Le millésime 2002

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°586 Juin/Juillet 2003Rédacteur : Laurens DELPECH

Comme 2000 et 2001, 2002 est à Bor­deaux un mil­lé­sime miracle : il était très mal par­ti, mais il a été sau­vé in extre­mis par deux mois de très beau temps, en sep­tembre et en octobre.

Jusqu’en sep­tembre, le mil­lé­sime se pré­sen­tait en effet très mal. Après un débour­re­ment1 rela­ti­ve­ment nor­mal, la flo­rai­son s’est mal pas­sée, en rai­son d’un temps froid et humide qui a pro­vo­qué beau­coup de cou­lure (sur­tout rive droite, sur les mer­lots) et de mil­le­ran­dage2. Résul­tat des courses : les meilleurs mer­lots de la rive droite ont été très com­pro­mis (le mau­vais temps a beau­coup affec­té les plus beaux vignobles, ceux qui béné­fi­cient d’une matu­ri­té rapide) et, rive gauche, le mil­le­ran­dage a ren­du les grappes de caber­nets dif­fi­ciles à vendanger.

Fin juin, début juillet, toutes les pro­prié­tés bien gérées ont pro­cé­dé à des ven­danges vertes, allé­geant le nombre de grappes par pied de vigne et aus­si à un effeuillage, qui per­met de mieux expo­ser les rai­sins au soleil et d’améliorer la concen­tra­tion. Les mois de juillet et d’août ont été plu­tôt frais, assez net­te­ment en des­sous des moyennes sai­son­nières, mais peu humides. La vérai­son3 s’est assez bien passée.

La fin du mois d’août et le début de sep­tembre étaient plu­tôt frais et humides, quand sou­dain, le 10 sep­tembre, le miracle s’est pro­duit : une zone de haute pres­sion s’est ins­tal­lée au nord de l’Écosse pour un mois (jusqu’au 8 octobre), juste à temps pour sau­ver le mil­lé­sime. Le mois de sep­tembre 2002 a été un des plus secs jamais connus : 32 mm de pluie au total, soit 70% de moins que la moyenne, 800% de moins qu’en 1993, en dépit d’un petit orage de grêle vers le 20 sep­tembre, qui a épar­gné le Médoc (sauf la pointe nord) et le Sauternais.

Le chan­ge­ment de temps, à par­tir du 10 sep­tembre, a été très béné­fique pour la récolte de blancs secs, qui s’est dérou­lée dans les Graves dans le cou­rant de sep­tembre. Les moûts étaient très puis­sants, avec de belles aci­di­tés, gage de lon­gé­vi­té, et ont don­né de beaux vins avec des arômes frui­tés très agréables. Dans le Sau­ter­nais, il a fal­lu pro­cé­der à plu­sieurs tries et la ven­dange a donc été éta­lée sur plu­sieurs semaines. La pre­mière trie, en sep­tembre, a pro­duit de très beaux vins, mar­qués par des arômes de fruits tro­pi­caux. Les tries ont repris après le 15 octobre, après une période un peu humide, puis le beau temps est reve­nu fin octobre, début novembre, pro­vo­quant une “ explo­sion” du botry­tis qui a don­né des jus très riches, super­be­ment concen­trés et fruités.

La loi de Mur­phy, qui fonc­tionne par­fai­te­ment à Bor­deaux, veut que le vignoble sur­pro­duit quand l’économie s’effondre : ce fut notam­ment le cas en 1974 et en 1992. Par chance, cette loi ne s’est pas appli­quée en 2002, en grande par­tie grâce à la cou­lure et au mil­le­ran­dage. 2001 avait déjà pro­duit 10 – 20% moins de vin que 2000, en 2002 la pro­duc­tion des meilleures pro­prié­tés a encore bais­sé de 30 – 40 %.

En résu­mé, 2002 est un très beau mil­lé­sime de caber­nets, sur­tout dans le Médoc mais aus­si rive droite, où il y a d’excellents caber­nets francs, et un bon mil­lé­sime de blancs secs et de sau­ternes. Ce sera un mil­lé­sime de grande garde pour les crus clas­sés les mieux gérés, soit gros­so modo les trente plus belles pro­prié­tés de la rive gauche (sur­tout celles qui ont des petits ver­dots, cépage qui a connu une par­faite matu­ri­té en 2002) et cer­taines pro­prié­tés de la rive droite qui ont de beaux caber­nets et ont su cueillir les mer­lots le plus tard pos­sible, comme Che­val Blanc ou Figeac.

Une fois n’est pas cou­tume, les condi­tions météo­ro­lo­giques de la ven­dange ont été muta­tis mutan­dis les mêmes en Bour­gogne que dans le Bor­de­lais : un beau temps sec s’est ins­tal­lé à par­tir du 13 sep­tembre pour un mois. La haute pres­sion dans l’Atlantique nord a favo­ri­sé le main­tien du “mis­tral bour­gui­gnon”, un vent du nord qui assai­nit les vignes tout en concen­trant les jus. Sous l’effet com­bi­né du vent (éva­po­ra­tion) et d’une lumi­no­si­té idéale (pho­to­syn­thèse), les sucres se sont concen­trés alors que les aci­di­tés se main­te­naient à un bon niveau grâce à la fraî­cheur entre­te­nue par le vent, et les ren­de­ments ont chu­té. La matu­ri­té des rai­sins était telle que de nom­breux domaines n’ont pas eu besoin de chap­ta­li­ser4. En Côte d’Or, on n’avait pas consta­té de degrés natu­rels aus­si éle­vés depuis 1947… 2002 sera donc un grand mil­lé­sime bour­gui­gnon, en blanc comme en rouge.

Les Côtes du Rhône n’ont pas eu la chance de Bor­deaux et de la Bour­gogne. Les ven­danges ont été mar­quées par des pluies tor­ren­tielles et des inon­da­tions catas­tro­phiques, notam­ment dans le Sud. 2002 ne sera donc pas un mil­lé­sime excep­tion­nel, mis à part quelques réus­sites dans les Côtes du Rhône sep­ten­trio­nales (Her­mi­tage, Côte- Rôtie).

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1. Éclo­sion des bourgeons.
2. Avor­te­ment par­tiel ou déve­lop­pe­ment incom­plet d’une par­tie des grains du raisin.
3. Matu­ra­tion des fruits.
4. Ajou­ter du sucre avant la fermentation.

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