Pollution automobile

La loi sur l’air et sur l’utilisation rationnelle de l’énergie :

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997

Con­sid­ér­er la nou­velle loi sur l’air comme une étape vers un développe­ment durable peut sus­citer quelques inter­ro­ga­tions, voire chez cer­tains, quelques sourires gogue­nards. En effet, com­ment imag­in­er qu’un out­il de droit, con­testé par les uns parce qu’il ferait la part trop belle aux lob­bies indus­triels de toutes natures, mais égale­ment par ces lob­bies parce qu’il créerait de nou­velles con­traintes insup­port­a­bles, per­me­tte aux généra­tions futures d’atteindre ce nir­vana des temps modernes ?

L’expérience acquise en France pour met­tre en oeu­vre les prin­ci­pales con­ven­tions adop­tées à l’occasion de la Con­férence de Rio met en évi­dence qu’on ne peut décem­ment con­stru­ire un développe­ment durable par la jux­ta­po­si­tion de quelques mesures isolées. Aus­si, une approche d’ensemble s’est avérée pro­gres­sive­ment indispensable.

La loi sur l’air ne peut à elle seule apporter toutes les répons­es : la fis­cal­ité des éner­gies est déter­minée chaque année lors de la dis­cus­sion des lois de finances et cette fis­cal­ité a un effet déter­mi­nant sur les con­som­ma­tions d’énergie fos­sile, qui causent près de 90 % des émis­sions de la plu­part des pol­lu­ants. La nou­velle loi per­met toute­fois, par son archi­tec­ture d’ensemble et par ses dis­po­si­tions, d’ouvrir un ensem­ble com­plet de pistes pour met­tre en oeu­vre les mod­i­fi­ca­tions struc­turelles néces­saires de la société. Ce qui suit doit per­me­t­tre de s’en con­va­in­cre et d’identifier les catal­y­seurs et les moteurs d’un développe­ment durable, mais égale­ment ses “ poisons ”.

Des modes de développement qui ne peuvent pas durer éternellement

Quelques con­stata­tions con­crètes per­me­t­tent de se per­suad­er que la pol­lu­tion atmo­sphérique atteint des niveaux critiques :

  • ses impacts con­fir­més sur la san­té sont et seront de moins en moins accep­tés par la pop­u­la­tion : la pol­lu­tion atmo­sphérique au niveau local est désor­mais asso­ciée au mieux à une perte de qual­ité de vie ou au pire à des patholo­gies var­iées ou à une mor­tal­ité précoce.
    Les résul­tats con­ver­gents de nom­breuses études épidémi­ologiques ne font que le con­firmer : ceux de l’étude ERPURS sur l’Île-de- France [1] sug­gèrent que même des con­cen­tra­tions assez faibles auraient encore un impact impor­tant. Cer­tains asso­cient cette nou­velle préoc­cu­pa­tion à un effet per­vers de la trans­parence de l’information sur la qual­ité de l’air – ce sont les mêmes qui ne voient aucun incon­vénient au matraquage pub­lic­i­taire dont les auto­mo­biles font l’objet. D’autres l’attribuent unique­ment à l’effet inévitable de con­di­tions météorologiques défa­vor­ables. Dans tous les cas, ce serait ten­ter de faire oubli­er la cause pre­mière du mal : les rejets de polluants.
    En out­re, ce qui est “ durable ”, ou encore accept­able par le pub­lic a pro­fondé­ment évolué au cours de cette fin de siè­cle. Cette évo­lu­tion étant vraisem­blable­ment irréversible, ce sont donc bien nos modes de développe­ment qui doivent pro­gres­sive­ment s’adapter. Le citoyen doit jouer un rôle cen­tral pour définir les sac­ri­fices à consentir ;
     
  • l’augmentation des con­cen­tra­tions d’ozone dans les bass­es couch­es de l’atmosphère et le réchauf­fe­ment pro­gres­sif du cli­mat sont autant d’évolutions, dont l’accélération est apparue plus récem­ment et est régulière­ment con­fir­mée par des travaux sci­en­tifiques nationaux et internationaux.
    Ces travaux devi­en­nent de plus en plus affir­mat­ifs, à l’image des travaux de G. Mégie sur l’ozone [2] ou encore du dernier rap­port du GIEC [3] approu­vé à Rome en décem­bre 1995, par la com­mu­nauté sci­en­tifique inter­na­tionale unanime.
    Ces évo­lu­tions sont par­ti­c­ulière­ment inquié­tantes car elles résul­tent de l’accumulation depuis plusieurs décen­nies de nom­breux pol­lu­ants dif­férents et elles présen­tent une grande iner­tie : même l’arrêt instan­ta­né – hypothèse irréal­iste – de toutes les émis­sions des activ­ités humaines n’entraînerait que des amélio­ra­tions lim­itées à court terme. Ain­si, le cli­mat con­tin­uerait à se réchauf­fer pour plusieurs années, tant que la con­cen­tra­tion dans l’atmosphère des gaz à effet de serre ne dimin­uera pas : quand on sait que les océans relâcheront dans plusieurs dizaines d’années les quan­tités qu’ils absorbent aujourd’hui, en pro­por­tion des con­cen­tra­tions présentes à l’heure actuelle dans l’atmosphère, on se dit que nous risquons d’attendre très longtemps une telle diminu­tion… De même, les con­cen­tra­tions d’ozone con­tin­ueraient à se situer au delà des seuils de pro­tec­tion de la san­té ou de la végé­ta­tion, déjà dépassés dans cer­taines régions de France : c’est ce qu’ont mis en évi­dence les sim­u­la­tions réal­isées dans le cadre du pro­gramme européen AUTO-OIL , con­join­te­ment mené par la Com­mis­sion, les con­struc­teurs auto­mo­biles et les raf­fineurs européens.
     
  • Le pro­gramme AUTO-OIL, achevé en 1995, com­porte plusieurs éléments :
    • le pro­gramme d’étude EPEFE : étab­lisse­ment des rela­tions entre les car­ac­téris­tiques des car­bu­rants, les tech­nolo­gies des moteurs et les émissions ;
    • une étude de la sit­u­a­tion prévi­sion­nelle de la qual­ité de l’air en 2010 dans sept villes européennes ;
    • une éval­u­a­tion du coût et de l’efficacité de cha­cune des mesures tech­niques et non tech­niques de réduction.

    tous ces prob­lèmes sont ren­dus très com­plex­es par la diver­sité des con­som­ma­tions d’énergie : diver­sité des final­ités – pour se chauf­fer, se déplac­er, pro­duire de l’acier, de l’aluminium, du papi­er, du sucre… – mais aus­si diver­sité géo­graphique. À ce pro­pos, il est fréquem­ment rap­pelé que si la Chine adop­tait des modes de con­som­ma­tion sim­i­laires à ceux du Por­tu­gal, l’accroissement induit de ses émis­sions de CO2 aurait pour effet de dou­bler les émis­sions mondiales.
    En out­re, les baiss­es sig­ni­fica­tives des prix de l’énergie depuis 1985 ont fait un peu rapi­de­ment oubli­er que les éner­gies fos­siles étaient des ressources épuis­ables et seront fournies par un nom­bre de pays de plus en plus limité.
    Où trou­ver meilleur signe d’un développe­ment plané­taire non durable, que dans cette fuite en avant, cette débauche mon­di­ale de con­som­ma­tions d’énergie ? N’oublions jamais pour autant que les con­som­ma­tions d’énergie par habi­tant des pays dévelop­pés, dont la France, restent encore très large­ment supérieures à celles des autres pays.


Ain­si, il deve­nait néces­saire de mod­i­fi­er nos modes de con­som­ma­tion d’énergie, à la fois pour notre bien pro­pre, mais aus­si pour celui du vil­lage plané­taire. C’est l’objectif que se donne la loi sur l’air et sur l’utilisation rationnelle de l’énergie.

La transparence et la démocratie aux sources de la loi

Tant la pré­pa­ra­tion de la loi que son con­tenu sont mar­qués par le souci de faire repos­er la lutte con­tre la pol­lu­tion atmo­sphérique sur la dynamique démocratique.

À l’origine, deux événe­ments ont accru la prise de con­science par la pop­u­la­tion des prob­lèmes de pol­lu­tion atmo­sphérique. Tout d’abord, un acte régle­men­taire a pri­ori anodin : une direc­tive européenne adop­tée en sep­tem­bre 1992, con­cer­nant la pol­lu­tion par l’ozone [4].

Celle-ci aban­don­nait le principe des direc­tives antérieures rel­a­tives à la qual­ité de l’air, c’est-à-dire la fix­a­tion de valeurs lim­ites sans portée réelle, pour lui préfér­er un sys­tème d’information du pub­lic en cas de dépasse­ment de cer­tains seuils pou­vant avoir un impact sur la san­té. Cette direc­tive impose donc aux États mem­bres un devoir de trans­parence pour ce qui con­cerne les prob­lèmes de pol­lu­tion atmosphérique.

Au même moment, le débat nation­al sur l’énergie et l’environnement voulu par le min­istre de l’Environnement en 1994 a per­mis d’échanger de nom­breuses idées sur les caus­es des prob­lèmes envi­ron­nemen­taux liés à la con­som­ma­tion d’énergie, notam­ment la pol­lu­tion atmosphérique.

Après une telle sen­si­bil­i­sa­tion, on com­pren­dra que lorsque le séna­teur Richert pro­posa dans un rap­port par­lemen­taire sur la sur­veil­lance de la qual­ité de l’air [5] qu’une nou­velle loi sur l’air soit élaborée, et qu’à la même époque, les pop­u­la­tions, pleine­ment infor­mées comme l’exigeait la direc­tive « ozone », ont com­mencé à se préoc­cu­per des pointes de pol­lu­tion de l’été 1995, le temps était tout naturelle­ment venu d’apporter des répons­es, à la fois aux prob­lèmes de court terme, mais aus­si à ceux qui con­cerneront les généra­tions futures.

Une concertation unique en son genre

Dès l’été 1995, le min­istre de l’Environnement déci­da de réu­nir sous sa prési­dence un groupe de con­cer­ta­tion. Son but : con­fron­ter les avis des dif­férents acteurs socio-économiques et essay­er de cern­er les con­sen­sus sur lesquels tous pou­vaient se retrou­ver, mais aus­si met­tre en évi­dence les points de diver­gence lorsqu’il en exis­tait. En par­al­lèle, les mêmes con­sul­ta­tions ont été menées avec les dif­férents ser­vices admin­is­trat­ifs con­cernés. Ce proces­sus mérite d’être tout par­ti­c­ulière­ment souligné, dans la mesure où il a été unanime­ment salué.

Il a mis en évi­dence quelques phénomènes mar­quants : les débats au sein du groupe de con­cer­ta­tion ont per­mis d’identifier une large gamme de con­sen­sus et ont donc facil­ité grande­ment la pré­pa­ra­tion du pro­jet de loi en lui don­nant une assise solide. Toute­fois, l’écart entre les con­sen­sus qui ont pu se dégager au sein du groupe de con­cer­ta­tion et les débats au sein du groupe inter­min­istériel deve­nait, semaine après semaine, car­i­cat­ur­al, même sur les points qui ne présen­taient qu’un enjeu financier limité…

La mécanique inter­min­istérielle actuelle n’est-elle pas une source majeure d’inertie sur le chemin qui mène à un développe­ment durable ? La lec­ture des futurs décrets de la loi per­me­t­tra de com­mencer à en juger.

Toute­fois, l’insistance des dif­férents ser­vices et cab­i­nets à vider la loi de sa sub­stance sous pré­texte d’en ren­voy­er la dis­cus­sion aux décrets augure mal d’une col­lab­o­ra­tion con­struc­tive… Il est à espér­er que, sur ces textes égale­ment, la représen­ta­tion nationale a encore in fine son mot à dire.

Une approche jacobine qui a fait son temps

Les lois et codes exis­tants (loi sur l’air du 2 août 1961, loi du 10 mars 1948 sur l’utilisation de l’énergie, loi rel­a­tive aux instal­la­tion classées du 19 juil­let 1976, code de la route) ont pour prin­ci­pale qual­ité de per­me­t­tre de réduire effi­cace­ment les émis­sions de pol­lu­ants par des moyens tech­niques. Cer­tains d’entre eux com­por­tent des arti­cles for­mulés de façon très générale et sont donc peu exploita­bles directe­ment. Toute­fois, cer­tains de leurs textes d’application dotent l’État de puis­sants moyens pour réduire les pol­lu­tions des instal­la­tions fix­es, des auto­mo­biles… mais en s’attaquant la plu­part du temps au rejet “ à la cheminée ”.

S’ils s’avèrent effi­caces pour les instal­la­tions fix­es – même si de nou­veaux gains y restent encore pos­si­bles par des mesures d’économies d’énergie –, il n’en est pas de même pour les véhicules : mal­gré les pro­grès tech­niques réal­isés depuis vingt ans pour réduire leurs pol­lu­tions, les rejets par le secteur des trans­ports des pol­lu­ants les plus cri­tiques pour un développe­ment durable et pour la san­té (oxy­des d’azote, CO2, par­tic­ules fines…) ont aug­men­té ou vont de nou­veau aug­menter dans les prochaines années, du fait de la mul­ti­pli­ca­tion des kilo­mètres par­cou­rus [6]. C’est donc bien en agis­sant à la fois sur les sources des rejets et sur les sources de con­som­ma­tions d’énergie que l’action devient indispensable.


© DREIF-GOBRY

L’autre prin­ci­pal défaut des lois du 2 août 1961 et du 10 mars 1948 était leur cen­tral­i­sa­tion exces­sive : alors que la loi du 19 juil­let 1976 met la régle­men­ta­tion des instal­la­tions fix­es entre les mains des préfets, les textes d’application de ces deux lois ne pou­vaient être, à quelques excep­tions près, qu’adoptés au niveau cen­tral. Or, depuis les lois de décen­tral­i­sa­tion, les pou­voirs de police et les déci­sions d’urbanisme sont entre les mains des maires : com­ment, dans ces con­di­tions, lut­ter con­tre la pol­lu­tion urbaine, avec des textes qui ne prévoient que des moyens centralisés ?

Pour ce qui con­cerne les émis­sions de CO2, leur réduc­tion dans le secteur des trans­ports ren­con­tre deux obsta­cles : d’une part, peu d’informations sont disponibles sur ces phénomènes au niveau local ; d’autre part, cette cen­tral­i­sa­tion des moyens a pu jusqu’ici être util­isée comme pré­texte à ne pas s’en occu­per locale­ment. C’est pour­tant à cet éch­e­lon, égale­ment, qu’il sera néces­saire de définir des poli­tiques de réduc­tion des émis­sions de CO2.

On peut enfin not­er que les lois de décen­tral­i­sa­tion ont “ oublié ” les aggloméra­tions : ain­si, pour tous les prob­lèmes inter­com­mu­naux – et nom­bre de prob­lèmes envi­ron­nemen­taux le sont – il a fal­lu pro­gres­sive­ment apporter des solu­tions adap­tées au tra­vers de lois thé­ma­tiques : eau, déchets… La loi sur l’air devait claire­ment apporter des répons­es à de telles lacunes.

Le contenu de la loi

Pre­mière dis­po­si­tion à car­ac­tère sym­bol­ique et pra­tique : l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie sont enfin réu­nis dans une même loi. Sym­bol­ique, car la loi fond ain­si une approche “ développe­ment ” avec une approche “ envi­ron­nemen­tale ” à court et à long terme, néces­saires pour résoudre les prob­lèmes de pol­lu­tion atmosphérique.

Pra­tique, car cer­taines régle­men­ta­tions étaient dev­enues large­ment redon­dantes et dans cer­tains cas con­tra­dic­toires. Voilà d’ailleurs un point sur lequel la logique admin­is­tra­tive cloi­son­née était franche­ment un obsta­cle à la marche vers un développe­ment durable. Il “ reste ” à faire évoluer égale­ment les struc­tures admin­is­tra­tives en conséquence.

La trans­parence, moteur du développe­ment durable : les autorités décen­tral­isées sont d’autant plus actives et motivées sur ces sujets que le pub­lic est cor­recte­ment infor­mé et prend posi­tion en con­séquence. L’information du pub­lic a claire­ment été à l’origine de la prise de con­science sur les prob­lèmes de pol­lu­tion atmo­sphérique. Elle est en out­re indis­pens­able à l’acceptation par le pub­lic de nou­velles habi­tudes de déplace­ments. Elle doit donc être com­plète et fournie par des organ­ismes indépen­dants : c’est tout l’objet du titre 1er de la loi.

Celui-ci institue notam­ment des objec­tifs de qual­ité de l’air, véri­ta­bles références pour l’information dif­fusée. Il prévoit une infor­ma­tion sys­té­ma­tique, régulière­ment et lors des pointes de pol­lu­tion, dif­fusée par des organ­ismes mul­ti­par­tites agréés. Pour accom­plir ces mis­sions, le gou­verne­ment a décidé d’apporter des finance­ments pour dévelop­per la sur­veil­lance de la qual­ité de l’air, notam­ment dans les zones non cou­vertes : tous réal­i­saient enfin que le manque de moyens avait été le prin­ci­pal point faible de ce dis­posi­tif de surveillance.

Des out­ils de plan­i­fi­ca­tion au sec­ours du développe­ment durable : l’essentiel de la loi bâtit un ensem­ble de dis­posi­tifs décen­tral­isés pour que les prob­lèmes de pol­lu­tion atmo­sphérique soient traités de façon struc­turelle, suff­isam­ment en amont et au niveau adéquat : les prob­lèmes à résoudre ne sont pas les mêmes à Paris, autour de l’étang de Berre et dans le Mas­sif cen­tral et ils ne peu­vent pas être réso­lus par les mêmes per­son­nes, vu la répar­ti­tion des pou­voirs entre l’État et les dif­férentes col­lec­tiv­ités territoriales.

Quoi de plus ridicule qu’une loi ou qu’un décret qui imposerait des “ lim­i­ta­tions de cir­cu­la­tion ”, alors qu’il est bien évi­dent que de telles lim­i­ta­tions ne peu­vent être conçues qu’au niveau local, en fonc­tion des prob­lèmes de pol­lu­tion ren­con­trés, et ne peu­vent être mis­es en oeu­vre que par les maires.

Ces dis­posi­tifs sont les suivants :

  • des plans régionaux oblig­a­toires pour garan­tir que les prob­lèmes de pol­lu­tion soient analysés sur tout le ter­ri­toire dans chaque région et que des ori­en­ta­tions-cadres pour les résoudre soient définies par tous con­join­te­ment, afin de guider l’ensemble des acteurs dans les mesures qu’ils devront prendre ;
  • des plans de déplace­ments urbains, visant à la fois les voyageurs et les marchan­dis­es, pour que l’ensemble des com­munes d’une aggloméra­tion adoptent des poli­tiques coor­don­nées d’urbanisme, de cir­cu­la­tion, de sta­tion­nement, de trans­ports publics et de développe­ment de moyens de trans­ports pro­pres, comme la bicy­clette qui a si longtemps fait sourire ; ces plans sont oblig­a­toires dans les aggloméra­tions de plus de 100 000 habitants ;
  • des plans de pro­tec­tion de l’atmosphère, com­por­tant toutes les mesures de police, per­ma­nentes ou tem­po­raires, pris­es par toutes les autorités de police ; ils sont oblig­a­toires dans toutes les aggloméra­tions de plus de 250 000 habi­tants et dans les autres zones polluées.


Bien enten­du, les deux derniers dis­posi­tifs doivent être com­pat­i­bles avec les plans régionaux pour que l’ensemble des actions soient cohérentes et qu’elles résol­vent effec­tive­ment les vrais prob­lèmes. Ils sont cru­ci­aux puisqu’ils con­traig­nent tous les déten­teurs de pou­voirs au niveau décen­tral­isé à met­tre en oeu­vre des actions, soit en amont pour lim­iter les déplace­ments ou pour réduire les pol­lu­tions atmo­sphériques, soit lors des pointes de pol­lu­tion, avec un objec­tif clair : ramen­er les con­cen­tra­tions au niveau des objec­tifs de qual­ité de l’air.

C’est dans ce cadre, et à l’aide d’une pastille iden­ti­fi­ant les véhicules les moins pol­lu­ants, que seront imposées les futures lim­i­ta­tions de cir­cu­la­tion de ceux qui pol­lu­ent le plus. Rap­pelons que les textes actuels n’imposent aucune oblig­a­tion directe­ment et ne font que dot­er le seul État de cer­taines fac­ultés, plus lim­itées que celles prévues par la nou­velle loi.

La loi intro­duit égale­ment le lien indis­pens­able entre les “ stocks” et les “ flux ”, c’est-à-dire entre “ urban­isme ” (plans d’occupation des sols) et “ déplace­ments ” (plans de déplace­ments urbains) : c’est en agis­sant sur le développe­ment urbain qu’on aura l’action la plus effi­cace à long terme sur les déplace­ments urbains. Toute­fois, seule une mod­i­fi­ca­tion en con­séquence du règle­ment nation­al d’urbanisme (R.N.U.) pour­ra faire qu’il ne soit per­mis de con­stru­ire qu’en lim­i­tant les déplace­ments induits par les nou­velles con­struc­tions — on pense en par­ti­c­uli­er aux com­merces et autres activités.

Se déplac­er “ plus pro­pre et plus économe” : les objec­tifs de la loi et de ces dis­posi­tifs sont par ailleurs explic­ités claire­ment. L’article 1er tant dis­cuté pré­cise que l’objectif de tous est “ la mise en oeu­vre du droit recon­nu à cha­cun de respir­er un air qui ne nuise pas à sa san­té ”. Quant aux plans de déplace­ments urbains, ils “ visent à assur­er un équili­bre durable entre les besoins en matière de mobil­ité et de facil­ité d’accès, d’une part, et la pro­tec­tion de l’environnement et de la san­té, d’autre part ”.

Ain­si, en quelques mots, il est rap­pelé que cha­cune des actions, cha­cun des plans, devra à la fois vis­er des objec­tifs de court terme, mais aus­si ce fameux développe­ment durable, qui fait tant défaut aux poli­tiques de déplace­ments actuelles, qui amal­ga­ment sou­vent “ besoin de se déplac­er ” avec “ besoins de nou­velles infra­struc­tures ”. D’ailleurs, l’une des ori­en­ta­tions de ces plans de déplace­ments urbains “ nou­velle for­mule ” doit porter sur la “ diminu­tion du traf­ic auto­mo­bile ” : pour un déplace­ment équiv­a­lent, dix pas­sagers dans un bus ou dans un tramway, ou encore mieux dix cyclistes ou dix pié­tons, pol­lueront indi­vidu­elle­ment tou­jours moins que dix con­duc­teurs, seuls dans leur voiture.

Le reste de la loi donne de nou­veaux moyens tech­niques pour réduire les pol­lu­tions atmo­sphériques, notam­ment en prévoy­ant de nom­breuses mesures nou­velles de maîtrise de l’énergie et des inci­ta­tions fis­cales pour les motori­sa­tions “ pro­pres ”, au gaz ou électriques.

Il donne de nou­veaux moyens de con­trôle de la pub­lic­ité rel­a­tive à l’énergie ou à des appareils con­som­ma­teurs d’énergie : le temps n’est pas si éloigné où un con­struc­teur auto­mo­bile osait van­ter les mérites de la cli­ma­ti­sa­tion auto­mo­bile, grosse con­som­ma­trice de car­bu­rant et émet­trice de gaz à effet de serre, juste­ment en garan­tis­sant à l’acheteur une pro­tec­tion bien égoïste con­tre les change­ments climatiques.

Un début d’approche économique

Enfin, la loi intro­duit, pour la pre­mière fois, l’obligation de faire fig­ur­er dans les études d’impact des infra­struc­tures de trans­port une éval­u­a­tion de leurs coûts externes : ceux liés à la pol­lu­tion atmo­sphérique (locale ou mon­di­ale) font désor­mais l’objet de quan­tifi­ca­tions plus affinées.

En effet, il est pro­gres­sive­ment pos­si­ble d’évaluer des ordres de grandeur des coûts pour la san­té humaine ou pour les bâti­ments des émis­sions des dif­férents pol­lu­ants : cela va de quelques dizaines à la cen­taine de francs par kilo­gramme de pol­lu­ants émis pour les effets directe­ment discernables.

Mais la frag­ili­sa­tion de la san­té des enfants, encore mal appréhendée, pour­rait avoir des con­séquences encore plus impor­tantes sur le long terme. De même, ces éval­u­a­tions sont encore très ouvertes con­cer­nant le CO2 : il est dif­fi­cile d’évaluer de façon suff­isam­ment pré­cise les coûts des con­séquences cat­a­strophiques d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique, à la fois à l’échelle de la planète et pour toutes les généra­tions futures.

Grâce à cette nou­velle trans­parence, les déci­sions publiques ne pour­ront plus ignor­er ces coûts, en l’attente d’une tar­i­fi­ca­tion appro­priée qui rendrait rentable cer­taines tech­niques de réduc­tion des pol­lu­tions : la théorie économique pos­tule qu’une des façons d’optimiser le béné­fice de la société dans son ensem­ble serait de créer une taxe équiv­a­lente au coût mar­gin­al des dom­mages causés.

C’est d’ailleurs une des con­di­tions néces­saires à un développe­ment durable. Elle n’est toute­fois pas suff­isante pour trois raisons : ce serait con­traire au principe de pré­cau­tion que d’attendre d’avoir éval­ué les dom­mages d’une pol­lu­tion pour lut­ter con­tre elle suff­isam­ment effi­cace­ment ; de plus, c’est une approche franche­ment tech­nocra­tique dès lors que les dom­mages poten­tiels seraient très impor­tants : c’est pour­tant ce qui risque de se pass­er avec la mon­tée des eaux, l’aggravation des cat­a­stro­phes naturelles et les mod­i­fi­ca­tions des cul­tures que causerait le change­ment de cli­mat annon­cé ; enfin, son appli­ca­tion immé­di­ate sus­cit­erait quelques réac­tions indignées.

On peut illus­tr­er ce dernier point par la pru­dence infinie avec laque­lle la taxe sur le gasoil est aug­men­tée en France, notam­ment en com­para­i­son avec l’augmentation de cette taxe en Grande-Bre­tagne, pro­gram­mée sur plusieurs années à 5% par an. Même les rap­ports mul­ti­ples et con­ver­gents, qui met­tent en évi­dence que les con­duc­teurs de diesel coû­tent cher à la société, voient leur pub­li­ca­tion par­fois ralen­tie, alors qu’ils seraient à même de con­tribuer à la péd­a­gogie néces­saire sur un tel sujet.

Combiner “économie”, “pédagogie” et… “pragmatisme”

Ain­si, s’enfermer dans une approche dog­ma­tique­ment fis­cale ou moné­taire du développe­ment durable est inévitable­ment voué à l’échec. Cer­tains avo­cats de cette approche la prô­nent d’ailleurs cynique­ment, espérant bien que pour les raisons dévelop­pées précédem­ment, rien ne se fera avant longtemps.…

C’est pourquoi les mesures à pren­dre doivent alli­er en per­ma­nence la “ vérité des coûts ”, au gré de son accep­ta­tion par le pub­lic, mais aus­si des mesures struc­turelles ou péd­a­gogiques ayant pour but d’atteindre cette vérité des coûts. C’est un tel équili­bre que la loi sur l’air a recher­ché. Pour la pre­mière fois, la lutte con­tre la pol­lu­tion atmo­sphérique est abor­dée de façon exhaus­tive, c’est-à-dire qu’elle est abor­dée avec tous les types d’outils envis­age­ables. Elle com­porte déjà de nom­breuses avancées. De plus, les instru­ments qu’elle crée pour­ront être mod­i­fiés pro­gres­sive­ment pour adapter encore nos modes de développement.

Références

[1] “ ERPURS : Impact de la pol­lu­tion atmo­sphérique urbaine sur la san­té en Île-de-France (1987–1992) ”, Obser­va­toire région­al de la Santé.
[2] Arti­cles de G. Mégie sur l’ozone : • “ Ozone et pro­priétés oxy­dantes de la tro­posphère ”, Actu­al­ités envi­ron­nement n° 144. • “ Ozone et pro­priétés oxy­dantes de la tro­posphère ”, La Météorolo­gie, 8e série, n° 13, mars 1996.
[3] “ Cli­mate Change 1995, the IPCC Sec­ond Assess­ment Syn­the­sis of Sci­en­tif­ic-Tech­ni­cal Infor­ma­tion Rel­e­vant to Inter­pret­ing Arti­cle 2 of the Unit­ed Nations Frame­work Con­ven­tion on Cli­mate Change ”, PNUE.
[4] Direc­tive du Con­seil CEE n° 92–72 du 21 sep­tem­bre 1992 con­cer­nant la pol­lu­tion par l’ozone (JOCE du 13.10.1992).
[5] “ Rap­port sur les évo­lu­tions souhaita­bles pour le dis­posi­tif nation­al de sur­veil­lance de la qual­ité de l’air ” par M. Richert, séna­teur du Bas-Rhin, 1995.
[6] “ Pour une poli­tique souten­able des trans­ports ”, rap­port au min­istre de l’Environnement, Cel­lule de prospec­tive et stratégie, La Doc­u­men­ta­tion française, sept. 1995.

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