La gestion du changement : la réforme de la DGA

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°593 Mars 2004
Par Jacques TOURNIER (76)

Dans le cadre de la réforme en pro­fondeur du sys­tème de défense français qui s’est traduite par la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion de la fonc­tion mil­i­taire et la recon­fig­u­ra­tion du for­mat de nos forces dans la per­spec­tive établie par le Livre blanc de 1995, la DGA été con­fron­tée à la néces­sité d’opér­er une véri­ta­ble opéra­tion de restruc­tura­tion fondée sur un objec­tif sim­ple : réduire de 30 % sur cinq ans tant le vol­ume de la dépense con­sacrée aux équipements, que le vol­ume des ressources con­som­mées en interne pour exercer son activité.

Il n’é­tait évidem­ment pas con­cev­able qu’un tel objec­tif se traduise par une réduc­tion, à due con­cur­rence, du niveau d’équipement de nos forces. Il n’y avait donc pas d’autre voie, pour y par­venir, que d’en­gager la DGA dans un proces­sus de muta­tion sem­blable à celui qu’avaient con­nu bon nom­bre d’en­tre­pris­es dans les années qua­tre-vingt et qui les avait con­duites à accroître ” à marche for­cée ” leur com­péti­tiv­ité en dimin­u­ant leurs coûts. Seul un change­ment rad­i­cal des méth­odes de tra­vail et des proces­sus de fonc­tion­nement de la délé­ga­tion pou­vait per­me­t­tre de répon­dre à un tel défi. C’est ce qui a con­duit la DGA à con­former son organ­i­sa­tion, la con­duite de ses activ­ités et ses modes de fonc­tion­nement et de ges­tion aux principes de la ges­tion par objec­tif et de la cul­ture de résultats.

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Quitte à forcer le trait, l’on peut car­ac­téris­er la DGA d’a­vant la réforme comme étant une insti­tu­tion dont l’ac­tiv­ité, prin­ci­pale­ment con­duite dans une optique de per­for­mance tech­nique et opéra­tionnelle, s’in­scrivait dans le cadre d’une cul­ture de moyens. Avec l’im­por­tance prise par la con­trainte budgé­taire, la qual­ité des presta­tions de la DGA se devait d’être appréhendée non plus du seul point de vue de l’adéqua­tion des équipements aux besoins opéra­tionnels des forces, mais dans une optique de résul­tat glob­al, résul­tat dont la per­for­mance économique deve­nait l’une des com­posantes déci­sives d’ap­pré­ci­a­tion. Pour repren­dre une expres­sion à la mode, la cul­ture de moyens devait céder la place à une cul­ture de résultats.

Un tel change­ment ne pou­vait être que le fruit d’une démarche glob­ale et non pas le pro­duit d’un ensem­ble d’a­juste­ments par­tiels. L’on sait bien qu’à par­tir d’un cer­tain stade une struc­ture d’ac­tiv­ités n’en­gen­dre plus que des gains de pro­duc­tiv­ité mar­gin­aux, mal­gré tous les efforts aux­quels on peut s’employer, et que c’est tout le sys­tème dont il faut repenser la struc­ture et les modes de fonc­tion­nement si l’on veut établir les con­di­tions d’une nou­velle vague de pro­grès durable.

Soumet­tre la struc­ture à une exi­gence de résul­tats impli­quait, tout d’abord, de sub­or­don­ner son activ­ité à la visée d’ob­jec­tifs préal­able­ment et claire­ment défi­nis. À par­tir de quoi, les activ­ités peu­vent être artic­ulées comme autant de pro­jets, lesquels, pour être menés à bien et dans des con­di­tions d’ef­fi­cac­ité opti­male, requièrent la réu­nion de trois fac­teurs : un véri­ta­ble respon­s­able qui en assure le pilotage, le con­cours d’un ensem­ble de moyens qu’il faut dimen­sion­ner au plus juste, ain­si qu’une mise sous con­trôle des dif­férents paramètres qui car­ac­térisent ces pro­jets tout au long de leur avancement.

Première modalité : subordonner l’activité à la visée d’objectifs préalablement définis

Elle a don­né lieu à une tra­duc­tion éch­e­lon­née sur trois niveaux.

Pre­mier niveau, celui de l’in­sti­tu­tion dans son entier : il s’est agi, à ce stade, de repenser com­plète­ment ce qu’é­tait la DGA pour recen­tr­er ses mis­sions sur celles de ses activ­ités où sa valeur ajoutée est max­i­male — ce que l’on appelle plus couram­ment le ” cœur de méti­er “. Cette analyse a con­duit à repo­si­tion­ner la délé­ga­tion sur ses activ­ités ” éta­tiques ” de pré­pa­ra­tion de l’avenir, d’ar­chi­tec­ture et de maîtrise d’ou­vrage des pro­grammes d’arme­ment, et à en sor­tir ce qui restait d’ac­tiv­ités industrielles.

Deux­ième niveau, celui des direc­tions ou ser­vices qui com­posent la DGA et qui donne lieu à l’élab­o­ra­tion annuelle de doc­u­ments d’ori­en­ta­tions pré­cisant les objec­tifs que ceux-ci doivent pour­suiv­re, d’une part dans une per­spec­tive de moyen terme — en l’oc­cur­rence qua­tre ans -, d’autre part pour l’an­née qui s’ouvre.

Troisième niveau, plus récent celui-là, qui vise à déclin­er, de façon con­certée, les objec­tifs col­lec­tifs en objec­tifs indi­vidu­els pour l’an­née à venir, et donc à déter­min­er les résul­tats qui sont atten­dus des agents de la DGA.

La deuxième modalité : concevoir les activités comme des projets pilotés par un responsable désigné à cet effet

À la con­duite séquen­tielle d’opéra­tions qui résulte du fonc­tion­nement des organ­i­sa­tions pyra­mi­dales, la DGA a enten­du sub­stituer la pra­tique du tra­vail en équipe inté­grée. Cela l’a amené à met­tre en œuvre les principes de l’or­gan­i­sa­tion matricielle, en par­ti­c­uli­er pour celles des activ­ités qui relèvent de son cœur de méti­er. En appli­ca­tion de cette approche ont été con­sti­tuées, autour de respon­s­ables affec­tés à la con­duite d’un pro­jet, des équipes mobil­isant des spé­cial­istes et des experts qui sont affil­iés à des entités con­stru­ites selon des logiques ” métiers ” (tech­niques de base, méth­odes, exper­tise qual­ité, achat, con­trôle de ges­tion, etc.).

Troisième modalité : allouer aux activités des moyens dimensionnés au plus juste

L’op­tique de résul­tat qu’il fal­lait désor­mais faire pré­val­oir à la DGA a débouché sur la mise en œuvre d’une ges­tion très fine des ressources néces­saires à la con­duite des activ­ités. Ain­si, la fix­a­tion d’ob­jec­tifs aux direc­tions et aux ser­vices se traduit désor­mais par la déter­mi­na­tion a pos­te­ri­ori des moyens (effec­tifs, crédits de fonc­tion­nement et d’in­vestisse­ment) qui doivent leur per­me­t­tre de les atteindre.

De même, la néces­sité de gér­er les effec­tifs en ” flux ten­dus “, com­binée avec la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion accrue des agents résul­tant de la mise en place de l’or­gan­i­sa­tion matricielle, a con­duit à dévelop­per les out­ils d’une véri­ta­ble ges­tion prévi­sion­nelle des emplois et des compétences.

Dernière modalité : la mise sous contrôle des différents paramètres qui caractérisent un projet tout au long de son avancement, autrement dit l’instauration du contrôle de gestion

Dès lors que les objec­tifs de l’in­sti­tu­tion, de ses entités, et des indi­vidus sont claire­ment défi­nis, le con­trôle de ges­tion devient à la fois une néces­sité et une évi­dence. La mise en place d’un tel dis­posi­tif impli­quait néan­moins de pou­voir s’ap­puy­er sur des sys­tèmes d’in­for­ma­tion et de ges­tion très per­for­mants, ce que la DGA s’est effor­cée de con­stru­ire en par­al­lèle. Naturelle­ment, la pra­tique du con­trôle de ges­tion se doit d’être con­tin­ue, afin de se don­ner la pos­si­bil­ité de cor­riger les écarts de tra­jec­toire dès qu’ils se présen­tent. Aus­si le con­trôle de ges­tion s’est-il traduit, à la DGA, par le déploiement, à tous les niveaux de la struc­ture, de la pra­tique du dia­logue de ges­tion : à inter­valles réguliers — générale­ment men­su­els -, les respon­s­ables réu­nis­sent leurs sub­or­don­nés, passent en revue avec eux les tableaux de bord et les indi­ca­teurs, et déci­dent, le cas échéant, des actions cor­rec­tives qui pour­raient s’imposer.

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À tra­vers cette évo­ca­tion assuré­ment incom­plète de ce qui a con­sti­tué une réforme glob­ale et très pro­fonde de la DGA, on peut mesur­er la véri­ta­ble portée du change­ment qui a été engagé en 1997 et dont la per­ti­nence a été attestée par le fait que les objec­tifs ini­tiale­ment visés ont été atteints : près de 10 mil­liards d’eu­ros ont été économisés sur le coût des pro­grammes d’arme­ment, tan­dis qu’é­taient enreg­istrés, pour la struc­ture, 30 % de gains de pro­duc­tiv­ité sur cinq ans.

À bien des égards, la DGA peut donc appa­raître comme un cas con­cret d’ap­pli­ca­tion des principes qui nour­ris­sent les réflex­ions actuelles sur la réforme de l’É­tat dans les per­spec­tives ouvertes par la LOLF. Il n’en demeure pas moins que si une telle entre­prise de change­ment a pu être menée à bien, c’est parce plusieurs fac­teurs étaient réu­nis pour la ren­dre possible.

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Assuré­ment, la réforme de la DGA a béné­fi­cié du con­texte général de réforme dans lequel le min­istère de la Défense s’est inscrit sans dis­con­ti­nu­ité depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.

À cet égard, il con­vient sur ce point de not­er que, compte tenu des enjeux qui présidaient à cette évo­lu­tion — à savoir une com­plète restruc­tura­tion de notre out­il de défense -, il avait été décidé de con­sacr­er d’im­por­tants moyens au proces­sus qui devait être engagé. Autrement dit, l’É­tat avait, en l’oc­cur­rence, accep­té le principe selon lequel une réforme représente un investisse­ment qui a un coût et admis, par là même, d’en assumer la charge.

Sur un autre plan, il est clair que le fait de con­fi­er le pilotage de la réforme à un ” patron de l’in­dus­trie ” a été pour beau­coup dans le car­ac­tère inno­vant que celle-ci a pu revêtir. Car même si les idées qui ont trait à la cul­ture de résul­tats ou à la ges­tion de la per­for­mance font aujour­d’hui par­tie des principes qui ori­en­tent la réforme de l’É­tat, force est de con­stater que leur mise en œuvre pâtit de la rel­a­tive mécon­nais­sance ou de l’in­ex­péri­ence qu’ont beau­coup de cadres dirigeants de la fonc­tion publique des modal­ités qui en traduisent l’ap­pli­ca­tion concrète.

Il ne faut pas non plus pass­er sous silence le fait que la pos­si­bil­ité de men­er à bien ce très pro­fond change­ment, si elle a béné­fi­cié de la ” tein­ture mil­i­taire ” et du sens du ser­vice de l’É­tat qui mar­quent l’am­biance de tra­vail et les pra­tiques du man­age­ment au sein de la délé­ga­tion, n’en a pas moins été pré­parée par un très impor­tant tra­vail de réflex­ion col­lec­tive. Au sur­plus, il con­vient de rap­pel­er que la con­duite du change­ment a don­né lieu au déploiement d’un très impor­tant dis­posi­tif de com­mu­ni­ca­tion interne.

À l’op­posé, il ne faut pas se dis­simuler les obsta­cles aux­quels se heurte une telle entre­prise, dès lors qu’elle s’in­sère dans un con­texte mar­qué par la per­sis­tance du cadre, des dis­po­si­tions et des habi­tudes pro­pres à l’ad­min­is­tra­tion publique.

La dif­fi­culté à met­tre en place une ges­tion dynamique et moti­vante des ressources humaines face à la réal­ité des corps et des statuts, les aléas de la négo­ci­a­tion budgé­taire et le peu de cas qu’elle sem­ble par­fois faire des efforts de ges­tion qui ont été accom­plis, la lour­deur des procé­dures au regard du besoin de réac­tiv­ité qui car­ac­térise l’ac­tiv­ité économique de notre temps sont autant de fac­teurs qui ont assuré­ment con­cou­ru à tem­pér­er la fac­ulté d’obtenir un ren­de­ment opti­mal des nou­veaux modes de fonctionnement.

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La réforme de la DGA est à bien des égards inno­vante, puisqu’elle repose sur l’adop­tion, par une admin­is­tra­tion publique, de méth­odes et de pra­tiques qui visent à inscrire l’ensem­ble de ses activ­ités dans une per­spec­tive de résultats.

Elle est sans aucun doute remar­quable, puisqu’elle a lui per­mis de faire la preuve qu’il était pos­si­ble d’ac­croître sig­ni­fica­tive­ment la per­for­mance d’une entité admin­is­tra­tive, sans pour autant réduire le niveau et la qual­ité de sa production.

Il reste à pour­suiv­re sur la voie qui a été ain­si ouverte et appro­fondir l’en­tre­prise de change­ment qui a été dévelop­pée. Mais c’est bien le pro­pre de la cul­ture de résul­tats que de con­fér­er à la recherche de per­for­mances accrues et de pro­grès con­ti­nus le car­ac­tère d’une ardente obligation… 

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