Application du test de SCHUSTER généralisé

Essai d’analyse des expériences de Maurice Allais sur le pendule paraconique

Dossier : ExpressionsMagazine N°537 Septembre 1998
Par Christian MARCHAL (58)

Dans un livre récent, L’anisotropie de l’e­space1, Mau­rice Allais a racon­té ses travaux des années 1954–1960 et ses déboires qui ont suivi. Ayant lu ce livre qui nous a beau­coup trou­blés nous avons décidé sinon de refaire les expéri­ences du moins de refaire avec des ordi­na­teurs mod­ernes l’analyse sta­tis­tique qui avait con­duit Mau­rice Allais à penser que l’in­flu­ence de la Lune et du Soleil sur ses pen­d­ules était cent mil­lions de fois supérieure à ce que prévoy­ait la théorie mod­erne de la gravitation.

Nous avons donc demandé à Mon­sieur Allais ses cahiers de lab­o­ra­toire qu’il nous a aimable­ment four­nis. Les résul­tats se présen­tent sous la forme de sept séries de mesure de l’az­imut du plan prin­ci­pal d’oscil­la­tion d’un lourd pendule.

Ces “séries enchaînées” sont obtenues en lâchant le pen­d­ule à 11 cen­timètres de la ver­ti­cale du sup­port et en le lais­sant osciller pen­dant qua­torze min­utes (il ne s’é­carte plus alors qu’à 9 cen­timètres de la ver­ti­cale) puis en ramenant le pen­d­ule à 11 cen­timètres dans le plan prin­ci­pal d’oscil­la­tion final des qua­torze min­utes précé­dentes et en le lâchant à nou­veau vingt min­utes après le lâch­er précédent.

Les six min­utes inter­mé­di­aires sont néces­saires pour des raisons expéri­men­tales, en par­ti­c­uli­er afin d’ef­fectuer le change­ment de la bille de sup­port du pen­d­ule (les billes sont sys­té­ma­tique­ment changées à chaque expéri­ence pour élim­in­er tout effet d’usure) puis pour assur­er des lâch­ers suc­ces­sifs tout à fait neutres.

L’in­térêt prin­ci­pal de ces expéri­ences est leur durée : env­i­ron un mois cha­cune. Par exem­ple les séries simul­tanées de juil­let-août 1958, l’une à Saint-Ger­main dans les lab­o­ra­toires de l’IR­SID et l’autre à Bou­gi­val dans la car­rière du “Blanc Minéral” à 57 mètres sous la sur­face du sol, ont com­mencé le 1er juil­let à 17 heures 40 (TU) et se sont ter­minées à 4 heures TU le 1er août. Cela représente 2 192 mesures d’az­imut (à 0,1 grade près) et donc 2 191 lâch­ers successifs.

On pour­rait s’é­ton­ner que les oscil­la­tions des pen­d­ules ne suiv­ent pas pure­ment et sim­ple­ment la pré­ces­sion de Fou­cault, comme cela se pro­duit d’ailleurs juste après chaque lâch­er. Cepen­dant bien­tôt divers­es per­tur­ba­tions font que le pen­d­ule n’oscille plus dans un plan ver­ti­cal mais selon une ellipse très allongée (dont le “plan prin­ci­pal” est le plan ver­ti­cal du grand axe). Cette ellipse subit aus­si la pré­ces­sion d’Airy des pen­d­ules sphériques, ce qui fait que d’une part les expéri­ences clas­siques du pen­d­ule de Fou­cault utilisent de très longs pen­d­ules pour min­imiser les effets per­tur­ba­teurs2 et d’autre part les pen­d­ules d’un peu moins d’un mètre de Mau­rice Allais sont d’ex­cel­lents détecteurs de ces effets perturbateurs.

Ces effets per­tur­ba­teurs sont si forts pour un pen­d­ule métrique que son plan prin­ci­pal ne piv­ote pas per­pétuelle­ment dans le même sens, comme le voudrait la pré­ces­sion de Fou­cault, et dans les “séries enchaînées” de Mau­rice Allais il oscille un mois durant au voisi­nage de son plan orig­inel de lance­ment lequel est en général dans l’az­imut 160 ou 170 grades.

Sans donc refaire ces expéri­ences nous avons analysé les séries numériques cor­re­spon­dantes. L’équipe de Paul Alba et G. P. a analysé les séries 3, 5 et 6 (soit celles de juin-juil­let 1955, novem­bre-décem­bre 1959 et mars-avril 1960), tan­dis que l’équipe Georges Hoy­nant-Chris­t­ian Mar­chal analy­sait les séries 4, 5 et 7 (les séries 4 et 7 étant les séries simul­tanées de Saint-Ger­main et Bou­gi­val présen­tées ci-dessus).

Je dois me faire ici le témoin de l’émer­veille­ment de Georges Hoy­nant con­statant la con­cor­dance de ses résul­tats, obtenus par des mil­liards d’opéra­tions en machine, avec ceux de Mau­rice Allais obtenus en appli­quant sa méthode “général­i­sa­tion du test de Schus­ter” avec les moyens numériques des années 1955–1960 (cf. fig­ure 1 et note 3).

Cepen­dant nous ne trou­vions aucune cor­réla­tion sig­ni­fica­tive entre les séries simul­tanées 4 et 7 de Saint-Ger­main et Bou­gi­val, con­traire­ment à ce qu’écrit Mau­rice Allais dans son livre. Très ennuyés nous lui exposons la sit­u­a­tion, mais il nous répond : “faites donc l’é­tude non en fonc­tion du temps mais en fonc­tion de l’an­gle horaire de la Lune”. Ce dernier, que nous appellerons L, est par déf­i­ni­tion nul quand la Lune passe au méri­di­en du lieu et croît de 15°, ou une heure, chaque fois que la Lune pro­gresse de 15° vers l’ouest. Cet angle n’est pas une fonc­tion uni­forme du temps et le mou­ve­ment de la Lune a d’im­por­tantes irrégularités.

Cette sec­onde étude est évidem­ment plus com­plexe mais le meilleur ajuste­ment sinu­soï­dal (moin­dres car­rés) de cha­cune des deux séries mon­tre une évi­dente parenté :

Pour la série de Saint-Ger­main : Azimut ~ 164,2 gr + 0,9 gr sin (L‑150°)

Pour la série de Bou­gi­val : Azimut ~ 161,4 gr + 1,2 gr sin (L‑165°)

Ain­si donc l’un des max­i­mums impor­tants du fréquen­ci­gramme de la fig­ure 1 a une péri­ode très voi­sine de 24 heures 50 min­utes, péri­ode moyenne de l’an­gle L, les azimuts des deux séries simul­tanées ont man­i­feste­ment une cor­réla­tion sig­ni­fica­tive en fonc­tion de cet angle L et “l’ef­fet lunaire” est max­i­mal quelques heures après le pas­sage de la Lune au méri­di­en ou à l’an­ti-méri­di­en, exacte­ment comme pour les marées… Recon­nais­sons qu’il y avait là de quoi être trou­blé ou enthousiasmé !


Fig­ure 1.A.
Fréquen­ci­gramme de l’expérience de Bou­gi­val obtenu par la méthode du “ test de Schus­ter général­isé ”
.

Cepen­dant les pré­cau­tions d’usage, que l’on ne pou­vait guère pren­dre en 1960 étant don­né la longueur des cal­culs, con­duisent à mod­ér­er cet enthousiasme.

Tout d’abord, même si l’on met à part les très rares “grandes excur­sions”, l’é­cart-type des résul­tats par rap­port à la droite de régres­sion, soit 3,5 grades env­i­ron, est beau­coup plus impor­tant que l’am­pli­tude des réso­nances observées ce qui est évidem­ment très défavorable.

Ensuite, et surtout, si l’on analyse séparé­ment les deux quin­zaines d’une expéri­ence on ne retrou­ve plus du tout les mêmes réso­nances ce qui n’est pas très éton­nant étant don­né l’im­por­tance du bruit de fond mais est évidem­ment très gênant quant à l’interprétation.

Enfin les tests plus com­plex­es mais mieux adap­tés que l’analyse de Fouri­er clas­sique à l’é­tude des phénomènes très bruités (test du max­i­mum de vraisem­blance ou de Kol­mogorov-Smirnov, etc.) con­duisent eux aus­si à des con­clu­sions mit­igées : il y a quelque chose mais on ne sait pas quoi et à ce jour l’on ne peut pas être sûr que la Lune ou le Soleil jouent un rôle impor­tant dans les oscil­la­tions du pen­d­ule paraconique…

On peut donc con­clure que :

1) Mau­rice Allais est un excel­lent math­é­mati­cien et sta­tis­ti­cien et sa méthode “général­i­sa­tion du test de Schus­ter“3 mérite de devenir un out­il majeur des études statistiques.

2) Les mou­ve­ments du pen­d­ule para­conique ne sont pas du “bruit blanc”. Il y a là des phénomènes encore ignorés et sans doute très instruc­tifs mais dif­fi­ciles à analyser.

3) Il con­viendrait donc de refaire cette série d’ex­péri­ences dans les meilleures con­di­tions pos­si­bles. Tout d’abord en élim­i­nant au max­i­mum l’anisotropie du sup­port, ce qui amoin­dri­ra grande­ment une source de bruits nuis­i­bles, ensuite en exam­i­nant si le sup­port par l’in­ter­mé­di­aire d’une bille sphérique est bien le meilleur : les sphères sont sou­vent en fait des polyè­dres à un grand nom­bre de faces, surtout si la struc­ture est cristalline, et le con­tact sphère-plan donne des défor­ma­tions impor­tantes et vari­ables. Sans doute une cuvette en saphir avec une pointe en aci­er don­nerait de meilleurs résultats.

Fréquencigramme
Fig­ure 1.B.
Le même fréquen­ci­gramme (don­nant l’amplitude au lieu de l’énergie) obtenu par une méthode sta­tis­tique actuelle. L’amplitude est pro­por­tion­nelle à la racine car­rée de l’énergie.

Il fau­dra aus­si bien sûr faire les longs, onéreux et dif­fi­ciles mais néces­saires essais de fidél­ité et de répéta­bil­ité avec deux ou plusieurs pen­d­ules iden­tiques à quelques décamètres les uns des autres, essais faute desquels on risque tou­jours de ne “mesur­er que la tem­péra­ture” ou toute autre vari­able analogue.

Enfin les méth­odes mod­ernes d’en­reg­istrement automa­tique et peut être aus­si la pos­si­bil­ité d’ef­fectuer l’ex­péri­ence sous pres­sion réduite, pour dimin­uer l’ar­mor­tisse­ment, devraient pou­voir sim­pli­fi­er con­sid­érable­ment la tâche à accomplir.

Il serait très intéres­sant qu’une étude post-doc­tor­ale voire une thèse soit entre­prise sur le sujet général des pen­d­ules courts, sujet cer­taine­ment très riche et très instructif.

________________________________
1. Mau­rice Allais. L’anisotropie de l’e­space — 1. Les don­nées de l’ex­péri­ence. Clé­ment Juglar édi­teur, 1997.
2. Alain Mar­vil­liers. “L’ex­péri­ence du pen­d­ule de Fou­cault” Revue du Palais de la Décou­verte. Vol 26, n° 258 pages 30–45. Mai 1998.
3. Mau­rice Allais. “Test de péri­od­ic­ité. Général­i­sa­tion du test de Schus­ter au cas des séries tem­porelles auto­cor­rélées, dans l’hy­pothèse d’un proces­sus de per­tur­ba­tions aléa­toires d’un sys­tème sta­ble”. Bul­letin de l’In­sti­tut Inter­na­tion­al de Sta­tis­tique, 33e ses­sion, pages 1–35. Paris, 1961.

Poster un commentaire