Le cycle de l’eau, panorama des ressources

Dossier : Les eaux continentalesMagazine N°698 Octobre 2014
Par Marie-Hélène TUSSEAU-VUILLEMIN (87)

Un phénomène longtemps mal compris

L’eau est si com­mune dans notre envi­ron­nement tem­péré, si présente dans nos usages, du plus quo­ti­di­en au plus sym­bol­ique, en pas­sant par les besoins vitaux, que les ques­tions les plus sim­ples qui s’y rap­por­tent se révè­lent par­fois déconcertantes.

Source de la Loue

Ain­si Bécas­sine, lors d’un voy­age en Suisse, se laisse-t-elle facile­ment con­va­in­cre que, par souci d’économie, les robi­nets qui con­trô­lent le débit des riv­ières sont fer­més la nuit.

Effec­tive­ment, le terme même de source (et les nom­breuses expres­sions qui en dérivent) nous con­duit à cette représen­ta­tion erronée des mou­ve­ments de l’eau, depuis une orig­ine sup­posée ponctuelle jusqu’à un exu­toire lui aus­si bien défini.

Il fau­dra de fait atten­dre le XVIIIe siè­cle, le siè­cle des obser­va­tions, pour apporter une vraisem­blance quan­tifiée aux intu­itions héritées des philosophes grecs ou des sci­en­tifiques de la Renais­sance. Après les travaux de Pierre Per­rault et de l’abbé Mar­i­otte, c’est Edmond Hal­ley qui se charg­era d’expliciter le rôle de l’évaporation sur les océans pour pro­pos­er un pre­mier cycle fer­mé de l’eau.

“ Le terme même de source conduit à une représentation erronée des mouvements de l’eau”

Hal­ley estime, dans un arti­cle daté de 1687, les débits cumulés des fleuves les plus impor­tants du bassin ver­sant méditer­ranéen, les com­pare à une esti­ma­tion de l’évaporation de la masse d’eau méditer­ranéenne (à par­tir d’une expéri­ence menée sur un béch­er de 20 cm de diamètre) et con­clut fort juste­ment que cette éva­po­ra­tion suf­fit à ali­menter le débit des fleuves.

Les pre­miers élé­ments du cycle de l’eau sont posés. Res­teront à pré­cis­er le rôle joué par la végé­ta­tion ain­si que les proces­sus con­trôlant les infil­tra­tions et cir­cu­la­tions souter­raines, ce qui demeure de nos jours une ques­tion sci­en­tifique épineuse sous le terme de « fonc­tion­nement de la zone critique ».

REPÈRES

La Terre est une planète bleue, la seule du système solaire à disposer d’une telle abondance d’eau liquide à sa surface, dont 70 % est couverte d’eau. Le volume d’eau sur la Terre est de 1 386 millions de kilomètres cubes (soit 0,17 % de la planète). Répartie en couche uniforme à la surface du globe, l’eau occuperait une couche de 2,7 km d’épaisseur.

Plus d’un milliard de kilomètres carrés

Notre con­nais­sance actuelle du cycle de l’eau et des réser­voirs ter­restres de sur­face repose sur un dis­posi­tif d’observations inté­gré, inclu­ant l’observation spa­tiale, l’instrumentation des bassins ver­sants et le suivi des eaux souterraines.

L’inventaire des vol­umes d’eau n’est pas établi avec la même pré­ci­sion selon les milieux, mais il révèle que près de 97 % de l’eau est con­tenue dans les océans, que l’eau atmo­sphérique, dont le rôle est essen­tiel dans la régu­la­tion de notre cli­mat, représente un vol­ume très faible (0,001 %), que 75 % de l’eau douce se trou­ve en fait sous forme de glace dans les calottes polaires et que c’est sur 1 % de l’eau ter­restre que reposent essen­tielle­ment les besoins humains en eau douce (eaux souterraines).

Un cycle mesuré et observé

Neige et pluie per­me­t­tent à l’eau de l’atmosphère de rejoin­dre la sur­face du globe. Une par­tie de l’eau ain­si pré­cip­itée ruis­selle directe­ment (sur les sur­faces imper­méa­bil­isées, c’est la total­ité, sur des sols moins arti­fi­cial­isés, seule­ment une par­tie) vers la riv­ière la plus proche.

“ Les besoins humains en eau douce reposent sur 1 % de l’eau terrestre ”

Le restant pénètre dans les sols jusqu’à une pro­fondeur vari­able. Cette eau ali­mente les aquifères souter­rains, qui sont en liai­son plus ou moins directe avec les rivières.

Les riv­ières s’écoulent vers les océans. Les océans s’évaporent vers l’atmosphère. À ce sché­ma très macro­scopique s’ajoutent de nom­breux flux plus locaux, comme, par exem­ple, l’évapotranspiration des végé­taux sur le con­ti­nent et les flux entre aquifères.

Des réserves énormes fixées d’eau “juvénile”

Inven­taire des vol­umes d’eau à la sur­face de la terre
Milieux Vol­umes, 103 km3 % total
Océan​s 1 335 000 96,7
Glaces 30 100 2,18
Eaux souter­raines 15 000 1,1
Lacs d’eau douce et mers intérieures 280 0,02
Sols 120 0,0088
Atmo­sphère 13 0,0009
Riv­ières 2 0,0001
Bio­ta 1 0,00007
Total ~ 1 380 500 100

En plus de cette eau en per­pétuel mou­ve­ment à la sur­face de la Terre, de gross­es quan­tités de molécules H2O sont pro­vi­soire­ment fixées dans les roches, l’écorce et le man­teau. Cette eau peut éventuelle­ment revenir dans le cycle de l’eau super­fi­cielle lors d’éruptions volcaniques.

C’est ce que l’on appelle l’eau juvénile. Les vol­umes con­cernés sont con­sid­érables (env­i­ron 18 fois le vol­ume des océans, sur la base de 1 à 2 % de la lithos­phère), mais il s’agit de molécules dis­per­sées engagées dans des com­bi­naisons chim­iques sta­bles et ne jouant aucun des rôles de l’eau telle que nous la con­nais­sons à la sur­face de la Terre.

Une origine mal connue

Cette vision en cycle fer­mé appelle d’autres ques­tions. Cette matière si pré­cieuse, d’où nous vient-elle et se renou­velle-t-elle ? On date l’origine de la Terre à env­i­ron 4,6 mil­liards d’années et les roches sédi­men­taires les plus anci­ennes con­nues – et dont la for­ma­tion est con­di­tion­née à la présence d’eau – ont seule­ment 3,8 mil­liards d’années.

“ 0,1 % de l’eau terrestre se serait échappé depuis son apparition ”

Néan­moins, d’autres indices per­me­t­tent aux sci­en­tifiques de penser que de l’eau était présente à la sur­face de la Terre il y a 4,4 mil­liards d’années env­i­ron. Quant à son orig­ine, elle est prob­a­ble­ment à la fois exogène (apports par bom­barde­ments météori­tiques ou comé­taires de la toute jeune planète) et endogène (dégazage de l’eau ini­tiale­ment pris­on­nière des mag­mas volcaniques).

L’atmosphère ter­restre a alors per­mis de retenir l’eau, con­tin­uelle­ment éva­porée et con­den­sée du fait des très hautes tem­péra­tures. Des molécules d’eau sont dis­so­ciées aux con­fins de l’atmosphère et s’échappent ain­si de la planète.

L’apport d’eau juvénile con­tenu dans les érup­tions vol­caniques est vraisem­blable­ment du même ordre de grandeur, puisque, selon les esti­ma­tions actuelles, c’est seule­ment de l’ordre de 0,1 % que l’eau ter­restre aurait dimin­ué depuis son apparition.

En quelque sorte, les dinosaures ont bu la même eau que nous.

Les enjeux de l’eau dans le changement global

Les usages humains de l’eau sont essen­tielle­ment liés à l’alimentation (usage direct et agri­cul­ture), à l’industrie et à l’hygiène. Ces usages sont très forte­ment vari­ables d’une société à l’autre, en fonc­tion des cul­tures et des niveaux de vie.

Océan
Les océans représen­tent 97 % de la masse d’eau. © FOTOLIA

Néan­moins, l’eau est évidem­ment égale­ment par­tie inté­grante des écosys­tèmes aqua­tiques, marins ou d’eau douce, et est à ce titre absol­u­ment néces­saire à la pro­duc­tion de nom­breux autres ser­vices écosys­témiques qui ont été pour cer­tains men­tion­nés plus haut (régu­la­tion ther­mique par exemple).

Le change­ment glob­al, que nous expéri­men­tons d’ores et déjà, se traduira au moins par deux com­posantes : le change­ment cli­ma­tique et ses con­séquences sur le cycle de l’eau ; la démo­gra­phie crois­sante et les ten­sions sur la ressource en eau et sa qualité.

Ces deux évo­lu­tions touchent directe­ment les usages que l’homme fait de l’eau, mais aus­si les écosys­tèmes aqua­tiques et les ser­vices qu’ils sont à même de lui procurer.

Modification des précipitations

Selon les scé­nar­ios élaborés par le GIEC pour la fin du XXIe siè­cle, le réchauf­fe­ment min­i­mum serait de 1,5 °C, quels que soient les mod­èles ou les hypothès­es util­isés. Ce réchauf­fe­ment s’accompagne d’une mod­i­fi­ca­tion spa­tiale et tem­porelle des pré­cip­i­ta­tions, les événe­ments extrêmes s’accentuant.

Les tra­duc­tions de ces modal­ités en ter­mes de cycle de l’eau ne sont pas encore effec­tuées et con­stituent des enjeux de recherche. En effet, ruis­selle­ment, éro­sion, fonc­tion­nement de la zone cri­tique ont toutes les chances d’évoluer dif­férem­ment selon la fréquence et l’intensité des pré­cip­i­ta­tions, selon des proces­sus encore mal connus.

Eruption volcanique en mer
L’eau enfer­mée dans la roche revient lors d’éruptions volcaniques.

La ten­sion sur les ressources accom­pa­g­n­era le change­ment cli­ma­tique. Il ne s’agit plus seule­ment de garan­tir l’accès à l’eau en quan­tité, mais aus­si en qual­ité, car les pres­sions anthropiques con­tribuent, directe­ment ou indi­recte­ment, à sa dégradation.

Dans les pays dévelop­pés, les con­séquences de l’agriculture et de l’élevage inten­sifs sur l’augmentation des con­cen­tra­tions en nitrates, pro­duits phy­tosan­i­taires, métaux, antibi­o­tiques, etc., sont désor­mais bien con­nues, ain­si que celles de l’industrie. Elles s’accompagnent désor­mais des molécules dites « émer­gentes », issues de notre mode de vie mod­erne (cos­mé­tiques, médica­ments, ignifugeants, plas­ti­fi­ants), voire de tox­ines pro­duites naturelle­ment par les écosys­tèmes, à des fréquences accrues.

Dans les pays en développe­ment, dont les sys­tèmes d’assainissement sont moins per­for­mants voire inex­is­tants, les pol­lu­tions les plus graves sont micro­bi­ologiques et com­pro­met­tent grave­ment l’accès à l’eau.

“ La tension sur les ressources accompagnera le changement climatique”

Au-delà des usages directs de l’homme, le fonc­tion­nement des écosys­tèmes aqua­tiques sera très prob­a­ble­ment forte­ment mod­i­fié par ces dif­férentes com­posantes du change­ment glob­al, et ni leurs vul­néra­bil­ités ni leurs capac­ités de résilience ne sont encore bien con­nues ni comprises.

Les mod­i­fi­ca­tions de régime hydrique appelleront des mod­i­fi­ca­tions des habi­tats et des com­mu­nautés abritées et de leurs fonc­tion­nal­ités. Elles joueront égale­ment un rôle dans l’exposition de ces com­mu­nautés aux con­t­a­m­i­na­tions divers­es citées plus haut. Les rejets ponctuels se trou­vent con­cen­trés en régime d’étiage, les apports dif­fus se trou­vent majorés en régime de crue.

Les ser­vices ren­dus par les écosys­tèmes aqua­tiques sont telle­ment var­iés qu’il est inutile de chercher à les lis­ter, mais on peut citer l’exemple des régu­la­tions chim­iques et biologiques, avec les trans­for­ma­tions micro­bi­ennes en zone humide, ou dans les sédi­ments estu­ar­iens, qui pour­raient forte­ment évoluer.

Enfin, n’oublions pas les risques asso­ciés au cycle de l’eau dans le change­ment glob­al, qui sont majeurs et déjà expéri­men­tés par cer­taines pop­u­la­tions par­mi les plus exposées : élé­va­tion du niveau de la mer, éro­sion des côtes, sub­mer­sions, fonte des glac­i­ers et des glaces de mer, inon­da­tions, sécher­ess­es, insta­bil­ité des terrains.

L’eau nous est telle­ment néces­saire, famil­ière et pré­cieuse qu’il est de notre respon­s­abil­ité col­lec­tive de nous ménag­er un avenir commun.

Des poissons en mer
Un bien pré­cieux à pro­téger. © ISTOCK

BIBLIOGRAPHIE

  • L’Hôte Yann, 1990, His­torique du con­cept de cycle de l’eau et des pre­mières mesures hydrologiques en Europe, Hydrolo­gie con­ti­nen­tale, vol. 5, n° 1, p. 13–27.
  • Dör­fliger N. et Flam­mar­i­on P., Prospec­tive du groupe thé­ma­tique « Eau » d’AllEnvi (http:// www.allenvi.fr).
  • De Marsi­ly, 2009, L’eau, un tré­sor en partage, Édi­tions Dunod.
  • Stratégie nationale de recherche, rap­ports inter­mé­di­aires d’avril 2014, ate­lier 1 « Ges­tion sobre des ressources et adap­ta­tion au change­ment cli­ma­tique », piloté par G. de Marsi­ly et E. Vergès, télécharge­able sur le site du min­istère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid78802/strategie-nationale-de-recherche-bilandes-travaux-des-10-ateliers.html#atelier1).
  • Tusseau-Vuillemin M.-H., Gourlay C, Ducharne A., Gon­za­les J.-L., Béranger K., « Intro­duc­tion à la biogéochimie marine des eaux de sur­face », cours MF 202, ENSTA ParisTech.
  • Water JPI, sci­en­tif­ic per­spec­tive, adop­tée en juin 2014, télécharge­able sur le site de la JPI (Joint Pro­gram­ming Ini­tia­tive) : http://www.waterjpi.eu/images/documents/Water%20JPI%20SRIA%201%200.pdf

UNE MOLÉCULE COMMUNE ET PRÉCIEUSE

La molécule d’eau se présente sous la forme d’un tétraè­dre légère­ment défor­mé, les deux liaisons O‑H for­mant un angle de 104,5°. Les paires d’électrons libres de l’oxygène induisent un moment dipo­laire, ori­en­té selon l’axe de symétrie de la molécule, qui rend pos­si­ble la for­ma­tion de liaisons hydrogène entre les molécules d’eau.

De cela découlent nom­bre de pro­priétés remar­quables, aux­quelles est lié le développe­ment de la vie sur Terre.

Une molécule d'eau H2O

Dans les phas­es con­den­sées, les liaisons hydrogène con­fèrent une forte cohé­sion au flu­ide ou au cristal. Amen­er l’eau en phase gazeuse demande de bris­er ces liaisons, ce qui requiert une énergie impor­tante. En con­séquence, la tem­péra­ture d’ébullition de l’eau est par­ti­c­ulière­ment élevée et cela per­met à l’eau liq­uide d’exister sur Terre dans une gamme éten­due de températures.

Pour cette même rai­son, la capac­ité ther­mique de l’eau et sa chaleur latente d’évaporation sont excep­tion­nelle­ment élevées. Cela con­fère aux océans et à l’atmosphère une capac­ité de régu­la­tion des tem­péra­tures et du cli­mat tout à fait impor­tante (sans atmo­sphère, la tem­péra­ture sur la Lune varie de plusieurs cen­taines de degrés chaque jour) et rend aus­si par exem­ple la tran­spi­ra­tion très effi­cace pour refroidir un organisme.

Il est égale­ment remar­quable de con­stater que la glace est moins dense que l’eau liq­uide, le max­i­mum de den­sité étant atteint à 4 °C. En effet, la struc­ture cristalline de la glace tient les molécules plus éloignées les unes des autres que dans l’état liq­uide, dans lequel les liaisons H assurent une forte cohé­sion. C’est ain­si que les glaçons flot­tent dans nos ver­res et surtout à la sur­face des lacs, per­me­t­tant à la faune de sur­vivre dans l’eau sous-jacente ain­si isolée de l’atmosphère lorsqu’elle se refroidit.

Du fait encore de la liai­son hydrogène, la ten­sion super­fi­cielle de l’eau pure est la plus élevée de tous les liq­uides. Cela per­met à cer­tains insectes de se déplac­er à la sur­face de l’eau, à la sève de mon­ter dans les tiges par cap­il­lar­ité, et bien d’autres phénomènes.

La polar­i­sa­tion de l’eau lui per­met aus­si de dis­soudre facile­ment les corps ion­iques, en par­ti­c­uli­er les sels, en entourant chaque ion d’une coque de molécules d’eau (sol­vata­tion). Cette pro­priété est elle aus­si extrême­ment struc­turante en ce qu’elle fait de l’eau un excel­lent vecteur de sub­stances. L’érosion des roches et des sols par les eaux courantes, légère­ment acid­i­fiées par le con­tact avec le dioxyde de car­bone atmo­sphérique, donne par exem­ple accès à la biosphère à de nom­breux minéraux.

Mais l’autre ver­sant de cette pro­priété (les inter­ac­tions hydrophobes entre molécules peu polaires en solu­tion) est tout aus­si impor­tant. En effet, les macro­molécules organiques essen­tielles à la vie (enzymes, ADN, ARN) com­pren­nent des groupe­ments polaires et d’autres apo­laires, dont les inter­ac­tions avec l’eau con­di­tion­nent la struc­ture spa­tiale (la macro­molécule s’agence de telle sorte que les groupe­ments hydrophobes puis­sent s’isoler du solvant). C’est de cette struc­ture que dépen­dent générale­ment la réac­tiv­ité et la spé­ci­ficité de la molécule.

D’apparence si sim­ple, la molécule d’eau se révèle ain­si d’une prodigieuse ingéniosité qui a été mise à prof­it par le développe­ment et l’évolution de la vie sur Terre.

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