Livre : la retraite de Russie de Erik Egnell

La retraite de Russie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°729 Novembre 2017Par : Erik EGNELL (57)Rédacteur : Christian MARBACH (56)Editeur : Hémisphères Éditions, 36, rue de la Convention, 75015 Paris - Éditions Cyrano, Manègre, 24400 Église-Neuve-d’Issac

La retraite de Russie est un de ces événe­ments his­toriques inou­bli­ables pour ceux qui y ont survécu, puis pour tous ceux qui en ont appris et étudié les ten­ants et les aboutissants. 

Deux siè­cles plus tard, on dis­cute encore sur les motifs qui ont déclenché cette apoc­a­lypse, les straté­gies qu’ont ten­té d’y met­tre en oeu­vre les acteurs, et le rôle qu’ont joué ces six mois de 1812 dans l’évolution de la Russie, de la France et de l’Europe.

Oui, la retraite de Russie a été le com­mence­ment de la fin de l’Empire napoléonien. Sans nier cette évi­dence, Erik Egnell analyse évidem­ment les raisons de cette débâ­cle : une soi-dis­ant « grande armée » hétérogène, loin de ses bases dans un pays pro­fondé­ment hos­tile par ses habi­tants comme son climat. 

Et un chef par­fois inca­pable de pren­dre des déci­sions cohérentes et effi­caces. Mais il insiste aus­si sur une autre réal­ité : Napoléon n’a dû qu’à un sur­saut tac­tique appuyé sur le courage surhu­main de ses sol­dats d’échapper per­son­nelle­ment aux armées enne­mies qui le pre­naient en tenaille. 

Une « incroy­able échap­pée » con­traire à toute logique mil­i­taire, et donc un sur­sis aux lour­des con­séquences pour l’Europe.

Les analy­ses de l’auteur por­tent sur toute la cam­pagne, de Smolen­sk à la Mosko­va puis à Moscou, mais surtout sur la phase de la retraite. S’il suit l’ordre chronologique, c’est en rap­pelant com­ment les épisodes de cette guerre furent racon­tés par les acteurs, puis les experts ou les artistes. 

Une telle approche sup­pose la con­sul­ta­tion d’un nom­bre con­sid­érable d’écrits : la bib­li­ogra­phie don­née par Egnell est impres­sion­nante ! Et les poly­tech­ni­ciens y retrou­veront, acteurs des batailles et auteurs abon­dam­ment cités, leurs cama­rades Gour­gaud, 1799 ou de Cham­bray, 1801. 

Pour la roman­cière Valen­tine Goby : « Écrire, c’est aug­menter le réel. » Erik Egnell illus­tre ici ce pro­pos avec brio. Non seule­ment, en « his­to­rien », il se veut rigoureux dans la véri­fi­ca­tion des faits et atten­tif dans l’analyse des con­tra­dic­tions entre témoins, mais il met aus­si l’accent sur la qual­ité de recom­po­si­tion dont font preuve avec intu­ition ou imag­i­na­tion les auteurs qu’il convoque. 

Nous pou­vons donc lire, côte à côte, les let­tres de cer­tains grands per­son­nages comme Koutouzov, les bul­letins offi­ciels approu­vés par les généraux des deux bor­ds, les jour­naux de cam­pagne écrits, avec leurs doigts gelés, par des officiers, les sou­venirs des rescapés (comme Stend­hal rela­tant ses efforts de logis­tique, ou le ser­gent Bour­gogne revenant sur ses péri­odes de frayeurs et de résignation). 

Et chez Egnell ce « réel » est encore mis en scène par les odes de Pouchkine ou Hugo, ou les par­cours romanesques vécus pen­dant la cam­pagne par les héros de Balzac, George Sand, Mérimée, Ram­baud et évidem­ment Dos­toïevs­ki ou Tol­stoï : mag­nifiée dans le Guerre et Paix de cet auteur comme par Audrey Hep­burn, l’interprète de son rôle chez King Vidor, la douce Nat­acha est elle aus­si dev­enue un bernard‑l’ermite de la grande Histoire.

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