La planification urbaine peut-elle conduire à une mobilité durable ?

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997
Par Vincent FOUCHIER

Une des ques­tions clé du débat est de savoir si l’on souhaite lim­iter la place de l’automobile dans nos aggloméra­tions. Cette ques­tion dépasse large­ment les aspects tech­ni­co-envi­ron­nemen­taux (pol­lu­tion, nui­sances, coûts, etc.) : elle con­cerne un choix de société (modes de vie, paysages, équité, etc.) . La réponse à cette ques­tion de la place accordée à l’automobile est lourde de con­séquences quant aux déci­sions de plan­i­fi­ca­tion urbaine. Nous illus­trerons nos pro­pos avec l’exemple de l’Îlede-France et de quelques éclairages tirés de l’étranger.

La densité peut limiter la dépendance à l’automobile

Plusieurs recherch­es rel­a­tive­ment récentes ont con­forté les con­nais­sances sur le lien entre den­sité urbaine et déplace­ments. Par­mi celles-ci, une fameuse com­para­i­son inter­na­tionale, réal­isée par P. New­man et J. Ken­wor­thy1, a livré des résul­tats sig­ni­fi­cat­ifs. Ces deux chercheurs aus­traliens ont mon­tré que l’usage de l’automobile dans les aggloméra­tions est d’autant plus impor­tant que les den­sités urbaines sont faibles.

Ils ont égale­ment mis en évi­dence la cor­réla­tion entre den­sité et con­som­ma­tion d’énergie dans les trans­ports par habi­tant. La préser­va­tion des ressources énergé­tiques passerait ain­si par des formes urbaines plus com­pactes. À ce titre, les villes asi­a­tiques, telles que Tokyo ou Hong Kong, mais aus­si les villes européennes, y com­pris Paris et Berlin, seraient moins dis­pendieuses en énergie que leurs homo­logues américaines.

Ces travaux, por­tant sur 31 grandes villes mon­di­ales, à par­tir de don­nées agrégées, ont influ­encé des poli­tiques de “ développe­ment durable ” dans les insti­tu­tions inter­na­tionales, ONU, OCDE, Union européenne, etc., ain­si que dans cer­tains pays, en par­ti­c­uli­er d’Europe du Nord. Il est ain­si pré­con­isé de pra­ti­quer un développe­ment urbain plus dense (et mixte), jugé seul garant d’une dépen­dance lim­itée envers l’automobile.

Nos travaux sur les taux de motori­sa­tion et sur les déplace­ments ont con­fir­mé, à l’échelle de l’Île-de-France et sur une base désagrégée, la rela­tion mise en évi­dence par P. New­man et J. Ken­wor­thy. Ain­si, à l’échelle régionale, la com­para­i­son des taux de motori­sa­tion des ménages selon la den­sité humaine nette (pop­u­la­tion plus emplois par hectare urbain), pour les 1 300 com­munes, est claire : plus les com­munes sont dens­es, moins les ménages sont motorisés.

On pour­rait penser que le fac­teur de la dis­tance au cen­tre de Paris est aus­si déter­mi­nant, voire plus, que la den­sité pour expli­quer les écarts de taux de motori­sa­tion. Il n’en est rien : les taux de motori­sa­tion sont deux fois plus sen­si­bles aux den­sités qu’à la dis­tance au cen­tre de Paris. En effet, le cœf­fi­cient de cor­réla­tion du taux de motori­sa­tion avec la den­sité humaine nette (r = – 0,62) est beau­coup plus fort que celui avec la dis­tance au cen­tre de Paris (r = + 0,31). Il existe donc un “ effet den­sité ” (qui reste à crois­er avec la com­po­si­tion socio-économique de la population).

Les taux de motori­sa­tion sont inférieurs à une voiture par ménage unique­ment à Paris et dans les com­munes de la proche ban­lieue2. À l’opposé, les 673 com­munes rurales de la région (370 000 habi­tants) ont 1,31 voiture par ménage. La dif­férence entre ces secteurs est atténuée, même si elle reste vraie, si l’on observe le taux de motori­sa­tion par habi­tant (on sait que les ménages sont plus petits à Paris qu’ailleurs) : on compte 0,27 voiture par habi­tant à Paris, con­tre 0,45 dans les com­munes rurales.

Entre ces deux extrêmes, on trou­ve tout un spec­tre de taux de motori­sa­tion. Les car­ac­téris­tiques com­mu­nales, à la fois géo­graphiques, mor­phologiques, socioé­conomiques, etc., peu­vent faire vari­er con­sid­érable­ment les taux de motori­sa­tion, même pour une den­sité iden­tique. L’éloignement de Paris, les dis­tances rel­a­tive­ment longues entre orig­ines et des­ti­na­tions de déplace­ments, la faible desserte en trans­ports en com­mun et la facil­ité de cir­cu­la­tion auto­mo­bile et de sta­tion­nement ren­dent l’automobile par­ti­c­ulière­ment pra­tique dans les secteurs les moins den­sé­ment bâtis ; elle y est même ren­due qua­si oblig­a­toire. La sit­u­a­tion est totale­ment inverse dans les secteurs les plus dens­es, où la pos­ses­sion et l’usage de l’automobile sont très con­traints (coûts et rareté du sta­tion­nement, con­ges­tion, etc.), alors que les trans­ports en com­mun sont attractifs.

Le taux de mono-motori­sa­tion est peu vari­able, quel que soit le secteur ; il y a partout pra­tique­ment la moitié des ménages qui pos­sè­dent une seule voiture, sauf à Paris où cette part est de 40 %. Les vari­a­tions du taux de motori­sa­tion vien­nent alors des parts respec­tives de non-motori­sa­tion et de mul­ti-motori­sa­tion, qui témoignent l’une d’une dépen­dance aux trans­ports col­lec­tifs et à la marche, l’autre à l’automobile. On observe ain­si que la den­sité est davan­tage cor­rélée à la non-motori­sa­tion (r = + 0,71) qu’au taux de motori­sa­tion moyen : ceci con­firme que la den­sité offre la pos­si­bil­ité de se pass­er de voiture.

La part des ménages non-motorisés con­naît pra­tique­ment un écart de 1 à 6 entre les den­sités les plus faibles et les den­sités les plus fortes, à nom­bre d’habitants et d’emplois équivalents.

Les voitures se desserrent plus vite que les habitants

La local­i­sa­tion du développe­ment urbain et sa den­sité pren­nent une respon­s­abil­ité dans le taux de motori­sa­tion. Il est donc intéres­sant de mesur­er les ten­dances récentes de la répar­ti­tion spa­tiale de la pop­u­la­tion, en ter­mes de densités.

Nous avons observé une crois­sance rapi­de des com­munes dans les tranch­es de den­sités les plus faibles. À l’inverse, les tranch­es de plus forte den­sité (Paris et la très proche couronne) n’ont pas con­nu de vari­a­tion sig­ni­fica­tive de leur population.

La crois­sance plus rapi­de de pop­u­la­tion dans les com­munes peu dens­es se traduit néces­saire­ment par une présence accen­tuée de voitures dans ces com­munes, puisqu’on a vu que leurs taux de motori­sa­tion sont plus élevés qu’ailleurs.

Les déplace­ments effec­tifs et leurs répar­ti­tions modales, entre 1976 et 1991, vien­nent con­firmer cette ten­dance. La mobil­ité indi­vidu­elle du Fran­cilien moyen a évolué ain­si (d’après l’enquête glob­ale Trans­port de 1991 (EGT), traite­ment INRETS) :
– dis­tance totale parcourue/personne/ jour : + 17 %,
– temps de déplacement/personne/ jour : – 5 %,
– dis­tance par­cou­rue en voiture/personne (conducteur)/jour : + 36 %.

Dans cette même péri­ode, la marche a vu sa part modale dimin­uer de 11 % sur le nom­bre de déplace­ments. De telles ten­dances régionales, net­te­ment défa­vor­ables aux modes de “ cir­cu­la­tion douce ”, révélant un rôle crois­sant de l’automobile, sont l’aboutissement de proces­sus com­plex­es, mêlant les con­di­tions du développe­ment urbain évo­quées ci-dessus à des ten­dances socio-économiques mul­ti­ples. La respon­s­abil­ité prise par les den­sités doit être minorée, mais elle est claire­ment vérifiée.

Nous avons en effet cal­culé que les indi­vidus qui rési­dent dans les com­munes de den­sités humaines nettes les plus faibles par­courent quo­ti­di­en­nement des dis­tances 2,3 fois plus grandes que ceux qui rési­dent en forte den­sité : 35 km par jour con­tre 15. La part modale de l’automobile est beau­coup plus élevée dans le pre­mier cas que dans le deuxième.

La sépa­ra­tion des fonc­tions dans le tis­su urbain, corol­laire des exten­sions de faible den­sité, est égale­ment respon­s­able de la place accrue de l’automobile dans les déplace­ments. La desserte en trans­ports en com­mun de zones uni-fonc­tion­nelles (parcs d’activités, par exem­ple) ne sera jamais suff­isante pour être attrac­tive vis-àvis de l’automobile. Or, une large part des urban­i­sa­tions récentes con­siste en des délo­cal­i­sa­tions d’équipements ou de lieux d’activités autre­fois local­isés dans des secteurs plus dens­es et mieux desservis en trans­ports en commun.

Ces nou­velles local­i­sa­tions sont une con­cur­rence à celles qui restent en cen­tre-ville. Les créa­tions de com­plex­es de ciné­mas périphériques, après celles des cen­tres com­mer­ci­aux, con­tribuent à ren­forcer la place de l’automobile dans les aggloméra­tions : leur acces­si­bil­ité est bien meilleure pour les per­son­nes motorisées que pour les autres. C’est donc un urban­isme qui exclut les per­son­nes non-motorisées. La dis­per­sion dans l’espace des fonc­tions (com­merce, ser­vices, emploi…), qui main­te­naient un cen­tre-ville, et l’étalement urbain peu dense se com­bi­nent alors pour expli­quer le développe­ment de l’usage de l’automobile.

La “durabilité environnementale”

La rela­tion inverse entre den­sité et place de la voiture vient d’être con­fir­mée. On peut alors tir­er des con­clu­sions quant à l’impact écologique de la mobil­ité selon le con­texte de densité.

L’automobile est beau­coup plus créa­trice de nui­sances par per­son­ne trans­portée que les trans­ports en com­mun, cha­cun le sait. Ce con­stat peut être fait dans des domaines var­iés (bruit, pol­lu­tions, con­som­ma­tion énergé­tique, occu­pa­tion de l’espace, etc.), et pour des échelles spa­tio-tem­porelles mul­ti­ples (de l’impact local de très court terme à l’impact mon­di­al de très long terme). On peut faire un bilan écologique de la mobil­ité selon la densité.

Nous avons mesuré l’écart des valeurs cor­re­spon­dant aux tranch­es de den­sités (pop­u­la­tion plus emploi par hectare urbain) min­i­males et max­i­males, pour cha­cun des critères ci-dessous con­cer­nant les prin­ci­paux indi­ca­teurs de pol­lu­tion occa­sion­nés par les déplace­ments (INRETS et Dense Cité : C. Gallez et V. Fouch­i­er, résul­tats d’étape) :

– dis­tance par­cou­rue x 2,3
– con­som­ma­tion énergé­tique x 3,2
– CO2 x 4,4
– CO x 4,4
– hydro­car­bu­res x 4,2
– NOx x 6,0
– par­tic­ules en sus­pen­sion x 2,7

À la lec­ture de ces chiffres, on ne peut pas dire que les den­sités n’ont pas d’impact écologique, en matière de trans­port… Les dis­tances par­cou­rues quo­ti­di­en­nement par indi­vidu vari­ent d’un fac­teur 2,3 entre la tranche de den­sité la plus faible et la tranche de den­sité la plus forte, on l’a déjà dit. Mais les parts modales, ain­si que les vitesses de déplace­ment, étant de sur­croît dif­férentes selon la den­sité, on mesure que les con­som­ma­tions énergé­tiques (bud­get énergi­etrans­port) et les émis­sions de pol­lu­ants vari­ent dans des pro­por­tions beau­coup plus impor­tantes. Le résul­tat est que plus la den­sité de la com­mune de rési­dence est forte, moins l’individu porte atteinte à l’environnement par ses déplace­ments (et ce quel que soit le critère de den­sité util­isé). Les dif­férences dans les émis­sions de pol­lu­ants sont essen­tielle­ment dues à la part modale dom­i­nante de l’automobile.

Certes la ville dense pro­duit moins de pol­lu­tion par indi­vidu en déplace­ment, mais la con­cen­tra­tion d’un grand nom­bre d’individus dans un espace lim­ité se traduit par une con­cen­tra­tion des nuisances.

En effet, nous pou­vons mon­tr­er que les taux de motori­sa­tion faibles dans le cen­tre de l’agglomération parisi­enne n’empêchent pas une forte den­sité de voitures, beau­coup plus forte que dans les autres secteurs de la région. Les sources de nui­sances sont donc con­cen­trées. Les per­son­nes directe­ment exposées à ces nui­sances sont égale­ment plus nom­breuses. La ville dense est donc moins pol­lu­ante, mais plus pol­luée que sa périphérie peu dense.

Ce bilan écologique est sou­vent rel­a­tivisé, voire nié, en par­ti­c­uli­er dans les milieux “ pro-routiers ”, avec des argu­ments par­fois dis­cuta­bles. On lui oppose un bilan économique (la voiture rap­porterait à la col­lec­tiv­ité plus qu’elle ne lui coûte), fonc­tion­nel (l’accessibilité auto­mo­bile serait plus effi­cace que l’accessibilité en trans­ports col­lec­tifs), tech­nique (le pro­grès devrait élim­in­er les nui­sances dans un avenir proche), idéologique (“ c’est ce que veu­lent les gens ”), ou “ éco­lo scep­tique ” (on n’est pas cer­tain des con­séquences de l’automobile, ni sur l’effet de serre, ni sur les atteintes à la san­té, ni sur l’incapacité d’adaptation à la dis­pari­tion des ressources non renouvelables).

Cela explique que les options de développe­ment urbain peu­vent pren­dre des direc­tions opposées, en par­ti­c­uli­er dans la manière de com­bin­er urban­isme et transport.

Deux options différentes de combiner transports et densités

Aujourd’hui, la tech­nique nous offre un choix pour lequel aucune déci­sion con­sen­suelle et explicite n’est prise : souhaite-t-on éten­dre les villes, au risque de rompre les liens de prox­im­ité physique, au béné­fice d’une mobil­ité accrue (en auto­mo­bile) et de télé-actions plus nom­breuses, ou souhaite-t-on den­si­fi­er les villes pour val­oris­er les cen­tral­ités et les prox­im­ités, et autoris­er un usage accru des trans­ports en com­mun et des modes doux ?

Une grande aggloméra­tion, telle que l’agglomération parisi­enne, ne peut pas être con­sid­érée comme un tout homogène, dont le développe­ment dans les vingt-cinq prochaines années se fera par homoth­étie. L’action publique peut faire en sorte de favoris­er cer­tains secteurs pour en accélér­er le développe­ment aux dépens d’autres secteurs, dans la per­spec­tive de répon­dre à quelques objec­tifs prioritaires.

C’est la déf­i­ni­tion de ces objec­tifs qui déter­mine les grandes ori­en­ta­tions de stratégie urbaine. Or, les poli­tiques dites de développe­ment durable mis­es en oeu­vre dans plusieurs pays, évo­quées plus haut, ne se fix­ent pas les mêmes pri­or­ités que le sché­ma directeur de la région d’Île-de-France. Quelles sont les différences ?

L’option du développement durable : l’urbanisme contre l’automobile ?

Influ­encées par les con­clu­sions de P. New­man et J. Ken­wor­thy, repris­es ensuite par l’Union européenne, les autorités publiques locales et nationales bri­tan­niques, hol­landais­es, norvégi­en­nes, etc., ont mis en place des poli­tiques urbaines visant à lim­iter la mobil­ité auto­mo­bile. Elles ont ain­si défi­ni comme objec­tif pri­or­i­taire de la plan­i­fi­ca­tion une cer­taine den­si­fi­ca­tion des tis­sus urbains, sup­posée éviter une banal­i­sa­tion exces­sive de l’automobile et donc une large part des nui­sances en ville et au-delà.

NOMBRE DE VOITURES PAR HABITANT SELON LA TRANCHE DE DENSITÉ HUMAINE NETTE COMMUNALE EN ÎLE-DE-FRANCE
* Les tranch­es sont indiquées par leur den­sité consolidée.

Le Livre vert sur l’environnement urbain de la CEE (1990) syn­thé­tise ces principes : “ Les straté­gies qui pré­conisent des affec­ta­tions mixtes et un développe­ment plus dense sont les plus aptes à rap­procher les gens de leur lieu de tra­vail et des ser­vices néces­saires à leur vie quo­ti­di­enne. La voiture pour­rait alors devenir un choix plus qu’une néces­sité. ” La sépa­ra­tion des fonc­tions et les faibles den­sités sont très claire­ment désignées comme respon­s­ables de la crois­sance de la mobil­ité auto­mo­bile. Et la voiture est elle-même accusée de dégrad­er l’environnement ; il ne faut donc pas en ren­dre l’usage qua­si oblig­a­toire par un développe­ment urbain inadapté.

Dans cet esprit, le gou­verne­ment bri­tan­nique a pub­lié une direc­tive nationale, la Plan­ning Pol­i­cy Guid­ance n°13 (mars 1994) : celle-ci fixe l’objectif nation­al de lim­i­ta­tion des déplace­ments auto­mo­biles et indique qu’un urban­isme dense et mixte autour des sta­tions de trans­ports publics per­met de l’atteindre. Les autorités publiques de rangs inférieurs doivent respecter cette direc­tive. Il s’agit ici d’un principe et non d’actions con­crètes de la part du gouvernement.

Aux Pays-Bas, en revanche, le gou­verne­ment ne s’arrête pas aux principes généraux, mais organ­ise lui-même le développe­ment urbain selon des principes iden­tiques à ceux des Bri­tan­niques. Le plan d’aménagement du ter­ri­toire de 1991 ambi­tionne de dis­suad­er l’usage de l’automobile, en par­ti­c­uli­er pour les déplace­ments domi­cile- tra­vail. Plusieurs moyens sont mis en oeu­vre pour attein­dre cet objec­tif. Out­re des mesures de régle­men­ta­tion du sta­tion­nement, de péage urbain, une poli­tique de local­i­sa­tion des “ généra­teurs de déplace­ments ” a été lancée : la poli­tique de l’ABC. Elle con­siste à “ plac­er la bonne entre­prise au bon endroit ”. Les dif­férentes par­ties du ter­ri­toire sont classées en trois caté­gories, en fonc­tion de leur accessibilité :

– pro­fil A : activ­ités ter­ti­aires ou équipements ayant beau­coup d’employés ou atti­rant de nom­breux vis­i­teurs, dont la local­i­sa­tion sera de type cen­tre-ville, béné­fi­ciant de tous les trans­ports publics ;

– pro­fil B : activ­ités atti­rant moins de per­son­nes, mais qui doivent rester acces­si­bles par auto­mo­bile (pro­duc­tion, dis­tri­b­u­tion), dont la local­i­sa­tion devra com­bin­er une dou­ble desserte auto­mo­bile et trans­ports publics, plus loin des centres ;

– pro­fil C : activ­ités dépen­dant unique­ment du trans­port routi­er, dont la local­i­sa­tion sera périphérique.

Une démarche parte­nar­i­ale a été engagée, non seule­ment avec la par­tic­i­pa­tion de dif­férents min­istères, mais aus­si avec des acteurs privés. C’est ain­si un ensem­ble de mesures con­ver­gentes qui doivent con­courir à ce projet.

L’option du gain d’espace individuel : l’urbanisme avec l’automobile ?

Dans le cas du sché­ma directeur de la région d’Île-de-France (SDRIF), les objec­tifs sont sen­si­ble­ment dif­férents de ceux du développe­ment durable. Ils reposent certes sur une com­bi­nai­son des poli­tiques de trans­ports et d’urbanisme, mais la final­ité recher­chée n’est pas la même.

L’objectif anti-voiture n’est pas mis en avant, ce qui con­stitue une dif­férence fon­da­men­tale avec les poli­tiques de développe­ment durable que l’on vient de présen­ter. D’autre part, le directeur région­al de l’équipement, respon­s­able de l’application du SDRIF, Jean Poulit, con­sid­ère comme très posi­tif le fait que l’agglomération parisi­enne s’étende et que les den­sités dimin­u­ent : “ Les rési­dents veu­lent plus d’espace pour vivre tout en préser­vant la capac­ité d’accéder à la ville. Ils veu­lent gag­n­er sur ces deux tableaux. Ce phénomène majeur est irréversible. ”3

Par con­séquent, il est prévu d’urbaniser 44 000 hectares d’ici 2015, qui devront répon­dre à cette quête d’espace des indi­vidus et des entre­pris­es, estimée irré­press­ible. Tout le fonc­tion­nement de cette aggloméra­tion éten­due dépen­dra donc d’une acces­si­bil­ité améliorée, en par­ti­c­uli­er grâce à l’automobile pour les liaisons ban­lieue-ban­lieue (puisque c’est là que l’on porte le développement).

Les par­ties du dis­cours du SDRIF sur les ambi­tions de den­si­fi­ca­tion et de développe­ment des trans­ports col­lec­tifs ne sont pas facile­ment com­pat­i­bles avec cette option du “ gain d’espace individuel ”.

Le SDRIF annonce une volon­té de recon­quête de la proche couronne, qui pour­rait être rap­prochée des principes du développe­ment durable. Elle con­cerne prin­ci­pale­ment les secteurs désignés comme sites stratégiques ; elle doit d’une part requal­i­fi­er des espaces en déshérence, d’autre part com­penser la déden­si­fi­ca­tion des autres secteurs. En fait, la recon­quête de la proche couronne est une den­si­fi­ca­tion par défaut. Mais la réal­i­sa­tion des ambi­tions affichées sem­ble com­pro­mise par le manque de moyens financiers affec­tés aux secteurs con­cernés : peu d’actions fon­cières antic­i­patri­ces, des équipes coor­di­na­tri­ces exsangues, peu d’autorité de l’État face aux col­lec­tiv­ités locales, etc. On voit mal com­ment les objec­tifs de den­si­fi­ca­tion pour­ront être atteints.

Face à cela, les con­traintes fixées au développe­ment périphérique sont moins nom­breuses. Le SDRIF n’a pas obligé de den­sité min­i­male pour les nou­velles urban­i­sa­tions, qui aurait per­mis de réduire en par­tie la dépen­dance à l’automobile. Les amé­nageurs locaux ne por­tent aucune respon­s­abil­ité vis-à-vis des déplace­ments (nui­sances et coûts) que génèrent leurs pro­jets urbains. Il n’est donc dit nulle part que l’allongement des dis­tances par­cou­rues en voiture est un prob­lème à résoudre par l’urbanisme.

Comparaison des deux scénarios

Cha­cune des deux logiques présen­tées forme un tout cohérent et développe un cer­cle vertueux qui lui est pro­pre. Les objec­tifs ini­ti­aux n’étant pas les mêmes, les villes qui résul­teraient théorique­ment de ces deux sché­mas seraient très différentes.

Que ce soit dans le scé­nario “ développe­ment durable ”, ou dans celui du “gain d’espace ”, une par­tie du raison­nement est occultée, ou min­imisée. Dans le pre­mier cas, l’impact économique (créa­tion de richesse par l’accessibilité) n’est pas vrai­ment pris en compte. Plus exacte­ment, on lui attribue une valeur moin­dre que la préser­va­tion de l’environnement dans le long terme. Dans le sec­ond cas, le coût de l’impact écologique est con­sid­éré comme mineur par rap­port aux enjeux économiques de l’accroissement de la mobil­ité auto­mo­bile : les coûts de répa­ra­tion sont nég­lige­ables en regard des béné­fices de la mobil­ité (mais cer­tains coûts impor­tants ne sont pas pris en compte).

Le raison­nement du développe­ment durable sup­pose d’une part que l’augmentation de den­sité aura un impact sig­ni­fi­catif sur l’usage de l’automobile, et d’autre part que les économies d’énergie et les pol­lu­tions évitées sont suff­isantes pour jus­ti­fi­er la densification.

Le raison­nement du gain d’espace sup­pose quant à lui que la con­som­ma­tion d’espaces naturels par l’urbanisation n’est pas un prob­lème majeur, que la tech­nolo­gie sait résoudre la plu­part des nui­sances de l’automobile et que l’économique prime l’écologique.

Il n’y a sans doute pas de vérité sim­ple. Une poli­tique de com­pro­mis entre l’option du développe­ment durable et celle du gain d’espace serait-elle garante d’une sécu­rité pour le long terme ?

__________________________________
1. Peter NEWMAN et Jef­frey KENWORTHY, Cities and auto­mo­bile depen­dance : an inter­na­tion­al source­book. Alder­shot : Gow­er, 1989, 388 p.
2. Vin­cent FOUCHIER, “ Quel trans­port, pour quelle ville ? ”, in Urban­isme, n° 289, juil­let-août 1996, p. 66–74.
3. “ Deux logiques d’aménagement s’affrontent ”, in L’Environnement Mag­a­zine, n° 1530, sep­tem­bre 1994, p. 24–31.

Poster un commentaire