Distinguer le stress ” normal ” et la crise

Dossier : Gérer en période de criseMagazine N°638 Octobre 2008
Par François-Bernard DENIZOT (67)
Par Mikaël DAUTREY (92)

De la ” pression ” aux ” véritables facteurs de troubles ” dans l’entreprise

Le leit­mo­tiv ” faire plus, plus vite, mieux avec moins ” car­ac­térise la sit­u­a­tion courante de tout col­lab­o­ra­teur assumant une respon­s­abil­ité dans l’en­tre­prise. Il faut cepen­dant dis­tinguer la pres­sion quo­ti­di­enne et ” nor­male ” des sit­u­a­tions véri­ta­ble­ment représen­ta­tives de ” péri­odes troublées “.

Une phase de trou­bles n’est pas non plus une sit­u­a­tion néces­saire­ment imprévue : fusions-acqui­si­tions, change­ment de struc­ture juridique, démé­nage­ments, restruc­tura­tion d’ac­tiv­ité sont le plus sou­vent des opéra­tions pro­gram­mées. Ain­si, le critère per­ti­nent pour car­ac­téris­er les péri­odes trou­blées n’est ni leur prévis­i­bil­ité ni la pres­sion qui en résulte, mais les con­di­tions de fonc­tion­nement hors normes de l’en­tre­prise qu’elles sous-ten­dent et les modal­ités d’im­pli­ca­tion du man­age­ment qui en découlent : col­lec­tives ou indi­vidu­elles, neu­tres ou personnalisées. 

La relation client-consultant en « période troublée » à travers deux cas d’école significatifs

Démé­nag­er en urgence, un défi lourd mais rarement réd­hibitoire Le client, vu comme une organ­i­sa­tion, a un cen­tre de traite­ment qu’il doit quit­ter en sep­tem­bre de l’an­née prochaine. À Noël de l’an­née en cours, déci­sion est prise d’a­vancer l’échéance du démé­nage­ment au mois de mai. L’en­tre­prise ren­tre dans une péri­ode trou­blée puisqu’il faut, en quelques semaines, imag­in­er et met­tre en oeu­vre des solu­tions à un prob­lème com­plexe. Le respon­s­able du cen­tre de traite­ment, le client au sens per­son­ne physique, est chargé de con­duire ce pro­jet. Son impli­ca­tion est ” nor­male ” dans la mesure où seule sa com­pé­tence pro­fes­sion­nelle est mise en jeu. En effet, il ne risque d’être décon­sid­éré que dans deux hypothès­es : s’il jette l’éponge, ou s’il effectue sys­té­ma­tique­ment les mau­vais choix. Pour faire face, ce client pour­ra donc faire appel à une presta­tion clas­sique de con­seil. Les con­sul­tants sol­lic­ités l’aideront ain­si à faire preuve de com­pé­tence en partageant leur exper­tise, leur expéri­ence et en ouvrant le champ des solutions. 

La fusion de deux entreprises, situation difficile, source d’ambiguïté dans la relation client-consultant

Con­sid­érons une fusion d’en­tre­pris­es. Cette sit­u­a­tion, sou­vent prévis­i­ble, n’en est pas moins trou­blante pour les col­lab­o­ra­teurs qui, pen­dant un temps non nég­lige­able, n’ont aucune idée de leur avenir fonc­tion­nel à moyen terme. L’en­tre­prise, au sens de l’in­sti­tu­tion altérée par la fusion, reste deman­deur de con­seils habituels.

En revanche, le client, au sens per­son­ne physique, est dou­ble­ment désta­bil­isé : il doit assumer ses fonc­tions actuelles et doit pren­dre en charge son pro­pre des­tin, celui-ci n’é­tant pas arrêté en haut lieu par avance, sauf cas rares. Pour la pour­suite des affaires, les con­seils ordi­naires, ren­dus cri­tiques par les cir­con­stances, suff­isent. Mais pour la ges­tion de son avenir, le client per­son­ne physique doit se déter­min­er seul. Con­fron­té à un envi­ron­nement boulever­sé, le con­tenu et les modal­ités de son tra­vail devi­en­nent incer­tains. Et les ques­tions suiv­antes apparaissent :

Le con­seil en péri­ode troublée
Dans des sit­u­a­tions de forte incer­ti­tude, en par­ti­c­uli­er lors de restruc­tura­tions, trois pos­tures pos­si­bles s’of­frent au consultant :
— la fuite, meilleure solu­tion lorsque la sit­u­a­tion est réelle­ment trou­ble ou con­traire aux bonnes pra­tiques professionnelles ;
— la neu­tral­ité, solu­tion illu­soire car la légitim­ité au sein de l’en­tre­prise n’est pas encore lis­i­ble — au fond il est dif­fi­cile de savoir si ce que demande l’in­ter­locu­teur cor­re­spond bien à la volon­té de l’entreprise ;
— solu­tion la plus sûre : réserv­er sa loy­auté à son client, per­son­ne physique. Ce dernier tire sa légitim­ité de ses suc­cès et le con­sul­tant tire la sienne de son client.
Ils doivent ain­si s’ap­puy­er tous deux sur les logiques économiques de l’en­tre­prise pour réussir.
Et s’il appa­raît que la col­lab­o­ra­tion de ce client au sein de l’en­tre­prise soit com­pro­mise, il n’est pas exclu que le con­sul­tant aide son inter­locu­teur à pré­par­er sa sor­tie ain­si que son ” plan B “.

qui est son man­ag­er, l’of­fi­ciel ou l’officieux ?
 quels sont ses objec­tifs ? avec quels moyens ?

Ses rela­tions de tra­vail sont égale­ment trans­for­mées. Aupar­a­vant, il pou­vait con­sid­ér­er ses col­lègues sous l’an­gle de la coopéra­tion pro­fes­sion­nelle et éprou­ver à leur égard une sym­pa­thie plus ou moins pro­fonde selon le cadre man­agér­i­al de l’en­tre­prise. Désor­mais, il faut qu’il intè­gre de nou­veaux paramètres pour appréhen­der ces relations :

 rival ou allié ?
• quelles sont les forces en présence ?
• à qui doit-il se rallier ?

Ici, plus rien ne garan­tit que les objec­tifs du client-indi­vidu soient com­pat­i­bles avec ceux de l’en­tre­prise, client insti­tu­tion­nel. Cette dernière est même poten­tielle­ment men­acée, le pire devenant pos­si­ble : adop­tion indi­vidu­elle ou col­lec­tive de com­porte­ments irra­tionnels et négat­ifs, émer­gence de straté­gies perdant-perdant.

Le man­ag­er peut trou­ver des appuis extérieurs qui lui appor­tent : le recul, par un regard apte à appréci­er la sit­u­a­tion et éval­uer les con­séquences d’une déci­sion ; des con­seils de com­mu­ni­ca­tion, le ” faire savoir ” devenant aus­si impor­tant que le ” savoir faire ” ; des infor­ma­tions sur ce qui se passe à l’in­térieur de l’en­tre­prise. Et aus­si peut-être d’une ” cou­ver­ture ” ou d’une ” sig­na­ture “, car le man­ag­er, client per­son­ne physique, peut lim­iter les risques en appuyant ses déci­sions sur les recom­man­da­tions d’un grand cab­i­net, d’in­for­ma­tions sur l’é­tat du marché de l’emploi dans sa spé­cial­ité pour pré­par­er un ” plan B “.

Théorique­ment, le con­sul­tant doit sa loy­auté à celui qui signe le chèque de ses hon­o­raires, c’est-à-dire à l’en­tre­prise. En pra­tique, il tient sa légitim­ité de son client, per­son­ne physique, à l’ex­cep­tion des grands cab­i­nets qui dis­posent d’une sur­face suff­isante pour cou­vrir l’ensem­ble de l’organisation.

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