Cytosquelette

Voyage aux frontières de la physique avec la biologie

Dossier : La PhysiqueMagazine N°721 Janvier 2017
Par Cécile SYKES (X84)

A la croisée de la physique et de la biolo­gie se trou­ve la bio­physique cel­lu­laire qui con­sid­ère la cel­lule certes pro­gram­mée par ses gènes, mais aus­si comme un matéri­au mou, déformable, et act­if que l’on peut étudi­er par sim­u­la­tion. On peut ain­si analyser les cel­lules sous con­traintes, comme dans une tumeur ou mimer le mou­ve­ment d’une bac­térie dans une cellule. 

Les mou­ve­ments et les défor­ma­tions cel­lu­laires ont tou­jours fasciné biol­o­gistes et physi­ciens, et ces deux com­mu­nautés ont tou­jours été de front pour com­pren­dre les obser­va­tions du « vivant ». 

En par­ti­c­uli­er, Robert Brown en 1827 observe que des par­tic­ules de pollen en solu­tion dans l’eau sont ani­mées d’un mou­ve­ment inces­sant. Le con­texte his­torique de cette décou­verte aide à com­pren­dre dans quelles dis­po­si­tions intel­lectuelles étaient Brown et ses col­lègues et com­ment leur raison­nement s’est d’abord engagé dans la voie d’une « force vivante » de ces par­tic­ules de pollen ani­mées, qui se sont révélées ensuite être par­faite­ment inertes. 

REPÈRES

Nouveau champ de recherche, la biophysique cellulaire considère la cellule pas seulement comme un objet simplement programmé par ses gènes, mais aussi comme un matériau mou, déformable, et actif.
Contrairement aux matériaux habituels, qui sont à l’équilibre et donc inertes, nos cellules contiennent en effet une source d’énergie : l’hydrolyse de l’ATP (adénosine triphosphate). Cette propriété en fait des matériaux hors d’équilibre, capables d’une activité propre.

PAS DE « FORCE VIVANTE » DANS LE MOUVEMENT BROWNIEN

Le début du XIXe siè­cle voit en effet naître la « théorie cel­lu­laire » selon laque­lle tout être vivant est for­mé de cel­lules vivantes. Le même Robert Brown observe des tis­sus vivants à l’aide des micro­scopes optiques de plus en plus per­for­mants, et il est d’ailleurs le pre­mier à décrire dans des cel­lules ani­males la présence d’une masse som­bre et arrondie, le noy­au (d’abord appelé nucléo­plasme), en 1831. 

LA « MATIÈRE MOLLE »

La Matière molle a été ainsi nommée par le pionnier de ce domaine, Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique 1991. C’est à partir de ses travaux que l’Institut Curie s’est inspiré de la physique des objets mous (polymères, liquides, mécanique des fluides, matériaux visqueux, élastiques, ou viscoélastiques, etc.) pour éclairer, par de nouvelles approches, les mécanismes des fonctions cellulaires comme leur division et leur mouvement.

Ce n’est finale­ment qu’à la fin des années 1880 que des expéri­ences plus sys­té­ma­tiques mon­trent que le mou­ve­ment est plus rapi­de lorsque la taille des par­tic­ules est plus petite, et que le mou­ve­ment est ralen­ti dans un solvant plus visqueux. 

Ensuite, au début du XXe siè­cle, avec Ein­stein en 1905 et Jean Per­rin en 1908, on com­prend que ces par­tic­ules appa­rais­sent plus agitées lorsqu’on aug­mente la tem­péra­ture : l’énergie ther­mique (quelques kBT, i.e. quelque 4 10-21 joules) est trans­férée à ces petits objets en solu­tion sous forme d’énergie ciné­tique, et c’est pourquoi ils sont en mou­ve­ment, appelé « mou­ve­ment brownien ». 

De nou­velles obser­va­tions sur les cel­lules ani­ment actuelle­ment les com­mu­nautés de biol­o­gistes et de physi­ciens, en par­ti­c­uli­er avec les pro­grès extra­or­di­naires, ces dernières décen­nies, des tech­niques de micro­scopie et de la con­nais­sance de la géné­tique, et donc des molécules qui com­posent le vivant. 

Les vingt dernières années ont vu les physi­ciens envahir les lab­o­ra­toires de biolo­gie pour s’attaquer à com­pren­dre la motil­ité cel­lu­laire (motil­ité : mou­ve­ment d’un organ­isme vivant), la déforma­bil­ité des cel­lules, et leur capac­ité à répon­dre à des sol­lic­i­ta­tions mécaniques. 

S’INSPIRER DE LA « MATIÈRE MOLLE »

Ces nou­veaux venus ont une approche dif­férente de leurs récents prédécesseurs, qui ont intro­duit dans les sci­ences du vivant les rayons X, les lasers, les IRM, les ultra­sons, main­tenant couram­ment util­isés dans les hôpi­taux et les lab­o­ra­toires. Cette nou­velle vague de physi­ciens est issue de la « matière molle ». 

Ce ne sont pas tant des nou­veaux out­ils que ces physi­ciens appor­tent dans les lab­o­ra­toires de biolo­gie cel­lu­laire, mais une nou­velle manière de penser, dif­férente de l’approche pure­ment géné­tique, prenant plutôt en compte les pro­priétés d’autoassemblage des pro­téines, les pro­priétés mécaniques de ces assem­blages, leur capac­ité à se réor­gan­is­er, se déformer, s’adapter.

Deux approches se sont dévelop­pées, dans ce cadre : l’une con­siste à manip­uler directe­ment les cel­lules par des méth­odes mécaniques et en analyser les con­séquences sur leur com­porte­ment ; l’autre à recon­stituer les fonc­tions cel­lu­laires à par­tir d’éléments purifiés. 

DU COMPLEXE AU SIMPLE, ET VICE-VERSA

Dans la pre­mière approche, on suit les répons­es mécaniques des cel­lules soumis­es à des con­traintes externes con­trôlées. Il s’agit alors de mar­quer, sur­ex­primer, inhiber ou même élim­in­er des élé­ments con­nus et observ­er com­ment la cel­lule change de forme, mod­i­fie son mou­ve­ment. La cel­lule est alors « sim­pli­fiée » peu à peu, et l’effet de ces altéra­tions est caractérisé. 

LES MICROFILAMENTS D’ACTINE

L’actine est une protéine biglobulaire de 5,46 nm de diamètre présentant un rôle important pour l’architecture et les mouvements cellulaires. Les filaments d’actine s’assemblent à partir de leur forme monomérique, également appelée G‑actine pour l’actine globulaire. Ils sont hélicoïdaux (comme de nombreuses structures biologiques) et ont une épaisseur de 4 à 7 nanomètres. Leur longueur peut aller jusqu’à la taille cellulaire, de l’ordre de 10 micromètres. Ils sont responsables de la plupart des processus de la motilité cellulaire.

Cette approche, nom­mée top-down, présente l’avantage d’utiliser la cel­lule entière et de rester proche de la réal­ité com­plexe. Le seul désa­van­tage est qu’il est dif­fi­cile d’extraire la con­tri­bu­tion exacte de chaque com­posant, en inter­ac­tion avec la multitude. 

La deux­ième approche est inver­sée et, par con­séquent, appelée approche ascen­dante ou bot­tom-up. Elle s’inspire de la célèbre cita­tion du physi­cien Richard Feyn­man : What I can­not cre­ate I do not under­stand, et con­siste à recréer le com­porte­ment des cel­lules par l’addition suc­ces­sive de com­posants puri­fiés et identifiés. 

La con­struc­tion d’un sys­tème recon­sti­tué, égale­ment appelé sys­tème bio­mimé­tique, est conçue pour repro­duire chaque mod­ule de la cel­lule individuellement. 

Cette approche bio­mimé­tique con­duit à un sys­tème expéri­men­tal par­faite­ment con­trôlé et per­met des mesures quan­ti­ta­tives dans des con­di­tions bien maîtrisées, à par­tir desquelles des mod­èles théoriques peu­vent être dévelop­pés et des prévi­sions physiques ou mécaniques peu­vent être validées. 

À LA BASE DE LA DÉFORMABILITÉ DE NOS CELLULES : LE CYTOSQUELETTE

Nos cel­lules sont con­sti­tuées, sim­ple­ment, d’une mem­brane (bicouche de lipi­des tête-bêche) qui ren­ferme le cyto­plasme. Elles ont la capac­ité de main­tenir leur struc­ture et leur intégrité, mais peu­vent égale­ment chang­er de forme tout au long de leur vie. 

LA MOTILITÉ CELLULAIRE

La motilité cellulaire peut être décomposée dans un mécanisme à trois étapes : d’abord, la membrane au niveau du front de la cellule active la polymérisation de l’actine, elle est donc poussée par l’assemblage de l’actine en filaments ; puis la cellule adhère au substrat environnant ; enfin l’arrière de la cellule est contracté par l’action de moteurs moléculaires sur le réseau d’actine, qui se traduit par une accumulation de tension.

Ces change­ments de forme se pro­duisent au cours de fonc­tions cel­lu­laires telles que la cir­cu­la­tion, la motil­ité ou la cytocinèse qui cor­re­spond à l’étape ultime de la divi­sion cellulaire. 

Les défor­ma­tions cel­lu­laires sont dues à l’activité de biopolymères ou fil­a­ments cyto­plas­miques con­sti­tu­ant ce qui est appelé le « cytosquelette », étroite­ment cou­plé aux mem­branes cel­lu­laires. Le cytosquelette s’autoassemble et se désassem­ble en per­ma­nence à l’intérieur des cel­lules en util­isant l’énergie biochim­ique de la cel­lule : l’adénosine triphos­phate (ATP) qui est hydrolysée en adéno­sine diphos­phate (ADP).

Ce cytosquelette est donc une archi­tec­ture cel­lu­laire dynamique, en con­stante réor­gan­i­sa­tion, per­me­t­tant des change­ments de forme des cel­lules pen­dant leur durée de vie ou en réac­tion à des sig­naux envi­ron­nemen­taux. Le cytosquelette est com­posé de trois familles. 

Celle qui nous intéressera dans cet arti­cle est con­sti­tuée de fil­a­ments d’actine ou micro­fil­a­ments. Une autre famille du cytosquelette est celle des micro­tubules qui sont des fil­a­ments creux, com­posés de 13 protofil­a­ments, large­ment util­isés comme pistes dans le traf­ic de cel­lules. La dernière famille est celle des fil­a­ments inter­mé­di­aires, moins bien con­nus, mais qui ont un rôle dans la mécanique des cel­lules et en par­ti­c­uli­er la mécanique de l’enveloppe nucléaire. 

FIGURE 1

À gauche : le cytosquelette réagit à l’asymétrie des micropatrons adhésifs (fibronectine : « colle » cellulaire). Le marquage par fluorescence de l’actine et de la vinculine (protéine cellulaire reliant le cytosquelette d’actine aux zones d’adhésion) révèle une organisation isotrope des fibres d’actine sur un cadre triangulaire (rangée supérieure).
En revanche, la répartition spatiale des fibres de contrainte est anisotrope sur les micropatrons en [V], [T], [trépied] ou [U] (de haut en bas). Les adhésions (marquage vinculine) sont concentrées sur des sommets des patrons où les fibres d’actine s’accumulent. La longueur du bord du triangle est de 46 micromètres. D’après Théry et al, Cell Motility and the Cytoskeleton (2006).
 
À droite : images confocales (observations dans un plan donné) de sphéroïdes libres (en haut) et confinés (en bas) après cryosection et immunomarquage pour DAPI (bleu, marque les noyaux des cellules), et fibronectine (rouge). Barre d’échelle : 100 micromètres. D’après Alessandri et al, PNAS (2013).

SE PROPULSER EN PROJETANT DES FILAMENTS D’ACTINE

La mem­brane est le site de nom­breuses réac­tions biochim­iques, en par­ti­c­uli­er pour l’activation de la polyméri­sa­tion des fil­a­ments d’actine. Le mou­ve­ment cel­lu­laire repose prin­ci­pale­ment sur la dynamique de ces filaments. 

À l’avant de la cel­lule, des réseaux de fil­a­ments d’actine ram­i­fiés et reliés entre eux sont le prin­ci­pal moteur du mou­ve­ment cel­lu­laire puisqu’ils poussent la mem­brane cel­lu­laire par polyméri­sa­tion con­tre elle. Une mince couche de fil­a­ments d’actine, appelée le cor­tex cel­lu­laire, recou­vre la mem­brane plas­mique à l’arrière et sur les côtés de la cel­lule, ce qui est impor­tant pour le main­tien et les change­ments de forme cellulaire. 

Le reste de la cel­lule con­tient un réseau tridi­men­sion­nel de fil­a­ments entre­coupés de fais­ceaux con­trac­tiles, qui relient le cytosquelette cel­lu­laire à la matrice extra­cel­lu­laire via des sites d’adhérence.

La con­trac­tion dans la cel­lule est pro­duite par des moteurs molécu­laires qui provo­quent un glisse­ment des fil­a­ments d’actine les uns par rap­port aux autres, et donc une con­trac­tion glob­ale du cor­tex cel­lu­laire, met­tant ain­si les cel­lules sous tension. 

La migra­tion cel­lu­laire s’adapte à son envi­ron­nement par la coor­di­na­tion des trois étapes de la motil­ité, et tan­dis que la motil­ité cel­lu­laire per­me­t­tant aux cel­lules de « ram­per » sur la matrice extra­cel­lu­laire repose essen­tielle­ment sur les deux pre­mières étapes, la motil­ité cel­lu­laire per­me­t­tant aux cel­lules de pass­er au tra­vers de petits inter­stices repose prin­ci­pale­ment sur la troisième étape, où la con­trac­til­ité a un rôle crucial. 

DES « MICROPATRONS » POUR MESURER LA MOTILITÉ

Perles de saveurs
Les « per­les de saveurs » sont util­isées dans les plats raf­finés des plus grands cuisiniers. © M.STUDIO / FOTOLIA.COM

BIOPHYSIQUE ET GASTRONOMIE

Les boules d’alginate sont très largement utilisées en ingénierie alimentaire, pour ce qui s’appelle les « perles de saveurs », que vous trouvez dans les plats raffinés des plus grands cuisiniers. Ces perles de saveurs sont de petites sphères gélifiées (pellicule d’alginate : dérivé de l’algue Kombu) contenant un cœur liquide qui se décline en multiples saveurs. Elles éclatent en bouche et libèrent ces saveurs.

Com­ment se com­por­tent les cel­lules une fois soumis­es à des con­traintes mécaniques externes ? Quels sont les assem­blages internes du cytosquelette qui per­me­t­tent aux cel­lules de s’adapter à ces con­traintes mécaniques ? Sachant que les cel­lules can­céreuses, au sein des tumeurs, sont juste­ment sous con­trainte mécanique, com­ment pour­rait-on étudi­er leur com­porte­ment hors d’une tumeur, mais dans des con­di­tions con­trôlées qui repro­duisent celles des tumeurs ? 

Les chercheurs ont mis au point, pour répon­dre à ces ques­tions, des tech­niques de « micropa­trons » (fig­ure 1, gauche), con­sis­tant à met­tre les cel­lules au con­tact de dif­férentes formes prédéfinies, comme des tri­an­gles, des formes en V, T, Y et U. De la fibronec­tine, une pro­téine d’adhésion, une sorte de colle pour cel­lule, per­met aux cel­lules d’adhérer spé­ci­fique­ment sur ces patrons, alors que le reste de la sur­face est traité par un antiadhésif. 

Un mar­quage des pro­téines du cytosquelette mon­tre bien, sur la fig­ure 1 (gauche), que des fais­ceaux d’actine se for­ment et ont une struc­ture dif­férente suiv­ant les dif­férents patrons. 

La vin­cu­line, qui per­met de faire le lien entre les fil­a­ments d’actine et la colle extra­cel­lu­laire (la fibronec­tine), se trou­ve aux extrémités des fais­ceaux de fil­a­ments d’actine, per­me­t­tant ain­si aux cel­lules d’épouser la forme du patron. 

La forme des fais­ceaux d’actine, leur den­sité, mesurées par l’intensité de leur flu­o­res­cence, la taille des zones d’adhésion, per­me­t­tent d’en déduire la force exer­cée par la cel­lule, qui est observée comme étant pro­por­tion­nelle à la quan­tité de pro­téines présentes dans les zones d’adhésion. Ces expéri­ences per­me­t­tent donc de quan­ti­fi­er les forces exer­cées par le cytosquelette en rela­tion avec l’adhésion.

OÙ L’ON JOUE AUX BOULES CELLULAIRES

Une autre approche, cette fois-ci pour mimer des cel­lules tumorales en crois­sance, est de con­fin­er un groupe de cel­lules dans des boules d’alginate.

Ces boules sont bio­com­pat­i­bles, et peu­vent être util­isées pour con­fin­er des cel­lules et les met­tre sous con­trainte comme elles le sont dans une tumeur (fig­ure 1, droite). 

Ain­si, cette fig­ure illus­tre com­ment un agré­gat de cel­lules « libres » se com­porte dif­férem­ment d’un agré­gat de cel­lules con­finées dans une pel­licule d’alginate. On observe en par­ti­c­uli­er que les cel­lules se divisent plus rapi­de­ment (leur nom­bre croît plus vite) quand elles sont con­traintes que quand elles sont libres. 

Égale­ment, on observe que la pro­téine d’adhésion, la fibronec­tine, est sécrétée par les cel­lules libres au sein de l’agrégat, mais pas par les cel­lules con­finées. Ce genre d’approche per­met de déter­min­er, dans des con­di­tions expéri­men­tales con­trôlées, les dif­férences de com­porte­ment des cel­lules con­traintes comme dans une tumeur. 

RETOUR VERS LA PHYSIQUE DES POLYMÈRES

La dynamique des fil­a­ments d’actine et la mécanique des réseaux d’actine ont, en retour, ouvert des voies pour la physique des polymères, car les fil­a­ments d’actine présen­tent un avan­tage sur les polymères chim­iques : ils font quelques micromètres de long et peu­vent être visu­al­isés sim­ple­ment en micro­scopie optique, ce qui n’est pas le cas des polymères chim­iques, pour lesquels il faut utilis­er de grands instru­ments (rayons X, neutrons). 

Bactéries Listeria monocytogenes
À leur sur­face, les bac­téries Lis­te­ria mono­cy­to­genes sont capa­bles de nucléer la crois­sance de fil­a­ments d’actine. © SAGITTARIA / FOTOLIA.COM

Les pro­priétés mécaniques des réseaux d’actine se sont révélées très frap­pantes, car elles dépen­dent de l’échelle de temps à laque­lle les échan­til­lons sont observés. 

En effet, alors que les réseaux d’actine sont élas­tiques à temps court (moins de quelques sec­on­des), ils ont la pro­priété de s’écouler comme un liq­uide sur un plus long temps. Ce com­porte­ment est appelé vis­coélas­tique » et se retrou­ve aus­si dans les cellules. 

Au-delà de leurs pro­priétés mécaniques éton­nantes, les réseaux d’actine ont la capac­ité de se for­mer à la sur­face interne de la mem­brane cel­lu­laire, en polymérisant à par­tir de sites de nucléa­tion. C’est ain­si que ces fil­a­ments « poussent » la mem­brane cel­lu­laire vers l’avant pour le déplace­ment de la cel­lule, ain­si que nous l’avons évo­qué plus haut. 

Ce type de mou­ve­ment ou « motil­ité » par polyméri­sa­tion de l’actine est détourné par des bac­téries pathogènes qui envahissent nos cel­lules : les bac­téries Lis­te­ria mono­cy­to­genes. À leur sur­face, ces bac­téries sont capa­bles de nucléer la crois­sance de fil­a­ments d’actine, de la même manière que cela se pro­duit à la mem­brane cellulaire. 

Ces bac­téries détour­nent donc la machiner­ie cel­lu­laire pour leur pro­pre prof­it, celui de se déplac­er dans nos cel­lules et envahir les cel­lules avoisi­nantes par leur mou­ve­ment pénétrant. 

Elles con­stituent un sys­tème expéri­men­tal de choix pour étudi­er le mécan­isme de « mou­ve­ment par polyméri­sa­tion d’actine », qui a fasciné les bio­physi­ciens. Un tel mou­ve­ment n’avait jamais été ni conçu ni observé avec des polymères chim­iques ou des macromolécules. 

Dès qu’elle entre dans une cel­lule, la bac­térie stim­ule donc la polyméri­sa­tion de l’actine à sa sur­face. Les fil­a­ments for­ment alors une sorte de comète bien vis­i­ble (une dizaine de micromètres de long) à l’arrière de la bac­térie qui devient capa­ble – grâce à la force générée par la crois­sance des fil­a­ments d’actine – de se déplac­er (60 micromètres par minute est le record absolu), de déformer la mem­brane plas­mique et de pass­er dans une autre cellule. 

Microbilles de latexFIGURE 2

Microbilles de latex (rayon 2,2 micromètres) propulsées par polymérisation de l’actine dans un milieu de protéines purifiées. Le mouvement des bactéries Listeria est ainsi mimé, avec l’apparition d’une « comète » formée d’un réseau dense de filaments d’actine. Barres d’échelle, 5 micromètres. D’après Paluch et al, Biophysical Journal (2006).
En haut à gauche : une expérience « à deux couleurs », en microscopie optique de fluorescence, consiste à commencer avec de l’actine rouge, puis à ajouter au bout de quelques minutes de l’actine verte. On visualise ainsi que la ligne qui délimite les deux couleurs, initialement sphérique autour de la bille (pointillés), devient ouverte, sous l’effet des propriétés élastiques du réseau d’actine, forcé à se déformer sous l’effet des contraintes internes dues à la croissance du réseau.
En haut à droite, le même échantillon observé en contraste de phase montre que l’expérience à deux couleurs ne modifie pas la densité du réseau d’actine.
En bas : deux lignes sont éteintes (photoblanchies) au cours du mouvement des microbilles (temps indiqué en minutes-secondes), afin de visualiser les déformations dans le réseau en croissance à la surface des billes. La ligne blanchie perpendiculairement à l’axe de la comète est déformée quand elle est éloignée d’une distance inférieure à un diamètre de bille, la ligne plus éloignée n’est pas déformée.

LES CHERCHEURS « MIMENT » LE MOUVEMENT DES BACTÉRIES

Nous nous sommes dit que, puisque aucune pro­téine de la bac­térie – hormis le nucléa­teur de polyméri­sa­tion de l’actine – n’était néces­saire, nous pou­vions utilis­er des sys­tèmes bio­mimé­tiques capa­bles de « mimer », dans des con­di­tions in vit­ro, le mou­ve­ment de la bac­térie dans une cel­lule. Nous avons donc rem­placé les bac­téries par des micro­billes de latex. 

Une avancée con­sid­érable pour des physi­ciens, désor­mais aptes à faire vari­er un grand nom­bre de paramètres tant pour la bille (taille du ray­on, dureté) que pour le matériel biologique (nucléa­teur, milieu cellulaire). 

En plaçant les billes dans un extrait cyto­plas­mique, on peut en effet observ­er un nuage de fil­a­ments d’actine pouss­er et s’accumuler autour de la bille d’une façon symétrique puis visu­alis­er la bille faire une per­cée dans le nuage et être propul­sée comme les bac­téries (fig­ure 2). 

Plusieurs approches mon­trent aujourd’hui que ce sont les pro­priétés élas­tiques du biopolymère – des fil­a­ments d’actine organ­isés en véri­ta­bles réseaux, ain­si que des filets de pêche à 3 dimen­sions, ou des réseaux de polymères – qui exer­cent une pres­sion sur la bille. L’élasticité du réseau en train de se fab­ri­quer à la sur­face de la bille pousse l’objet vers l’avant.

Nous n’en sommes pas restés là : nous avons joué sur la dureté de la bille. Que se passe-t-il en effet si la bille devient molle et déformable ? Pour cela, nous avons répété la même expéri­ence, mais en util­isant tout sim­ple­ment de l’huile de cui­sine sur laque­lle nous avons réus­si à gref­fer le fameux nucléa­teur de la polyméri­sa­tion de l’actine.

Laborantine au microscope
Les fil­a­ments d’actine font quelques micromètres de long et peu­vent être visu­al­isés sim­ple­ment en micro­scopie optique. © LAVIEJASIRENA / FOTOLIA.COM

Nous obser­vons alors que la bille se déforme sous l’effet de cette pres­sion du réseau d’actine. C’est grâce à ce type d’expérience que l’on peut réus­sir à obtenir des don­nées quan­ti­ta­tives (force, mod­ule élas­tique, den­sité, etc.), but de tout physi­cien tra­vail­lant sur les prob­lé­ma­tiques biologiques. 

DES START-UPS PRENNENT LE RELAIS

L’approche biophysique est un aller retour constant entre l’échelle moléculaire (le gène, la protéine, puis la drogue qui agit), et l’échelle cellulaire ou tissulaire (de quelques dizaines de micromètres à quelques centimètres).
Plusieurs start-ups ont été créées dans le but de fournir des méthodes pour mesurer ces grandeurs physiques cellulaires, et sont actuellement des entreprises bien établies (Fluigent, Cytoo, Elvesys, pour n’en citer que quelques-unes).

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remy brosselrépondre
7 janvier 2017 à 15 h 21 min

Mécanique des tis­sus
Et si l’échelle per­ti­nente c’é­tait le tissu ?
En can­cérolo­gie les exem­ples où les échelles micro méso et macro­scopiques sont reliées entre elles sont des excep­tions (l’équiv­a­lent d’une équa­tion à une incon­nue et à une dimen­sion). On peut citer la Leucémie Myéloïde Chronique où on peut aller de l’anom­alie chro­mo­somique à la thérapie ciblée. Il est une ques­tion très gênante aujour­d’hui : com­bi­en les thérapies ciblées ont elles guéri de patients ? Et pour enfon­cer le clou, celui qui fait mal, à quel coût ? Il faut admet­tre que en can­cérolo­gie les lois de la physique (la mécanique en l’oc­curence) n’ont pas de fron­tière com­mune avec les lois de la biolo­gie. C’est pourquoi l’é­tude des mod­èles can­cérologiques doit s’ap­puy­er sur le seul mod­èle représen­tatif de la mal­adie : le can­cer con­sti­tué de deux tis­sus, soit la matrice extra­cel­lu­laire et le tis­su can­céreux lui-même. A l’échelle méso­scopique donc et en y restant.

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