Modélisation du poumon pour traiter les insuffisances respiratoires

Le premier modèle numérique 3D du traitement des insuffisances respiratoires

Dossier : ExpressionsMagazine N°710 Décembre 2015
Par Marcel FILOCHE (82)

Le poumon est un organe com­plexe dont les voies aéri­ennes sont organ­isées en un réseau arbores­cent de bronch­es qui con­duisent l’air depuis la bouche jusqu’aux alvéoles, lieux où s’opèrent les échanges gazeux entre l’air et le sang. Au cours du cycle res­pi­ra­toire, ces alvéoles se dila­tent et se con­tractent de manière alter­na­tive et régulière, amenant ain­si l’air chargé en oxygène près de leurs parois durant l’inspiration (la paroi alvéo­lo-capil­laire con­stitue la bar­rière air-sang), et expul­sant l’air chargé en gaz car­bonique de façon inverse durant l’expiration.

“ L’absence ou le manque de surfactant entraîne une très grande difficulté à respirer ”

Ces parois sont nor­male­ment tapis­sées d’une sub­stance liq­uide, un sur­fac­tant, qui réduit con­sid­érable­ment la ten­sion de sur­face exis­tant à l’interface air-eau. Or, ce sur­fac­tant n’est pro­duit par le fœtus qu’un mois env­i­ron avant le terme de la grossesse.

Par con­séquent, les grands pré­maturés en sont dépourvus. L’absence ou le manque de sur­fac­tant entraîne chez eux une très grande dif­fi­culté à respir­er et une insuff­isante ali­men­ta­tion en oxygène (hypoxémie) : c’est le Syn­drome de détresse res­pi­ra­toire du nou­veau-né (SDRN).

Détresse respiratoire aiguë

Chez l’adulte, en revanche, c’est une inflam­ma­tion de la paroi alvéo­lo-capil­laire (d’origine sou­vent infec­tieuse) qui peut entraîn­er une perte d’étanchéité de cette paroi, un afflux de liq­uide dans la par­tie aéri­enne (autrement dit, un oedème pul­monaire) accom­pa­g­né de l’arrivée de débris et matériels inflam­ma­toires, et enfin une dégra­da­tion de la per­for­mance de trans­fert gazeux de cette paroi (résul­tant en une hypoxémie et une hypercapnie).

Dans cette sit­u­a­tion, l’interface air-sur­fac­tant dis­paraît aus­si par­tielle­ment ou en total­ité, ce qui con­duit à l’apparition d’un Syn­drome de détresse res­pi­ra­toire aiguë (SDRA).

Un surfactant de substitution

L’un des traite­ments pré­con­isés et recon­nus du SDRN con­siste à instiller dans la tra­chée du nou­veau- né un sur­fac­tant de sub­sti­tu­tion (d’origine ani­male ou de syn­thèse) qui va s’écouler le long des bronch­es puis des voies aci­naires pour finale­ment se dis­tribuer sur la paroi alvéo­lo-capil­laire afin d’en restau­r­er les pro­priétés mécaniques.

Cette thérapie, dite thérapie par sub­sti­tu­tion de sur­fac­tant (TSS)1, présente un bilan contrasté.

Même si elle a fait preuve de son effi­cac­ité avec une réduc­tion de plus de 50 % de la mor­tal­ité chez le nou­veau-né, près de 35 % des bébés pré­maturés ne répon­dent tou­jours pas à ce traite­ment. La sit­u­a­tion est encore plus prob­lé­ma­tique chez l’adulte.

Après quelques études promet­teuses chez le mou­ton et l’homme à la fin des années 1990, mon­trant une chute de 40 % à 20 % de la mor­tal­ité, des essais ultérieurs n’ont pas per­mis de met­tre en évi­dence une quel­conque amélio­ra­tion induite par cette thérapie. Depuis, cette voie thérapeu­tique a été aban­don­née sans que l’on parvi­enne réelle­ment à iden­ti­fi­er les caus­es de cet échec.

Efficacité ou homogénéité

PIXABAY

En analysant et en sim­pli­fi­ant les équa­tions des écoule­ments flu­ides au sein du poumon, notre équipe a mis au point le pre­mier mod­èle physi­co­math­é­ma­tique tridi­men­sion­nel de trans­port de sur­fac­tant dans l’intégralité de l’arbre bronchique. Les mécan­ismes qui gou­ver­nent ce trans­port sont mul­ti­ples et inter­agis­sent de façon complexe.

Cepen­dant, on peut com­pren­dre la prop­a­ga­tion d’un bou­chon de liq­uide dans l’arbre bronchique en le décom­posant sous la forme d’une suc­ces­sion de deux types d’étapes élé­men­taires essentielles :

  1. le dépôt d’une par­tie du bou­chon liq­uide de sur­fac­tant sur les parois de la bronche qu’il traverse ;
  2. la divi­sion de ce bou­chon à chaque bifur­ca­tion de l’arbre.

Or, l’essence du prob­lème tient à ce que l’efficacité et l’homogénéité de la dis­tri­b­u­tion alvéo­laire finale de sur­fac­tant sont gou­vernées de manière con­tra­dic­toire par ces deux étapes.

En effet, moins le bou­chon liq­uide va vite, et moins il dépose de matériel sur les parois de la bronche, aug­men­tant ain­si la quan­tité de sur­fac­tant finale­ment dis­tribuée dans la région alvéo­laire. L’administration est alors effi­cace.

À l’inverse, plus le bou­chon liq­uide va vite, et plus la sépa­ra­tion à chaque bifur­ca­tion s’opère de manière équitable, mal­gré la pos­si­ble asymétrie due à la mor­pholo­gie et à la grav­ité. L’administration est alors homogène.

Autrement dit, la dis­tri­b­u­tion finale dans l’ensemble des alvéoles pul­monaires est le fruit d’un com­pro­mis entre effi­cac­ité et homogénéité, com­pro­mis qui dépend des pro­priétés physic­ochim­iques du sur­fac­tant, de la taille du patient, de son ori­en­ta­tion et de la méthode d’administration (dose, débit, mul­ti­plic­ité, etc.).

Revisiter des voies thérapeutiques

Ces travaux ouvrent ain­si la voie à une révi­sion com­plète des essais clin­iques passés et à une revis­ite pos­si­ble de voies thérapeu­tiques aban­don­nées pour de mau­vais­es raisons.

“ L’équipe a mis au point le premier modèle physicomathématique 3D de transport de surfactant”

En effet, grâce à ce mod­èle, nous avons pu mon­tr­er que les hypothès­es clas­siques qui sous-tendaient l’interprétation de ces essais étaient loin d’être tou­jours véri­fiées. En par­ti­c­uli­er, l’hypothèse clas­sique de « com­par­ti­ment bien mélangé », qui sup­pose que le médica­ment se répar­tit de manière homogène dans la « cible » (la zone alvéo­laire du poumon) peut être grave­ment mise en défaut.

Si elle est encore assez val­able pour un poumon de petite taille comme celui du nou­veau-né (encore faut-il effectuer l’administration en plusieurs pos­tures, et en piv­otant le bébé, ce que les médecins savent de manière empirique), elle peut devenir com­plète­ment fausse chez un poumon de taille plus impor­tante comme celui d’un adulte.

Concevoir une administration efficace

POUR EN SAVOIR PLUS

M. Filoche, C.-F. Tai, J. B. Grotberg, “A three-dimensional model of surfactant delivery into the lung”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA 112 (30) : 9287–9292 (2015).

Avec ce mod­èle physi­co­math­é­ma­tique, il devient aujourd’hui pos­si­ble de prédire la dis­tri­b­u­tion finale, de mod­i­fi­er de façon virtuelle la vis­cosité ou la den­sité du sur­fac­tant pour opti­miser l’administration pour une arbores­cence don­née, ou encore de cibler une zone pré­cise à attein­dre dans le cas où l’on désire une admin­is­tra­tion spécifique.

On peut imag­in­er que, dans l’avenir, les médecins et les lab­o­ra­toires phar­ma­ceu­tiques puis­sent dis­pos­er d’un véri­ta­ble out­il numérique leur per­me­t­tant de con­cevoir (engi­neer en anglais) une admin­is­tra­tion effi­cace et indi­vid­u­al­isée pour les assis­ter dans le traite­ment des syn­dromes de détresse respiratoire.

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1. On par­le égale­ment de Sur­fac­tant Replace­ment Ther­a­py (SRT) en anglais.

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