La majeure “ chimie du vivant ”

Dossier : ExpressionsMagazine N°570 Décembre 2001

La majeure en bref

Par­mi les dif­fé­rents ensei­gne­ments de l’année 3 du cur­sus (celle que démarre actuel­le­ment la pro­mo 99), les élèves suivent deux majeures choi­sies dans un éven­tail pré­sen­té par les dix dépar­te­ments d’enseignement. Le dépar­te­ment de bio­lo­gie pro­pose une majeure inti­tu­lée “ chi­mie du vivant ”.

Créée l’année der­nière avec les X 98, cette majeure reflète l’accélération stu­pé­fiante vécue en ce moment par les sciences de la vie. La jonc­tion de plus en plus étroite de la bio­lo­gie avec les autres dis­ci­plines est une consé­quence de cette accélération.

Le volet biologie

C’est la “ phy­sio­pa­tho­lo­gie molé­cu­laire” qui est ensei­gnée. Pour mieux com­prendre ce dont il est ques­tion, il faut savoir que les pro­grès consi­dé­rables de la géné­tique amènent aujourd’hui les bio­lo­gistes à étu­dier le vivant à l’échelle de la molé­cule et des atomes com­po­sant ces molécules.

Bernard Meunier et Sylvain Blanquet, professeurs à l'Ecole polytechnique
Ber­nard Meu­nier, pro­fes­seur de chi­mie, et Syl­vain Blan­quet, pro­fes­seur de biologie.
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE

Pour­quoi ? “ Entre autres choses, parce que toutes les mala­dies (les patho­lo­gies) doivent trou­ver une expli­ca­tion au niveau molé­cu­laire” répond Syl­vain Blan­quet, pré­sident du dépar­te­ment de bio­lo­gie. Pro­gres­si­ve­ment, les cher­cheurs découvrent ain­si des moyens d’agir sur le vivant à un niveau extrê­me­ment précis.

Des médi­ca­ments de mieux en mieux ciblés voient le jour. Ain­si, dans le trai­te­ment contre le sida, en par­tant de la cible, une pro­téase d’origine virale, les cher­cheurs ont mis au point des anti­pro­téases qui bloquent la matu­ra­tion du VIH lors de son cycle réplicatif.

Ce tra­vail à l’échelle de la molé­cule per­met aus­si d’affiner les remèdes, en limi­tant les effets secon­daires des médi­ca­ments (l’idéal étant de les faire com­plè­te­ment disparaître).

Pre­nons un autre exemple. Pour lut­ter contre le palu­disme et en par­ti­cu­lier contre le mous­tique qui le trans­met, l’anophèle, un insec­ti­cide très puis­sant, le DDT, a long­temps été uti­li­sé sur des régions entières. L’inconvénient du DDT est de ne pas dis­pa­raître faci­le­ment : on le retrouve, avec ses effets dan­ge­reux sur les autres êtres vivants, dans les sols et dans l’eau. Par consé­quent, si on veut mettre au point un meilleur insec­ti­cide, il est très sou­hai­table qu’il soit biodégradable.

Une stra­té­gie pos­sible consiste à pré­ser­ver l’efficacité du DDT tout en se débar­ras­sant de ses effets secon­daires anti-éco­lo­giques. Cela revient à mener une action par­fai­te­ment ciblée sur la molé­cule concer­née : tou­cher quelques atomes dans la molé­cule sans rien perdre de son acti­vi­té bio­lo­gique première.

Le volet informatique

L’informatique est indis­pen­sable pour exploi­ter les don­nées avec les­quelles tra­vaillent main­te­nant les bio­lo­gistes, non seule­ment parce que les molé­cules pré­sentes dans la nature sont innom­brables, mais éga­le­ment parce que les cher­cheurs s’intéressent aus­si aux molé­cules qui n’existent pas natu­rel­le­ment et dont la pro­duc­tion pour­rait trou­ver une utilité.

On sait par exemple que la mor­phine n’a appa­rem­ment rien de com­mun avec les molé­cules du corps humain qui atté­nuent spon­ta­né­ment la dou­leur. Pour­tant elle sou­lage énor­mé­ment. Il existe donc des molé­cules très inat­ten­dues qui peuvent rendre de pré­cieux ser­vices. Pour enre­gis­trer les carac­té­ris­tiques des molé­cules natu­relles comme celles des molé­cules arti­fi­cielles, il est néces­saire de construire des banques de don­nées. Le nombre de ces banques croît de manière expo­nen­tielle. Le volet infor­ma­tique de la majeure de chi­mie du vivant fami­lia­rise les élèves avec les logi­ciels les mieux à même de mener des explo­ra­tions rapides et pré­cises dans ces banques de données.

Le volet chimie

On l’a dit : toutes les patho­lo­gies ont une cause molé­cu­laire. Toutes ces causes n’ont pas été iden­ti­fiées, bien sûr. Mais, à terme, elles devraient pou­voir l’être. Les pers­pec­tives sont donc immenses en phar­ma­co­lo­gie humaine ou vété­ri­naire ain­si qu’en agro­no­mie, mais aus­si dans le domaine cos­mé­tique ou dans ce qui concerne le trai­te­ment des bac­té­ries (les­sives) et de l’environnement microbien.

“L’industrie phar­ma­co­lo­gique, explique Ber­nard Meu­nier, pro­fes­seur de chi­mie, consacre actuel­le­ment entre 15 et 18 % de son chiffre d’affaires en recherche et développement. ”

Poly­tech­nique encou­rage ses étu­diants à entrer de plus en plus nom­breux sur ce mar­ché por­teur. “ D’ailleurs, ajoute Syl­vain Blan­quet, la for­ma­tion géné­ra­liste des X les pré­pare par­ti­cu­liè­re­ment bien à ce sec­teur pluridisciplinaire. ”

Le cours de chi­mie bio­lo­gique et thé­ra­peu­tique de la majeure com­plète ain­si le cours de phy­sio­lo­gie molé­cu­laire en appor­tant aux élèves la connais­sance des pro­cé­dés qui per­mettent d’agir sur la molé­cule avec précision.

Signa­lons que ces pro­cé­dés ne per­mettent pas seule­ment de trou­ver des remèdes nou­veaux ou de limi­ter des effets secon­daires indé­si­rables : ils per­mettent aus­si de four­nir des garan­ties très fiables sur les résul­tats (indi­ca­tion, toxi­ci­té), en ayant de moins en moins recours à l’expérimentation animale.

Lorsque le scien­ti­fique sait quelle macro­mo­lé­cule il touche et quelle autre macro­mo­lé­cule n’est pas tou­chée, l’empirisme recule. C’est un pro­grès à la fois sur le plan éthique (les expé­ri­men­ta­tions sur le vivant posent par­fois des pro­blèmes) et sur le plan finan­cier (ces expé­ri­men­ta­tions coûtent cher).

Le volet physique

Les bio­lo­gistes sont lan­cés aujourd’hui dans un inven­taire exhaus­tif des dif­fé­rentes bio­mo­lé­cules exis­tantes. Il reste à savoir com­ment ces élé­ments s’organisent pour assu­rer la “ vie ” au sein de la cel­lule. On espère que la phy­sique des col­loïdes et celle des poly­mères appor­te­ront des éclai­rages ori­gi­naux sur l’architecture de la cel­lule, sur ses mou­ve­ments, sa divi­sion, etc.

Par ailleurs, les médi­ca­ments, les her­bi­cides, les insec­ti­cides, les pes­ti­cides doivent fran­chir des bar­rières phy­siques pour atteindre leur cible : avec des “ cap­sules ”, on peut pro­gram­mer la route de tous ces pro­duits dans l’organisme qui les reçoit. (Qui n’a pas enten­du par­ler des fameux lipo­somes ?) Là encore de nom­breux concepts phy­si­co­chi­miques sont opérationnels.

Pour toutes ces rai­sons, le dépar­te­ment de bio­lo­gie, lorsqu’il a conçu la majeure, a tenu à don­ner sa place à un ensei­gne­ment de physique.

Poster un commentaire