L’eau et l’énergie, clés du développement durable

Dossier : Les eaux continentalesMagazine N°698 Octobre 2014
Par Henri BOYÉ (67)

Sur notre petite planète Terre, du fait de l’augmentation de la pop­u­la­tion, de l’urbanisation crois­sante et des économies en expan­sion, les besoins aug­mentent énor­mé­ment en énergie mais aus­si en eau douce, tan­dis que plusieurs régions du monde con­nais­sent déjà des pénuries significatives.

REPÈRES

L’eau est nécessaire pour produire l’énergie, en particulier l’électricité, directement dans les barrages hydroélectriques, mais aussi dans toutes les centrales thermiques ou nucléaires qui ont besoin d’une bonne source froide pour les condenseurs des turboalternateurs.
Inversement, pour rendre l’eau accessible, c’est-à-dire la pomper, la dessaler éventuellement, la transporter, la distribuer, il faut de plus en plus d’énergie. On estime que 4 % à 5 % de l’électricité en France ou aux États- Unis sont utilisés pour l’eau, et jusqu’à 20 % en Jordanie. Et, pour fournir de l’énergie, il faut de l’eau, beaucoup d’eau même : 600 milliards de mètres cubes par an.

Des enjeux liés

L’eau et l’énergie sont deux secteurs de plus en plus liés et inter­dépen­dants dans le développe­ment humain et économique. Il faut beau­coup d’eau pour pro­duire l’électricité dans les bar­rages ou assur­er la source froide des cen­trales ther­miques, et aus­si de plus en plus d’énergie pour l’eau, en pom­page, traite­ment, trans­fert et dessalement.

“ Deux ressources liées pour le meilleur et pour le pire ”

La pénurie d’eau men­ace la via­bil­ité à long terme des pro­jets énergé­tiques, avec de graves con­séquences pour le développe­ment (thirsty ener­gy).

Le secteur de l’eau, lui, a besoin de plus en plus d’énergie. Ces deux ressources sont intrin­sèque­ment liées « pour le meilleur et pour le pire », prévient l’ONU dans son cinquième rap­port mon­di­al sur « La Mise en valeur des ressources en eau », ren­du pub­lic à l’occasion de la Journée mon­di­ale de l’eau du 22 mars 2014.

Des besoins croissants en eau

Aujourd’hui, 768 mil­lions d’êtres humains n’ont pas accès à une source d’eau améliorée, c’est-à-dire à un point d’approvisionnement pro­pre qui ne soit pas partagé avec des ani­maux. 3,5 mil­liards de per­son­nes sont privées du droit à l’eau et ne béné­fi­cient pas d’une eau sûre, pro­pre, acces­si­ble et abordable.

1,3 mil­liard de per­son­nes ne sont pas rac­cordées à l’électricité, sou­vent dans les mêmes régions. La carte des per­son­nes privées d’un accès sat­is­faisant à l’eau recoupe large­ment celle des exclus de l’électricité, soulig­nant ain­si à quel point ces deux ressources sont aujourd’hui plus inter­dépen­dantes que jamais.

Or, les ressources énergé­tiques et les ressources en eau sont soumis­es à des pres­sions sans précé­dent et font l’objet d’une con­cur­rence crois­sante de la part des pop­u­la­tions, des indus­tries, des écosys­tèmes et des économies en pleine expansion.

“ 1,3 milliard de personnes n’ont pas l’électricité ”

Quand la pop­u­la­tion mon­di­ale attein­dra les 9 mil­liards d’habitants, la pro­duc­tion agri­cole devra avoir aug­men­té de 50 %, tan­dis que les prélève­ments d’eau, déjà mis à rude épreuve, devront s’accroître de 15 %. D’ici à 2035, la con­som­ma­tion énergé­tique mon­di­ale aug­mentera de 35 %, ce qui déter­min­era une hausse de 15 % de l’utilisation d’eau, tan­dis que la con­som­ma­tion d’eau du secteur énergé­tique aug­mentera de 85 % selon les pro­jec­tions de l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE).

La demande énergé­tique va peser de plus en plus lourd sur les ressources en eau, et les pays émer­gents pour­raient bien­tôt être con­fron­tés à un dou­ble stress, hydrique et énergé­tique. Le change­ment cli­ma­tique va aggraver ce défi, par une plus grande vari­abil­ité de la disponi­bil­ité de la ressource en eau et l’intensification des phénomènes météorologiques tels que les inon­da­tions graves et les sécher­ess­es longues.

Éviter des scénarios catastrophe

Le rap­port mon­di­al des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, pub­lié à l’occasion de la Journée mon­di­ale de l’eau (22 mars de chaque année), pointe « le manque de coopéra­tion et de plan­i­fi­ca­tion entre les deux secteurs » et appelle à « une meilleure ges­tion afin d’éviter des pénuries à venir d’eau et d’électricité ».

L’interdépendance entre la ges­tion des ressources en eau et en énergie appelle de la part de tous les acteurs une coopéra­tion beau­coup plus étroite, car il est clair qu’il n’y aura de développe­ment durable tant qu’il n’y aura pas de meilleur accès à l’eau et à l’énergie pour tous.

Dessaler l’eau de mer

LE DESSALEMENT EN MÉDITERRANÉE

Dans le bassin méditerranéen, la capacité installée sera multipliée par cinq ou six d’ici à 2030.
La production artificielle d’eau douce par dessalement d’eau de mer ou d’eau saumâtre souterraine a débuté principalement dans des situations d’isolement insulaire (Malte, Baléares, Chypre), littorales (Libye) et désertiques (Algérie). Ces productions industrielles d’eau ont progressé régulièrement en volume et en performance, l’abaissement significatif des coûts rendant le dessalement de plus en plus compétitif.
Deux technologies sont essentiellement mises en œuvre : la distillation et l’osmose inverse (aujourd’hui 70 % des installations), qui ont fait des progrès considérables.

Compte tenu de l’épuisement relatif des ressources tra­di­tion­nelles, il est néces­saire que les poli­tiques publiques de ges­tion de l’eau intè­grent d’une part un volet de ges­tion de la demande et d’autre part un volet de développe­ment de nou­velles ressources alter­na­tives non con­ven­tion­nelles comme la réu­til­i­sa­tion des eaux usées et le dessalement.

Le dessale­ment des eaux de mer ou des eaux saumâtres con­stitue une des répons­es pos­si­bles pour s’adapter à la pénurie crois­sante des ressources en eau.

Face aux pénuries d’eau, ce dessale­ment est en très forte crois­sance. Le taux de crois­sance du secteur a été de 10 % au cours de la dernière décen­nie. Les vol­umes d’eau dessalée avoisi­nent aujourd’hui les 70 mil­lions de mètres cubes chaque jour, pro­duits grâce à 17 000 usines de dessale­ment dans 120 pays.

Le dessale­ment requiert de grandes quan­tités d’énergie, sous forme de chaleur ou d’électricité, coû­teuses dans la durée et sources d’émissions de gaz à effet de serre. Mais est-ce une solu­tion de facil­ité à court terme, coû­teuse en énergie, ou une solu­tion durable respectueuse de l’environnement ? Un dessale­ment par éner­gies renou­ve­lables est étudié.

Civaux.

Réfrigérants bas avec ventilateurs de la centrale nucléaire de Chinon.
Réfrigérants bas avec ven­ti­la­teurs à Chinon.

Transférer l’eau

L’eau douce est disponible de façon très iné­gale dans le monde, en géo­gra­phie comme en cal­en­dri­er. Dans les régions arides ou semi-arides, le change­ment cli­ma­tique annon­cé devrait se traduire par davan­tage d’événements cli­ma­tiques extrêmes, des crues plus fortes et des péri­odes de sécher­esse plus dures.

“ Des oppositions aux grands projets jugés dispendieux ”

En par­al­lèle, la pop­u­la­tion mon­di­ale aug­mente, en urban­i­sa­tion crois­sante de plus dans les ban­des lit­torales en bord de mer, zones où les ressources en eau sont lim­itées et où les nappes aquifères sur­ex­ploitées voient leur niveau s’abaisser et devi­en­nent de plus en plus saumâtres.

Cette eau douce, dont les villes assoif­fées ont de plus en plus besoin, peut être obtenue par trans­fert à grande dis­tance. Le trans­fert d’eau est pra­tiqué depuis l’Antiquité. Il suf­fit de se rap­pel­er les aque­ducs romains, le pont du Gard, les nom­breux canaux.

Mais il est coû­teux en investisse­ments lourds, en énergie de pom­page, et se heurte de plus en plus à des oppo­si­tions fortes envi­ron­nemen­tales et poli­tiques : en Espagne pour le trans­fert d’eau de l’Èbre, en Libye pour la « Grande Riv­ière arti­fi­cielle » (Great man made riv­er).

Il y a un sen­ti­ment de dépos­ses­sion, voire de spo­li­a­tion, des habi­tants locaux si on leur prend « leur eau » pour la trans­porter au prof­it d’une autre région, et ces grands pro­jets sont jugés dis­pendieux voire « pharaoniques ».

Trans­ferts d’eau inter­bassins en grandes quan­tités et sur longues dis­tances par tuyau flex­i­ble sous-marin
Pourquoi produire de l’eau douce nouvelle quand il suffit de « transporter » l’eau disponible à l’embouchure des fleuves vers les régions côtières en manque ? Pour nourrir les prochains 3 milliards d’habitants supplémentaires de notre planète, pourquoi détruire les forêts tropicales quand il est possible de « transformer les déserts en vergers » ?
Les « rivières sous-marines » constituent une solution particulièrement écologique et économique pour résoudre les problèmes d’eau et d’alimentation dans le monde. Les « autoroutes de l’eau » fournissent de l’eau pour favoriser le développement économique et social.
Projet Via Marina

LE PROJET VIA MARINA

Le projet Via Marina est un système performant et économique de transfert d’eau grâce à des tuyaux flexibles pouvant mesurer jusqu’à quatre mètres de diamètre, posés au fond de l’océan. L’eau, prélevée à l’embouchure de fleuves ou issue des eaux usées traitées, peut être transportée sur des centaines de kilomètres. Au niveau des estuaires juste avant de se mélanger à l’eau de mer, l’eau douce sera perdue de toute façon, et cela ne lèse personne (acceptabilité politique).
La pose de conduites sous-marines assez profondes, sur le plateau continental, est peu gênante en matière d’environnement et ne sera même pas visible en fonctionnement. Ce concept Via Marina est très favorable du point de vue de l’environnement et des émissions de carbone et de gaz à effet de serre (peu d’énergie consommée). Un projet est en cours d’étude au Chili.

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