Bertrand Collomb (60) l’humanisme au cœur de l’entreprise

Dossier : TrajectoiresMagazine N°747 Septembre 2019Par Jean BAILLY (42)

Fils et petit-fils de poly­tech­ni­ciens, Bertrand Col­lomb a prou­vé à la tête du groupe Lafarge ses capac­ités de vision­naire, son dynamisme et son sens de l’humain. Cet engage­ment au ser­vice des autres s’est aus­si man­i­festé dans les nom­breuses respon­s­abil­ités qu’il a accep­tées en dehors du groupe Lafarge. Il nous a quit­tés le 23 mai 2019.

Ma pre­mière ren­con­tre avec Bertrand Col­lomb date du début des années 70. Je l’ai enten­du faire un bril­lant exposé lors d’une réu­nion de l’AX. J’ai été telle­ment impres­sion­né par son dis­cours et par sa per­son­ne, qu’en retrou­vant les dirigeants du groupe, je leur ai dit : j’ai trou­vé l’homme capa­ble d’assurer la relève le moment venu. En 1975, l’occasion de l’embaucher s’est présen­tée. Jean Rives, le patron de Lafarge Ciments, vais­seau ami­ral du groupe, prend en charge son inté­gra­tion. Bertrand tenait à met­tre aus­sitôt la main à la pâte pour acquérir une expéri­ence du ter­rain. Il a eu à diriger une usine ce qui n’est pas une gageure, car la pro­duc­tion de ciment se passe dans des usines à feu con­tinu. Il a eu aus­si à tra­vailler dans le ser­vice com­mer­cial et à pilot­er une région. En 1985, le patron de Lafarge Corp., la fil­iale améri­caine du groupe, décède bru­tale­ment. Olivi­er Lecerf, PDG du groupe, con­fie les rênes de cette entre­prise à Bertrand Col­lomb. Et en 1989, il lui cède sa place.

Un leadership fondé sur des valeurs fortes

Pro­longeant l’œuvre de son prédécesseur, Bertrand Col­lomb donne une grande impul­sion au développe­ment inter­na­tion­al de l’entreprise, fort de l’idée que pour gag­n­er durable­ment de l’argent dans le secteur des matéri­aux de con­struc­tion, il fal­lait être un leader mon­di­al. Il con­duit ce développe­ment en con­ser­vant et réaf­fir­mant la cul­ture et les valeurs qu’Olivier Lecerf avait exposées dans des « principes d’action ».

La bien­veil­lance de Bertrand et son souci des per­son­nes lui ont per­mis de dévelop­per une grande capac­ité d’écoute et d’être très acces­si­ble. Mod­este, il évi­tait les mots dif­fi­ciles et savait créer une atmo­sphère de con­fi­ance et de respect. Ces qual­ités lui facil­i­taient l’écoute des autres. Bertrand était con­scient que, pour garder l’adhésion des équipes, il était indis­pens­able de met­tre les actes en accord avec les paroles. Con­va­in­cu qu’une entre­prise soucieuse de l’intérêt général avait de meilleures chances de réus­sir, il a mil­ité pour le respect de l’environnement et le développe­ment durable et engagé le groupe dans un plan de réduc­tion des émis­sions de CO2 dès 1992.

Il n’est donc pas sur­prenant que, dans un hom­mage pronon­cé à Saint-Louis des Invalides, Jean-Marie Schmitz, ancien DRH de Lafarge, ait pu nous dire : « À une époque où s’imposait l’injonction de Mil­ton Fried­man aux dirigeants d’entreprise d’avoir pour seule préoc­cu­pa­tion de max­imiser les prof­its des action­naires [Bertrand Col­lomb] a su s’opposer à cette “déi­fi­ca­tion” du prof­it et rap­pel­er qu’il était pos­si­ble de pour­suiv­re l’excellence des per­for­mances, con­di­tion pour que l’entreprise reste maîtresse de sa stratégie, mais sans sac­ri­fi­er l’homme ni nég­liger l’intérêt général. » Son souci des hommes l’amenait à deman­der aux dirigeants du groupe de ne pas hésiter à « faire pass­er les oblig­a­tions morales créées par cer­tains cas avant l’optimisation économique la plus fine ».

Ne pas s’écarter du devoir d’humanité

Ce souci de l’humain et des autres, Bertrand l’a man­i­festé avant même son entrée chez Lafarge et en dehors de l’entreprise. Il avait ain­si créé le Cen­tre de recherche en ges­tion de l’X en 1972, après avoir réal­isé un PhD aux États-Unis à l’université d’Austin. Il a lancé l’équipe sur des bases résol­u­ment pluridis­ci­plinaires. Michel Berry (63) qui lui suc­cédera comme directeur déclare : « J’ai été hon­oré de sa con­fi­ance et ai tou­jours pu compter sur son sou­tien, pour dévelop­per le cen­tre de recherche et faciliter son inser­tion dans les insti­tu­tions sci­en­tifiques, et notam­ment le CNRS. Il m’a été ensuite d’un sou­tien pré­cieux dans la créa­tion, en 1993, de l’École de Paris du man­age­ment, dont il a été depuis l’origine prési­dent de son comité de par­rainage. Ayant un réel intérêt pour la recherche en ges­tion, dont il com­pre­nait de façon rare les enjeux et les méth­odes, il a été plusieurs fois un inter­venant remar­qué dans les travaux de l’École de Paris du man­age­ment, et un inter­locu­teur tou­jours per­ti­nent et stim­u­lant sur les enjeux et les méth­odes de la recherche en gestion. »

Éloge de la fragilité

Le 12 juin dernier, lors de la céré­monie aux Invalides, Xavier Dar­cos a fait l’éloge du tra­vail de Bertrand Col­lomb à la prési­dence de l’Académie des sci­ences morales et poli­tique : « J’ai admiré le penseur moral, habité par une exi­gence spir­ituelle. Rien d’humain ne lui était étranger. [….] L’an dernier, en avril 2018, à l’Institut, en grande salle, lors des Ren­con­tres cap­i­tales, il inter­ve­nait, avec force et clarté, dans une table ronde con­sacrée au thème de la fragilité. Il se demandait com­ment la fragilité peut être un vecteur de réus­site, com­ment elle peut devenir une force. Cette approche évangélique, il la pro­po­sait à l’entreprise pour qu’elle brise le dogme de l’invincibilité van­i­teuse, de la con­cur­rence cynique, de la puis­sance qui écrase. Il entendait que per­son­ne, en aucun domaine, ne s’écarte du devoir d’humanité. »

Bertrand Col­lomb tenait aus­si à don­ner un tour con­cret à son dis­cours. C’est ain­si que, de 2005 à son décès, il a présidé l’association Astrée qui vient en aide à des per­son­nes en sit­u­a­tion de fragilité et de grande souffrance.

Un citoyen engagé

Il est dif­fi­cile de citer tous les titres qui illus­trent son engage­ment au ser­vice des autres.

En 2001, il accep­ta la prési­dence de l’Association française des entre­pris­es privées où il mili­ta pour défendre la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es françaises.

À la demande de Thier­ry de Mont­br­i­al (63), il prési­da l’Institut français des rela­tions internationales.

Très attaché à l’École poly­tech­nique, il a présidé la Fon­da­tion de l’X de 1994 à 2000. Denis Ranque (70) – son actuel prési­dent – évoque l’action de Bertand Col­lomb : « Comme l’avait souhaité l’initiateur de la Fon­da­tion, Bernard Esam­bert (54), la mis­sion prin­ci­pale con­sis­tait à rap­procher l’X du monde de l’Entreprise et, en par­ti­c­uli­er, d’être force de propo­si­tion de change­ments auprès de la direc­tion générale de l’École et de son con­seil d’administration tant sur les pro­grammes de for­ma­tion que sur les recrute­ments (inter­na­tion­al­i­sa­tion) des élèves et du corps pro­fes­so­ral. Bertrand Col­lomb a coopéré étroite­ment avec Pierre Fau­rre (60), prési­dent de l’X, et ils ont mené pen­dant ces cinq ou six ans une action vigoureuse et dif­fi­cile, ayant abouti à la Réforme X‑2000 qui a inté­gré la 4e année au cur­sus poly­tech­ni­cien, ouvert à l’international, mis l’accent (encore mod­este­ment) sur la Recherche, etc.

À la tête de la Fondation de l’X

À la fin des années 2000, Bertrand Col­lomb s’est engagé aux côtés de Paris­Tech, dont l’X fai­sait par­tie à l’époque, en accep­tant la prési­dence de son con­seil d’orientation. Il était con­va­in­cu, notam­ment par ses années antérieures à la Fon­da­tion, mais aus­si à tra­vers sa car­rière de grand indus­triel inter­na­tion­al, que nos écoles, mal­gré leur excel­lence, étaient trop peu vis­i­bles, et lis­i­bles, à l’é­tranger et que seul un rap­proche­ment pro­gres­sif entre elles pou­vait pallier.

Mal­gré de pre­mières réal­i­sa­tions et un début de struc­tura­tion de cet ensem­ble, le gou­verne­ment de l’époque n’a pas soutenu cette idée. Elle s’est heureuse­ment con­crétisée aujourd’hui, sous une forme voi­sine, dans le lance­ment récent de l’Institut Poly­tech­nique de Paris, que Bertrand a pu, à la fin de sa vie, avoir eu la sat­is­fac­tion de voir naître. » 

À tous ceux qui l’ont con­nu, il laisse le sou­venir d’un grand patron à la fois vision­naire, bien­veil­lant et pro­fondé­ment human­iste.

Commentaire

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Gérard BOUCHEZrépondre
29 mars 2020 à 13 h 05 min

un très grand patron

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