Portrait de Bertrand COLLOMB (60)

Bertrand Collomb (60), le goût de l’Amérique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°722 Février 2017
Par Pierre LASZLO

Aux orig­ines mi-lyon­nais­es, mi-bre­tonnes, il est fils et petit-fils de poly­tech­ni­ciens (pro­mo­tions 1891 et 1922). Il épousa Car­o­line Wirth, sœur d’un cama­rade de pro­mo­tion, Didi­er Wirth.

Ayant choisi le corps des Mines, il fit son stage indus­triel aux Houil­lères de Lor­raine, comme ingénieur de fond, puis fut ingénieur « ordi­naire » du Ser­vice des mines à Metz.

Décou­vrant ce milieu de la mine de char­bon, la rudesse des mineurs, mais aus­si la noblesse de leurs com­porte­ments l’impressionnèrent.

L’APPEL DE L’AMÉRIQUE

Puis l’Amérique le séduisit. Ce qui cadre avec son car­ac­tère ent­hou­si­aste. Son pre­mier séjour aux USA date de 1964 ou 1965. Il tra­ver­sa le con­ti­nent avec un groupe d’ingénieurs des Ponts, par­tis à l’étude des autoroutes et de l’urbanisme américains.

Dessin : Lau­rent Simon

Il y décou­vrit les grands espaces, ain­si que l’espace psy­chologique, le pays où tout est pos­si­ble, la men­tal­ité can-do. Il affec­tionne ce pays, empreint d’histoire, mais resté neuf et novateur.

Il y retour­na peu après pour un com­plé­ment de for­ma­tion. Il avait suivi les cours d’économie de Mau­rice Allais. Ensuite, à l’École des mines de Nan­cy, il enseigna la microé­conomie, à la Boi­teux qui fut, avec Allais, le maître à penser en économie de sa génération.

À L’ÉCOLE AMÉRICAINE DU MANAGEMENT

Lui vint alors le désir de com­pren­dre le man­age­ment. La toute nou­velle­ment créée Fon­da­tion nationale pour la ges­tion des entre­pris­es, visant à for­mer de jeunes Français au man­age­ment dans les uni­ver­sités améri­caines, le mit en rela­tion avec le pro­fesseur Abra­ham Charnes, qui venait juste d’être recruté par l’université du Texas ; il le suiv­it à Austin, pour y pré­par­er un doc­tor­at sous sa supervision.

Charnes était spé­cial­iste de la recherche opéra­tionnelle. Con­cur­rent mal­heureux de George Dantzig, il avait inven­té la pro­gram­ma­tion linéaire qua­si simul­tané­ment mais, manque de chance, Dantzig pub­lia les pre­miers articles.

Le séjour à Austin lui fut une révéla­tion : « Les math­é­ma­tiques que l’on m’avait enseignées à l’X ne ser­vaient à rien, tan­dis qu’il y avait des math­é­ma­tiques qui ser­vaient à quelque chose et que l’on ne m’avait jamais enseignées, ni à l’X, ni ailleurs ; cela dit, on s’y met­tait assez facilement…

Mais plus que les mod­èles math­é­ma­tiques, c’était la recherche sur les réal­ités soci­ologiques de l’entreprise qui m’intéressèrent le plus. Et, ce qui était com­plète­ment sidérant, c’était l’accessibilité et la disponi­bil­ité des pro­fesseurs. Il est vrai que j’étais doctorant. »

DU CABINET MINISTÉRIEL À LAFARGE… ET AU TEXAS

Il crée en 1972 à l’X le Cen­tre de recherche en ges­tion, que Michel Berry dirig­era à par­tir de 1975, lorsque Col­lomb fut appelé par Lafarge. Affec­té au cab­i­net min­istériel d’Alain Peyr­e­fitte, grâce à Michel Crozi­er, il y vécut la muta­tion de la cul­ture admin­is­tra­tive française, sous l’impulsion de la décen­tral­i­sa­tion. Ce fut ensuite celui de René Haby.

“ Il y avait des mathématiques qui servaient à quelque chose et que l’on ne m’avait jamais enseignées ”

Après trois ans de min­istère et de cab­i­net, il fut recruté en 1975 par Lafarge, une société cimen­tière déjà très inter­na­tionale, que son expéri­ence améri­caine intéres­sait. Dix ans plus tard, en 1985, il prit la direc­tion de la fil­iale améri­caine achetée qua­tre ans plutôt, rem­plaçant au pied levé un patron améri­cain brusque­ment décédé.

Son épouse Car­o­line et lui repar­tirent au Texas à Dal­las, avec chevaux et enfants. L’un et l’autre sont des fer­vents d’équitation : lui de la chas­se à courre, avec l’ivresse de débouler dans un paysage que, ce faisant, on savoure dans l’instant ; elle, experte au plus haut niveau tant en dres­sage qu’en élevage.

Ado­rant la vie améri­caine, ils sont à présent (2016) pro­prié­taires d’une ferme, un bâti­ment his­torique datant en par­tie de 1735, avec des chevaux et des vach­es en Vir­ginie, près de War­ren­ton, où ils passent une grande par­tie de leur existence.

VERS LE LEADERSHIP MONDIAL

Devenu en 1989 patron du groupe Lafarge, il res­ta prési­dent de la fil­iale améri­caine cotée au NYSE, dont Lafarge ne pos­sé­dait que 53 %. Son con­seil d’administration, avec des gens dis­tin­gués (dont Hillary Clin­ton), n’était pas une sim­ple cham­bre d’enregistrement.

“ On ne peut pas gagner durablement de l’argent dans un secteur où on n’est pas leader ”

Bertrand Col­lomb devait donc revenir à Wash­ing­ton tous les trois mois, ce qui leur per­mit de garder leur ferme de Vir­ginie. Dès les années 1993–1995, Lafarge ambi­tion­nait de devenir leader mon­di­al pour les matéri­aux de con­struc­tion. Cela par­tait de l’idée qu’on ne peut gag­n­er durable­ment d’argent dans un secteur où l’on n’est pas leader.

Lafarge devint effec­tive­ment leader mon­di­al en matière de ciment, béton et gran­u­lats. Après la chute du Mur, il put ren­forcer son implan­ta­tion en Alle­magne, pays clef pour les matéri­aux de con­struc­tion en dépit de dif­fi­cultés con­jonc­turelles, et surtout l’un des rares marchés, à l’époque de sa réu­ni­fi­ca­tion, où “la qual­ité payait”, et où par con­séquent le dynamisme en ter­mes de normes, de spé­ci­fi­ca­tions, de tech­nolo­gie était alors recon­nu et valorisé.

Bertrand Col­lomb m’évoque ces pro­fesseurs-doc­teurs alle­mands, PDG d’une grande entre­prise chim­ique : le recul qu’il tire d’avoir été chercheur explique sa ges­tion par­fois vision­naire et son dynamisme.

Ses autres atouts sont la bien­veil­lance, l’altruisme, la lucid­ité, sa belle cul­ture his­torique, le goût de l’expression et un tem­péra­ment de communicateur.

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Guy Le Péchonrépondre
7 février 2017 à 18 h 09 min

Bertrand Col­lomb et l’é­gal­ité Femmes/Hommes dans les sociétés
Bertrand Col­lomb est aus­si très attaché faire pro­gress­er l’é­gal­ité entre les femmes et les hommes au sein des sociétés. Il sou­tient divers­es entités oeu­vrant dans ce domaine au niveau des Con­seils d’Ad­min­is­tra­tion et de Surveillance.

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