La maintenance moderne

Dossier : Libres proposMagazine N°567 Septembre 2001Par : Robert SANNER (43)

Tra­di­tion­nel­le­ment la main­te­nance com­prend l’en­tre­tien pré­ven­tif et l’en­tre­tien cor­rec­tif. Depuis une ving­taine d’an­nées, l’in­dus­trie a réa­li­sé que la fia­bi­li­sa­tion pou­vait avan­ta­geu­se­ment être assu­rée par les ser­vices main­te­nance, les imbri­ca­tions, les infor­ma­tions et les com­pé­tences étant com­munes aux trois fonctions.

Ain­si est née la main­te­nance moderne, qui se com­pose de :

  • l’en­tre­tien pré­ven­tif qui empêche la panne,
  • l’en­tre­tien cor­rec­tif qui cor­rige la panne,
  • l’en­tre­tien cura­tif qui empêche le retour de panne.

Cette concep­tion glo­bale de la main­te­nance a eu des effets béné­fiques pour cha­cune de ces trois composantes.

L’entretien correctif

C’est une litote de dire que le dépan­nage a mau­vaise image. Nous avons trop sou­vent souf­fert d’in­com­pé­tence dans nos pannes de voi­ture et autres pannes domestiques.

Pour­tant le dépan­nage est la fonc­tion clef de la main­te­nance, qui repose sur lui comme une pyra­mide sur sa pointe.

Un dépan­nage passe par trois phases :

  • la recherche d’information,
  • la recherche de cause ou diagnostic,
  • la remise en état.

La phase remise en état ne pose pas pro­blème. Une fois la cause de panne trou­vée elle ne demande que des connais­sances technologiques.

La recherche d’in­for­ma­tion est déjà plus dif­fi­cile et néces­site un fort esprit d’ob­ser­va­tion. Noter que les machines modernes four­nissent au dépan­neur des indices de dys­fonc­tion­ne­ment sous forme gra­phique ou de voyants, ce qu’on appelle à tort d’ailleurs le diag­nos­tic auto­ma­tique : ce n’est en géné­ral qu’un début de diagnostic.

La phase diag­nos­tic est celle qui pré­sente le plus grand défi – et le plus gros poten­tiel de pro­fi­ta­bi­li­té. Elle met en jeu les plus hautes facul­tés intel­lec­tuelles du dépanneur.

Le coût du diagnostic en dépannage

Tous les ans l’in­dus­trie fran­çaise dépense 180 mil­liards de francs en coûts directs de dépan­nage. L’en­tre­tien cor­rec­tif en repré­sente la moi­tié, soit 90 milliards.

D’une manière très géné­rale, la répar­ti­tion des coûts obéit aux lois de Pare­to : 20 % des pannes les plus vicieuses repré­sentent à elles seules 80 % des coûts, soit 70 milliards.

Le dépan­nage est une indus­trie de main-d’œuvre, elle repré­sente les deux tiers des coûts, soit 50 mil­liards. En moyenne, pour les pannes vicieuses, le dépan­neur passe la moi­tié de son temps en diag­nos­tic, ce qui coûte 25 milliards !

De plus, pen­dant qu’il tâtonne et réflé­chit, la panne continue.

Conser­va­ti­ve­ment, on peut esti­mer que 50 mil­lions d’heures de pro­duc­tion sont ain­si perdues.

À défaut de sta­tis­tiques plus pré­cises ces chiffres donnent des ordres de gran­deur. Ils indiquent cepen­dant une direc­tion où d’im­por­tantes éco­no­mies sont pos­sibles : il faut rendre le dépan­neur plus effi­cace en diagnostic.

Le dépanneur rationnel

Le diag­nos­tic habi­tuel est empi­rique, il se fait par tâton­ne­ments. C’est une suite d’hy­po­thèses faibles sui­vies de véri­fi­ca­tions. Le coût et la durée d’une telle démarche deviennent pro­hi­bi­tifs dès que la panne est vicieuse, d’où les 25 mil­liards ci-des­sus. Il faut donc for­mer le dépan­neur à être plus rapide et plus sûr dans sa recherche de cause de panne.

Les moyens existent. Pour mieux com­prendre leur rai­son d’être, il faut faire une petite excur­sion dans le cer­veau du dépan­neur, et bien com­prendre com­ment il fonc­tionne quand il recherche la cause d’une panne.

L’aspect intellectuel du diagnostic

Nous sommes capables d’abs­traire, de déduire et d’induire.

  • La facul­té d’abs­traire croît régu­liè­re­ment chez l’en­fant et atteint le stade for­mel vers 13–14 ans. Il est alors capable de manier les rela­tions cau­sales courtes ren­con­trées en dépan­nage Cette facul­té conti­nue à croître si on l’exerce. Mais atten­tion ! Elle peut aus­si régres­ser si on la laisse dormir.
  • La facul­té déduc­tive nous fait aller du connu au connu. Si les hommes sont mor­tels et que Pierre est un homme, nous en dédui­sons que Pierre est mor­tel. C’est la façon dont les ordi­na­teurs travaillent.
  • La facul­té induc­tive nous per­met d’al­ler du connu à l’in­con­nu. C’est la facul­té des inven­teurs, mais aus­si des dépan­neurs quand ils cherchent la cause d’une panne. En effet dans cette démarche le dépan­neur va du connu (le symp­tôme) à l’in­con­nu (la cause qu’il recherche). Elle uti­lise les analogies.

On voit que quand il cherche la cause d’une panne, la puis­sance induc­tive du dépan­neur lui per­met d’a­bou­tir plus ou moins vite.

On va donc choi­sir des dépan­neurs ayant au départ une bonne capa­ci­té d’abs­trac­tion et une bonne puis­sance induc­tive. Puis on va leur don­ner une for­ma­tion spé­ci­fique por­tant ces facul­tés à leur plus haut niveau.

Le com­ment faire a été défi­ni par le phi­lo­sophe Stuart Mill il y a cent cin­quante ans. L’in­dus­trie en a tiré des méthodes spé­ci­fiques qui déve­loppent la puis­sance induc­tive, le pou­voir d’abs­trac­tion, la pré­ci­sion de pen­sée et le sens de l’observation

À ce stade, il est natu­rel de se deman­der ce que l’in­for­ma­tique pour­rait appor­ter. Peut-elle aider le dépan­neur ou même le remplacer ?

L’informatique au secours du dépannage

Il existe des sys­tèmes experts en diag­nos­tic, qui rendent de grands ser­vices pour les pannes courantes.

Mais notre pro­blème ici est la panne vicieuse, nou­velle, d’un diag­nos­tic dif­fi­cile. Étant nou­velle cette panne ne figure pas dans la base de don­nées du sys­tème expert, qui ne peut donc rien apporter.

D’où l’i­dée d’al­ler plus loin : ne peut-on rem­pla­cer le dépan­neur par un ordi­na­teur capable de trou­ver la cause de ces pannes pénalisantes ?

On se dit qu’une machine qui a bat­tu Kas­pa­rov peut résoudre une panne de quatre sous !

Oui, mais il y a pro­blème et problème.

Le jeu d’é­checs pose des pro­blèmes de choix qui peuvent se résoudre déduc­ti­ve­ment, là où l’or­di­na­teur est tout-puissant.

Mais la panne pose un pro­blème de cause, qui ne peut se résoudre qu’in­duc­ti­ve­ment. Pour le résoudre l’or­di­na­teur devrait tra­vailler induc­ti­ve­ment, par rai­son­ne­ment ana­lo­gique. C’est une chose mal­heu­reu­se­ment qu’il ne sait pas faire.

Dans le domaine induc­tif, l’or­di­na­teur le plus puis­sant est beau­coup moins intel­li­gent que le plus humble des dépanneurs.

En fait, par­ler d’intel­li­gence arti­fi­cielle est un véri­table abus de langage.

On peut semble-t-il en rete­nir que l’in­for­ma­tique ne peut rien appor­ter dans le diag­nos­tic des pannes difficiles.

L’entretien curatif

Le dépan­neur ration­nel a trou­vé la cause de panne et l’a cor­ri­gée. Il a de plus noté une foule d’in­for­ma­tions, telles que les cir­cons­tances de la panne, l’en­vi­ron­ne­ment de panne, etc. qui vont main­te­nant ser­vir au fiabiliste.

Il com­mence par faire l’ana­lyse de panne.

C’est une opé­ra­tion dif­fi­cile. Une machine en panne fonc­tionne d’une manière nou­velle, impré­vue par le construc­teur. En un sens, c’est une machine nou­velle dont il faut recons­ti­tuer les méca­nismes. C’est à cette condi­tion que la fia­bi­li­sa­tion va être efficace.

Puis il cherche la cause de la cause de panne, ce qu’il appelle la cause pre­mière. Elle peut être une mal­for­ma­tion de la machine ou sim­ple­ment une mau­vaise manipulation.

Il peut main­te­nant réflé­chir à la meilleure façon d’é­vi­ter le retour de panne.

Suf­fit-il d’é­li­mi­ner la cause pre­mière ? Une modi­fi­ca­tion de pro­cé­dure ne serait-elle pas suf­fi­sante ? Ou un déclas­se­ment de la machine ? Faut-il modi­fier ou une opé­ra­tion pré­ven­tive ne peut-elle évi­ter le retour de panne ? Etc.

Le fia­bi­liste a une tâche dif­fi­cile. Il doit pou­voir manier les outils d’a­na­lyse de panne. Comme pour le dépan­neur, l’ap­ti­tude à l’a­na­lyse de panne varie d’un indi­vi­du à l’autre. Il faut sélec­tion­ner puis former.

L’entretien préventif

Son but est d’é­vi­ter la panne, consi­dé­rée comme un pro­blème poten­tiel. Dans l’in­dus­trie moderne, les risques de défaillance sont esti­més sys­té­ma­ti­que­ment à l’aide de puis­sants outils infor­ma­tiques. Si le risque est inac­cep­table on agit pré­ven­ti­ve­ment. Il faut ensuite esti­mer le risque rési­duel, ce qui ren­voie au correctif.

On peut fia­bi­li­ser en agis­sant pré­ven­ti­ve­ment. Inver­se­ment, une inter­ven­tion de fia­bi­li­sa­tion peut rendre inutile une action préventive.

Conclusion

Comme en méde­cine, les trois fonc­tions : pré­ven­tif, cor­rec­tif, cura­tif, sont étroi­te­ment liées dans l’in­dus­trie. C’est à cette condi­tion que les infor­ma­tions géné­rées par cha­cune sont le mieux utilisées.

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