La sécurité aérienne, un défi mondial

Dossier : Sécurité des transportsMagazine N°704 Avril 2015
Par Patrick CIPRIANI (80)

Les don­nées mon­diales (source OACI) montrent une amé­lio­ra­tion conti­nue du taux d’accidents mor­tels, pour atteindre, en 2013, 0,3 acci­dent mor­tel par mil­lion de vols, soit 163 pas­sa­gers décé­dés en 11 accidents.

“ Une amélioration continue du taux d’accidents mortels, avec de fortes disparités entre régions du monde ”

En 2012, 10 acci­dents mor­tels avaient entraî­né le décès de 340 passagers.

La forte crois­sance du tra­fic aérien ces trente der­nières années ne s’est pas accom­pa­gnée d’un accrois­se­ment du nombre de vic­times, au contraire.

Tou­te­fois l’amélioration devient moins forte ces dix der­nières années – tout en étant supé­rieure à la crois­sance du tra­fic – ce qui conduit à faire évo­luer les modèles de maî­trise de la sécurité.

REPÈRES

Historiquement, l’aviation a toujours été un mode de transport très encadré par l’action des autorités. Très tôt, une démarche préventive de maîtrise des risques a été privilégiée, avec une dimension internationale par nature. La convention de Chicago de 1944, qui a créé l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) a confié à chaque État membre la responsabilité de garantir le niveau de sécurité des activités exercées par ses compagnies aériennes.
L’OACI a progressivement développé des normes (obligatoires) et des recommandations pour chacun des composants de l’activité aérienne : aéronefs, pilotes, compagnies, aérodromes, contrôle aérien ; chaque État membre doit alors veiller à ce que ces acteurs restent conformes aux exigences édictées.
En contrepartie, chaque État membre reconnaît comme permettant de voler en sécurité les agréments délivrés par un autre État membre, et accepte ainsi – sans préjudice d’autres contraintes que celles de la sécurité aérienne, bien sûr – le survol de son territoire par les avions d’un autre État membre, sauf s’il estime que des risques avérés doivent le conduire à agir autrement.
C’est à ce dernier titre que, à la fin des années 1990, le dispositif de contrôle à l’escale des compagnies de pays tiers a été mis en place en Europe, pouvant aboutir en cas de problèmes répétés et non résolus à une interdiction de desserte du territoire européen (la fameuse « liste noire »).

De fortes disparités

La pho­to­gra­phie de l’année 2013 est symp­to­ma­tique des niveaux de sécu­ri­té contras­tés de l’aviation de trans­port à tra­vers le monde : l’Amérique du Nord, l’Europe occi­den­tale, le Moyen-Orient ont des per­for­mances signi­fi­ca­ti­ve­ment meilleures que l’Amérique du Sud ou l’Afrique.

En France, en 2013, aucun décès n’est à déplo­rer à la suite d’un acci­dent en avia­tion com­mer­ciale, que ce soit sur le ter­ri­toire natio­nal ou sous pavillon français.

La situa­tion est évi­dem­ment variable d’une année à l’autre : s’il y a eu entre 0 et 2 acci­dents mor­tels au cours des dix der­nières années, avec en géné­ral de 0 à 4 morts, les années 2007 et 2009 ont été mar­quées res­pec­ti­ve­ment par l’accident de l’Air Moo­rea à Tahi­ti (20 morts) et celui de l’AF447 Rio-Paris (228 morts).

L’aviation générale en France

Il s’agit ici des acti­vi­tés aériennes qui ne sont pas du trans­port com­mer­cial de pas­sa­gers : for­ma­tion, avia­tion de loi­sir, ou tra­vail aérien (héli­co­ptères notamment).

Le nombre de vic­times est en baisse ten­dan­cielle, autour de 50 par an. Cette situa­tion, bien qu’évidemment non satis­fai­sante, est tou­te­fois glo­ba­le­ment accep­tée par les par­ti­ci­pants et l’opinion publique.

Il faut pro­ba­ble­ment y voir l’acceptation d’un niveau de sécu­ri­té dif­fé­rent, pour une acti­vi­té récur­rente et choi­sie par les participants.

Il est inté­res­sant de dis­tin­guer les types d’aéronefs imma­tri­cu­lés en France (voir gra­phique ci-dessous).

Une chaîne de risques et de précautions

Si l’avion a été, au départ, source de toutes les atten­tions en tant que maillon le plus vul­né­rable de la chaîne aéro­nau­tique, l’amélioration de la fia­bi­li­té des machines a révé­lé les risques liés aux autres com­po­sants, qui ont pris de plus en plus de place dans les efforts de maî­trise des risques.

Chaque maillon est ain­si sou­mis à des exi­gences pré­cises et sou­vent à des agré­ments déli­vrés par l’autorité du pays concerné

L’aéro­nef doit rece­voir de l’autorité, à l’issue de sa concep­tion, un agré­ment dit « cer­ti­fi­cat de type », résul­tant d’un lourd pro­ces­sus de cer­ti­fi­ca­tion qui doit démon­trer qu’il peut voler dans les condi­tions pré­vues avec le niveau de sécu­ri­té accep­té. Les appa­reils de série doivent être construits confor­mé­ment au cer­ti­fi­cat de type ; la véri­fi­ca­tion en est attes­tée par le cer­ti­fi­cat de navi­ga­bi­li­té qui garan­tit l’aptitude au vol.

LA SÉCURITÉ AÉRIENNE EN FRANCE

C’est l’une des directions de la DGAC, la Direction de la sécurité de l’aviation civile (DSAC), qui assure le rôle d’autorité de surveillance. Elle contribue à l’élaboration réglementaire auprès de l’Agence européenne, assure la surveillance de sécurité des acteurs français et organise les actions de promotion et de sensibilisation à la sécurité aérienne.
Le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) est l’autorité chargée des enquêtes de sécurité relatives aux accidents ou aux incidents graves dans l’aviation civile. Ces enquêtes sont essentielles car leur finalité est de faire progresser la sécurité – et non de rechercher des responsabilités, ce qui est le rôle de l’enquête judiciaire.
Le BEA français intervient sur les accidents ou incidents graves ayant eu lieu sur le territoire français, ou impliquant un aéronef soit immatriculé en France, soit de conception française, ou une compagnie aérienne française. Les rapports du BEA, qui sont publics, contiennent des recommandations de sécurité adressées à divers acteurs industriels ou autorités.
Pour ce qui la concerne, la DSAC examine les suites à donner à ces recommandations et en informe le BEA. Ces réponses sont elles aussi publiques.

La main­te­nance est éga­le­ment très orga­ni­sée, avec une approche essen­tiel­le­ment pré­ven­tive : un pro­gramme d’entretien, défi­ni par le construc­teur, est adap­té par la com­pa­gnie aérienne en fonc­tion de son exploi­ta­tion par­ti­cu­lière. L’entretien est assu­ré par un ate­lier spé­cia­le­ment agréé.

Les pilotes doivent se sou­mettre à des exi­gences très impor­tantes de for­ma­tion ini­tiale et de main­tien des com­pé­tences. Les écoles de for­ma­tion sont approu­vées par l’autorité, les objec­tifs de for­ma­tion et sou­vent même les pro­grammes mini­maux de for­ma­tion sont fixés par la réglementation.

Les condi­tions des contrôles de main­tien de com­pé­tences sont éga­le­ment fixées (pério­di­ci­té, exa­mi­na­teurs, conte­nu, etc.), qu’il s’agisse de contrôle au simu­la­teur ou en ligne.

La com­pa­gnie aérienne recrute et main­tient en com­pé­tence ses pilotes, assure ou sous-traite l’entretien de ses avions, orga­nise ses opé­ra­tions aériennes, tant pour la phase de pré­pa­ra­tion des vols (char­ge­ment, avi­taille­ment, dégi­vrage, temps de vol des pilotes, etc.) que lors du dérou­le­ment du vol (météo, ges­tion des impré­vus, etc.).

Elle doit dis­po­ser d’un agré­ment pour le trans­port com­mer­cial de pas­sa­gers, le cer­ti­fi­cat de trans­por­teur aérien, qui atteste de son niveau satis­fai­sant de fonctionnement.

Les aéro­dromes sont aus­si sou­mis à des exi­gences de cer­ti­fi­ca­tion, por­tant sur leur mode opé­ra­toire et sur les carac­té­ris­tiques de leurs infra­struc­tures (pistes et voies de circulation).

Enfin, le contrôle aérien fait l’objet d’une cer­ti­fi­ca­tion par l’autorité por­tant sur dif­fé­rentes com­po­santes : ser­vice de contrôle ou d’information de vol pro­pre­ment dit, mais éga­le­ment infra­struc­ture tech­nique (radars, moyens de navi­ga­tion, moyens de com­mu­ni­ca­tion, ou encore orga­ni­sa­tion de l’espace et infor­ma­tion aéronautique).

Poursuivre l’amélioration

L’aviation civile est confron­tée aux dif­fi­cul­tés de la super­vi­sion des sys­tèmes sûrs : les acci­dents, tou­jours source de pro­grès par les défaillances qu’ils peuvent révé­ler et par l’énergie déployée pour y remé­dier, sont rares.

Aus­si la per­cep­tion des risques peut-elle pro­gres­si­ve­ment s’estomper (tel type d’opérations n’a entraî­né aucun acci­dent depuis de nom­breuses années, l’abandon de telle exi­gence sécu­ri­taire n’a aucun effet visible).

La posi­tion de l’autorité de sur­veillance est ain­si par­fois com­plexe à tenir, lorsqu’elle est for­te­ment contes­tée par des acteurs insa­tis­faits des contraintes qu’elle fait peser sur eux, alors que les gains ou les pertes en sécu­ri­té ne sont ni démon­trables de façon indis­cu­table ni encore moins visibles.

Expliquer les erreurs

Aus­si est-il essen­tiel de tra­vailler éga­le­ment sur les inci­dents pré­cur­seurs qui, en l’absence de boucles de rat­tra­page (orga­ni­sa­tion­nelles, tech­niques, humaines), auraient pu conduire à l’accident.

Un avion civil
L’aviation civile est confron­tée aux dif­fi­cul­tés de la super­vi­sion des sys­tèmes sûrs. © FOTOLIA

C’est ain­si que s’est pro­gres­si­ve­ment impo­sée la néces­si­té de recueillir un maxi­mum d’informations sur les évé­ne­ments pré­cur­seurs, via un sys­tème de décla­ra­tion par les acteurs de ter­rain qui y ont été confron­tés, quels qu’ils soient.

Ces rap­ports, ren­dus obli­ga­toires par la régle­men­ta­tion, natio­nale depuis 2008 puis euro­péenne depuis 2014, ali­mentent une base de don­nées d’incidents acces­sible aux auto­ri­tés qui leur per­met de tra­vailler sur les fac­teurs de risque.

Les per­sonnes décla­rant ces inci­dents sont pro­té­gées : si les faits ont été rap­por­tés, elles ne peuvent être pour­sui­vies pour les erreurs com­mises (sauf acte déli­bé­ré ou répété).

C’est le fon­de­ment de ce qui est com­mu­né­ment appe­lé « culture juste », où l’essentiel est d’expliquer les erreurs sans pour autant dédoua­ner les com­por­te­ments inexcusables.

Une approche moins prescriptive

Alors que l’approche tra­di­tion­nelle était très pres­crip­tive (régle­men­ta­tion détaillée, régime exten­sif d’autorisations directes, amé­lio­ra­tion du dis­po­si­tif par les retours des enquêtes acci­dents), les années 1980 ont vu la prise en compte pro­gres­sive des fac­teurs humains, recon­nais­sant que les erreurs humaines sont inévi­tables et qu’un effort signi­fi­ca­tif doit être consa­cré à mini­mi­ser leurs occur­rences (for­ma­tion, condi­tions de tra­vail) et leurs consé­quences (tolé­rance du sys­tème aux erreurs humaines).

“ Chaque maillon est soumis à des exigences précises et souvent à des agréments ”

Puis les années 1990 ont vu la mise en œuvre des prin­cipes des sys­tèmes qua­li­té, avec un début de res­pon­sa­bi­li­sa­tion for­melle plus forte des acteurs opé­ra­tion­nels : agré­ment des orga­nismes, sys­tèmes qua­li­té obligatoires.

Enfin, depuis la fin des années 2000, consta­tant que l’approche jusqu’alors rete­nue sem­blait insuf­fi­sante pour pour­suivre l’amélioration de la sécu­ri­té, prio­ri­té a été don­née à la ges­tion des risques au sein même des opé­ra­teurs, comme étant l’approche la plus effi­cace pour trai­ter des situa­tions trans­verses à plu­sieurs domaines, ou encore inédites, et pour s’adapter suf­fi­sam­ment vite à l’évolution des tech­niques et des modes opé­ra­toires : déploie­ment des sys­tèmes de ges­tion de la sécu­ri­té au sein des entre­prises (ana­lyse des inci­dents, iden­ti­fi­ca­tion des risques, déter­mi­na­tion des actions en dimi­nu­tion de risques, véri­fi­ca­tion de l’efficacité), mais aus­si res­pon­sa­bi­li­sa­tion des diri­geants, et encou­ra­ge­ment des démarches de pro­mo­tion de la sécu­ri­té de nature volon­taire et incitative.

“ L’essentiel est d’expliquer les erreurs sans pour autant dédouaner les comportements inexcusables ”

Une démarche simi­laire est éga­le­ment mise en place au sein de l’autorité dans le cadre du « Pro­gramme de sécu­ri­té de l’État ».

Ces approches suc­ces­sives sont en réa­li­té com­plé­men­taires, car leur per­ti­nence est lar­ge­ment fonc­tion du niveau de matu­ri­té des acteurs concer­nés : plus on s’éloigne de l’approche pres­crip­tive, plus les résul­tats dépendent de la capa­ci­té de l’acteur à se prendre en charge.

Un défi constant

Le défi consis­tant à main­te­nir un faible niveau d’accidents en trans­port com­mer­cial mal­gré la crois­sance à venir du tra­fic aérien reste entier.

“ Plus on s’éloigne de l’approche prescriptive plus les résultats dépendent de la capacité de l’acteur à se prendre en charge ”

L’évolution de l’approche régle­men­taire vers une res­pon­sa­bi­li­sa­tion accrue des acteurs doit se pour­suivre, pour que les exi­gences soient de plus en plus expri­mées en objec­tifs de per­for­mance de sécu­ri­té et de moins en moins en moyens, ceux-ci étant lais­sés à l’appréciation des acteurs concer­nés (sous forme de stan­dards indus­triels par exemple) pour être adap­tés aux situa­tions rencontrées.

Paral­lè­le­ment, les auto­ri­tés de sur­veillance devront s’organiser pour être capables de quit­ter une approche tra­di­tion­nelle de véri­fi­ca­tion sys­té­ma­tique, pour une approche ciblée sur les risques iden­ti­fiés les plus impor­tants, avec une modu­la­tion de leur action en fonc­tion du niveau de per­for­mance de sécu­ri­té des acteurs surveillés.

De nouveaux risques

Le sujet du déploie­ment de tech­no­lo­gies de plus en plus com­plexes à bord des avions est à exa­mi­ner avec atten­tion : les sys­tèmes auto­ma­ti­sés sont une aide indis­cu­table au pilo­tage (en sou­la­geant le pilote de nom­breuses actions acces­soires, ou en évi­tant que l’appareil ne puisse sor­tir de son domaine de vol même si le pilote le tente), mais leur com­plexi­té conduit à l’émergence de nou­veaux risques de non-maî­trise du sys­tème ou de faible conscience de la situa­tion réelle, notam­ment en situa­tion inha­bi­tuelle avec fonc­tion­ne­ment dégradé.

Une ressource de plus en plus rare

Un drone
La coha­bi­ta­tion d’engins volants ayant des capa­ci­tés très dif­fé­rentes pose des pro­blèmes nou­veaux. © FOTOLIA

L’espace aérien sera une res­source de plus en plus rare : la coha­bi­ta­tion d’engins volants ayant des capa­ci­tés très dif­fé­rentes pose des pro­blèmes nou­veaux par leur ampleur ou leur nature (den­si­té de tra­fic com­mer­cial aux abords des plus gros aéro­dromes et avia­tion légère, com­pa­ti­bi­li­té des tra­fics civils et mili­taires, drones, etc.), pour les­quels des solu­tions tech­niques ou opé­ra­tion­nelles res­tent à inventer.

Enfin l’émergence de nou­veaux modèles éco­no­miques, sou­vent trans­na­tio­naux, par exemple de com­pa­gnies aériennes uti­li­sant des avions imma­tri­cu­lés dans un pays, opé­rant à par­tir d’un autre, uti­li­sant des pilotes d’un troi­sième pays, tout cela à tra­vers la pla­nète en vue d’optimiser leur modèle éco­no­mique, rend com­plexe l’action de sur­veillance des auto­ri­tés, jusqu’ici construite sur une base essen­tiel­le­ment nationale.

Les modes de fonc­tion­ne­ment de la super­vi­sion de la sécu­ri­té aérienne devront néces­sai­re­ment s’adapter pour faire face à l’ensemble de ces évo­lu­tions, de façon à garan­tir le main­tien de la confiance du citoyen dans le trans­port aérien.

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