Le cours des machines, une clé pour l’innovation

Dossier : L'année 1865Magazine N°707 Septembre 2015
Par Charles BOUBERT (13)
Par Alexis GHERMAOUI (13)

Le XIXe siè­cle est mar­qué par la dom­i­na­tion économique de l’Angleterre, poussée par son indus­tri­al­i­sa­tion et sa « machin­i­sa­tion ». Pour rat­trap­er la rivale d’outre- Manche, la France et ses ingénieurs, dirigeants d’entreprises et hommes poli­tiques, poly­tech­ni­ciens en tête, se lan­cent dans de grands pro­jets d’industrialisation.

La France de la deux­ième moitié du siè­cle, et par­ti­c­ulière­ment la pro­mo 1865, sont aus­si mar­quées par la guerre de 1870 et ses conséquences.

La majeure par­tie des élèves effec­tu­ant alors un ser­vice mil­i­taire, sou­vent de plusieurs années, et pour un grand nom­bre au sein de l’artillerie, on com­prend l’importance et l’influence d’un cours sur les machines, spé­ciale­ment prop­ice à l’innovation dans les domaines militaires.

REPÈRES

Dès la création de l’École polytechnique, Monge avait émis le souhait d’instituer un cours de Machines, y voyant déjà un vecteur de progrès et un enjeu majeur du siècle à venir. Il faut pourtant attendre 1806 pour voir l’apparition de ce cours, qui est associé en 1822 à un cours mélangeant de l’arithmétique sociale, de l’astronomie et de la géodésie.
En 1850, enfin, une grande réforme des enseignements supprime le cours des Machines et le fusionne à celui de Mécanique rationnelle, pour former le cours de Mécanique et Machines. Dès lors, l’enseignement des Machines voit son importance grandir et devient un des cours majeurs de l’École.

Un manuel imprimé

Jacques Edmond Émile Bour, né en 1832, major de la pro­mo­tion 1850 puis diplômé du corps des Mines, devient tit­u­laire du cours de Mécanique et Machines en 1864. Il vient de pass­er qua­tre ans à l’École des mines de Saint-Éti­enne et apporte avec lui une pre­mière grande avancée : un ouvrage imprimé.

“ Un cours propice à l’innovation dans les domaines militaires ”

En effet, jusqu’alors, les étu­di­ants rece­vaient de leurs pro­fesseurs un ouvrage lith­o­graphié (écrit à la main puis repro­duit en plusieurs exem­plaires) issu de pris­es de notes de leurs aînés, qui était réédité quelques années plus tard sous forme imprimée.

Edmond Bour est donc le pre­mier à fournir un manuel com­posé de car­ac­tères nor­mal­isés, dès lors bien plus lis­i­ble et facile d’utilisation. Dans une matière telle que la mécanique, con­sid­érée comme « cal­cu­la­toire » et néces­si­tant de très nom­breuses nota­tions, cette évo­lu­tion est con­sid­érable et a sans nul doute par­ticipé au suc­cès de ce cours.

L’invention de la science de l’ingénieur

Deux­ième point témoignant de l’importance de Bour : ingénieur des Mines, il pro­pose une approche beau­coup plus pra­tique et appliquée que ses prédécesseurs.

On pour­rait presque par­ler de l’invention de la sci­ence de l’ingénieur tant les con­sid­éra­tions du pro­fesseur de Mécanique et Machines sont pragmatiques.

Ain­si le cours de Ciné­ma­tique, après avoir intro­duit les con­cepts néces­saires à l’étude du mou­ve­ment de points matériels (pre­mière par­tie, ciné­ma­tique pure), s’attaque dans la deux­ième par­tie (théorie des mécan­ismes) à recenser tous les dis­posi­tifs exis­tants de trans­for­ma­tion du mou­ve­ment, de manière à ren­dre le lecteur capa­ble d’assurer n’importe quel mou­ve­ment à n’importe quelle vitesse à l’aide d’une machine.

Dans cette optique, il réalise une grande clas­si­fi­ca­tion de tous ces dis­posi­tifs selon la nature du mou­ve­ment qu’ils induisent, s’ils changent le sens ou non dudit mou­ve­ment, si la trans­mis­sion se fait par con­tact ou à dis­tance, et enfin selon la manière dont ils mod­i­fient la vitesse du mouvement.

Des clés pour innover

“ Une longue tradition d’excellence dans le domaine du génie mécanique ”

De même, dans l’ouvrage de Sta­tique, Bour recom­mande de men­er les études énergé­tiques à par­tir du tra­vail, car il quan­ti­fie effort et déplace­ment et est donc une « bonne » grandeur dans l’industrie (elle va per­me­t­tre d’évaluer ce que « coûte » réelle­ment le mouvement).

Le pro­fesseur ne vise pas tant à enseign­er une théorie rigoureuse à ses élèves qu’à leur don­ner des clés pour résoudre n’importe quel prob­lème con­cret qu’ils pour­raient être amenés à ren­con­tr­er dans un monde en pleine indus­tri­al­i­sa­tion. Il incite donc à innover.

Exemples et cas concrets

Enfin, Bour réor­gan­ise le cours de Mécanique en enseignant la ciné­ma­tique en début de cur­sus, et non plus à la fin comme c’était le cas pour les pro­mo­tions précé­dentes. Ce change­ment a été con­servé depuis et on imag­ine aujourd’hui très dif­fi­cile­ment com­ment faire de la dynamique sans avoir abor­dé la cinématique.

Lorsque ses prédécesseurs présen­taient et démon­traient les grands théorèmes, lais­sant aux élèves le soin d’en faire l’expérience sur des cas con­crets, Edmond Bour pro­pose beau­coup plus d’exemples, qu’il étudie et résout dans leur totalité.

Les « promos Bour »

Cette nou­velle approche du cours des Machines a porté bien au-delà de la sphère académique : en atteste le rôle priv­ilégié des poly­tech­ni­ciens dans l’essor indus­triel et tech­nologique de la France à la fin du XIXe siècle.

Le développe­ment du chemin de fer, enjeu cru­cial à l’époque, et dont les tracés vont influer durable­ment sur l’aménagement du ter­ri­toire nation­al, est un exem­ple représen­tatif dans le domaine des machines : Adolphe Médard Hen­ry (1865) apporte des amélio­ra­tions impor­tantes au frein West­ing­house ; Charles Renard (1866) dépose de nom­breux brevets sur divers moyens de trans­port, allant du train routi­er au dirigeable.

Enfin, de par leur appar­te­nance à l’armée, les X con­tribuent large­ment à la pré­pa­ra­tion de la « revanche » sur l’Allemagne après la défaite de 1870 et aux inno­va­tions tech­niques associées.

Ain­si l’invention du canon de 75 mm, un des meilleurs canons de cam­pagne de l’époque dans sa caté­gorie, impli­quant nom­bre de poly­tech­ni­ciens, notam­ment Joseph-Albert Deport (1866).

Ils vont aus­si se pencher sur une nou­velle arme : l’aviation.

Les généra­tions de poly­tech­ni­ciens ayant suivi le cours d’Edmond Bour vont à leur tour trans­met­tre cet enseigne­ment à leurs suc­cesseurs, instau­rant une longue tra­di­tion d’excellence dans le domaine du génie mécanique, qui per­dure encore aujourd’hui.

SADI CARNOT ET LES MACHINES

Sadi Carnot (1812) est l’un des plus éminents polytechniciens. La réforme de 1850, qui replace le cours de Machines comme un enseignement central, ne peut être « décorrélée » de ses découvertes.
Dans ses Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance (1824), il théorise nombre de notions sur les machines à vapeur, alors mystérieuses et inconnues des sciences analytiques. Le « cycle de Carnot » met en lumière la possibilité d’engendrer le mouvement à partir d’une source chaude et d’une source froide.
Son œuvre, bien que visionnaire et instructive, était trop en avance sur son temps si bien qu’elle reçut un accueil assez discret à sa parution. Il faut attendre Clapeyron (1816), en 1834, qui publia dans le journal de l’École polytechnique un article analysant les écrits de Carnot en les agrémentant d’une formalisation mathématique, pour que ses idées soient acceptées par la communauté scientifique et se diffusent à grande échelle.
Il est donc normal que l’X, portée par ces deux illustres anciens, progresse dans la direction des Machines.

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