Transport : prolonger les tendances ou revoir les règles du jeu ?

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997
Par Michel COHEN De LARA (81)

Avoir le souci de l’environnement envers et contre tout ?

On estime sou­vent qu’avoir le souci de l’en­vi­ron­nement c’est adopter un com­porte­ment “vertueux”. Dans le domaine du trans­port, ceci se traduit par des recom­man­da­tions du genre “les gens devraient”, suiv­ies (au choix) de “pren­dre les trans­ports en com­mun plutôt que leur voiture”, “pren­dre le train pour aller en vacances”, etc. Fort bien, mais cette vision des choses sup­pose que les choix des acteurs s’ex­er­cent dans un cadre neutre.

Or, si les “règles du jeu” (régle­men­ta­tion, struc­ture de la fis­cal­ité, sub­ven­tions, inci­ta­tions, etc.), qui for­ment le cadre dans lequel s’ex­er­cent les déci­sions de tous les acteurs, ne vont pas dans le sens d’un développe­ment durable, il ne faut pas trop en atten­dre de ces derniers pour qu’ils infléchissent vertueuse­ment leurs com­porte­ments en allant con­tre ces règles. En bref, les dif­férents acteurs économiques sont rationnels dans un ensem­ble de règles du jeu qui ne le sont pas for­cé­ment et il y a peu à espér­er si les sig­naux économiques vont en sens inverse de la préser­va­tion de l’environnement.

Par­mi ces règles du jeu, le sys­tème de prix occupe un rôle cen­tral en économie de marché, par les sig­naux qu’il envoie aux acteurs économiques. Or, notre sys­tème de prélève­ments oblig­a­toires est loin d’être cohérent : dans le domaine des trans­ports, il favorise notam­ment le développe­ment de la cir­cu­la­tion routière au-delà de toute util­ité sociale (compte tenu de ce que le mode routi­er est celui qui exerce et de loin les pres­sions les plus fortes sur l’en­vi­ron­nement), sans oubli­er le développe­ment du traf­ic aérien.

C’est ain­si que les éval­u­a­tions des coûts directs et des coûts externes du trans­port routi­er (où les coûts des nui­sances sont générale­ment éval­ués a min­i­ma) indiquent que la cir­cu­la­tion routière coûte à la col­lec­tiv­ité plus qu’elle ne pro­duit comme recettes, avec une sous-tar­i­fi­ca­tion man­i­feste du trans­port routi­er interur­bain et du véhicule en ville1.

Ceci choque l’u­til­isa­teur du mode routi­er qui a le sen­ti­ment d’être “sur­taxé” mais en fait, tout est ques­tion de prélève­ments relat­ifs selon qu’on est imposé comme usager routi­er ou comme “citoyen”. Glob­ale­ment, l’usager de la route ne paye pas assez : il “emprunte” à la col­lec­tiv­ité, notam­ment en dégradant son envi­ron­nement (par exem­ple, les effets sur la san­té des par­tic­ules fines issues de la com­bus­tion du gazole sont de mieux en mieux appré­ciés : trou­bles res­pi­ra­toires, épisodes asth­ma­tiques, mor­tal­ité car­dio-vas­cu­laire ou res­pi­ra­toire2).

Mais le citoyen paye sans doute trop : par exem­ple, la con­tri­bu­tion sociale général­isée est sup­port­ée uni­for­mé­ment par tous, alors qu’elle devrait l’être plutôt par les activ­ités dégradant les con­di­tions san­i­taires (ce qui est loin d’être le cas pour le gazole dont la sous-tar­i­fi­ca­tion est bien établie, ce qui con­tribue à un usage exces­sif et donc à des coûts de san­té supplémentaires…).

Un Tramway
© RATP-MARGUERITE

Pour pal­li­er ces dys­fonc­tion­nements, l’É­tat pour­rait cor­riger les prix par le biais d’une fis­cal­ité appro­priée qui per­me­tte à la fois d’ori­en­ter les com­porte­ments et de pro­cur­er des ressources à l’É­tat. Ceci irait à l’en­con­tre du principe de neu­tral­ité fis­cale (selon lequel une taxe doit ali­menter le bud­get de manière neu­tre), mais comme le dit J.-P. Barde “en présence d’ex­ter­nal­ités, la neu­tral­ité fis­cale est un mythe” et “c’est pré­cisé­ment la cor­rec­tion des insuff­i­sances du marché au moyen de tax­es inter­nal­isantes qui per­met de réalis­er une meilleure neu­tral­ité“3.

Prenant acte de ce qu’une taxe affecte les com­porte­ments, un sys­tème fis­cal “écologique” a pour objec­tif d’in­fléchir les com­porte­ments des acteurs dans le sens d’un développe­ment durable. Le niveau de tar­i­fi­ca­tion sur une ressource naturelle non renou­ve­lable doit croître à mesure que la ressource se raré­fie, et ce afin de pré­par­er les tran­si­tions en évi­tant des rup­tures et des crises coû­teuses. L’an­nonce d’un échéanci­er de hauss­es et de baiss­es per­met aux acteurs d’an­ticiper et c’est une façon d’in­fléchir pro­gres­sive­ment des comportements.

Une fis­cal­ité écologique n’est pas une fis­cal­ité addi­tion­nelle mais est un redé­ploiement ” sen­sé ? des prélève­ments actuels : tax­es élevées sur cer­taines ressources ou nui­sances et, à l’in­verse, allége­ment de prélève­ments élevés comme les charges sur le tra­vail qui découra­gent l’embauche. La réforme fis­cale de 1990 en Suède s’est inspirée de ce principe, avec notam­ment une taxe sur le gaz car­bonique et une baisse de l’im­pôt sur le revenu et sur les béné­fices des sociétés3.

Une taxe sur l’én­ergie est en phase avec l’ac­tiv­ité économique : elle frappe rel­a­tive­ment moins les entre­pris­es en péri­ode de faible activ­ité que ne le font les charges sur le tra­vail. De même, dans un monde ouvert, il pour­rait y avoir un intérêt col­lec­tif à des prix élevés dans le trans­port et à de moin­dres charges sur le tra­vail, pour rééquili­br­er cer­tains flux économiques.

Il est clair que cer­tains acteurs perdraient à ces nou­velles règles puisqu’ils ont pris l’habi­tude de jouer dans les anci­ennes. Il est com­préhen­si­ble que ceux-ci tien­nent à préserv­er les règles actuelles (tout en pro­posant générale­ment des solu­tions tech­niques aux prob­lèmes soulevés). Mais il est tout à fait dis­cutable que cette atti­tude soit jus­ti­fiée au nom de l’in­térêt général.

Les sug­ges­tions que nous avançons ici sont plus ou moins toutes des répons­es pos­si­bles aux deux ques­tions suiv­antes. Pourquoi ne pas com­mencer par faire respecter les règles ? Pourquoi ne pas rétablir la vérité des coûts ?

Limiter la pollution des eaux en mettant en place une taxe sur les surfaces imperméabilisées (et en baissant la redevance assainissement de l’eau des particuliers)

Lors d’épisodes plu­vieux, les sur­faces imper­méa­bil­isées (toi­tures, voiries, etc.) drainent des quan­tités impor­tantes de pol­lu­ants (hydro­car­bu­res, par­tic­ules, pous­sières, huiles, etc.) dans des temps lim­ités. Cet apport mas­sif de pol­lu­tion (plutôt diluée) peut per­turber le fonc­tion­nement des dis­posi­tifs de traite­ment (sta­tions d’épu­ra­tion). On envis­age sou­vent la créa­tion de bassins de décan­ta­tion où stock­er ces eaux.

Au nom du principe de préven­tion et du principe pol­lueur-payeur, ne faudrait-il pas s’at­ta­quer au prob­lème à la source et frap­per les sur­faces imper­méa­bil­isées d’une taxe ? Les tax­es sur l’eau cor­re­spon­dant à l’as­sainisse­ment pour­raient alors être dimin­uées d’un mon­tant équiv­alant au pro­duit de cette taxe.

Reconquérir l’espace urbain en mettant en place un péage urbain (et en baissant les taxes locales, modulées en fonction de la possession d’un véhicule)

Avec un péage urbain, le coût de l’usage de la voirie et des nui­sances induites par la cir­cu­la­tion (entre­tien, réfec­tion, occu­pa­tion d’e­space, pol­lu­tions, bruit, etc.) serait porté par ses util­isa­teurs. Par exem­ple, le coût des dégra­da­tions de façades par salis­sures n’est pas aujour­d’hui à la charge du pol­lueur mais à celle du pollué.

En sus de l’in­térêt esthé­tique, un pro­gramme réguli­er de ravale­ments soutenus par des trans­ferts financiers prélevés sur la cir­cu­la­tion routière serait béné­fique en ter­mes d’emplois dans le bâti­ment (secteur bien plus riche en emplois, au mil­lion de francs investis, que celui des travaux publics).

Les recettes du péage urbain pour­raient venir en déduc­tion des tax­es locales. Le pro­duit glob­al de ces dernières pour­rait ain­si baiss­er, mais leur assi­ette pour­rait égale­ment être revue.

En effet, taxe d’habi­ta­tion et taxe fon­cière ne sont à l’heure actuelle fonc­tion ni de la pos­ses­sion d’un véhicule, ni de l’usage de la voirie. Or, ce sont pour beau­coup les col­lec­tiv­ités locales et ter­ri­to­ri­ales qui finan­cent les déplace­ments urbains, notam­ment les dépens­es routières occa­sion­nées par la par­tie motorisée de la pop­u­la­tion (rap­pelons que 20 % des per­son­nes appar­ti­en­nent à un ménage non motorisé et que ces derniers représen­tent 23 % des ménages4 ; en out­re, comme indiqué dans l’ar­ti­cle de J.-P. Orfeuil, pour les déplace­ments vers le tra­vail, une minorité d’usagers de la route con­tribue à une forte part des nuisances).

Les effets de ces tax­es peu­vent peser sur la demande de déplace­ments, et peu­vent induire des dis­tor­sions, comme par exem­ple entre le pro­prié­taire de park­ing, qui paye taxe d’habi­ta­tion et taxe fon­cière, et celui dont la voiture sta­tionne dehors la nuit, qui ne rap­porte rien à la com­mune (dans ce cas, on pour­rait imag­in­er d’in­stau­r­er un for­fait pour le sta­tion­nement des rési­dents et de baiss­er dans le même temps la taxe d’habitation).

De telles tax­es pour­raient être par­tielle­ment assis­es sur la motori­sa­tion si on veut tax­er la pol­lu­tion, assis­es sur l’e­space de voirie occupé si on veut éviter l’oc­cu­pa­tion d’e­space (quoiqu’une assise sur l’usage de la voirie puisse pénalis­er le cen­tre-ville au prof­it de la périphérie et favoris­er l’é­tale­ment urbain).

Améliorer les conditions de déplacement de tous en sanctionnant le stationnement illicite

Il suf­fit de regarder la cir­cu­la­tion et le sta­tion­nement des véhicules en ville pour voir à quel point les règles du code de la route sont peu respec­tées. Le sta­tion­nement illicite (chaussée, trot­toir…) lim­ite la lib­erté de déplace­ment des pié­tons (per­son­nes âgées, enfants en pous­sette, etc.) et dégrade les con­di­tions de cir­cu­la­tion, notam­ment des trans­ports col­lec­tifs de sur­face. Ces coûts sont sup­port­és par la col­lec­tiv­ité sans que leurs auteurs n’en reçoivent de signal.

Les amendes de police pour­raient être alour­dies en cas de sta­tion­nement illicite ou d’en­trave à la cir­cu­la­tion des bus, des bicy­clettes, des pié­tons… Le ren­de­ment pour­rait être amélioré (con­trôle accru, sim­pli­fi­ca­tion de la per­cep­tion, etc.) et une poli­tique de com­mu­ni­ca­tion pour­rait être menée sur les avan­tages en ter­mes de cir­cu­la­tion et sur l’u­til­i­sa­tion des sommes ain­si col­lec­tées. Les recettes pour­raient servir au ren­force­ment de la sanc­tion du sta­tion­nement illé­gal par du per­son­nel spé­cial­isé ou à des amé­nage­ments pour les modes doux.

Ne pas décourager le rapprochement domicile-travail en baissant les droits de mutation (et en compensant par une extension du stationnement payant)

L’ensem­ble des droits de muta­tion peut attein­dre 10 à 12 % du coût d’achat du loge­ment et ceci pénalise ceux qui souhait­eraient se rap­procher de leur tra­vail ou moins dépen­dre de leur voiture. Plutôt que revoir ces tax­es à la baisse (sauf de manière tem­po­raire), la mobil­ité est sub­ven­tion­née (voir l’ar­ti­cle d’Yves Martin).

En 1990 les droits de muta­tion (pub­lic­ité fon­cière, enreg­istrement, muta­tion) ont rap­porté 29 mil­liards de francs. Leur atténu­a­tion (pour favoris­er le rap­proche­ment domi­cile-tra­vail) pour­rait être com­pen­sée par les recettes poten­tielles du sta­tion­nement, estimées à env­i­ron 40 mil­liards de francs5.

Jean-Pierre Orfeuil fait le bilan d’un “ensem­ble de cal­culs assez com­plex­es ten­tant d’é­val­uer ce que serait l’im­pact moné­taire d’une général­i­sa­tion du sta­tion­nement payant, sur la base des prix du marché actuels, dans les aggloméra­tions de province de plus de 100 000 habi­tants“5. Le cal­cul repose sur des esti­ma­tions du sta­tion­nement hors domi­cile obtenues à par­tir de car­ac­téris­tiques de la mobil­ité (nom­bre de déplace­ments). Même si l’au­teur est con­scient des lim­ites d’une telle démarche, l’é­cart est tel entre les recettes poten­tielles de l’or­dre de 40 mil­liards de francs (30 pour les seules villes-cen­tres, 25 pour les déplace­ments liés au tra­vail) et les recettes actuelles de l’or­dre de 1 mil­liard de francs, qu’il y a cer­taine­ment une impor­tante marge de manoeu­vre pour les recettes du sta­tion­nement payant.

Le sta­tion­nement payant (hors rési­dent) présente l’a­van­tage d’être une mesure effi­cace pour assur­er le trans­fert vers d’autres modes que le véhicule par­ti­c­uli­er. On note en effet une grande résis­tance à l’u­til­i­sa­tion du sta­tion­nement payant et, sur l’ensem­ble des lieux assim­ilés au cen­tre-ville, l’of­fre de sta­tion­nement privé reste sous-utilisée.

Maîtriser les déplacements domicile-travail en réduisant le stationnement au travail et en le permettant au domicile

La disponi­bil­ité d’une place de sta­tion­nement au lieu de tra­vail affecte con­sid­érable­ment la répar­ti­tion modale des act­ifs, comme l’il­lus­tre le cas de Genève : l’usage du véhicule par­ti­c­uli­er est de 86 % avec park­ing disponible et de 36 % sans park­ing4.

Respectons les couloirs vélos
© DREIF-GOBRY

Le sta­tion­nement au tra­vail est générale­ment gra­tu­it en France, alors que le sta­tion­nement au lieu de rési­dence est sou­vent payant (en park­ing ou sur voirie dans la journée). Dès lors, nom­breux sont ceux qui pren­nent leur voiture le matin pour la gar­er sur leur lieu de tra­vail, ce qui est moins coû­teux. Doit-on par­ler ici de “préférence pour l’au­to­mo­bile” ou d’in­térêt indi­vidu­el financier bien com­pris ? Ne peut-on pas imag­in­er plutôt que le sta­tion­nement au tra­vail soit payant et qu’il le soit beau­coup moins au domi­cile, de manière à lim­iter cer­tains flux arti­fi­cielle­ment créés ? N’y aurait-il pas là un gain pour la collectivité ?

La gra­tu­ité du sta­tion­nement offert par l’employeur pour­rait être remise en ques­tion, en rai­son de nom­breux argu­ments dévelop­pés par J.-P. Orfeuil5. Il n’y a pas égal­ité de traite­ment entre employés, alors qu’un peu plus de la moitié des act­ifs dans les zones urbaines ne se rend pas en voiture à son tra­vail. L’a­van­tage est impor­tant et n’est pas fis­cale­ment impos­able au titre des avan­tages en nature. Cet avan­tage accordé aux seuls employés venant en voiture pour­rait être exigé sous une autre forme par les autres employés (aug­men­ta­tion de salaire équiv­alant au coût de loca­tion), comme ceci se met en place en Cal­i­fornie6.

Une entre­prise en dif­fi­culté pour­rait faire pay­er le sta­tion­nement au prix du marché, obtenant ain­si une baisse du coût du tra­vail. Cette forme de sub­ven­tion au sta­tion­nement au lieu de tra­vail n’est pas com­pa­ra­ble au verse­ment trans­port, car elle ne béné­fi­cie pas aux usagers des trans­ports col­lec­tifs alors que ce dernier béné­fi­cie aus­si aux act­ifs venant en voiture (par les meilleures con­di­tions de cir­cu­la­tion ren­dues pos­si­bles par les trans­ports col­lec­tifs, la meilleure acces­si­bil­ité aux étab­lisse­ments sco­laires des enfants…).

C’est pourquoi, il con­viendrait de réper­cuter sur leur util­i­sa­tion la valeur moné­taire de la mise à dis­po­si­tion de places de sta­tion­nement au lieu de tra­vail. Pourquoi ne pas utilis­er les recettes ain­si dégagées à l’or­gan­i­sa­tion de trans­ports col­lec­tifs (cov­oiturage, navettes pour col­lecter les employés, etc.) ou les redis­tribuer égal­i­taire­ment à tous les employés ?

Réduire les risques d’accident en modulant les primes d’assurance automobile en fonction de l’usage et des distances parcourues

Pour tenir compte davan­tage de l’usage, les primes d’as­sur­ance pour­raient généralis­er la prise en compte du kilo­mé­trage effec­tif par­cou­ru et le bonus pour non-util­i­sa­tion de son véhicule dans les tra­jets domi­cile-tra­vail en zone urbaine. Le kilo­mé­trage par­cou­ru est en effet un fac­teur de risque d’ac­ci­dent : la fréquence annuelle des sin­istres croît avec le kilo­mé­trage annuel moyen. Une tar­i­fi­ca­tion reposant sur le kilo­mé­trage effec­tué con­tribuerait à réduire le risque en faisant ressen­tir au socié­taire le coût de ses déplace­ments auto­mo­biles, et aurait ain­si un effet inci­tatif en l’en­cour­ageant à pren­dre d’autres modes moins risqués, pour la frac­tion de ses déplace­ments qui ne néces­si­tent pas le véhicule particulier.

Il est clair que le con­trôle du kilo­mé­trage effec­tué est une con­trainte pour l’as­sureur. Il faudrait ici une inci­ta­tion par oblig­a­tion publique. Le con­trôle tech­nique des véhicules pour­rait être l’oc­ca­sion d’un relevé réguli­er du kilométrage.

Rétablir des conditions de concurrence équitables entre modes de transport en faisant respecter les règles de travail des transporteurs routiers

Suite à la toute récente grève fin 1996, on a enten­du les routiers deman­der à l’É­tat qu’il fasse respecter les règles de tra­vail dans la pro­fes­sion. Leur non-respect con­tribue au faible prix du trans­port routi­er, ce qui biaise les con­di­tions de con­cur­rence avec les autres modes de trans­port, comme le rail. Le ser­vice des études économiques de la Fédéra­tion nationale des trans­porteurs routiers indi­quait, dans un arti­cle inti­t­ulé “Ne pas trich­er aujour­d’hui, c’est mourir demain”, que le respect des règles con­duirait à un prix de vente par kilo­mètre en charge qui serait sen­si­ble­ment le dou­ble de celui d’au­jour­d’hui7.

Consommer avec modération des ressources non renouvelables et polluantes comme le pétrole en augmentant la TIPP (et en baissant les charges sur le travail)

On entend sou­vent dire que nous avons les car­bu­rants les plus taxés en France. C’est vrai pour le super­car­bu­rant, moins pour le gazole (quant au kérosène, il ne sup­porte aucune taxe…). Ceci a incité nos con­struc­teurs auto­mo­biles à pro­pos­er des mod­èles bien plus économes qu’aux États-Unis où une telle fis­cal­ité est inexistante.

Mais le niveau de la fis­cal­ité n’est pas le seul sig­nal perçu, son évo­lu­tion importe aus­si. Or, le coût du car­bu­rant (40 % du coût d’usage d’un véhicule par­ti­c­uli­er) et celui de l’usage des trans­ports col­lec­tifs ont divergé5. En ter­mes réels entre 1959 (respec­tive­ment 1985) et 1992, le coût du car­bu­rant a bais­sé de 33 % (respec­tive­ment 22 %) alors que celui des trans­ports col­lec­tifs s’ac­crois­sait de 65 % (respec­tive­ment 5 %). Pourquoi dia­ble irais-je pren­dre les trans­ports publics dans ces con­di­tions ? Et ce d’au­tant plus que, depuis des années, la majorité des finance­ments publics dans le trans­port va au mode routier !

Notes Bib­li­ographiques (références)

1. Jean-Pierre ORFEUIL, Les coûts externes de la cir­cu­la­tion routière, INRETS, jan­vi­er 1996.
2. Société française de san­té publique, La pol­lu­tion atmo­sphérique d’o­rig­ine auto­mo­bile et la san­té publique, Bilan de quinze ans de recherche inter­na­tionale, Col­lec­tion san­té et société n° 4, mai 1996.
3. J.-P. BARDE, Économie et poli­tique de l’en­vi­ron­nement, PUF, 1992.
4. D. DRON et M. COHEN DE LARA, Pour une poli­tique souten­able des trans­ports, Cel­lule de Prospec­tive et Stratégie, min­istère de l’En­vi­ron­nement, Paris, La Doc­u­men­ta­tion Française, sep­tem­bre 1995.
5. Jean-Pierre ORFEUIL, Énergie, envi­ron­nement, fis­cal­ité, déplace­ments quo­ti­di­ens, Inrets, décem­bre 1993.
6. Roy­al Com­mis­sion on Envi­ron­men­tal Pol­lu­tion, Lon­dres, “Eigh­teenth report : trans­port and the envi­ron­ment?, octo­bre 1994.
7. “Ne pas trich­er aujour­d’hui, c’est mourir demain?, Trans­port Mag­a­zine, n° 111, mai 1993. (8) OCDE, Trans­ports urbains et développe­ment durable, 1995.

Il est man­i­feste que la fis­cal­ité des car­bu­rants est très effi­cace pour ori­en­ter le con­som­ma­teur et les acteurs économiques. Ain­si, le dif­féren­tiel supercarburant/gazole français s’ac­com­pa­gne d’une forte diéséli­sa­tion du parc (plus de 47 % des VP neufs en 1994) : ceci met le parc français en posi­tion sin­gulière en Europe, pose prob­lème aux raf­fineurs qui doivent importer du gazole et con­duit à une sur­con­som­ma­tion volu­mique de gazole et à des surémis­sions de gaz car­bonique (les usagers de l’au­to­mo­bile raison­nant à bud­get de déplace­ment con­stant). Faut-il, pour toutes ces raisons et parce que les par­tic­ules fines posent un prob­lème de san­té publique, renon­cer à acheter un mod­èle diesel alors que le gazole est sous-tarifé ?

Ain­si, le kérosène ne sup­porte pas de taxe intérieure sur les pro­duits pétroliers (TIPP). Faut-il s’é­ton­ner de l’ex­plo­sion du traf­ic aérien ? Doit-on vertueuse­ment pren­dre moins l’avion parce que les émis­sions de ce dernier con­tribuent à l’ac­croisse­ment de l’ef­fet de serre, alors que son prix ne reflète pas les nui­sances qu’il engendre ?

D’après une étude de l’OCDE, une aug­men­ta­tion du prix du car­bu­rant de l’or­dre de 7 % par an en ter­mes réels sur deux ou trois décen­nies serait néces­saire pour ramen­er les émis­sions de gaz car­bonique aux niveaux con­sid­érés comme indis­pens­ables par le groupe inter­gou­verne­men­tal d’ex­perts sur l’évo­lu­tion du cli­mat8. Utopie ? Comme prin­ci­pale mesure pour lim­iter les hauss­es des émis­sions de gaz car­bonique du trans­port routi­er, le gou­verne­ment bri­tan­nique a accru (en ter­mes réels) ses taux d’ac­cis­es sur les car­bu­rants : 10 % en mars 1993, près de 10 % en novem­bre 1993, puis 5 % par an indéfin­i­ment…7.

L’ac­tu­al­ité nous mon­tre com­bi­en le seul rat­tra­page de l’in­fla­tion sur les car­bu­rants fait réa­gir cer­tains acteurs. Alors, que faire quand cha­cun sait ce que coûte à la col­lec­tiv­ité la sous-tar­i­fi­ca­tion du gazole ? Peut-être pour­rait-on au moins expéri­menter, par exem­ple en négo­ciant avec les entre­pris­es de trans­port routi­er une baisse des charges sur le tra­vail en échange d’une hausse de la TIPP sur le gazole ?

Et les préoccupations sociales dans tout cela ? Mieux vaut une allocation universelle qu’une sous-tarification des ressources

Pro­posez de revoir les règles et tout de suite c’est le tol­lé au nom de prob­lèmes (réels) de redis­tri­b­u­tion sociale. Mais, si le sys­tème des prix (cor­rigé par la fis­cal­ité) reflète la rareté des biens, alors une inter­ven­tion de l’É­tat pour des motifs soci­aux (afin de per­me­t­tre à tous de dis­pos­er de cer­tains biens et ser­vices) ne devrait pas per­turber les prix relat­ifs et ris­quer d’aug­menter le gaspillage.

Il est préférable de redis­tribuer égal­i­taire­ment le pro­duit de la fis­cal­ité écologique (“écobonus” ou “allo­ca­tion uni­verselle”) et de per­me­t­tre aux acteurs de se pro­cur­er des biens et des ser­vices sur un marché où les prix auraient un sens, plutôt que de sous-tar­ifer cer­tains biens et ser­vices. Un écobonus égal­i­taire­ment dis­tribué prof­ite rel­a­tive­ment plus aux moins dému­nis ; une sous-tar­i­fi­ca­tion des ressources con­duit au gaspillage de ces dernières. 

Pro­longer les ten­dances : mieux vaut en rire…

— Grand-père, grand-mère, racon­tez-moi com­ment c’é­tait quand vous étiez jeunes !

— Com­ment ? Ferme d’abord la fenêtre, on n’en­tend rien avec ce vent qui souf­fle dehors.

— Maman me dit qu’à l’époque on ne par­lait presque jamais des ques­tions de change­ment de cli­mat. C’est drôle, parce que la maîtresse nous a dit que déjà, en 1995, le dis­posi­tif inter­na­tion­al d’é­val­u­a­tion sci­en­tifique affir­mait la réal­ité du phénomène et les incer­ti­tudes sur son ampleur, mais que les con­tro­ver­s­es con­tin­u­aient dans des milieux moins infor­més qui sou­vent util­i­saient des raison­nements tenus des années auparavant.

— Quels don­neurs de leçons, ces enfants ! Mais tu sais, par­ler d’en­vi­ron­nement c’é­tait presque dire des gros mots en ce temps-là. On n’é­tait pas sérieux quand on évo­quait d’éventuelles atteintes à l’en­vi­ron­nement, des risques pour la san­té, des préoc­cu­pa­tions pour les généra­tions futures, etc. On était sus­pect de faire appel aux peurs mil­lé­nar­istes, de jouer sur l’ir­ra­tionnel et le sen­sa­tion­nel… et on vous inter­rompait bien vite. On avait l’habi­tude de ne par­ler de sujets que lorsqu’ils étaient d’ac­tu­al­ité mais, et c’est bien là le prob­lème, le jour où les ques­tions d’en­vi­ron­nement sont d’ac­tu­al­ité, il est générale­ment trop tard…

— Papa me dit qu’il en assez de pay­er les dettes de la généra­tion précé­dente, la CRDA (con­tri­bu­tion au rem­bourse­ment de la dette autoroutière) par exem­ple. Il dit que des dizaines de mil­liards de francs ont été dépen­sés pour accélér­er le pro­gramme autorouti­er (on se demande pourquoi ces sommes n’ont pas été con­sacrées à la réal­i­sa­tion d’un grand pro­gramme de crèch­es, par exem­ple). Il m’a mon­tré un vieux doc­u­ment (Autoroutes 2020, n° 37, jan­vi­er 1996) qui s’in­quié­tait de ce que la dette de 110 mil­liards de francs d’alors allait dépass­er 230 mil­liards de francs en 2005, et qu’alors elle ne pour­rait pas être cou­verte par le pro­duit des péages et serait à la charge de la col­lec­tiv­ité. Et avant, il y avait eu la dette de la SNCF et celle du canal Rhin-Rhône. Les gens ne savaient pas lire à l’époque ?

— Si, bien sûr ! Mais, tu sais avec nos 800 000 km de routes nationales et départe­men­tales, nous avions peur de ne pas en avoir assez. Et en plus, il nous fal­lait des aéro­ports, des TGV, des canaux à grand gabarit…

— Je com­prends, vous aviez peur de man­quer. Mais alors, pourquoi toutes ces routes sont-elles peu fréquen­tées maintenant ?

— Ah, ça… Eh bien, en par­ti­c­uli­er parce que les pays dits en développe­ment à l’époque se sont inspirés de nous. Ils voulaient des voitures et des camions, et nous étions ravis de leur en ven­dre. C’est bien dom­mage qu’ils les aient util­isés car ils ont com­mencé eux aus­si à acheter du pét­role… Au fur et à mesure que la demande crois­sait, les prix ont grim­pé et les ten­sions ont été fortes d’au­tant que les ressources étaient alors essen­tielle­ment situées au Moyen-Ori­ent après épuise­ment des ressources de moin­dre impor­tance. Quand on y pense, presque tout notre sys­tème de trans­port dépendait d’une ressource située mas­sive­ment dans une zone géopoli­tique­ment insta­ble (en 1995 les impor­ta­tions nationales de pét­role prove­naient à près de 40 % du Moyen-Ori­ent). Avant cela, per­son­ne ne voulait enten­dre par­ler de hausse des car­bu­rants, mais après, nous n’avons pas eu le choix et le traf­ic s’en est ressenti…

— Tu veux dire qu’on pre­nait des déci­sions en ces temps-là sans tenir compte du contexte ?

— On pro­longeait les ten­dances à l’époque (la sat­u­ra­tion de la demande et le pro­grès tech­nique ne com­pen­sant pas la hausse du traf­ic)… Dans le domaine du trans­port, cer­tains mod­èles économétriques étaient comme des machines sacrées, entretenues par des ini­tiés qui avaient la pos­si­bil­ité d’en con­naître l’in­térieur et de l’al­i­menter avec des don­nées du passé, des poudres mir­a­cles, des “hypothès­es”, etc. et dont sor­taient des pro­jec­tions pour des années et des années… Le traf­ic routi­er allait tou­jours croître, tout comme la con­som­ma­tion de pét­role, les émis­sions de CO2 et de pous­sières. On rêvait beau­coup en ce temps : on sup­po­sait que le parc auto­mo­bile se renou­vellerait en dix ans (une façon très “sociale” de lut­ter con­tre la pol­lu­tion atmo­sphérique…), que le taux de crois­sance du PIB serait soutenu sur vingt ans, que le prix des car­bu­rants croî­trait mod­éré­ment (dans le passé, on avait tou­jours été assuré de dis­pos­er de pét­role pour les vingt années devant soi, alors en pro­je­tant le passé on se dessi­nait un avenir sans sur­prise…). Bien sûr, ce n’é­tait que les résul­tats de mod­èles, mais on était bien obligé de pour­suiv­re la con­struc­tion d’in­fra­struc­tures pour absorber tout ce traf­ic. La généra­tion suiv­ante pay­erait les dettes… Et pour en revenir au con­texte, celui des négo­ci­a­tions inter­na­tionales sur la préven­tion des change­ments cli­ma­tiques a bien changé car l’ac­croisse­ment de l’ef­fet de serre a com­mencé à sus­citer quelques réac­tions. Des États côtiers craig­nant la mon­tée des mers ont fait pres­sion pour que les négo­ci­a­tions aboutis­sent ; les réas­sureurs ont com­mencé à refuser de cou­vrir les dom­mages dus aux change­ments de cli­mat, suite aux coûts qu’ils obser­vaient déjà pour cer­taines cat­a­stro­phes cli­ma­tiques (inon­da­tions…) ; des sci­en­tifiques ont relevé des per­tur­ba­tions océaniques trou­blantes, etc. — Mais, tout ce pét­role con­som­mé à ce rythme for­mi­da­ble, ça vous a servi à quoi ? — Mais à aller tou­jours plus vite, tou­jours plus loin, voyons ! — Et vous n’avez pas cher­ché à affecter une par­tie des avan­tages que vous en retiriez à trou­ver des sub­sti­tuts pour que nous puis­sions nous aus­si nous déplacer ?

— Tu par­les comme un savant, là ! Mais au nom de quoi auri­ons-nous dû nous préoc­cu­per de cela ? Nous nous sommes épanouis à pou­voir accéder à tou­jours plus de des­ti­na­tions, tou­jours plus d’e­space… Nous vous avons lais­sé de superbes réseaux de trans­port, des véhicules routiers tou­jours plus mer­veilleux… Que deman­der de plus ? — Rien, rien… Peut-être auriez-vous pu sim­ple­ment chang­er pro­gres­sive­ment les règles du jeu pour ne pas com­pro­met­tre notre capac­ité à répon­dre à nos besoins, comme vous vous y étiez engagés. Maman m’a dit que vous appeliez cela le développe­ment durable. — Développe­ment durable ? Quel drôle de lan­gage ! C’est vrai, on en par­lait à l’époque. Ces jeunes, ils nous rafraîchissent la mémoire…

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