Le magnan des sucs

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°678 Octobre 2012Rédacteur : Lady GastronomiX

« Dans son roman Mort de quelqu’un paru en 1911, Jules Romains, enfant du pays, décri­vait ain­si le vieux quar­tier de Saint-Julien : C’était l’endroit le plus doux, le plus médi­ta­tif, le plus éter­nel du bourg. Cette phrase est gra­vée sur les murs de la cité. Et le pro­fes­seur de fran­çais de faire remar­quer, dans ce plus éter­nel, le côté poé­tique de la prose de Jules Romains car, disait-il, toutes les éter­ni­tés se valent. Jusqu’au jour où, le cours de Laurent Schwartz cha­pitre 1 aidant, je pus lui expli­quer qu’il y a des ensembles infi­nis infi­ni­ment plus grands que d’autres et donc peut-être des éter­ni­tés infi­ni­ment plus longues que d’autres. L’écrivain était-il un vision­naire ? La relec­ture du cours cha­pitre 2 m’a lais­sé fina­le­ment dubitatif !»

C’est ain­si que s’exprime Jean Goli­ger, pou­drier de la 59, et Capi­to­lien1 de souche, en par­lant de son vil­lage, Saint-Julien-Chap­teuil. Il s’est reti­ré, comme il dit, de la « vie sociale poly­tech­ni­cienne » mais me reçoit cha­leu­reu­se­ment dans sa splen­dide ferme fami­liale, par­fai­te­ment « dans son jus » pour évo­quer, non sans un cer­tain chau­vi­nisme, les mer­veilles de ce pays. Et, par­mi elles, éter­nelle de cette éter­ni­té concen­trée dans l’instant qu’évoque notre ami, la savou­reuse tra­di­tion culi­naire qui s’est ins­tal­lée sur les « sucs », ces monts bien nom­més aux confins de la Haute- Loire, à la fron­tière ardéchoise.

Tradition bistrotière

Chez Jean-Pierre Vidal2, face à l’église, l’une de ces ravis­santes et émou­vantes romanes qui par­sèment le pays, se per­pé­tue une tra­di­tion plus que cen­te­naire, celle du « bis­trot de Jus­tin », son père, qui, avec sa femme Odette, abreu­vait pay­sans, repré­sen­tants de com­merce ou maquignons.

Située sur la place du mar­ché, si ani­mée les jours de foire, cette adresse était un sanc­tuaire incon­tour­nable. Non loin, dans les esta­mi­nets locaux, on se gober­geait de spé­cia­li­tés locales, des cham­pi­gnons, cèpes comme mous­se­rons, des fro­mages, fro­mage aux arti­sons, fourme du Lizieux moel­leuse et per­sillée, Saras­sou, châ­taignes et les len­tilles, ah ! les len­tilles, savou­reux pilier du repas vel­lave, accom­pa­gnées du fin gras du Mézenc, nour­ri au foin natu­rel de la mon­tagne, et de toutes sortes de cochonnailles.

Pour ter­mi­ner, on dégus­tait les myr­tilles fine­ment par­fu­mées du Mey­gal et, plu­tôt qu’une cuille­rée de bicar­bo­nate, on favo­ri­sait sa diges­tion d’une douce ver­veine du Velay, ou de la « goutte », jetée cul sec dans le gosier. Jean-Pierre, deve­nu « toque d’Auvergne », n’est donc pas tom­bé dans la mar­mite par hasard ; tous les ingré­dients étaient réunis pour l’y faire plon­ger. Ces ingré­dients, au par­fum du ter­roir, avec les­quels il a su jon­gler pour les accor­der déli­ca­te­ment à l’usage des fines gueules, sans pour autant les tra­hir. Ren­du célèbre par ses tuiles à la farine de len­tilles, il a conju­gué pas­sion nova­trice et tradition.

Parfum du terroir

La lauze est deve­nue chez lui un plat à fro­mage ou à foie gras, foie gras en sym­pho­nie d’accommodements, qui cède à ses caprices et ravit nos palais. Car, de la lauze de sa région, Jean-Pierre a fait des assiettes.

Chez Jean-Pierre Vidal, inutile de com­man­der des pro­duits modernes ou « exo­tiques », c’est avec les pro­duits locaux que son talent s’éveille : asso­cia­tions raf­fi­nées, cuis­sons par­faites, légè­re­té quoique charpentée.

Je garde un sou­ve­nir ému et cha­leu­reux de sa purée aux cèpes, fon­dante et abon­dante, ser­vie direc­te­ment du fai­tout à l’assiette… Mais aus­si, du filet mignon de porc, de l’agneau noir du Velay…

La forêt appa­raît fré­quem­ment dans notre assiette et trouve son apo­gée dans les des­serts qui uti­lisent la myr­tille et la mûre, comme la ver­veine ou le miel. L’addition est à la hau­teur de la qua­li­té des mets, sans plus.

Plume d’autruche

Elevage d'autruches à Saint-Julien-ChapteuilUn seul regret, en ce qui me concerne, c’est que Jean-Pierre n’ait pas ten­té de tra­vailler une de ces déli­cieuses autruches, ses voi­sines du suc de la Tor­tue, éle­vées en liber­té, par Jean- Fran­çois et Corinne Coste3. Quant à moi, je m’y suis essayée.

Résul­tat : une viande rouge et goû­teuse d’une ten­dre­té à faire fondre n’importe quel ogre. Ain­si, pour para­phra­ser encore Jules Romains, « qu’un potage soit imman­geable, cela ne tient qu’à un che­veu» ; il ne tient qu’à une plume d’autruche qu’il soit délicieux.

Ce petit détour dans un coin de cam­pagne sublime mais bien iso­lé nous prouve, s’il en était besoin, que les tré­sors cachés de nos ter­roirs méritent le dépla­ce­ment. Je vous recom­mande savou­reu­se­ment ce périple.

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1. Natif de Saint-Julien-Chapteuil.
2. Jean-Pierre Vidal – Place du Marché
43260 Saint-Julien-Chap­teuil Tél. : 0471087050 www.restaurant-vidal.com
3. Les Autruches de la Tortue
Jean-Fran­çois et Corinne Coste Le Fraisse – 43260 Saint-Julien-Chapteuil
Tél. : 0684505019 – 0471084558
 www.lesautruchesdelatortue.fr (vente à la ferme)

Commentaire

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Abrasrépondre
3 décembre 2020 à 14 h 40 min

Un peu plus jeune, mais Capi­to­lien de souche, j’ai connu Jean Gol­li­ger, fils du doc­teur Gol­li­ger, le gar­çon le plus intel­li­gent du vil­lage. Futur Poly­tech­ni­cien, il n’a pas oublié St Julien…Moi aus­si, je connais bien JP Vidal et son cha­leu­reux res­tau­rant. Il a repris les locaux de son papa Jus­tin, ou nous allions jouer au baby foot ou écou­ter le Juke box, dans les années 60. Que deviens tu Jean ? Moi même Jean Abras, Ingé­nieur AM, je n’ou­blie­rai jamais St Julien.…où je reviens souvent.
Jean ABRAS

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