La valeur stratégique au coeur de la gouvernance du secteur financier

Dossier : Entreprise et management : rigueur et compétitivtéMagazine N°648 Octobre 2009
Par Paul-André RABATE (72)
Par Jean-Marc PAILHOL

Que ce soit pour les investis­seurs, les parte­naires ban­caires et financiers, les clients ou les col­lab­o­ra­teurs, la mesure de la ” valeur ” glob­ale d’une entre­prise est fon­da­men­tale. On dis­tingue générale­ment ” valeur finan­cière “, ” valeur de marché ” et ” valeur stratégique “. Il n’est pas néces­saire, et il est d’ailleurs assez rare, qu’il y ait équiv­a­lence entre elles pour la val­ori­sa­tion d’une entre­prise auprès de ses stake­hold­ers. Néan­moins, il est évidem­ment souhaitable qu’elles soient cohérentes.

REPÈRES
On donne trois déf­i­ni­tions de la valeur d’une entre­prise : la valeur finan­cière (VF) découle des comptes financiers de l’entreprise et de l’évaluation sous-jacente de ses risques. Reflet de la con­for­mité avec les normes compt­a­bles, c’est une mesure recon­nue de la solid­ité de l’entreprise, validée par le tra­vail des audi­teurs externes et des comités d’audit ; la valeur de marché (VM) est don­née par la valeur courante de la cota­tion en Bourse. Influ­encée par la valeur finan­cière, elle dépend aus­si très large­ment du con­texte glob­al du marché ain­si que d’éléments plus sub­jec­tifs liés à l’information fournie par l’entreprise et de la qual­ité du dia­logue de ses dirigeants avec le marché. La val­ori­sa­tion de cer­taines ban­ques au cours du pre­mier semes­tre 2009 démon­tre bien que, par­fois, valeur finan­cière et valeur de marché peu­vent être très décalées ; la valeur stratégique ou intrin­sèque (VS) prend en compte le con­texte de marché, la stratégie de l’entreprise, ses forces et faib­less­es et ses per­spec­tives futures de développe­ment. C’est cer­taine­ment la plus proche de la valeur réelle actuelle de l’entreprise. Elle ne peut pas s’apprécier unique­ment à par­tir de chiffres compt­a­bles, elle néces­site un diag­nos­tic des résul­tats, de l’environnement et de l’impact de la stratégie engagée par l’entreprise pour cha­cun de ses métiers à court et moyen terme.

Une vision trop traditionnelle

Si, pour les étab­lisse­ments ban­caires et financiers, la mesure de la valeur finan­cière et de la valeur de marché fait l’ob­jet d’un véri­ta­ble con­trôle sys­té­ma­tique des autorités finan­cières et de marché, et que la stratégie de l’en­tre­prise est une com­posante sou­vent inté­grée à ces mesures, aucun de ces organ­ismes n’évoque directe­ment en tant que telle la valeur stratégique de l’en­tre­prise. D’ailleurs, ils n’ex­i­gent pas non plus que les comités de direc­tion s’en préoc­cu­pent ” officiellement “.

Un choix stratégique mal­heureux peut entraîn­er une destruc­tion de valeur

Cette focal­i­sa­tion de la val­ori­sa­tion sur la VF et la VM cor­re­spond à une vision his­torique et tra­di­tion­nelle de la valeur de l’en­tre­prise, liée à un envi­ron­nement et à un con­texte qui ne cor­re­spon­dent plus aux réal­ités actuelles.

Aujour­d’hui, cette approche n’est plus suff­isante. Dans un con­texte mon­di­al­isé tant sur le plan économique que médi­a­tique, en évo­lu­tion per­ma­nente et de plus en plus rapi­de, dans lequel un choix stratégique mal­heureux peut entraîn­er une destruc­tion de valeur qua­si immé­di­ate pour l’ensem­ble des stake­hold­ers, la mesure et le suivi de la VS des ban­ques et des étab­lisse­ments financiers appa­rais­sent tout sim­ple­ment incontournables.

La règle des quatre yeux

Les leçons de la crise
Les action­naires, les por­teurs d’oblig­a­tions, de bons, les déposants et les organ­ismes d’as­sur­ance ou de réas­sur­ance ne sont plus les seuls con­cernés par le risque ban­caire. Ce sont bien tous les con­tribuables qui, in fine, garan­tis­sent le risque de défail­lance d’étab­lisse­ments dont la stratégie n’a pas per­mis de prévenir ou de con­trôler la crise des sub­primes, voire même l’ont dévelop­pée et max­imisée, met­tant en dan­ger l’ensem­ble de l’é­conomie mondiale.

Il suf­fit d’évo­quer le des­tin de Lehman Broth­ers ou les déboires de Natix­is pour être immé­di­ate­ment con­va­in­cu de l’im­périeuse néces­sité de faire de la mesure et du suivi de la valeur stratégique un élé­ment cen­tral de la gou­ver­nance des ban­ques et des étab­lisse­ments financiers. La mesure et le suivi de la valeur stratégique sont donc bien d’un intérêt majeur, autant pour les con­tribuables, les gou­verne­ments et les régu­la­teurs que pour les créanciers des ban­ques et les action­naires. À con­di­tion, bien sûr, que cette mesure et ce suivi ne soient pas mis, comme c’est actuelle­ment sou­vent le cas, sous la respon­s­abil­ité exclu­sive des comités de direc­tion des étab­lisse­ments ban­caires et financiers. Loin de ” la règle des qua­tre yeux “, les acteurs de la stratégie auraient ain­si la très lourde respon­s­abil­ité d’en être en même temps les auditeurs.

Audit et comités stratégiques

Pour assur­er une val­ori­sa­tion stratégique réelle­ment objec­tive et régulière de l’en­tre­prise, il appa­raît indis­pens­able de met­tre en vigueur des règles de fonc­tion­nement ren­dant indis­pens­ables la mise en place et la tenue de véri­ta­bles comités stratégiques dis­posant réelle­ment, d’une part de l’in­for­ma­tion sur l’ensem­ble des critères con­sti­tu­tifs de la VS et d’autre part d’un réel pou­voir d’in­ter­ven­tion auprès des équipes dirigeantes pour cri­ti­quer, chal­lenger et dans cer­tains cas, alert­er et infléchir la stratégie.

Un manque de contre-pouvoir
De nom­breuses ban­ques, com­pag­nies d’as­sur­ances et étab­lisse­ments financiers ont déjà mis en place des comités stratégiques. Force est de con­stater qu’ils ne dis­posent que rarement de la capac­ité, du pou­voir ou du statut néces­saires pour con­tester la stratégie et l’é­val­u­a­tion stratégique telles que présen­tées par le comité de direc­tion ou le comité exé­cu­tif. De fait, habituelle­ment ils ne peu­vent qu’échang­er sur les sujets, avec au mieux un avis con­sul­tatif. Les freins, miroirs et con­tre-pou­voirs indis­pens­ables à une bonne gou­ver­nance sont donc sou­vent man­quants dans ce domaine.

Un ” audit stratégique ” rigoureux et réguli­er, réal­isé dans le cadre du comité stratégique et per­me­t­tant de mesur­er et de suiv­re la valeur stratégique de l’en­tre­prise, con­stitue un véri­ta­ble ” plus ” pour l’ensem­ble des stake­hold­ers. Prenant en compte l’ensem­ble des scé­nar­ios prob­a­bles et les dif­férentes options stratégiques envis­age­ables, il per­met aux comités de direc­tion ou aux comités exé­cu­tifs, non seule­ment de mesur­er et de véri­fi­er la valeur fon­da­men­tale, stratégique et intrin­sèque de leur banque à moyen et long terme, mais égale­ment de con­tester, de com­pren­dre, de partager et d’être ain­si réelle­ment acteur de la stratégie de leur étab­lisse­ment en por­tant les mesures néces­saires à l’ac­croisse­ment durable de cette valeur.

Dans le cli­mat actuel, vision et stratégie sont plus que jamais néces­saires. Il est cru­cial d’élever le périscope au-dessus des nuages, voir ce qui se passe en réal­ité et soumet­tre la stratégie et son éval­u­a­tion à un véri­ta­ble con­trôle et à une authen­tique contestation.

Véri­fi­er la valeur, mais aus­si com­pren­dre, partager et contester

L’au­dit stratégique s’avère donc désor­mais aus­si impor­tant pour la bonne gou­ver­nance de l’in­dus­trie ban­caire et finan­cière que l’au­dit financier ou l’au­dit des risques. Réal­isé sous la respon­s­abil­ité des comités stratégiques, à un rythme iden­tique aux audits financiers et risques, par des cab­i­nets de con­seil spé­cial­isés en stratégie pour en assur­er l’ob­jec­tiv­ité, l’au­dit stratégique viendrait en com­pléter les résul­tats en don­nant une dimen­sion dynamique. Vision dynamique aujour­d’hui sim­ple­ment incon­tourn­able, car indis­pens­able à l’é­val­u­a­tion du poten­tiel de créa­tion ou de destruc­tion de valeur glob­ale pour la banque ou l’étab­lisse­ment financier, quelle que soit sa valeur finan­cière ou de marché à l’in­stant t.

Cor­po­rate Val­ue Asso­ci­atesCor­po­rate Val­ue Asso­ciates (CVA), créé en 1987, est un cab­i­net de con­seil en stratégie d’en­tre­pris­es qui emploie 300 con­sul­tants dans le monde répar­tis dans 16 bureaux et inter­venant dans plus de 30 pays.

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