Le numérique, un moteur positif de transformation de l’entreprise encore trop peu exploité

Dossier : Gérer en période de criseMagazine N°638 Octobre 2008
Par Georges VIALLE (71)
Par Mathieu COLAS

Au-delà du champ tra­di­tion­nel de la dématéri­al­i­sa­tion de la dis­tri­b­u­tion, le numérique de la prochaine décen­nie va embrass­er l’ensem­ble des com­posantes de l’en­tre­prise et per­me­t­tre aux acteurs des remis­es en cause stratégiques ouvrant la voie à de nou­veaux marchés et à des mod­èles prometteurs. 

Années 2000 : les entreprises adaptent leurs modèles de distribution aux modes de consommation

Les années 2000 ont vu se mul­ti­pli­er les inno­va­tions dans le domaine des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion (mobile, accès Inter­net, EDI, etc.). Ces tech­nolo­gies se sont depuis mas­sive­ment dif­fusées : la France compte aujour­d’hui plus de 31 mil­lions d’in­ter­nautes, con­tre 12 mil­lions en 2001 ; 24 mil­lions de Français achè­tent aujour­d’hui en ligne ; au-delà du com­merce en ligne, Inter­net per­met de fournir des ser­vices : ain­si plus de 7 mil­lions de foy­ers ont procédé à la déc­la­ra­tion fis­cale en ligne en 2007 ; 3 mil­lions de Français utilis­eraient couram­ment l’In­ter­net mobile et plus de 80 % d’en­tre eux sont équipés d’un mobile.

Fig­ure 1 – Les modes de con­som­ma­tion sur le Web ont été révo­lu­tion­nés par la crois­sance du parc PC et du haut débit.

Néan­moins, cette pre­mière vague de numéri­sa­tion n’a eu pour le moment qu’un impact mod­éré sur les entre­pris­es — qui ont priv­ilégié un ren­force­ment de leurs mod­èles de prof­its exis­tants (réduc­tion des coûts, amélio­ra­tion de la per­for­mance) et une opti­mi­sa­tion de leurs mod­èles de dis­tri­b­u­tion ou de leurs achats (via les échanges de don­nées et les places de marché), au détri­ment d’une réin­ven­tion de leur Busi­ness Design1.

La numéri­sa­tion a par ailleurs été ” subie ” car elle était sou­vent menée en réac­tion à de nou­veaux entrants dont le mod­èle de dis­tri­b­u­tion était virtuel. La plu­part des entre­pris­es ont adap­té en con­séquence leurs mod­èles de dis­tri­b­u­tion, priv­ilé­giant sou­vent la crois­sance externe (rachetant ces mêmes nou­veaux entrants qui les menaçaient), élim­i­nant ain­si une con­cur­rence néfaste, et dévelop­pant la dis­tri­b­u­tion on-line de leurs pro­duits sans cap­i­talis­er sur leurs act­ifs exis­tants. Enfin, la numéri­sa­tion des années 2000 a été bridée par les Busi­ness Designs his­toriques : la vir­tu­al­i­sa­tion des canaux de dis­tri­b­u­tion devant lim­iter les phénomènes tan­gi­bles de can­ni­bal­i­sa­tion sur les activ­ités existantes. 

Au-delà de la dématérialisation, le numérique ouvre de nouvelles voies à la réinvention de l’entreprise

De rares entre­pris­es se sont engagées dans une numéri­sa­tion ” proac­tive “. Ces entre­pris­es opéraient des porte­feuilles d’ac­tiv­ités dans des secteurs arrivant à matu­rité et dont les modes de fonc­tion­nement et les Busi­ness Designs deve­naient obsolètes. Le numérique leur a par­tielle­ment per­mis de relever de nou­veaux défis : se trans­former pour créer de nou­velles sources de prof­its et de crois­sance ; renou­vel­er et opti­miser les Busi­ness Designs his­toriques ; écouter les clients et pren­dre en compte leurs besoins clients ; s’ap­puy­er sur l’in­no­va­tion et sur les four­nisseurs pour dévelop­per de nou­velles sources de prof­its et de différenciation. 

La prochaine vague numérique va bouleverser les modèles établis

La SNCF ou la réin­ven­tion par le Web
La SNCF avait ini­tié avant 2000 un mou­ve­ment de dématéri­al­i­sa­tion de sa dis­tri­b­u­tion via le Mini­tel. Elle avait égale­ment dévelop­pé un savoir-faire numérique dans la con­cep­tion des grands sys­tèmes de réser­va­tion et des sys­tèmes d’op­ti­mi­sa­tion du type yield man­age­ment .
La créa­tion de www.voyages-sncf.com lui a per­mis de résis­ter au développe­ment des agences de voy­ages en ligne et de lim­iter ain­si la hausse des com­mis­sions de vente. La SNCF appor­tait ain­si une nou­velle réponse aux besoins de ses clients : une agence général­iste non restreinte au pro­duit train, facil­i­tant la dis­tri­b­u­tion d’une offre de plus en plus com­plexe et per­me­t­tant de focalis­er ses équipes de vente sur le ser­vice aux voyageurs, les trans­ac­tions étant de plus en plus réal­isées sur le Web ou en bornes libre-service.
La SNCF a depuis créé de nou­veaux pro­duits per­mis par le dig­i­tal : IdT­GV, par exem­ple, est un nou­veau type de TGV qui, dans un esprit low-cost allié à celui de ser­vices ” zen et zap “, a été per­mis par une util­i­sa­tion max­i­male de l’In­ter­net dans la dis­tri­b­u­tion et la rela­tion clients. IdT­GV a ain­si per­mis d’aug­menter encore la part de marché du TGV.

À nos yeux, la vague numérique qui s’an­nonce apporte de nou­velles oppor­tu­nités mais com­porte égale­ment des risques impor­tants aux­quels devront faire face les entre­pris­es. Cette nou­velle donne sera ampli­fiée par un con­texte de libéral­i­sa­tion des marchés, de mon­di­al­i­sa­tion des échanges et de crise économique.Un nou­veau flux de tech­nolo­gies et de nou­veaux mod­èles numériques pénètre aujour­d’hui le quo­ti­di­en des con­som­ma­teurs et des entre­pris­es, au-delà de la dif­fu­sion qua­si achevée des tech­nolo­gies de la bulle Inter­net — quelques ten­dances de fond sou­ti­en­nent ce phénomène :

- haut débit et inter­faces riches :
en 2010, près de 80 % des foy­ers français dis­poseront du haut débit con­tre 2 foy­ers sur 3 en 2008, près de 40 % des abon­nés à un mobile utilis­eront régulière­ment l’In­ter­net mobile à l’hori­zon 2013 con­tre moins de 10 % aujour­d’hui. Cette mon­tée en débit va s’ac­com­pa­g­n­er d’un enrichisse­ment des inter­faces et des ser­vices qui seront disponibles sur le Web via la télévi­sion et via le mobile ;

- dématéri­al­i­sa­tion des transactions :
la tech­nolo­gie NFC (Near Field Com­mu­ni­ca­tions) et l’aboutisse­ment des dis­cus­sions entre opéra­teurs mobiles, ban­ques et opéra­teurs de trans­ports vont don­ner un nou­veau souf­fle à la dématéri­al­i­sa­tion des trans­ac­tions et per­me­t­tre l’émer­gence de nou­veaux ser­vices disponibles à tout moment. Cette tech­nolo­gie est aujour­d’hui util­isée par un Japon­ais sur qua­tre et la majorité des mobiles com­mer­cial­isés autorisent ce type de transactions ;

- développe­ment du ” tout gratuit ” :
le mod­èle de prof­it et la propo­si­tion de valeur de Google pénètrent l’ensem­ble des entre­pris­es qui voient dans la pub­lic­ité dig­i­tale un relais de crois­sance à faible niveau de risque.

Le client est de moins en moins enclin à pay­er des ser­vices disponibles gra­tu­ite­ment sur le Web

Les entre­pris­es dévelop­pant de fortes audi­ences sur le Web — ou dis­posant de canaux de dis­tri­b­u­tion physiques — peu­vent cap­i­talis­er sur les temps d’at­tentes de leurs clients et com­mer­cialis­er l’e­space pub­lic­i­taire induit auprès d’an­non­ceurs. Le mod­èle de Google est aus­si un risque pour les entre­pris­es : le client est de moins en moins enclin à pay­er des ser­vices ou des con­tenus disponibles gra­tu­ite­ment sur le Web, ce qui amène les entre­pris­es à réin­ven­ter leurs Busi­ness Designs pour s’adapter à cette nou­velle concurrence ;

- omniprésence des réseaux sociaux :
le Web com­mu­nau­taire n’est plus restreint aux réseaux soci­aux de type Face­book mais devient un élé­ment de con­tenu essen­tiel et un argu­ment de vente. À l’o­rig­ine annu­aires ou espaces de partages, les réseaux soci­aux pénètrent notre quo­ti­di­en et per­me­t­tent de mieux cern­er les besoins des clients et stim­uler l’acte de consommation ;

- émer­gence du ” Machine to Machine ” :
autre­fois restreintes à des appli­ca­tions spé­ci­fiques, pro­prié­taires et coû­teuses, les com­mu­ni­ca­tions de machine à machine pénètrent l’ensem­ble des secteurs (logis­tique, grande dis­tri­b­u­tion, trans­ports, ser­vices aux entre­pris­es) et per­me­t­tent d’au­toma­tis­er la col­lecte d’in­for­ma­tions en temps réel, d’op­ti­miser la per­for­mance et l’al­lo­ca­tion des ressources ;

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