Produire de l’électricité par le vent, ce n’est pas raisonnable

Dossier : ExpressionsMagazine N°629 Novembre 2007
Par Jacques CLADÉ (52)

L’én­ergie du vent n’est pas d’ex­ploita­tion récente. Cela fait longtemps qu’elle est util­isée par les moulins à vent, très sou­vent pour pom­per de l’eau. Les tech­nolo­gies mod­ernes per­me­t­tent d’aug­menter con­sid­érable­ment l’ef­fi­cac­ité énergé­tique de ces « moulins à vent » en en faisant des « éoli­ennes », ali­men­tant en énergie élec­trique les réseaux publics d’électricité. 

Un investissement coûteux

Le parc de pro­duc­tion éolien alle­mand atteint une puis­sance instal­lée de 20 000 MW. La France, très « en retard » de ce point de vue (1 700 MW env­i­ron), se cou­vre d’éoli­ennes comme pâquerettes au print­emps. Dès lors plusieurs ques­tions se posent : pourquoi cette véri­ta­ble explo­sion de l’éolien ? est-ce objec­tive­ment jus­ti­fié, ou s’ag­it-il d’un phénomène de mode, enclenché par l’ad­jec­tif mag­ique « renou­ve­lable » ? L’ar­gent mis dans les éoli­ennes est-il bien utilisé ? 

Con­sta­tons tout d’abord que pro­duire de l’én­ergie élec­trique par éoli­enne est coû­teux en investisse­ment. Le coût, rac­corde­ment au réseau com­pris, d’un MW éolien est de l’or­dre de 1,2 à 1,3 mil­lion d’eu­ros. Ce MW four­nit chaque année 2 000 MWh. 

Un cap­i­tal placé sans grand risque dès lors que l’É­tat oblige les pro­duc­teurs clas­siques à pay­er au prix fort l’élec­tric­ité pro­duite par le vent. 

On ne peut guère espér­er porter cette pro­ductibil­ité au-delà de 2 200 à 2 300 MWh. Il faut donc inve­stir entre 520 et 600 euros pour obtenir par cette voie, chaque année, 1 MWh. Par com­para­i­son, 1 MW nucléaire peut pro­duire 7 500 MWh par an ; il coûte 2,1 mil­lions d’eu­ros soit 280 euros par MWh pro­ductible… la moitié de ce que coûte le MWh éolien. 

Ceci n’est pas très encour­ageant. Mais bien enten­du on ne peut juger sur ce seul critère de l’op­por­tu­nité d’u­tilis­er le vent comme source d’én­ergie électrique. 

Met­tons-nous à la place d’un can­di­dat français à l’in­vestisse­ment en éoli­ennes. Les pou­voirs publics lui garan­tis­sent de faire acheter sa pro­duc­tion suiv­ant une for­mule qui fait vari­er son prix entre 84 et 82 euros par MWh pen­dant quinze ans, puis le lim­ite à 44,2 euros. Au total, pour une pro­ductibil­ité de 2 000 MWh, il est assuré d’un revenu annuel brut qui lui per­met, après déduc­tion des frais divers et des frais d’ex­ploita­tion, de fort bien rémunér­er et amor­tir un cap­i­tal placé sans grand risque dès lors qu’il fait con­fi­ance à l’en­gage­ment de l’É­tat d’oblig­er un ou des pro­duc­teurs « clas­siques » à pay­er comme dit le MWh pro­duit par le vent. 

Garantie de puissance et garantie d’énergie

Met­tons-nous main­tenant à la place du pro­duc­teur obligé d’a­cheter à ce prix. Il doit d’abord fournir l’élec­tric­ité quand sa clien­tèle la demande. Comme en élec­tric­ité il y a simul­tanéité rigoureuse entre la pro­duc­tion et la con­som­ma­tion, le pro­duc­teur doit dis­pos­er d’un parc per­me­t­tant de garan­tir à tout instant la pro­duc­tion de l’én­ergie appelée par la con­som­ma­tion. Cette garantie de puis­sance s’ex­prime en kW ou MW. Mais il doit aus­si pou­voir fournir toute l’én­ergie dont la clien­tèle a besoin au long de l’an­née, garantie d’én­ergie qui s’ex­prime en kWh ou MWh. 

Les deux garanties ne sont pas tou­jours liées. Ain­si une usine hydraulique ne peut garan­tir que les MWh cor­re­spon­dant aux apports d’eau qu’elle reçoit. Les choses se présen­tent autrement pour les cen­trales nucléaires et thermiques. 

Les sources de puis­sance sont les groupes tur­boal­ter­na­teurs. La garantie de puis­sance n’est lim­itée que par les indisponi­bil­ités de ceux-ci (pannes, entre­tien, recharge­ment en matière fis­sile des cœurs nucléaires). 

On peut garan­tir une puis­sance qui sera com­prise entre 80 % et 90 % des puis­sances nominales.
La garantie d’én­ergie, elle, est assurée par la disponi­bil­ité des com­bustibles — ura­ni­um, char­bon, pét­role, gaz -, toutes matières stockables. 

Gratuit mais capricieux


Le com­bustible est le vent, forte­ment capricieux.

Pour l’éolien la sit­u­a­tion est encore autre. 

Le « com­bustible » est le vent. Il est certes gra­tu­it et « renou­ve­lable », mais il est forte­ment capricieux. Néan­moins imag­i­nons qu’il soit répar­ti sur le ter­ri­toire, à chaque instant, de façon à ce que les 2 000 MWh par MW qu’au­jour­d’hui il pro­duit durant les 8 760 heures de l’an­née le soient à puis­sance con­stante, donc garantie. 

Cette puis­sance serait de 2 000 : 8 760 = 23 % de la puis­sance instal­lée. C’est peu, mais c’est pour­tant beau­coup plus que ce qui peut être garan­ti, car il y a des péri­odes sans vent sur un vaste territoire. 

De plus, ce sont bien sou­vent des péri­odes où un anti­cy­clone s’in­stalle et engen­dre un grand froid ou une canicule, avec forte demande d’én­ergie, donc de puissance. 

De sorte que finale­ment on peut dire que l’éolien garan­tit une énergie, mais pra­tique­ment aucune puissance. 

Le pro­duc­teur en déduit qu’il doit dimen­sion­ner son parc de pro­duc­tion qua­si­ment comme s’il n’y avait pas d’éolien. 

Considérer l’intérêt général

Toute­fois le pro­duc­teur n’a en vue que ses intérêts immé­di­ats, peut-être ceux de la clien­tèle, car en défini­tive c’est elle qui paiera. Il n’a pas en vue l’in­térêt général, qui est de cess­er de rejeter du CO2 dans l’at­mo­sphère. Ain­si, par exem­ple, vis-à-vis du ther­mique à char­bon, un prix d’achat imposé de 82 euros sig­ni­fie qu’on val­orise à
(82 — 25) = 57 euros le coût du rejet de CO2 par MWh char­bon produit. 

Pour env­i­ron 1 tonne rejetée, ce n’est pas rien. Mais, dès lors qu’on est con­va­in­cu que le risque cli­ma­tique est le plus gros risque extérieur que court l’hu­man­ité, et qu’il faut lui appli­quer avec plein effet le principe de pré­cau­tion, il faut faire pay­er ces 57 euros à toute pro­duc­tion (et donc con­som­ma­tion) d’élec­tric­ité d’o­rig­ine car­bonée, que l’éolien n’évite qu’en fonc­tion du vent, donc très par­tielle­ment. Sinon cela reviendrait à dire que le CO2 est dan­gereux quand il y a du vent et inof­fen­sif quand il n’y en a pas. 

Les moyens financiers req­uis par l’éolien peu­vent trou­ver un bien meilleur emploi dans des investisse­ments per­me­t­tant des économies d’énergie. 

Quelle que soit la façon dont on présente les choses, on n’échappe pas aux évi­dences suiv­antes : un parc d’éoli­ennes four­nit de l’én­ergie quand il y a du vent, et non quand les clients en ont besoin ; la notion de ser­vice au client lui est totale­ment étrangère ; l’én­ergie éoli­enne est très chère en investisse­ment ; l’éolien ne peut être qu’une énergie d’appoint. 

Un meilleur emploi des investissements

Dans ces con­di­tions, il est clair que la meilleure façon de réduire les rejets de CO2 est de cen­tr­er la pro­duc­tion d’élec­tric­ité sur le nucléaire. Il faudrait même sur­di­men­sion­ner le parc nucléaire par rap­port au parc à flamme en intro­duisant dans le coût des com­bustibles leurs coûts de nui­sance en émis­sion de CO2. Dès lors l’éolien, déjà coû­teux en investisse­ments compte tenu de sa faible pro­ductibil­ité énergé­tique, perd son intérêt écologique. Les moyens financiers con­sid­érables qu’il requiert peu­vent trou­ver un bien meilleur emploi dans des investisse­ments per­me­t­tant des économies d’én­ergie, à cen­tr­er sur les proces­sus les plus pol­lu­ants en CO2.

Rester raisonnable

Bref, utilis­er le vent pour pro­duire de l’élec­tric­ité dis­tribuée par un réseau pub­lic n’est pas raisonnable dans un pays dévelop­pé. Si on a le souci, légitime et fondé, de réduire les émis­sions de CO2 pour ne pas met­tre en dan­ger les généra­tions futures sans pour autant renon­cer à l’amélio­ra­tion des con­di­tions de vie de l’hu­man­ité per­mise par le développe­ment des usages de l’én­ergie, la source d’élec­tric­ité qui s’im­pose est le nucléaire ;elle rend l’u­til­i­sa­tion du vent inutile et beau­coup trop coûteuse. 

Simul­tané­ment, il faut dévelop­per les économies d’én­ergie dans tous les usages pour lesquels la com­bus­tion est la source la plus com­mode et la moins chère, qu’il s’agisse de trans­port, de chauffage ou de meilleure maîtrise des pointes de charge élec­trique, vis-à-vis desquelles le nucléaire, man­quant de sou­p­lesse, doit être sup­pléé par des cen­trales à com­bustible fossile.

Commentaire

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Bastien Poubeaurépondre
5 février 2009 à 17 h 50 min

Je suis éton­né que vous ne men­tion­nez pas du tout les déchets radioac­t­ifs dans le bilan écologique du nucléaire. Par ailleurs, les ressources en matière fis­siles sont beau­coup trop faibles pour envis­ager le développe­ment des cen­trales à neu­trons lents à grande échelle.

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