer­veau et du tis­su adipeux. 

Récem­ment aus­si, des gènes de sus­cep­ti­bi­li­té à l’al­coo­lisme ont été mis en évi­dence sur plu­sieurs chro­mo­somes chez l’homme. Dans un cas comme dans l’autre, l’é­lu­ci­da­tion des fac­teurs géné­tiques est la pre­mière étape cri­tique dans l’é­lu­ci­da­tion de la contri­bu­tion plus com­plexe des fac­teurs de l’en­vi­ron­ne­ment. En outre la connais­sance pré­cise des bases géné­tiques de ces désordres est fort utile pour conce­voir à leur égard une thé­ra­peu­tique appropriée. 

Le développement embryonnaire

Comme l’a rap­pe­lé le pro­fes­seur Nicole Le Doua­rin, l’é­tude bio­lo­gique du déve­lop­pe­ment embryon­naire occupe une place cen­trale dans les sciences de la vie. Le fait que, chez tous les êtres vivants à repro­duc­tion sexuée, une cel­lule unique : l’œuf fécon­dé, résul­tant de la fusion des cel­lules sexuelles (gamètes) mâle et femelle, contienne toute l’in­for­ma­tion néces­saire et suf­fi­sante à la consti­tu­tion d’un indi­vi­du est sans doute le pro­blème le plus fas­ci­nant de la bio­lo­gie. Com­ment au cours du déve­lop­pe­ment de l’embryon à par­tir de la cel­lule œuf, des cel­lules issues de cette der­nière par divi­sion et pos­sé­dant donc toutes les mêmes gènes peuvent-elles pro­duire des popu­la­tions cel­lu­laires aus­si dif­fé­rentes les unes des autres par leurs carac­té­ris­tiques et leurs fonc­tions que les neu­rones, les cel­lules san­guines, les cel­lules mus­cu­laires ? C’est essen­tiel­le­ment pour com­prendre les méca­nismes de cette dif­fé­ren­cia­tion cel­lu­laire que des bio­lo­gistes ont effec­tué des expé­riences de clo­nage des embryons. 

L’ob­jec­tif pour­sui­vi était de voir si des noyaux pré­le­vés à par­tir de cel­lules dif­fé­ren­ciées avaient conser­vé ou non les poten­tia­li­tés géné­tiques des noyaux des cel­lules non encore dif­fé­ren­ciées (donc consi­dé­rées comme « toti­po­tentes ») issues des toutes pre­mières divi­sions de l’œuf. Les expé­riences ont d’a­bord été effec­tuées chez la gre­nouille, chez le cra­paud puis, plus récem­ment, chez la sou­ris et enfin chez la bre­bis. Ce que l’on appelle le clo­nage consiste essen­tiel­le­ment à rem­pla­cer le noyau de l’œuf par le noyau d’une cel­lule dif­fé­ren­ciée pro­ve­nant d’un tis­su d’un seul individu. 

Nor­ma­le­ment, l’œuf issu de la fusion des gamètes mâles et femelles contient des chro­mo­somes (por­teurs des gènes) pro­ve­nant en nombre égal du mâle et de la femelle, et l’in­di­vi­du qui en résulte pos­sède donc un génome ori­gi­nal, lequel com­bine des gènes four­nis par les deux repro­duc­teurs : il n’est la copie conforme ni de son père ni de sa mère, et cela est vrai pour tous les êtres vivants à repro­duc­tion sexuée. 

Seuls de vrais jumeaux pos­sèdent des génomes iden­tiques, puis­qu’ils sont issus du même œuf, mais ces génomes sont évi­dem­ment dis­tincts de ceux de leurs deux repro­duc­teurs. Depuis vingt ans envi­ron, on sait pro­duire expé­ri­men­ta­le­ment chez les ovins, les bovins, les lapins, des jumeaux sem­blables à ceux qui se forment spon­ta­né­ment à par­tir d’un seul œuf : il suf­fit pour cela de scin­der en par­ties égales un embryon de 5 à 6 jours et de réim­plan­ter ces por­tions d’embryons (consti­tués, à ce stade, de cel­lules toti­po­tentes) chez des femelles por­teuses. Les ani­maux qui résultent de ces expé­riences consti­tuent des clones, puis­qu’ils sont géné­ti­que­ment iden­tiques entre eux et à l’embryon unique dont ils sont issus. 

Les clones

Les expé­riences de I. Wil­mut et de ses col­la­bo­ra­teurs en 1997 ont fait fran­chir un nou­veau seuil tech­no­lo­gique dans le domaine du clo­nage des mam­mi­fères. Ces cher­cheurs ont trans­plan­té dans les gamètes femelles d’une bre­bis (ovo­cytes), après avoir enle­vé les noyaux de ces gamètes, des noyaux pro­ve­nant de tis­su de glande mam­maire d’une bre­bis gestante. 

Un agneau, désor­mais célèbre sous le nom de Dol­ly, est né d’une série de 277 trans­plan­ta­tions de noyaux pro­ve­nant de cel­lules d’é­pi­thé­lium mam­maire. Pour la pre­mière fois donc un mam­mi­fère nais­sait dont le génome pro­ve­nait d’un seul repro­duc­teur (la bre­bis dont avait été obte­nu le noyau trans­plan­té) au lieu de pro­ve­nir d’un mâle et d’une femelle. 

Le génome d’un ani­mal clo­né est iden­tique à celui de l’a­ni­mal chez lequel on a pré­le­vé la cel­lule dont le noyau a été trans­plan­té ; l’o­vo­cyte dans lequel ce noyau a été trans­plan­té, après exci­sion de son propre noyau, ne four­nit pra­ti­que­ment pas d’élé­ment géné­tique et la femelle por­teuse dans l’u­té­rus de laquelle l’œuf ain­si consti­tué a été réim­plan­té ne par­ti­cipe en rien au génome du futur animal. 

Le clo­nage d’êtres humains, qui théo­ri­que­ment n’est pas tech­ni­que­ment impos­sible, condui­rait à « pro­duire » des indi­vi­dus qui seraient la copie conforme d’un seul géni­teur (four­nis­sant la cel­lule soma­tique, non sexuelle, dont le noyau serait trans­plan­té) et, en pous­sant les choses plus loin, c’est-à-dire en trans­plan­tant les noyaux de plu­sieurs cel­lules pro­ve­nant du même indi­vi­du, on obtien­drait des clones d’êtres humains géné­ti­que­ment iden­tiques entre eux. Nul n’est besoin d’in­sis­ter ici sur la répu­gnance res­sen­tie par tout indi­vi­du pos­sé­dant un mini­mum d’in­tel­li­gence et de sens moral à l’i­dée qu’un pareil clo­nage d’êtres humains (à quelles fins ? pour satis­faire quelle ambi­tion ?) pour­rait un jour être effectué ! 

Mais il est inté­res­sant de reve­nir à la notion de cel­lules plu­ri­po­tentes ou même toti­po­tentes, ces cel­lules embryon­naires issues de l’œuf dans les jours qui suivent la fécon­da­tion et qui ont le pou­voir de se dif­fé­ren­cier ensuite, au cours du déve­lop­pe­ment de l’embryon, pour don­ner tous les tis­sus et les organes du futur individu. 

En 1981, deux équipes de cher­cheurs diri­gées par G. R. Mar­tin et par M. J. Evans ont mon­tré que si des cel­lules de la masse cel­lu­laire interne d’un embryon de sou­ris de quatre jours post­fé­con­da­tion (que l’on nomme un blas­to­cyste et qui com­porte quelques dizaines de cel­lules) étaient mises en culture in vitro, sur une couche de cel­lules dites « nour­ri­cières », elles pro­li­fèrent abon­dam­ment et indé­fi­ni­ment sans se dif­fé­ren­cier. On peut ain­si obte­nir des lignées stables de cel­lules plu­ri­po­tentes entre­te­nues par repi­quages suc­ces­sifs ; trans­plan­tées indi­vi­duel­le­ment dans le blas­to­cyste d’un embryon de sou­ris, elles peuvent ensuite par­ti­ci­per à la consti­tu­tion de tous les tis­sus du futur souriceau. 

Ces lignées de cel­lules ont reçu le nom de cel­lules souches embryon­naires (puis­qu’elles pro­viennent d’embryons et sont la souche des futures cel­lules dif­fé­ren­ciées), en anglais embryo­nic stem cells ou encore cel­lules ES. Les cel­lules « nour­ri­cières » sur les­quelles ces cel­lules ES sont culti­vées ont pour fonc­tion, tant qu’elles sont pré­sentes, d’empêcher leur dif­fé­ren­cia­tion. Injec­tées à des sou­ri­ceaux nou­veau-nés ou même à des sou­ris adultes, ces cel­lules ES plu­ri­po­tentes se sont mon­trées capables de s’in­té­grer mor­pho­lo­gi­que­ment et fonc­tion­nel­le­ment aux tis­sus dans les­quels elles étaient introduites. 

Des cel­lules ES ana­logues ont été obte­nues à par­tir d’embryons de singes rhé­sus et, à la fin de l’an­née 1998, l’é­quipe de J. A. Thom­son (uni­ver­si­té du Wis­con­sin) a publié dans la revue Science un article inti­tu­lé : « Cel­lules souches embryon­naires déri­vées de blas­to­cystes humains », article qui a connu un énorme reten­tis­se­ment. Ces cher­cheurs ont obte­nu des blas­to­cystes à par­tir d’œufs humains pro­duits par fécon­da­tion in vitro (FIV) et, avec l’ac­cord des géni­teurs, les ont mis en culture sur des couches de cel­lules « nour­ri­cières » : cinq lignées de cel­lules ES humaines ont été ain­si obte­nues, qui ont pro­li­fé­ré in vitro sans se dif­fé­ren­cier pen­dant quatre à cinq mois. Injec­tées à des sou­ris immu­no­dé­fi­cientes (inca­pables de reje­ter des cel­lules étran­gères), ces cel­lules ES humaines ont mon­tré leur capa­ci­té de se dif­fé­ren­cier et de se déve­lop­per en cel­lules de l’é­pi­thé­lium intes­ti­nal, en cel­lules osseuses, mus­cu­laires et neurales… 

Pra­ti­que­ment au même moment, John Gea­rhart (uni­ver­si­té Johns Hop­kins, Bal­ti­more) a annon­cé qu’il avait pu obte­nir, par une tech­nique ana­logue, des cel­lules ES à par­tir de cel­lules ger­mi­nales pri­mor­diales (pré­cur­seurs des sper­ma­to­zoïdes et des ovo­cytes) iso­lées de fœtus humains (pro­ve­nant d’in­ter­rup­tions volon­taires de gros­sesse) et obser­ver ensuite la dif­fé­ren­cia­tion de ces cel­lules en neurones. 

Les espoirs thérapeutiques

Les résul­tats de Thom­son et de Gea­rhart et ceux sans doute de plu­sieurs autres équipes tra­vaillant dans la même direc­tion sus­citent d’ex­tra­or­di­naires espoirs et, paral­lè­le­ment, sou­lèvent de graves pro­blèmes éthiques. Les espoirs sont d’a­bou­tir à la pro­duc­tion stan­dar­di­sée de grandes quan­ti­tés de cel­lules ES humaines non dif­fé­ren­ciées mais capables, après injec­tion à des patients, de se dif­fé­ren­cier, selon les cas, en cel­lules car­diaques, en neu­rones, en cel­lules pan­créa­tiques, en cel­lules de la moelle osseuse, etc., afin de trai­ter des patho­lo­gies aus­si diverses que cer­taines mala­dies car­dio­vas­cu­laires, la mala­die de Par­kin­son, voire celle d’Alz­hei­mer, le dia­bète, des défi­cits immu­ni­taires, etc. 

Certes, comme dans le cas des greffes de cel­lules, de tis­sus ou d’or­ganes pra­ti­quées lar­ge­ment à l’heure actuelle, ces cel­lules ES injec­tées à un patient pour­raient être reje­tées si elles n’é­taient pas his­to­com­pa­tibles avec son propre sys­tème immu­ni­taire. Mais cet obs­tacle pour­rait être réso­lu soit en dis­po­sant de mul­tiples « banques » de cel­lules ES cor­res­pon­dant aux divers groupes d’an­ti­gènes tis­su­laires, soit encore en les mani­pu­lant géné­ti­que­ment pour éli­mi­ner les gènes codant pour ces anti­gènes (les ren­dant ain­si uni­ver­sel­le­ment compatibles). 

Avant de se lan­cer dans l’u­ti­li­sa­tion thé­ra­peu­tique chez l’homme de ces cel­lules ES, il sera certes indis­pen­sable de réa­li­ser des expé­riences ana­logues chez l’a­ni­mal de labo­ra­toire (sou­ris, rat, cobaye), en uti­li­sant évi­dem­ment des cel­lules ES pro­ve­nant de ces espèces et en met­tant au point, chez ces ani­maux, des modèles de patho­lo­gies res­sem­blant à celles que l’on se pro­pose de trai­ter chez l’homme. Du suc­cès de ces expé­riences dépen­dra l’a­ve­nir de cette approche. 

À côté de ces pers­pec­tives thé­ra­peu­tiques extrê­me­ment encou­ra­geantes bien qu’en­core théo­riques se pro­filent bien enten­du d’im­por­tants enjeux éco­no­miques, car la pro­duc­tion en masse de nom­breuses lignées de cel­lules ES humaines ne pour­rait être faite que par des entre­prises indus­trielles. C’est ain­si qu’une socié­té basée dans le Mas­sa­chu­setts, Advan­ced Cell Tech­no­lo­gy, a récem­ment annon­cé que ses cher­cheurs avaient implan­té le noyau d’une cel­lule humaine adulte (iso­lée d’un frag­ment de peau) dans un ovo­cyte de vache préa­la­ble­ment vidé de son noyau. 

À par­tir de cette chi­mère mi-bovine mi-humaine, qui s’est déve­lop­pée jus­qu’au stade de blas­to­cyste, ils ont réus­si à mettre en culture des cel­lules ES géné­ti­que­ment humaines (puisque le noyau implan­té est d’o­ri­gine humaine), qu’ils des­tinent éven­tuel­le­ment à des usages thé­ra­peu­tiques. L’a­van­tage de cette approche est qu’elle ne fait pas appel à des embryons humains, mais à des cel­lules obte­nues chez des adultes. 

La procréation

Les pro­blèmes éthiques que pose la pro­duc­tion de cel­lules ES humaines à par­tir de blas­to­cystes humains sont évi­dents, car ces tech­niques font inévi­ta­ble­ment par­tie de ce que l’on appelle, un peu abu­si­ve­ment, l’ex­pé­ri­men­ta­tion sur embryons humains et l’u­ti­li­sa­tion éven­tuel­le­ment com­mer­ciale de ces embryons. Notons d’ailleurs que les recherches des équipes de Thom­son et de Gea­rhart ont été finan­cées par des fonds pri­vés et non par les agences offi­cielles de recherches des États-Unis, les lois de ce pays inter­di­sant jus­qu’à une date récente l’u­ti­li­sa­tion de fonds publics pour les recherches por­tant sur des embryons humains. 

Mais pour mieux cer­ner ces pro­blèmes éthiques, il est utile de réflé­chir, comme l’a fait très luci­de­ment le pro­fes­seur Georges David, à ce que l’on peut appe­ler les nou­velles stra­té­gies de pro­créa­tion humaine. Aujourd’­hui, tout au moins dans les pays indus­tria­li­sés, l’homme et la femme pos­sèdent une maî­trise qua­si totale de la pro­créa­tion. Les nom­breuses méthodes de contra­cep­tion per­mettent d’é­vi­ter les gros­sesses non sou­hai­tées ; l’in­ter­rup­tion volon­taire de gros­sesse (IVG) éli­mine impi­toya­ble­ment les embryons non dési­rés et, s’il est per­mis à l’au­teur de ces lignes, d’ex­pri­mer une opi­nion per­son­nelle, il est navrant de pen­ser que beau­coup d’a­vor­te­ments, très sou­vent bien mal vécus, pour­raient être évi­tés par une meilleure infor­ma­tion et une meilleure dis­ci­pline contraceptives… 

À l’in­verse, tou­jours dans les pays déve­lop­pés, les tech­niques de pro­créa­tion médi­cale assis­tée (PMA) per­mettent à de très nom­breux couples qui auraient jadis été sté­riles, d’a­voir des enfants. À l’in­sé­mi­na­tion arti­fi­cielle de la femme par le sperme d’un don­neur ano­nyme (au lieu de son conjoint) a suc­cé­dé, depuis un pre­mier suc­cès en 1978, la fécon­da­tion in vitro (FIV) dans laquelle le sper­ma­to­zoïde féconde in vitro l’o­vo­cyte, l’œuf obte­nu étant ensuite implan­té dans l’u­té­rus de la mère (ou éven­tuel­le­ment celui d’une mère porteuse). 

Plus récem­ment, pour pal­lier cer­tains échecs de la FIV dus à une inca­pa­ci­té de cer­tains sper­ma­to­zoïdes de péné­trer dans l’o­vo­cyte, la tech­nique de micro-injec­tion a été mise au point, elle consiste à injec­ter direc­te­ment le sper­ma­to­zoïde dans l’o­vo­cyte, tout cela in vitro, bien enten­du. Décou­verte en 1991 par une équipe belge, cette tech­nique a connu un déve­lop­pe­ment consi­dé­rable (14 000 inter­ven­tions de ce type en France, en 1997). 

La FIV elle-même a béné­fi­cié rapi­de­ment de deux pro­grès impor­tants : la sti­mu­la­tion ova­rienne (pra­ti­quée phar­ma­co­lo­gi­que­ment chez la femme) per­met d’ob­te­nir plu­sieurs ovo­cytes à par­tir d’un même cycle, la congé­la­tion des embryons conçus in vitro per­met de mul­ti­plier les ten­ta­tives d’im­plan­ta­tion dans l’u­té­rus et de gros­sesse en résultant. 

D’autre part, il est désor­mais pos­sible de faire un diag­nos­tic géné­tique dès les pre­mières heures de la vie des embryons et de ne pas implan­ter ceux qui sont por­teurs d’une ano­ma­lie chro­mo­so­mique ou génique : c’est le diag­nos­tic pré-implan­ta­toire, évi­dem­ment pré­fé­rable, quand il est pos­sible (c’est-à-dire dans le cas de la FIV), au diag­nos­tic pré­na­tal, effec­tué beau­coup plus tard, sur les cel­lules du liquide amnio­tique, exa­men pou­vant conduire à une IVG si une ano­ma­lie est constatée. 

Il ne faut pas se dis­si­mu­ler que les pos­si­bi­li­tés actuelles de diag­nos­tic géné­tique pré-implan­ta­toire ou pré­na­tal, per­met­tant l’é­li­mi­na­tion des embryons por­teurs d’a­no­ma­lies, ne sont autres qu’une forme d’eu­gé­nisme, un eugé­nisme certes bien dif­fé­rent dans ses moda­li­tés et ses objec­tifs de celui prô­né par cer­tains régimes tota­li­taires, mais condui­sant quand même à refu­ser le droit de vivre à des êtres por­teurs d’un han­di­cap héré­di­taire (tri­so­mie 21, par exemple). 

Au fur et à mesure que le décryp­tage du génome humain pro­gres­se­ra, la pos­si­bi­li­té aug­men­te­ra de pra­ti­quer une telle sélec­tion géné­tique pré­na­tale, au détri­ment d’êtres humains non conformes à une cer­taine norme, en un mot : de ceux qui sont phy­si­que­ment ou men­ta­le­ment dif­fé­rents de ce que le consen­sus social consi­dère comme la nor­ma­li­té, le « géné­ti­que­ment correct ». 

D’autre part, dans la mesure où des fac­teurs géné­tiques peuvent être impli­qués dans cer­taines formes d’in­fer­ti­li­té fémi­nine ou mas­cu­line, l’u­ti­li­sa­tion éten­due des tech­niques de PMA, per­met­tant à ces femmes et à ces hommes de pro­créer, condui­ra sans doute à une plus grande fré­quence dans la popu­la­tion de sujets devant recou­rir eux aus­si aux PMA pour se repro­duire à leur tour. 

Notons que le déve­lop­pe­ment des tech­niques de PMA com­porte des aspects éco­no­miques qui sont loin d’être négli­geables, ce qui pose à nou­veau des pro­blèmes éthiques. Aux États-Unis, des jeunes femmes acceptent de « vendre » (par l’in­ter­mé­diaire d’a­gences spé­cia­li­sées) des ovo­cytes pré­le­vés dans leurs ovaires, après sti­mu­la­tion hor­mo­nale, à des couples dont la femme est sté­rile. L’o­vo­cyte est fécon­dé in vitro par le sperme du mari et l’œuf résul­tant est implan­té dans l’u­té­rus de l’é­pouse qui devien­dra ain­si la mère bio­lo­gique, mais non géné­tique, du futur bébé. 

Ce qui est inquié­tant dans une telle pra­tique c’est que la « valeur mar­chande » de l’o­vo­cyte ven­du est fonc­tion des carac­té­ris­tiques géné­tiques de la femme dont il est issu : cou­leur des yeux et des che­veux, quo­tient intel­lec­tuel, per­for­mances ath­lé­tiques, par­ti­cu­la­ri­tés eth­niques, etc. 

Les tech­niques de fécon­da­tion in vitro, fruits de la col­la­bo­ra­tion étroite entre le bio­lo­giste, le gyné­co­logue et l’an­dro­logue, ont pour objec­tif pre­mier de per­mettre la pro­créa­tion aux couples qui, pour diverses rai­sons, ne peuvent pas pro­créer de manière natu­relle. Mais ces tech­niques ont, pour la pre­mière fois, per­mis aux bio­lo­gistes, et plus par­ti­cu­liè­re­ment aux embryo­lo­gistes, d’as­sis­ter in vitro à la for­ma­tion de l’être humain aux tout pre­miers moments de sa vie. Cela amène à se poser la ques­tion essen­tielle, fon­da­men­tale et com­plexe, du sta­tut de l’embryon humain conçu in vitro. Peut-il, dans cer­taines condi­tions bien pré­cises, ser­vir de « maté­riel de recherche » ? 

Quand le bio­lo­giste parle de recherches sur l’embryon humain, les per­sonnes peu infor­mées ima­ginent avec hor­reur une sorte de « vivi­sec­tion » exer­cée sur des fœtus de plu­sieurs semaines, voire de plu­sieurs mois… Il n’en est heu­reu­se­ment rien : les obser­va­tions et les uti­li­sa­tions pos­sibles (comme celle évo­quée plus haut de l’ob­ten­tion de lignées de cel­lules ES plu­ri­po­tentes uti­li­sables en thé­ra­peu­tique) portent avant tout sur la période ini­tiale du déve­lop­pe­ment embryon­naire, la seule qui puisse se dérou­ler entiè­re­ment in vitro avant implan­ta­tion dans l’u­té­rus de la femme. 

Actuel­le­ment, comme le fait remar­quer le pro­fes­seur Georges David : Le sou­ci d’é­vi­ter l’emploi de l’embryon pré-implan­ta­toire en tant que maté­riel de recherche va jus­qu’à pré­fé­rer sa des­truc­tion, en cas d’a­ban­don du pro­jet paren­tal, à une uti­li­sa­tion qui pour­rait être pré­cieuse pour la connais­sance de cette période ini­tiale de la vie humaine… Pour­tant, l’ac­cès à cet embryon per­met­trait d’ap­pro­fon­dir uti­le­ment nos connais­sances sur cette par­ti­cu­la­ri­té de notre espèce : le for­mi­dable taux de vices de confor­ma­tion, vices cachés dans les condi­tions nor­males par les soins d’une nature se char­geant d’une impi­toyable et rapide élimination. 

On sait, en effet, qu’ap­proxi­ma­ti­ve­ment une moi­tié seule­ment des embryons consti­tués lors de la fécon­da­tion natu­relle ont des chances de vie, du fait de l’in­ter­rup­tion spon­ta­née du déve­lop­pe­ment des autres dès les pre­miers jours ou les pre­mières semaines de gros­sesse. L’exa­men sys­té­ma­tique des fœtus pro­ve­nant d’a­vor­te­ments spon­ta­nés (fausses couches) a révé­lé la fré­quence des ano­ma­lies chro­mo­so­miques chez ceux-ci, ano­ma­lies qui auraient entraî­né des mal­for­ma­tions graves : c’est bien la nature, et non la méde­cine, qui fait là preuve d’un eugé­nisme assez radical ! 

Il convient aus­si de rap­pe­ler que dans la fécon­da­tion in vitro, à la suite de la sti­mu­la­tion ova­rienne, un seul embryon est implan­té après qu’un cer­tain tri eut été effec­tué, sur des cri­tères prin­ci­pa­le­ment mor­pho­lo­giques, mais que plu­sieurs œufs ont été pro­duits. Ceux qui n’ont pas été implan­tés sont conser­vés au congé­la­teur pour être fina­le­ment détruits. Il est impor­tant de se poser avec sérieux la grave ques­tion sui­vante : serait-il contraire à l’é­thique, à la digni­té de la per­sonne humaine, de sol­li­ci­ter des parents l’au­to­ri­sa­tion d’u­ti­li­ser ces embryons sur­nu­mé­raires, non des­ti­nés à se déve­lop­per, pour des recherches visant à appro­fon­dir les connais­sances sur le déve­lop­pe­ment embryon­naire ou encore à for­ger de futurs et puis­sants outils thérapeutiques ? 

Les problèmes éthiques

Mais il est peut-être pré­fé­rable du point de vue éthique de n’u­ti­li­ser pour ce genre de recherches ou d’ap­pli­ca­tions thé­ra­peu­tiques que des embryons conçus in vitro spé­ci­fi­que­ment à cette fin, sans l’im­pli­ca­tion d’au­cun pro­jet paren­tal. On peut d’ailleurs se poser hon­nê­te­ment la ques­tion : un blas­to­cyste ou même un stade quelque peu ulté­rieur du déve­lop­pe­ment embryon­naire est-il authen­ti­que­ment un « être humain » – au lieu d’un amas de cel­lules d’o­ri­gine humaine -, ou cette appel­la­tion d’être humain ne convient-elle vrai­ment qu’à un embryon implan­té dans l’u­té­rus d’une femme et s’y déve­lop­pant en vue de don­ner nais­sance à un enfant ? C’est là que revient à nou­veau la ques­tion du clo­nage d’un être humain. 

Quels objec­tifs, un bio­lo­giste peut-il pour­suivre en cher­chant à effec­tuer ce clo­nage, comme Wil­mut a clo­né la bre­bis Dol­ly ? Il y a peut-être le pro­jet de façon­ner un être humain géné­ti­que­ment iden­tique à la per­sonne dont on a iso­lé une cel­lule pour en extraire le noyau avant de l’im­plan­ter dans un ovo­cyte : pro­jet insen­sé, ver­sion moderne de l’his­toire du Dr Fran­ken­stein, qu’ab­so­lu­ment rien, ni mora­le­ment, ni scien­ti­fi­que­ment ne justifie. 

Pas même le désir que peuvent avoir des parents meur­tris de « recréer » à l’i­den­tique l’en­fant qu’ils sont mena­cés de perdre du fait d’une mala­die ou d’un acci­dent. L’en­fant ain­si « pro­duit » accep­te­rait-il plus tard de ne devoir son exis­tence qu’à sa qua­li­té de « jumeau » d’un être dis­pa­ru ? Autre motif, peut-être plus per­vers encore, de clo­nage humain : fabri­quer un embryon dont on pour­ra, à divers stades de son déve­lop­pe­ment fœtal, uti­li­ser les cel­lules, les tis­sus, voire les organes, pour les gref­fer, sans aucun risque de rejet immu­no­lo­gique, chez l’in­di­vi­du même qui a four­ni le noyau cel­lu­laire initial. 

Tout cela peut paraître par­fai­te­ment clair. Hélas, les bio­lo­gistes sont des hommes comme les autres : il y a par­mi eux des tri­cheurs, des illu­mi­nés, des per­vers, des indi­vi­dus avides de célé­bri­té ou d’argent et il est donc à craindre qu’un jour ou l’autre de pareilles expé­riences soient ten­tées par cer­tains, comme d’ailleurs en font pla­ner la menace quelques soi-disant cher­cheurs… Des tra­vaux très récents sug­gèrent cepen­dant que l’âge bio­lo­gique de l’être vivant résul­tant d’un clo­nage pour­rait être le même que celui de l’in­di­vi­du dont est issue la cel­lule soma­tique four­nis­sant le noyau. Cela pour­rait décou­ra­ger quelques ini­tia­tives, l’es­pé­rance de vie de l’in­di­vi­du clo­né ne dépas­sant peut-être pas celle du don­neur de noyau… 

Rai­son de plus pour que l’on se mette rapi­de­ment et clai­re­ment d’ac­cord, si pos­sible entre tous les pays où des recherches sur l’embryon humain sont tech­ni­que­ment pos­sibles, sur ce qui est licite et sur ce qui ne l’est abso­lu­ment pas et ne le sera jamais. Car le risque existe, comme l’a dit Axel Kahn, de s’ap­pro­cher, par petites étapes, de ce qui est inac­cep­table. Le 9 décembre 1998, à New York, l’As­sem­blée géné­rale des Nations Unies a adop­té la décla­ra­tion uni­ver­selle sur le génome humain qui inter­dit dans l’es­pèce humaine le clo­nage à des fins de reproduction. 

Le prin­cipe géné­ral qui ins­pire cette décla­ra­tion sur le génome humain, adop­tée par les 182 États membres de l’O­NU, est de par­ve­nir à conci­lier la liber­té d’ac­tion des cher­cheurs en bio­lo­gie cel­lu­laire et en géné­tique avec l’in­dis­pen­sable pro­tec­tion de l’es­pèce humaine contre les abus qui peuvent décou­ler de cette acti­vi­té scien­ti­fique. Il convient de sou­li­gner que l’in­ter­dic­tion en ques­tion ne vise le clo­nage humain que s’il est effec­tué en vue de la repro­duc­tion d’un être humain ; les recherches sur l’embryon humain (entre autres l’ob­ten­tion de cel­lules ES plu­ri­po­tentes) ne sont inter­dites que si l’embryon a été conçu spé­cia­le­ment et uni­que­ment pour cette uti­li­sa­tion. Il sem­ble­rait à cet égard que l’at­ti­tude des légis­la­teurs amé­ri­cains et bri­tan­niques, entre autres, soit plus libé­rale que celle qui pré­vaut en France. Il est vrai que des dis­tinc­tions sub­tiles entre ce que l’on se pro­pose de faire et ce que l’on fait réel­le­ment peuvent ouvrir la porte à bien des abus… 

D’autre part, la rapi­di­té avec laquelle les cher­cheurs avancent dans la connais­sance des pro­ces­sus de dif­fé­ren­cia­tion cel­lu­laire ren­dra peut-être inutile, pour la pro­duc­tion de cel­lules plu­ri­po­tentes, le recours à l’embryon humain. En effet, en jan­vier 1999, l’é­quipe d’An­ge­lo Ves­co­vi, tra­vaillant à Milan, a mon­tré, chez la sou­ris, que des cel­lules souches neu­rales qu’ils ont iso­lées du cer­veau d’a­ni­maux adultes ou embryon­naires, puis culti­vées in vitro, se sont dif­fé­ren­ciées pour don­ner des cel­lules san­guines (cor­res­pon­dant aux diverses popu­la­tions pro­duites nor­ma­le­ment dans la moelle osseuse) lors­qu’elles ont été trans­plan­tées chez des sou­ris dont la moelle osseuse avait été détruite par irradiation. 

Ce qui laisse entre­voir la pos­si­bi­li­té de pro­duire des cel­lules plu­ri­po­tentes humaines à par­tir de tis­sus pré­le­vés chez l’a­dulte. Les mois et les années qui viennent vont très pro­ba­ble­ment voir de nom­breuses équipes de cher­cheurs s’at­ta­quer au pro­blème de la pro­duc­tion de cel­lules humaines plu­ri­po­tentes par divers pro­cé­dés éthi­que­ment acceptables. 

Les progrès de la médecine et les maladies émergentes

À l’ap­proche du XXIe siècle, nous sommes nom­breux à croire ou à espé­rer que nos enfants et petits-enfants, dont la vie se dérou­le­ra en grande par­tie au cours de ce siècle, ne connaî­tront pas les tra­gé­dies qui ont mar­qué le XXe siècle : deux guerres mon­diales, d’i­gnobles géno­cides, des guerres civiles fra­tri­cides, de nom­breuses crises éco­no­miques et sociales… À quoi il faut ajou­ter, pour reve­nir aux consi­dé­ra­tions bio­lo­giques, deux pan­dé­mies : la grippe de 1918 (qui a tué 20 mil­lions de per­sonnes, la plu­part jeunes) et le SIDA, qui, depuis son appa­ri­tion il y a une ving­taine d’an­nées, a déjà tué envi­ron 14 mil­lions d’êtres humains et conti­nue inexo­ra­ble­ment à faire des ravages, prin­ci­pa­le­ment en Afrique sub­sa­ha­rienne et en Asie du Sud-Est mais aus­si dans nos pays… 

Il appar­te­nait au pro­fes­seur Jacques Ruf­fié de par­ler des « Défis de la Science à l’aube du IIIe mil­lé­naire ». Pre­mier défi : la pous­sée démo­gra­phique accé­lé­rée, résul­tant en grande par­tie d’un accrois­se­ment des res­sources natu­relles par le déve­lop­pe­ment de l’a­gri­cul­ture et d’une plus ou moins impor­tante amé­lio­ra­tion des condi­tions de vie et d’hy­giène. En 1830, la pla­nète comp­tait 1 mil­liard d’ha­bi­tants ; en 1930, un siècle plus tard, elle en comp­tait 2 mil­liards. Ce chiffre est pas­sé à 3 mil­liards en 1960 et à 4 mil­liards en 1975. En 1999, nous sommes déjà 6 mil­liards d’êtres humains. Le scé­na­rio rete­nu par les démo­graphes de l’O­NU pré­voit une popu­la­tion mon­diale de 8 mil­liards en 2050. 

Ces chiffres, même s’ils sont consi­dé­rables, excluent l’hy­po­thèse jadis avan­cée d’une explo­sion démo­gra­phique catas­tro­phique. Au rythme actuel, la pla­nète se peuple de 78 mil­lions de nou­veaux indi­vi­dus chaque année (au lieu des 90 mil­lions annuels il y a dix ans). Les rai­sons de ce ralen­tis­se­ment sont mul­tiples : plus large uti­li­sa­tion des contra­cep­tifs dans des pays sous-déve­lop­pés, ravages du SIDA en Afrique subsaharienne. 

D’autre part, le vieillis­se­ment et la stag­na­tion démo­gra­phique des pays riches indus­tria­li­sés sont un phé­no­mène durable, alors que le poids des pays en voie de déve­lop­pe­ment devien­dra de plus en plus écra­sant. Ce sera là sans doute un des bou­le­ver­se­ments majeurs de la vie des humains au XXIe siècle : une socié­té pros­père mais vieillis­sante face à une marée humaine jeune natu­rel­le­ment dési­reuse d’a­mé­lio­rer ses condi­tions d’exis­tence. Il faut por­ter au cré­dit de la bio­lo­gie, dans la mesure où cette science exerce une influence directe et capi­tale sur la méde­cine humaine et vété­ri­naire et sur l’a­gro­no­mie, les vic­toires rem­por­tées sur de très nom­breuses patho­lo­gies humaines, ani­males et végé­tales, au cours du XXe siècle. La variole a été éra­di­quée de la sur­face du globe il y a une tren­taine d’an­nées, la polio­myé­lite le sera sans doute très pro­chai­ne­ment. Il existe des vac­cins très effi­caces contre la rou­geole, la rubéole (cause de mal­for­ma­tions congé­ni­tales), les hépa­tites virales A et B, le téta­nos, la coque­luche, la diph­té­rie et, dans quelques années sans doute, nous dis­po­se­rons de vac­cins encore plus nom­breux, plus effi­caces, mieux tolé­rés contre les mul­tiples agents infec­tieux qui affectent les êtres humains et les ani­maux d’élevage. 

Cepen­dant, un nou­veau défi est repré­sen­té par l’ap­pa­ri­tion de cer­taines mala­dies infec­tieuses nou­velles que l’on dit émer­gentes (le SIDA en est un exemple, mais il y a aus­si l’hé­pa­tite C, les fièvres virales hémor­ra­giques, la mala­die de Lyme, etc.) et celles qui réap­pa­raissent en force (mala­dies réémer­gentes) comme la tuberculose. 

Les pro­duits anti­mi­cro­biens, en par­ti­cu­lier les anti­bio­tiques, ont sau­vé des mil­lions d’êtres humains depuis leur décou­verte, il y a une cin­quan­taine d’an­nées et ils conti­nuent à le faire. Cepen­dant, des phé­no­mènes de résis­tance des agents infec­tieux vis-à-vis de ces anti­bio­tiques appa­raissent aujourd’­hui avec une fré­quence inquié­tante, entre autres dans la pra­tique hos­pi­ta­lière, et la recherche bio­lo­gique se trouve confron­tée à un autre défi : il devient impé­ra­tif de décou­vrir de nou­velles molé­cules dotées d’ac­ti­vi­tés anti­mi­cro­biennes s’exer­çant par des méca­nismes originaux. 

Dans la plu­part des pays, mais prin­ci­pa­le­ment dans les pays indus­tria­li­sés, l’es­pé­rance de vie a consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té au cours de la seconde moi­tié du XXème siècle : cela est à mettre au cré­dit d’une meilleure ali­men­ta­tion, d’une meilleure hygiène de vie et aus­si des pos­si­bi­li­tés thé­ra­peu­tiques actuelles contre les mala­dies infec­tieuses ou car­dio­vas­cu­laires, les can­cers, divers pro­ces­sus dégé­né­ra­tifs, etc. 

Les humains vivent plus long­temps et géné­ra­le­ment mieux que jadis mais l’al­lon­ge­ment de la durée de vie moyenne s’ac­com­pagne par­fois, même trop sou­vent, de situa­tions d’ex­trême dépen­dance (comme la mala­die d’Alz­hei­mer), pour ne rien dire de la charge finan­cière que cela fait peser sur les plus jeunes, trop sou­vent confron­tés de leur côté au chô­mage. Mais la bio­lo­gie est impuis­sante à résoudre les pro­blèmes liés à l’or­ga­ni­sa­tion de la société… 

Les manipulations génétiques des végétaux et des animaux

Le défi majeur que la popu­la­tion tou­jours plus nom­breuse des pays sous-déve­lop­pés oppose à la bio­lo­gie prise dans son sens le plus large est, sans conteste, celui de la mal­nu­tri­tion. Une grande par­tie de la popu­la­tion de ces pays reçoit une ali­men­ta­tion insuf­fi­sante par sa qua­li­té, sa quan­ti­té et sa diver­si­té. Des situa­tions de famine sont pré­sentes dans diverses régions ; elles sont par­fois dues d’ailleurs à des fac­teurs poli­tiques (conflits eth­niques, embar­gos) aux­quels la bio­lo­gie ne peut appor­ter aucune solution. 

Mais pour le reste, il est clair qu’une pro­duc­tion locale plus effi­cace et plus diver­si­fiée des ali­ments essen­tiels, une meilleure dis­tri­bu­tion, de meilleurs moyens de sto­ckage modi­fie­raient quelques-unes de ces situa­tions de disette. Et c’est là que les bio­tech­no­lo­gies ont leur mot à dire. Il s’a­git de ces « mani­pu­la­tions géné­tiques » qui sus­citent tant d’in­quié­tudes et d’in­com­pré­hen­sion, en grande par­tie parce que leur prin­cipe et leurs moda­li­tés ont été insuf­fi­sam­ment expli­qués. Cette révo­lu­tion bio­lo­gique consiste à trans­for­mer, essen­tiel­le­ment des végé­taux, mais aus­si éven­tuel­le­ment des ani­maux d’é­le­vage, en modi­fiant leurs génomes par des tech­niques de transgénisme. 

Le trans­gé­nisme consiste à intro­duire chez un végé­tal ou chez un ani­mal un gène pré­le­vé dans une espèce ou dans une race voi­sines et qui, s’in­cor­po­rant au génome de l’or­ga­nisme rece­veur, modi­fie­ra de manière per­ma­nente et, bien enten­du, dans le sens de l’a­mé­lio­ra­tion sou­hai­tée un ou plu­sieurs de ses carac­tères (par exemple : résis­tance aux insectes, aux insec­ti­cides, au froid, à la séche­resse, aux para­sites, en ce qui concerne les végé­taux ; pro­duc­tion accrue de lait, de viande, en ce qui concerne les ani­maux d’élevage). 

C’est par de telles tech­niques de trans­ferts de gènes que plu­sieurs groupes indus­triels bio­tech­no­lo­giques, prin­ci­pa­le­ment amé­ri­cains mais aus­si euro­péens, ont pu sélec­tion­ner des semences de nom­breuses espèces végé­tales (maïs, col­za, courge, riz, melons, tomates, pommes de terre, coton) ren­dues résis­tantes aux insectes, cham­pi­gnons et autres para­sites, ou résis­tantes aux insec­ti­cides et aux her­bi­cides (ce qui per­met d’u­ti­li­ser ces der­niers sans dom­mage pour la plante elle-même) ou pré­sen­tant des carac­té­ris­tiques dési­rables (tomates plus résis­tantes à l’a­mol­lis­se­ment, melons plus sucrés, etc.). 

Qui ne voit le poten­tiel de ces bio­tech­no­lo­gies pour amé­lio­rer la qua­li­té et la quan­ti­té des ali­ments d’o­ri­gine végé­tale ou même ani­male, à la fois pour les popu­la­tions des pays indus­tria­li­sés mais aus­si et sur­tout pour celles des pays sous-déve­lop­pés ? Pour ne prendre qu’un exemple de ce que les tech­niques de pro­duc­tion d’or­ga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés (OGM) peuvent appor­ter de béné­fique aux popu­la­tions de ces der­niers, citons la pos­si­bi­li­té d’aug­men­ter la teneur en vita­mine A de cer­tains légumes ou fruits ; or on sait qu’une sup­plé­men­ta­tion en vita­mine A aug­mente de manière signi­fi­ca­tive la résis­tance des jeunes enfants de ces régions à cer­taines mala­dies infec­tieuses, notam­ment au paludisme. 

Cepen­dant, à l’heure actuelle, en Europe et aus­si au Japon, les OGM sus­citent de nom­breuses et vives inquié­tudes, par­fois fon­dées (et exi­geant donc une ana­lyse beau­coup plus pré­cise et plus com­plète de toutes les carac­té­ris­tiques nou­velles que pré­sentent les OGM du fait du trans­fert de gène, cer­taines de ces carac­té­ris­tiques pou­vant être indé­si­rables ou même néfastes), mais sou­vent aus­si des inquié­tudes de nature poli­tique, éco­no­mique ou idéo­lo­gique, sans comp­ter celles que l’on peut qua­li­fier de com­plè­te­ment irrationnelles… 

Ce n’est pas le lieu ici d’en­trer dans le détail des pro­blèmes réels que pose­ra le déve­lop­pe­ment pro­ba­ble­ment iné­luc­table des OGM mais osons expri­mer la convic­tion que ces pro­blèmes pour­ront être réso­lus par une étude appro­fon­die et au cas par cas de cha­cun de ces pro­blèmes par des ins­tances natio­nales et inter­na­tio­nales. Réa­lisme et vigi­lance devront aller de pair. 

La production de protéines humaines

Insis­tons sur le fait que les bio­tech­no­lo­gies basées sur les trans­ferts de gènes offrent encore d’autres pos­si­bi­li­tés d’un inté­rêt capi­tal : des bac­té­ries savent main­te­nant pro­duire des pro­téines humaines dont l’u­ti­li­té thé­ra­peu­tique est consi­dé­rable : inter­fé­rons, inter­leu­kines, hor­mone de crois­sance, fac­teur VIII de la coa­gu­la­tion, qu’il fal­lait autre­fois pré­pa­rer à par­tir de sang humain, avec les risques que l’on connaît. 

Dans un proche ave­nir sans doute des végé­taux trans­gé­niques pour­ront pro­duire de l’hé­mo­glo­bine, de l’in­su­line, des pro­téines virales ou bac­té­riennes uti­li­sables comme vac­cins : la consom­ma­tion de bananes trans­gé­niques pro­dui­sant l’an­ti­gène majeur d’une bac­té­rie ou d’un virus res­pon­sable de diar­rhées gra­vis­simes suf­fi­rait à immu­ni­ser contre ces mala­dies… Qui ne voit l’in­té­rêt de toutes ces prouesses bio­tech­no­lo­giques pour l’hu­ma­ni­té et, tout par­ti­cu­liè­re­ment, pour les habi­tants des pays pauvres ? Des bio­tech­no­lo­gies simi­laires ont per­mis d’ob­te­nir des bac­té­ries capables de pro­duire, en res­pec­tant l’en­vi­ron­ne­ment, des matières pre­mières pour l’in­dus­trie, telles que des bio­car­bu­rants ou des bio­po­ly­mères tota­le­ment dégra­dables rem­pla­çant cer­taines matières plas­tiques très polluantes. 

La thérapie génique

Il faut dire un mot aus­si des pos­si­bi­li­tés d’a­ve­nir, encore incer­taines mais du plus haut inté­rêt médi­cal, de ce que l’on nomme la thé­ra­pie génique et dont l’ob­jec­tif est de cor­ri­ger à l’in­té­rieur des cel­lules d’un orga­nisme humain les ano­ma­lies qui en affec­tant son génome sont res­pon­sables de patho­lo­gies graves, sou­vent aujourd’­hui incurables. 

Le prin­cipe de la thé­ra­pie génique est d’in­tro­duire, au moyen d’un vec­teur appro­prié, dans les cel­lules d’un patient atteint d’une mala­die héré­di­taire mono­gé­nique (c’est-à-dire résul­tant de la muta­tion d’un seul gène comme, par exemple, la muco­vis­ci­dose) le gène nor­mal qui, une fois inté­gré, fonc­tion­ne­ra à la place du gène défectueux. 

Mais la thé­ra­pie génique peut aus­si par des méca­nismes quelque peu dif­fé­rents (par exemple intro­duc­tion dans les cel­lules can­cé­reuses d’un gène codant pour une sub­stance capable de tuer ces cel­lules ou pour un fac­teur sti­mu­lant le rejet de ces cel­lules par le sys­tème immu­ni­taire) four­nir une arme puis­sante en thé­ra­peu­tique anti­can­cé­reuse et c’est dans ce domaine qu’est effec­tuée, à l’heure actuelle, la majo­ri­té des études en cli­nique humaine de thé­ra­pie génique. 

Devant toutes ces réponses actuelles ou poten­tielles que la bio­lo­gie (et plus par­ti­cu­liè­re­ment la géné­tique) fait aux défis du XXIe siècle dans les domaines de l’a­li­men­ta­tion et de la san­té des êtres humains, nom­breux sont ceux qui accusent les bio­lo­gistes de « jouer aux appren­tis sor­ciers »… Mais n’est-ce pas parce que, depuis long­temps, des hommes ont osé domes­ti­quer la nature et bra­ver ses contraintes, inven­ter des approches nou­velles et for­ger de meilleurs outils, que l’hu­ma­ni­té est sor­tie de l’âge des cavernes et que cer­taines popu­la­tions sont par­ve­nues à échap­per à la misère et à la souf­france chro­niques qui sont encore le lot de tant d’ha­bi­tants des pays sous-déve­lop­pés ? C’est à ces der­niers, à leur ave­nir, à leurs droits qu’il faut aus­si penser… 

Il convient d’ailleurs, en ce qui concerne les risques poten­tiels de cer­taines bio­tech­no­lo­gies, de ne pas confondre les tech­niques pré­cises et géné­ra­le­ment bien codi­fiées de trans­ferts de gènes condui­sant à des OGM clai­re­ment carac­té­ri­sés, avec des pra­tiques qui n’ont rien de com­mun avec elles. 

L’ap­pa­ri­tion de l’en­cé­pha­lo­pa­thie spon­gi­forme bovine (« mala­die de la vache folle ») n’est nul­le­ment liée à une approche bio­tech­no­lo­gique : elle a résul­té de l’u­ti­li­sa­tion aven­tu­reuse, sans contrôle véri­table, de farines ani­males d’o­ri­gines dou­teuses, mal sté­ri­li­sées de sur­croît, pour l’a­li­men­ta­tion des bovins. 

De même, la per­cep­tion tar­dive et insuf­fi­sante des risques inhé­rents aux pro­duits san­guins conta­mi­nés par le virus du SIDA n’est pas liée à une quel­conque bio­tech­no­lo­gie : bien au contraire, ce sont aujourd’­hui des bio­tech­no­lo­gies qui per­mettent de pro­duire en toute sécu­ri­té des sub­stances thé­ra­peu­tiques autre­fois extraites du sang… Ne fai­sons pas d’a­mal­game entre les bio­tech­no­lo­gies scien­ti­fi­que­ment fon­dées et cer­tains « bri­co­lages » aventureux ! 

L’origine de la vie

Les bio­lo­gistes d’au­jourd’­hui ne s’in­té­ressent pas exclu­si­ve­ment d’ailleurs aux appli­ca­tions médi­cales, zoo­tech­niques, agro­no­miques, indus­trielles de leur science : la plu­part d’entre eux, comme bon nombre de leurs contem­po­rains, se demandent com­ment on peut expli­quer, à l’heure actuelle, l’o­ri­gine et l’é­vo­lu­tion de la vie sur notre pla­nète. C’est le thème qu’a­vait choi­si de trai­ter le pro­fes­seur Chris­tian de Duve. 

Que faut-il pen­ser en 1999 de la phrase, empreinte d’un stoï­cisme déses­pé­ré, par laquelle Jacques Monod, il y a trente ans, concluait un livre célèbre, Le Hasard et la Néces­si­té : L’Univers n’était pas gros de la vie, ni la bio­sphère de l’homme… L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indif­fé­rente de l’univers, d’où il a émer­gé par hasard… La thèse de Chris­tian de Duve affirme au contraire que l’Univers était “ gros de la Vie ” et que la Bio­sphère était “ grosse de l’Homme ” en s’appuyant sur ce que ce cher­cheur appelle “ les contraintes du hasard ”. 

On est à peu près cer­tain que la vie a dû se déve­lop­per par le jeu de réac­tions chi­miques qui, sous l’influence des condi­tions phy­si­co­chi­miques exis­tant à une cer­taine époque sur la pla­nète Terre (et vrai­sem­bla­ble­ment aus­si sur d’autres pla­nètes, dans d’autres sys­tèmes solaires), don­nèrent nais­sance à des molé­cules, puis à des sys­tèmes poly­mo­lé­cu­laires de plus en plus com­plexes, pour abou­tir enfin (et là, le saut est gigan­tesque) aux pre­mières cel­lules dont sont issues toutes les espèces vivantes actuelles. 

Ce pro­ces­sus a néces­sai­re­ment com­por­té un très grand nombre d’étapes suc­ces­sives : le résul­tat final ne pou­vait avoir une pro­ba­bi­li­té signi­fi­ca­tive de se pro­duire que si cha­cune des étapes de ce pro­ces­sus avait une grande pro­ba­bi­li­té de se pro­duire, quand et là où elles ont eu lieu. 

La conclu­sion qui s’impose c’est que notre pla­nète (et sans doute toutes celles qui éven­tuel­le­ment ont été le siège de réac­tions phy­si­co­chi­miques simi­laires) était “ grosse de la Vie ”. La suc­ces­sion de hasards qui a conduit à l’apparition de la vie avait, en quelque sorte, un sens obligé. 

Et qu’en est-il, dans cette pers­pec­tive, de l’émergence de l’espèce humaine, c’est-à-dire de la pen­sée et de la conscience ? Le grand bio­lo­giste Ernst Mayr a écrit : Ce qui impres­sionne l’évolutionniste c’est l’incroyable impro­ba­bi­li­té qu’une forme de vie intel­li­gente ait jamais été pro­duite par l’évolution. Mais, fait remar­quer de Duve, quelque impro­bable que fût l’émergence de l’espèce humaine, il n’en reste pas moins vrai que l’événement a bien eu lieu ! À la suite de vul­ga­ri­sa­teurs brillants, comme Ste­phen Jay Gould, la mode s’est impo­sé de dénier toute signi­fi­ca­tion par­ti­cu­lière à l’espèce humaine sous pré­texte qu’elle n’est, comme toutes les autres espèces vivantes, que le fruit d’une impro­bable suc­ces­sion d’événements for­tuits : “ l’incarnation de la contingence ”… 

À cela de Duve répond qu’il n’est pas besoin de dénier au hasard le rôle que la bio­lo­gie moderne lui accorde dans l’évolution (par le jeu des muta­tions inces­santes et des innom­brables fac­teurs de sélec­tion) pour dis­cer­ner dans ces phé­no­mènes natu­rels des direc­tions pri­vi­lé­giées menant, entre autres, à la conscience et à la pensée. 

Donc, de même que l’Univers était gros de la Vie, la Bio­sphère était grosse de l’Homme ! Le pro­fes­seur de Duve s’est bien gar­dé de faire appel à une “hypo­thèse créa­tion­niste ”, car, d’un point de vue stric­te­ment scien­ti­fique, les phé­no­mènes natu­rels ne doivent s’expliquer que par des causes natu­relles, sans inter­ven­tion sur­na­tu­relle d’un Créa­teur, mais on ne peut s’empêcher de rap­pro­cher cette thèse attrayante des “contraintes du hasard” de celle de “ l’élan vital ” si brillam­ment expo­sée par un phi­lo­sophe spi­ri­tua­liste Hen­ri Berg­son dans L’Évolution créa­trice.

Hen­ri Berg­son écri­vait : Toutes nos ana­lyses nous montrent dans la vie un effort pour remon­ter la pente que la matière des­cend… L’évolution de la vie conti­nue une impul­sion ini­tiale. Direc­tions pri­vi­lé­giées, “ gros­sesse ”, sens, effort, impul­sion : toutes ces ten­ta­tives d’explication de l’émergence de la vie et de la pen­sée peuvent, à notre avis, confor­ter la foi de ceux qui croient en l’action ini­tiale et per­ma­nente d’un Créateur. 

D’autre part, comme l’a sou­li­gné Chris­tian de Duve, s’il est indé­niable que l’espèce humaine occupe aujourd’hui le som­met de l’arbre de vie, rien de ce que nous savons ne per­met d’affirmer que cette place est défi­ni­tive et que l’évolution qui conduit tou­jours à une plus grande com­plexi­té est ache­vée avec l’Homme…

L’évolution pour­ra-t-elle conduire à des êtres men­ta­le­ment et mora­le­ment plus per­for­mants et plus assu­rés que nous ? 

Tout ce que nous connais­sons des pro­ces­sus évo­lu­tifs nous per­met d’envisager cette éven­tua­li­té, sachant bien que, si elle a lieu, ce ne pour­ra être que dans de nom­breux millénaires… 

En revanche, les pro­grès que l’humanité a enre­gis­trés dans la connais­sance et l’analyse des phé­no­mènes de la vie et dans sa maî­trise de nombre d’entre eux ont eu lieu en l’espace de deux siècles, prin­ci­pa­le­ment celui qui va s’achever.

Déjà au XIXe siècle, Claude Ber­nard, Louis Pas­teur et tant d’autres cher­cheurs avaient posé les bases d’une méde­cine scien­ti­fique, fon­dée sur l’expérimentation bio­lo­gique. Mais au cours du XXe siècle, la cadence des décou­vertes fon­da­men­tales a été ver­ti­gi­neuse : en 1947, la décou­verte de l’ADN comme sup­port de l’hérédité, en 1953, l’élucidation de la struc­ture de l’ADN (la fameuse “ double hélice ” de Wat­son et Crick), en 1975, les tech­niques de recom­bi­nai­son d’ADN condui­sant à ce que l’on nomme le génie (au sens d’engineering) génétique. 

Et tout per­met de pen­ser que, dans une cer­taine mesure, cette cadence va se main­te­nir, prin­ci­pa­le­ment en ce qui concerne les appli­ca­tions pra­tiques (médi­cales, agri­coles et autres) de ces sciences bio­lo­giques. Mais aus­si en ce qui concerne le reten­tis­se­ment des connais­sances nou­velles sur les concepts fon­da­men­taux sur les­quels se base la vie en société. 

Que l’on songe, par exemple, au déve­lop­pe­ment actuel des neu­ros­ciences qui ne vont sans doute pas tar­der à jeter une vive lumière sur les méca­nismes molé­cu­laires qui sous­tendent la pen­sée, la conscience, et, par voie de consé­quence, les com­por­te­ments humains, l’affectivité, le sens moral, les ten­dances profondes… 

Les défis du XXIe siècle

L’homme du XXIe siècle sera-t-il capable de rele­ver les défis éthiques que posent déjà et que pose­ront sans doute encore plus les inter­ven­tions bio­tech­no­lo­giques (au sens large du terme) dans la vie des indi­vi­dus et des sociétés ? 

Il lui fau­drait une sagesse indi­vi­duelle et col­lec­tive qui peut paraître impro­bable si l’on songe un ins­tant aux atro­ci­tés qui ont mar­qué l’histoire du XXe siècle, mon­trant que glo­ba­le­ment et fon­da­men­ta­le­ment l’humanité ne dif­fé­rait guère, dans ses ten­dances pro­fondes, de celle de nos ancêtres les plus recu­lés, les­quels ne dis­po­saient que de moyens rudi­men­taires pour s’entretuer !

Pour­tant il est abso­lu­ment néces­saire de gar­der un cer­tain opti­misme, fon­dé sur le fait que l’homme de demain sera suf­fi­sam­ment infor­mé des enjeux, des béné­fices et des risques inhé­rents aux pro­grès des sciences pour savoir prendre les déci­sions col­lec­tives qui s’imposeront. Il est tou­jours ten­tant de rap­pe­ler la phrase célèbre : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, mais, au temps de Rabe­lais, la science était le fait de quelques individus. 

Aujourd’hui la science est col­lec­tive et l’humanité a donc besoin impé­ra­ti­ve­ment d’une conscience col­lec­tive : déjà, dans de nom­breux pays indus­tria­li­sés, existent des comi­tés d’éthique, char­gés d’informer les gou­ver­ne­ments sur les pro­blèmes moraux que posent les avan­cées tech­niques. On peut espé­rer, comme vient de le mon­trer la décla­ra­tion de l’ONU sur le génome humain, que les conclu­sions de ces comi­tés abou­ti­ront à des consen­sus inter­na­tio­naux sur le carac­tère licite ou illi­cite, béné­fique ou dan­ge­reux, de telle ou telle technique. 

La mon­dia­li­sa­tion de l’information peut être ame­née à jouer là un rôle vrai­ment impor­tant. Car un des risques inhé­rents aux pro­grès des connais­sances et des pra­tiques bio­lo­giques serait celui d’élargir le fos­sé, en ce qui concerne leurs bien­faits, entre pays en voie de déve­lop­pe­ment et pays indus­tria­li­sés, et, au sein même des pays riches, entre les classes aisées et les exclus de la croissance. 

Il faut relire aujourd’hui le roman d’anticipation de H. G. Wells L’Île du doc­teur Moreau (1896) et celui d’Aldous Hux­ley Le Meilleur des mondes (1932) pour s’apercevoir que des esprits lucides avaient pré­vu les dan­gers d’une civi­li­sa­tion pure­ment tech­ni­cienne par­fai­te­ment hui­lée dont le pou­voir serait “ psy­cho­bio­lo­gique ” et les risques que des savants fous pou­vaient faire cou­rir à la socié­té mais aus­si pour consta­ter avec sou­la­ge­ment que tout cela ne s’est pas encore produit. 

Depuis très long­temps d’ailleurs, l’humanité sait, plus ou moins clai­re­ment, qu’il y a des limites à ne pas fran­chir : le mythe de Pro­mé­thée ayant encou­ru la colère de Zeus pour avoir déro­bé le feu sacré et l’avoir appor­té aux hommes, celui de Luci­fer, le plus intel­li­gent des anges, pré­ci­pi­té en enfer et deve­nu Satan pour s’être cru l’égal de Dieu, sont tou­jours là pour nous instruire. 

Nous devons espé­rer aus­si que les grandes reli­gions qui ins­pirent encore aujourd’hui la pen­sée et la conduite de mil­lions d’êtres humains sau­ront four­nir à leurs fidèles des repères éthiques, ni trop rigides, ni trop per­mis­sifs, pour les gui­der dans l’acceptation ou le refus de ce que les appli­ca­tions pra­tiques de la bio­lo­gie peuvent leur offrir. 

Nous aime­rions conclure ce compte ren­du par les paroles tou­jours actuelles du psaume n° 8 : 

À voir Ton ciel,
ouvrage de Tes doigts,
la lune et les étoiles que Tu fixas,
qu’est donc le mor­tel que Tu en gardes mémoire,
le fils d’Adam que Tu en prennes souci ?
À peine le fis-Tu moindre qu’un dieu,
le cou­ron­nant de gloire et de splendeur,
Tu l’établis sur l’
œuvre de Tes mains,
tout fut mis par Toi sous ses pieds.

À peine moindre qu’un dieu, la limite est clai­re­ment indi­quée ! Quel que soit le sens pro­fond qu’ils donnent au concept d’une auto­ri­té trans­cen­dante, athées, agnos­tiques et croyants peuvent et doivent se mettre d’accord sur un prin­cipe fon­da­men­tal : l’Homme ne doit pas se prendre pour Dieu ; il est la mesure de toutes choses et c’est le res­pect abso­lu et constant de la digni­té humaine qui doit ins­pi­rer son action. 

Puissent les bio­lo­gistes du XXIe siècle, armés d’enthousiasme et d’audace mais aus­si de l’humilité indis­pen­sable aux cher­cheurs, puissent les gou­ver­ne­ments et les fon­da­tions qui sub­ven­tionnent leurs tra­vaux, puissent les groupes indus­triels qui gére­ront les appli­ca­tions pra­tiques de leurs résul­tats, com­prendre que l’objectif ultime reste, à côté des joies pures de la connais­sance et des très tan­gibles récom­penses de la décou­verte, l’amélioration des condi­tions de vie de tous les êtres humains ! 

Comme l’a fort bien dit le phi­lo­sophe Alain : Chaque matin, il faut remon­ter l’homme et vaincre la fata­li­té toute la jour­née, c’est-à-dire vaincre la peur, la colère et la cruau­té, filles de l’une et de l’autre. Ne rêvons pas d’une civi­li­sa­tion qui se ferait sans nous et se gar­de­rait sans nous ! Et que l’avenir ne donne pas rai­son au pes­si­misme de Jean Ros­tand qui écri­vait : La science a fait de nous des dieux, avant même que nous deve­nions vrai­ment des hommes !

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