L’agrément

Dossier : Les assurancesMagazine N°560 Décembre 2000
Par Jacques-Henri GOUGENHEIM (52)

Depuis la sig­na­ture du traité de Rome, les grands principes de cette régle­men­ta­tion ont été fixés par des direc­tives de la Com­mu­nauté européenne, dans le but de créer un marché unique respec­tant les mêmes règles pru­den­tielles, et notam­ment celle de la ” marge de solv­abil­ité ” ; après un long chem­ine­ment, il suf­fit, depuis quelques années, à une entre­prise d’as­sur­ance dont le siège social se trou­ve sur le ter­ri­toire de l’U­nion européenne, de la seule autori­sa­tion de son pays d’o­rig­ine pour opér­er dans l’ensem­ble de l’E­space économique européen.

Avant d’ex­am­in­er com­ment est accordée aujour­d’hui en France cette autori­sa­tion, l’a­gré­ment, un rapi­de retour en arrière me per­me­t­tra de met­tre le sujet en situation.

La préhistoire

Si le besoin, aus­si naturel que celui de manger ou de dormir, de se pro­téger con­tre les aléas de l’ex­is­tence, a con­duit très tôt des col­lec­tiv­ités, famil­iales ou trib­ales, notam­ment en Mésopotamie, où l’on a retrou­vé des traces de cette activ­ité, à chercher à com­penser, par la sol­i­dar­ité, les risques nés de la fatal­ité, en mutu­al­isant la charge des sin­istres sur­venus, les mêmes ont égale­ment mis en place les pre­mières pro­tec­tions con­tre les risques inhérents à l’ac­tiv­ité économique, et notam­ment au trans­port de marchan­dis­es, par terre ou par mer, la tar­i­fi­ca­tion prenant en compte, au cas par cas, l’é­val­u­a­tion de ces risques.

Et, comme la chance a voulu que la Méditer­ranée ait des dimen­sions suff­isam­ment restreintes pour que le com­merce puisse s’y dévelop­per, l’as­sur­ance mar­itime, par les prêts et con­trats à la grosse aven­ture, y con­nut un essor par­al­lèle, notam­ment dans les ports d’Es­pagne et d’I­tal­ie, relayés par Lon­dres après les grandes décou­vertes. En France, où ce fut longtemps la seule forme d’as­sur­ance pra­tiquée, Col­bert la cod­i­fia en 1681 dans sa célèbre Ordon­nance sur la Marine.

En revanche, la mise en œuvre organ­isée de mécan­ismes de sol­i­dar­ité ne sem­ble pas avoir été de règle dans le monde gré­co-latin, et il fal­lut atten­dre les pre­miers siè­cles du Moyen-Âge, pour voir renaître, dans le nord de l’Eu­rope, des asso­ci­a­tions char­i­ta­bles, con­nues sous le nom de guildes, qui furent sans doute les pre­mières à mutu­alis­er la charge des sin­istres à venir ; sans pour autant les per­dre de vue, les guildes dépassèrent peu à peu leurs objec­tifs ini­ti­aux, pour devenir de véri­ta­bles organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles, et parce qu’elles étaient bien gérées, comme on le dirait aujour­d’hui, et qu’elles igno­raient les fron­tières, elles firent ombrage à l’Église, à qui elles fai­saient con­cur­rence, et aux États, qui ont craint la puis­sance de leurs asso­ci­a­tions, les hans­es… si bien que l’une des pre­mières man­i­fes­ta­tions du pou­voir régle­men­taire en matière d’as­sur­ance a con­sisté à brid­er, au point de les faire dis­paraître, des organ­ismes qui rendaient à leurs adhérents des ser­vices con­formes à leur objet.

Après le grand incendie de Lon­dres, en 1666, se con­sti­tuèrent, lente­ment en Grande-Bre­tagne, plus lente­ment encore sur le con­ti­nent, des mutuelles d’as­sur­ance con­tre les incendies, qui com­mencèrent à maîtris­er le cal­cul des prob­a­bil­ités dans les dernières années du XVIIIe siècle.

L’arrêt du 3 novembre 1787

En France, la pre­mière man­i­fes­ta­tion d’une régle­men­ta­tion pro­pre à l’ac­tiv­ité d’as­sur­ance sem­ble se trou­ver dans la con­ces­sion accordée le 6 novem­bre 1786 à une Com­pag­nie créée à cet effet, du priv­ilège d’of­frir au pub­lic des assur­ances con­tre les incendies, puis, un an plus tard, des assur­ances sur la vie, ces autori­sa­tions étant assor­ties, dans les deux cas, d’un mono­pole de quinze ans.

L’ar­rêt du Con­seil d’É­tat du 3 novem­bre 1787 explique, dans son exposé des motifs, que ces sortes d’as­sur­ances mod­érées et équitable­ment arbi­trées affranchi­raient (les souscrip­teurs) de l’usure trop com­mune, et que leurs com­bi­naisons var­iées, liant utile­ment le présent et l’avenir, ranimeraient ces sen­ti­ments d’af­fec­tion et d’in­térêt récipro­ques qui font le bon­heur de la société et en aug­mentent la force. La créa­tion du mono­pole et celle des deux fonds de garantie, dont la souscrip­tion est imposée aux pro­mo­teurs du pro­jet, sont jus­ti­fiées par des raisons tech­niques, car le suc­cès ne peut être plus effi­cace­ment assuré que par la réu­nion d’une mul­ti­tude de chances, mais, quoique ces assur­ances doivent être cal­culées de manière à tir­er leur solid­ité com­plète de la réu­nion des chances, (Sa Majesté) a cru qu’il serait utile de soumet­tre ceux qui seraient chargés de cet étab­lisse­ment à une finance con­sid­érable, dans laque­lle cha­cun des assurés ait un gage authen­tique des engage­ments pris avec lui.

Les fonds de garantie req­uis sont en effet fort impor­tants, huit mil­lions pour cha­cune des deux branch­es, ce qui cor­re­spond à une cen­taine de mil­lions de francs d’au­jour­d’hui, au prix du louis, et à deux fois plus si l’on éval­ue à 3 000 livres par an le SMIC de l’époque.

Ils devront être recon­sti­tués en cas de perte d’ex­ploita­tion, de façon à per­me­t­tre de répon­dre de l’exé­cu­tion des­dites assur­ances, jusqu’à par­fait accom­plisse­ment des engage­ments pris par la Com­pag­nie, dont il est pré­cisé que la durée peut dépass­er les quinze ans du monopole.

Le texte pré­cise enfin que Sa Majesté n’a pas cru non plus devoir nég­liger l’in­térêt qu’elle pour­rait retir­er de cet étab­lisse­ment, dès à présent et dans l’avenir, pour ses finances et que les fonds de garantie seront donc placés en effets du Trésor.

Les statuts de la Com­pag­nie doivent être approu­vés par le Roi, comme le prospec­tus con­tenant les détails et les con­di­tions de l’étab­lisse­ment des assur­ances sur la vie, les tables et les cal­culs des primes pour les cas généraux, les mod­èles des polices d’as­sur­ance et des engage­ments respec­tifs des assureurs et des assurés ; le taux de l’im­pôt sur les béné­fices est de 25 %.

Les préoc­cu­pa­tions essen­tielles des futures autorités de tutelle se trou­vent déjà dans ce texte de trois pages : il s’ag­it, d’une part, de pro­téger les assurés, par l’in­sti­tu­tion du ” visa ” imposé aux ter­mes et tar­ifs des con­trats, et par la créa­tion des fonds de garantie, et, d’autre part, de faire par­ticiper la nou­velle Com­pag­nie au finance­ment de l’économie.

À peine celle-ci avait-elle eu le temps de com­mencer ses opéra­tions qu’elle fut emportée par la Révo­lu­tion, qui ban­nit les asso­ci­a­tions, et inter­dit l’as­sur­ance sur la vie, con­sid­érée comme immorale.

Les temps modernes

La révo­lu­tion indus­trielle, le développe­ment du chemin de fer, la crois­sance de la pop­u­la­tion urbaine, l’ar­rivée de l’au­to­mo­bile, les décou­vertes de la médecine, la néces­sité de pro­téger l’en­vi­ron­nement, etc., font appa­raître de nou­veaux risques, que pren­nent en charge les com­pag­nies d’as­sur­ance mod­ernes, dont les pre­mières ont été créées dans les années 1820.

Une part sans cesse crois­sante de la pop­u­la­tion doit faire face à ces risques nou­veaux, dont la plu­part sont plus ou moins directe­ment la rançon du pro­grès, tan­dis que seules les cat­a­stro­phes naturelles sont aujour­d’hui l’ex­pres­sion de la fatal­ité ; dans le même temps, la général­i­sa­tion de ces risques, dans la mesure où chaque indi­vidu s’imag­ine en vic­time poten­tielle, donne de plus en plus de force au con­cept de ” droit à répa­ra­tion “, qui con­duit le lég­is­la­teur à créer des assur­ances oblig­a­toires, notam­ment en matière de respon­s­abil­ité, ou même à socialis­er des garanties.

Les pou­voirs publics seront amenés, au fil du temps, à pren­dre en compte l’ap­pari­tion de ces nou­veaux risques et le rapi­de développe­ment des opéra­tions d’as­sur­ance, dont la sur­veil­lance se met pro­gres­sive­ment en place, par l’adop­tion suc­ces­sive de textes, en 1868, sur les con­di­tions de con­sti­tu­tion des sociétés d’as­sur­ance, en 1898, après l’Alle­magne, sur le con­trôle des sociétés assur­ant les acci­dents du tra­vail, en 1905, sur la pro­tec­tion des assurés sur la vie, en 1935, sur l’as­sur­ance auto­mo­bile, et enfin des véri­ta­bles textes fon­da­teurs que sont la loi de 1930 sur le con­trat d’as­sur­ance et le décret-loi du 14 juin 1938 unifi­ant le con­trôle de l’É­tat sur les entre­pris­es d’as­sur­ance de toute nature ; le Code des assur­ances est aujour­d’hui très volumineux.

La tutelle, con­fiée depuis 1940 au min­istère des Finances, n’est pas uni­verselle, puisque le con­trôle des organ­ismes à ges­tion par­i­taire est con­fié au min­istère des Affaires sociales, où il est exer­cé sur d’autres bases, non seule­ment pour la Sécu­rité sociale, mais aus­si pour les organ­ismes rel­e­vant du Code de la mutu­al­ité, ou pour les insti­tu­tions de prévoy­ance et les caiss­es de retraite par répar­ti­tion, dont les engage­ments sont cepen­dant à long terme, et dont cha­cun sait aujour­d’hui qu’elles gèrent des régimes dont la péren­nité n’est assurée que par la garantie que leur donne la col­lec­tiv­ité nationale, d’une manière qui, longtemps implicite, est récem­ment dev­enue qua­si explicite.

Le contrôle de l’État

L’ar­ti­cle L.310–1 du Code des assur­ances, ” Le con­trôle de l’É­tat s’ex­erce dans l’in­térêt des assurés, souscrip­teurs et béné­fi­ci­aires de con­trats d’as­sur­ance et de cap­i­tal­i­sa­tion “, est sans doute repris aujour­d’hui dans les lég­is­la­tions de tous les pays où existe un marché. Les modal­ités d’ap­pli­ca­tion se sont peu à peu mis­es en place dans les dif­férents États de l’U­nion européenne, sans pour autant être totale­ment har­mon­isées, les tra­di­tions nationales con­duisant à priv­ilégi­er le con­trôle des tar­ifs, en Alle­magne, celui des per­son­nes en con­tact avec le pub­lic, en Grande-Bre­tagne, celui des entre­pris­es en France et en Italie.

Le con­trôle est exer­cé ici par une admin­is­tra­tion cen­trale, là par une autorité dotée d’une large indépen­dance, même si elle est le plus sou­vent placée elle-même sous la tutelle d’un ministre.

Aus­si éton­nant que cela puisse paraître, la Grande-Bre­tagne a choisi la pre­mière solu­tion, et la France la sec­onde, depuis la loi du 31 décem­bre 1989, qui a créé la Com­mis­sion de con­trôle des assurances.

L’ar­ti­cle L.310–12 du Code, qui définit sa mis­sion, stip­ule, en effet, que la Com­mis­sion, d’une part, veille au respect par les entre­pris­es d’as­sur­ance des dis­po­si­tions lég­isla­tives ou régle­men­taires rel­a­tives à l’as­sur­ance, et d’autre part, s’as­sure qu’elles sont tou­jours en mesure de tenir les engage­ments qu’elles ont con­trac­tés à l’é­gard des assurés, et présen­tent la marge de solv­abil­ité pre­scrite.

Ce texte traduit bien la préoc­cu­pa­tion de sens com­mun, ” mieux vaut prévenir que guérir “, et la sur­veil­lance per­ma­nente des con­di­tions d’ex­ploita­tion des entre­pris­es d’as­sur­ance doit, dans son principe, per­me­t­tre, en antic­i­pant les déra­pages, de pre­scrire à temps les éventuelles mesures de redressement.

Com­posée de cinq mem­bres, nom­més pour cinq ans, la Com­mis­sion est présidée par un con­seiller d’É­tat ; un Com­mis­saire du gou­verne­ment représente auprès d’elle la direc­tion du Tré­sor, autorité de tutelle de la profession.

Les com­mis­saires con­trôleurs des assur­ances, qui con­stituent l’ef­fi­cace bras armé de la Com­mis­sion, dis­posent de très larges pou­voirs d’in­ves­ti­ga­tion dans les entre­pris­es, mais n’ont pas celui de sanc­tion­ner, et c’est donc sur leur rap­port que la Com­mis­sion peut, après avoir con­staté l’in­frac­tion, impos­er des mesures de sauve­g­arde ou de redressement.

Cepen­dant dans la mesure où le con­trôle se veut préven­tif, et où, le plus sou­vent, un déra­page précède l’in­frac­tion, la con­nais­sance détail­lée, presque intime, qu’ils ont des entre­pris­es dont ils sont les inter­locu­teurs per­ma­nents, donne aux mem­bres du corps de con­trôle une cer­taine capac­ité d’ap­pré­ci­a­tion, et leur per­met, tant qu’au­cune infrac­tion car­ac­térisée n’a été com­mise, d’u­tilis­er leur pou­voir d’in­flu­ence, dans l’e­spoir de voir se rétablir une sit­u­a­tion qui se dégrade, avant de devoir pro­pos­er à la Com­mis­sion de décider du choix d’une sanc­tion, dans une gamme assez large, et dont la plus grave est le retrait d’agrément.

Le chef du ser­vice et du corps de con­trôle assure le secré­tari­at général de la Com­mis­sion ; bien que le cas ne se soit sans doute pas encore présen­té, il est per­mis de se deman­der com­ment serait résolu le prob­lème posé par une diver­gence de fond entre la posi­tion soutenue par le ser­vice du con­trôle et la déci­sion de la Com­mis­sion, sauf à faire appel, pour tranch­er le débat, au Com­mis­saire du gouvernement.

L’agrément

Toute l’ac­tion des autorités de tutelle est ori­en­tée vers la préven­tion, comme il a été souligné ci-dessus ; le droit de présen­ter des opéra­tions d’as­sur­ances au pub­lic doit donc être régi par des dis­po­si­tions d’une par­ti­c­ulière vig­i­lance, de manière à ne pas laiss­er se créer des sit­u­a­tions prop­ices à l’ap­pari­tion ultérieure d’in­frac­tions. C’est, en France, l’ar­ti­cle L.321–1 du Code qui impose l’a­gré­ment, lequel est accordé par le min­istre de l’É­conomie et des Finances, et dont le refus est sus­cep­ti­ble de recours.

Par­mi les 26 ” branch­es ” d’as­sur­ance devant faire l’ob­jet d’un agré­ment spé­ci­fique ne fig­ure pas la réas­sur­ance, l’as­sur­ance des assureurs, sans doute en rai­son du car­ac­tère inter­na­tion­al de ses opéra­tions, bien que, depuis 1994, les entre­pris­es de réas­sur­ance soient assu­jet­ties au con­trôle de l’É­tat ; il existe sur ce point une dif­férence, qu’il fau­dra bien faire dis­paraître, avec la Grande-Bre­tagne, chez qui les réas­sureurs doivent être agréés.

L’ar­ti­cle L.321–10 du Code stip­ule que :

Pour accorder ou refuser l’a­gré­ment le min­istre prend en compte :
- les moyens tech­niques et financiers dont la mise en œuvre est pro­posée et leur adéqua­tion au pro­gramme d’ac­tiv­ités de l’entreprise,
- l’honor­a­bil­ité et la qual­i­fi­ca­tion des per­son­nes chargées de la conduire,
- la répar­ti­tion de son cap­i­tal et la qual­ité des action­naires après avoir recueil­li l’avis de la Com­mis­sion des entre­pris­es du Con­seil nation­al des assur­ances, qu’il pré­side, avis qui ne l’en­gage pas, mais auquel il ne lui est arrivé que très rarement de pass­er outre.

Les élé­ments con­sti­tu­tifs du dossier à fournir en appui d’une demande d’a­gré­ment sont décrits par les arti­cles A.321–1 du Code, pour les entre­pris­es, et A.321–2 pour leurs dirigeants ; pour ceux-ci, les infor­ma­tions demandées sont si détail­lées, qu’il paraît sans doute dif­fi­cile aux fonc­tion­naires chargés d’in­stru­ire le dossier de pouss­er leurs inves­ti­ga­tions plus loin encore, d’au­tant que le refus d’a­gré­ment est sus­cep­ti­ble de recours ; le lég­is­la­teur a cepen­dant intro­duit en 1999 dans l’ar­ti­cle L.321–10 une clause per­me­t­tant au min­istre de refuser l’a­gré­ment, après avis, cette fois, de la Com­mis­sion de con­trôle, lorsque l’ex­er­ci­ce de la mis­sion de sur­veil­lance risque d’être entravé, par l’ex­is­tence, soit de liens en cap­i­tal dif­fi­ciles à appréci­er, soit de dis­po­si­tions lég­isla­tives ou autres d’un État qui ne fait pas par­tie de l’E­space économique européen.

Il est per­mis de se dire aujour­d’hui que, si ce texte avait été voté et mis en appli­ca­tion plus tôt, quelques-unes des défail­lances d’en­tre­pris­es d’as­sur­ance, au demeu­rant assez rares, qu’a sup­port­ées le marché français au cours des quar­ante dernières années auraient pu être évitées.

Le principe du fit and proper

Quoi qu’il en soit, notre cartésian­isme et notre respect des textes induisent, sans aucun doute, chez nous un com­porte­ment plus for­mal­iste que celui, par exem­ple, de l’ad­min­is­tra­tion bri­tan­nique, qui applique avec une grande indépen­dance d’e­sprit le principe du fit and prop­er, et j’ai le sou­venir per­son­nel de dis­cus­sions au Depart­ment of Trade and Indus­try, où, avec un sourire désar­mant, un haut fonc­tion­naire très com­pé­tent et par­faite­ment cour­tois n’a autorisé l’UAP à procéder à une acqui­si­tion qu’il n’avait pas le pou­voir de refuser qu’en nous imposant des con­traintes nulle­ment prévues par les textes.

Les ques­tion­naires aux­quels sont soumis, sans aucune dis­crim­i­na­tion, les assureurs qui souhait­ent opér­er à Hong-Kong ou à Sin­gapour, ont un car­ac­tère presque inquisi­to­r­i­al et per­me­t­tent aux autorités de con­trôle de ces pays, elles aus­si tout à fait com­pé­tentes, d’in­tro­duire, avec un coef­fi­cient fort, la ” cote de gueule ” par­mi leurs critères d’acceptation.

Et, par­mi mes sou­venirs de même nature, fig­ure en bonne place celui, qui remonte au tout début des années soix­ante-dix, du séjour d’une semaine que fit, à nos frais, dans un grand hôtel de la place de la Con­corde, un fonc­tion­naire de la Direc­tion des assur­ances de l’É­tat de New York, où l’UAP avait des fil­iales de réas­sur­ance, afin de recueil­lir les empreintes des dix doigts de cha­cun des admin­is­tra­teurs du ben­e­fi­cial own­er.

Cette anec­dote per­met, en pas­sant, de soulign­er qu’aux États-Unis, dont le marché reste le plus impor­tant du monde, l’as­sur­ance n’est pas régie par une lég­is­la­tion fédérale ; le pou­voir régle­men­taire détenu par les États y est exer­cé par des insur­ance com­mis­sion­ers, dont la moitié env­i­ron sont des élus, ce qui ne va pas sans favoris­er cer­taines dérives des textes, notam­ment de car­ac­tère pro­tec­tion­niste ; si la NAIC, l’as­so­ci­a­tion des com­mis­sion­ers, con­sacre beau­coup d’ef­forts à l’har­mon­i­sa­tion des lég­is­la­tions, il n’est pas aujour­d’hui envis­age­able qu’elle pro­pose de se sabor­der, et de con­fi­er l’ensem­ble au gou­verne­ment fédéral.

Le capital minimum

Pour revenir en France, il existe, par­mi les con­di­tions mis­es à l’ob­ten­tion de l’a­gré­ment, une clause qui ne peut pas faire reculer grand monde, puisqu’elle fixe à 5 mil­lions de francs le niveau du cap­i­tal min­i­mum des sociétés anonymes (arti­cle R.322–5 du Code), et à la moitié de ce mon­tant celui du fonds d’étab­lisse­ment min­i­mum des sociétés mutuelles (arti­cle R.322–44). Ces chiffres, qui n’ont pas été mod­i­fiés depuis près de quar­ante ans, sont ridicules et devraient être rapi­de­ment l’ob­jet d’un relève­ment sub­stantiel, et pourquoi pas jusqu’à un niveau voisin de celui qu’avait fixé le Con­seil d’É­tat en 1787, soit env­i­ron 15 mil­lions d’euros.

Les fonds de garantie

Plusieurs fonds de garantie ont été insti­tués au fil des années, qui ont pour mis­sion d’in­dem­nis­er des vic­times, d’ac­ci­dents dont les auteurs n’ont pas respec­té l’oblig­a­tion d’as­sur­er leur respon­s­abil­ité, ou sont introu­vables, d’actes de ter­ror­isme, dont on peut, en effet, se deman­der si la garantie relève ou non des tech­niques de l’as­sur­ance, ou, plus récem­ment, au nom d’un droit à répa­ra­tion qui s’in­stalle dans nos esprits et dans nos textes, de dom­mages résul­tant d’une infraction.

Le fonds de garantie des assurés con­tre la défail­lance de sociétés d’as­sur­ance de per­son­nes, insti­tué par la loi du 25 juin 1999, est d’une nature dif­férente, puisqu’il vise à pro­téger les assurés, et non plus des tiers, con­tre la défail­lance d’une entre­prise, ce qui ne devrait être qu’un cas d’é­cole, dès lors que l’a­gré­ment min­istériel a été don­né à bon escient, et que le con­trôle a bien fonc­tion­né, éventuelle­ment dans la durée, en rai­son de la nature même des opéra­tions d’as­sur­ance sur la vie, où les engage­ments sont pris à long terme.

Tel qu’il a été créé, le fonds de garantie, qui est ali­men­té par les coti­sa­tions des sociétés agréées, pro­tège au moins autant l’ad­min­is­tra­tion, dont cepen­dant la respon­s­abil­ité est dif­fi­cile à met­tre en cause, et même lorsque les com­mis­saires con­trôleurs ont usé de leur pou­voir d’ap­pré­ci­a­tion, qu’il pro­tège les assurés au béné­fice desquels il a été créé.

Il ne me sem­ble pas que l’on aurait pris de grands risques, lors de sa créa­tion, en revoy­ant la procé­dure d’a­gré­ment, de manière à don­ner, d’une part, aux fonc­tion­naires chargés d’in­stru­ire les dossiers une plus grande marge d’ap­pré­ci­a­tion, en par­ti­c­uli­er pour ce qui con­cerne la qual­i­fi­ca­tion et les antécé­dents pro­fes­sion­nels des dirigeants pro­posés, et, d’autre part, aux instances organ­isées de la pro­fes­sion une meilleure représen­ta­tion au sein de la com­mis­sion chargée de don­ner au min­istre son avis sur les candidatures.

En tout état de cause, si, ain­si qu’il sem­ble en être ques­tion, un nou­veau fonds de pro­tec­tion des assurés devait être créé pour les assur­ances non-vie (dom­mages et respon­s­abil­ité), la ques­tion ne pour­rait plus être éludée, car les cas de défail­lance sont ici moins rares qu’en assur­ance vie ; et l’ex­a­m­en des deman­des d’a­gré­ment devrait être effec­tué con­join­te­ment par les représen­tants de l’ad­min­is­tra­tion et par ceux de la pro­fes­sion puisque celle-ci aurait, en cas de défail­lance ultérieure, à en pay­er la fac­ture, ou, plus pré­cisé­ment, à en faire sup­port­er le coût par ses assurés.

La créa­tion d’une telle instance de con­cer­ta­tion per­me­t­trait à la Fédéra­tion française des sociétés d’as­sur­ance de met­tre fin à sa pro­pre procé­dure d’ad­mis­sion, qu’elle a juste­ment main­tenue, bien que l’ad­min­is­tra­tion n’ait jamais tenu compte de sa posi­tion, dans les cas, très peu nom­breux, de défail­lance d’en­tre­pris­es qui avaient reçu l’a­gré­ment, et dont elle avait écarté la candidature.

Spéculations

Les pou­voirs publics ont exam­iné, pen­dant quelques mois, l’op­por­tu­nité de con­fi­er à une même autorité admin­is­tra­tive le con­trôle des ban­ques et celui des com­pag­nies d’as­sur­ance ; si la mise en œuvre d’une régle­men­ta­tion com­mune serait sans doute jus­ti­fiée pour les gammes de pro­duits financiers dif­fusées, sans dif­férence notable entre elles, par les deux caté­gories d’in­sti­tu­tions, il n’en est pas moins vrai que les com­pag­nies d’as­sur­ance sur la vie con­tin­u­ent à pren­dre des engage­ments à long terme, aux­quels les ban­ques répugnent.

Il est, par ailleurs, dif­fi­cile d’imag­in­er ce que les normes pru­den­tielles de l’as­sur­ance non-vie peu­vent avoir de com­mun avec celles que doit respecter le secteur ban­caire. Enfin, s’il peut y avoir une crise de solv­abil­ité dans une entre­prise d’as­sur­ance, elle ne fera en aucun cas courir le risque sys­témique qui pour­rait naître d’une crise de liq­uid­ités dans une grande banque.

Et comme je me suis longtemps demandé quelle réflex­ion avait con­duit les ban­quiers, qui, sous la Restau­ra­tion, ont créé les sociétés qui allaient devenir les grandes com­pag­nies d’as­sur­ance français­es, à con­fi­er le pou­voir d’en­gager ces com­pag­nies à de nom­breux agents, pour la plu­part non con­nus d’eux, alors que, dans leur banque, ils n’avaient don­né la sig­na­ture qu’à un ou deux fondés de pou­voir instal­lés dans leur pro­pre bureau, il me paraît aujour­d’hui évi­dent que ces grands ancêtres avaient com­pris qu’in­scrire ses risques au pas­sif de son bilan, comme les assureurs, était d’une autre nature que de les avoir à l’ac­t­if, comme c’é­tait, à l’époque, le cas pour les banquiers.

Ce sont, aux dernières nou­velles, les con­clu­sions aux­quelles sont arrivés égale­ment les experts chargés d’é­clair­er le min­istre sur l’in­térêt de la proposition.

Pour con­clure, sans doute les autorités de tutelle pour­raient-elles entre­pren­dre d’u­ni­fi­er, en France, le con­trôle des organ­ismes qui relèvent, au sein de l’U­nion européenne, des direc­tives sur l’as­sur­ance, et donc des entre­pris­es d’as­sur­ance, des mutuelles régies par le Code de la mutu­al­ité et des insti­tu­tions de retraite et de prévoyance.
Peut-être pour­rions-nous, par ailleurs, nous con­train­dre à ne plus intro­duire dans notre régle­men­ta­tion de nou­veaux textes qui ne soient pas ” européens “.
Il est enfin per­mis de rêver, et d’e­spér­er que l’U­nion européenne met­tra prochainement1 en place un con­trôle totale­ment unifié, sinon unique, des activ­ités d’assurance.

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1. Je veux croire que cela pren­dra moins de temps qu’il n’en a fal­lu pour pren­dre posi­tion sur le per­mis de con­duire à points, qui a été lancé le 1er juil­let 1992, plus de trente ans après ma présen­ta­tion à nos cama­rades dans La Jaune et la Rouge d’oc­to­bre 1961.

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