La crise de la filière vitivinicole

Dossier : La France et ses vinsMagazine N°612 Février 2006Par : Thierry BRULÉ


Depuis longtemps, la France dis­pose d’une posi­tion de lead­er­ship dans le monde du vin autant en vol­ume, avec 57 mil­lions d’hec­tolitres pro­duits annuelle­ment, qu’en qual­ité et en pres­tige, avec des icônes comme la Romanée-Con­ti ou Petrus se ven­dant à plusieurs mil­liers d’eu­ros la bouteille.

Une mutation profonde


Les régions viti­coles françaises

Mais la sit­u­a­tion actuelle est inquié­tante à plusieurs titres. La sur­ca­pac­ité mon­di­ale de pro­duc­tion de vin est de l’or­dre de 20 %, représen­tant ain­si, approx­i­ma­tive­ment, le vol­ume pro­duit en France. De plus, la con­som­ma­tion de vin dans notre pays, passée de 135 litres par per­son­ne et par an dans les années 1960 à 60 litres env­i­ron dans les années 2000, est en baisse con­stante et régulière. À l’ex­port, l’of­fre française (seg­men­tée en vin de table, vin de pays, vin délim­ité de qual­ité supérieure et appel­la­tion d’o­rig­ine con­trôlée) est entachée d’une image de com­plex­ité. La pléthore d’AOC, au nom­bre de 467, dis­crédite le con­tenu de cette men­tion qui n’est ni un label de qual­ité, ni un gage de rap­port qual­ité-prix. L’of­fre française entre en con­cur­rence avec une offre dite du “Nou­veau Monde” (Cal­i­fornie, Amérique latine, Afrique du Sud et Océanie), où les vins savent répon­dre sim­ple­ment aux désirs du con­som­ma­teur à l’aide de mar­ques et de pro­duits con­stants gustativement.


Beaune, Clos de l’Écu.

La France a déjà per­du sa place de leader sur des marchés aus­si stratégiques que, par exem­ple, le Roy­aume– Uni, où les vins français sont détrônés par les vins aus­traliens. Les dif­fi­cultés s’ac­cu­mu­lent pour les pro­duc­teurs français : à Bor­deaux, près de 800 vignerons, portés à bout de bras par les ban­ques locales, sont au bord de la faillite. 

Un cer­tain nom­bre d’ac­teurs voudraient donc voir la France faire évoluer son sys­tème régle­men­taire (réforme des AOC, recon­nais­sance des vins de cépages mais aus­si réforme du rôle des SAFER et des Com­mis­sions de struc­ture), accusé de paral­yser l’en­tre­pre­neur­ship et la dynamique d’in­no­va­tion mar­ket­ing, pour voir appa­raître de grands acteurs français capa­bles de lut­ter à armes égales con­tre les pro­duc­teurs anglo-sax­ons, en par­ti­c­uli­er aus­traliens, qui, à qua­tre, maîtrisent 60 % de leur pro­duc­tion nationale. 


Cham­pagne Krug.

Cepen­dant, la baisse ten­dan­cielle de la con­som­ma­tion de vin en France peut aus­si se com­pren­dre comme une muta­tion pro­fonde. D’ac­com­pa­g­ne­ment naturel de l’al­i­men­ta­tion au quo­ti­di­en, le vin est devenu une bois­son fes­tive con­som­mée de façon occa­sion­nelle dans un con­texte con­vivial. Le marché a donc migré vers le haut de gamme, aug­men­tant en valeur de 4,5 mil­liards d’eu­ros au début des années 1990 à plus de 5 mil­liards aujour­d’hui. De même, l’ex­port a forte­ment crû depuis 2001, représen­tant l’équiv­a­lent en valeur de 100 avions gros-por­teurs type Airbus.

Vers un système à deux vitesses ?

C’est pourquoi d’autres acteurs voient les évo­lu­tions de marché comme la con­séquence logique de l’at­ti­tude paresseuse de cer­tains pro­duc­teurs qui se sont reposés sur la rente que représen­tait l’ap­pel­la­tion et se sont finale­ment lais­sé rat­trap­er par les nou­veaux pays pro­duc­teurs. Prêts à laiss­er péri­cliter ceux qui ne veu­lent pas réa­gir et détéri­orent l’im­age de pres­tige de la France, ils prô­nent la con­ser­va­tion et même le ren­force­ment du cadre régle­men­taire actuel pour per­me­t­tre à la France de “s’en sor­tir par le haut” tout en s’ap­puyant sur la for­mi­da­ble diver­sité des vins français avec ses régions et cépages multiples. 

L’op­po­si­tion entre ces deux camps est per­ma­nente. Les acteurs qui les com­posent ne par­venant pas à faire tri­om­pher leurs vues paral­y­sent la réac­tion de la France, lais­sant les pro­duc­teurs apporter des répons­es per­son­nelles de manière désordonnée. 

La pos­si­bil­ité d’imag­in­er un sys­tème à deux vitesses est extrême­ment dif­fi­cile : c’est sûre­ment une des raisons qui ont con­tré la mise en place des propo­si­tions de René Renou, prési­dent de l’In­sti­tut nation­al d’ap­pel­la­tion d’o­rig­ine, à ce sujet. 

En effet, ce dernier sup­porte un pro­jet con­ser­vant les AOC actuelles pour éviter tout remous mais ajoutant des “appel­la­tions d’o­rig­ine con­trôlée d’ex­cel­lence” (lorsqu’une majorité des pro­duc­teurs de l’ap­pel­la­tion accepteraient de dur­cir les con­traintes de pro­duc­tion et de qual­ité) et des “sites et ter­roirs d’ex­cep­tion” (per­me­t­tant de met­tre en avant cer­tains pro­duc­teurs qual­i­tat­ifs au sein d’AOC). 


Pauil­lac, Château Lafite.


Puligny-Mon­tra­chet, Le vieux Château.

Ce mod­èle s’in­spire des DOCG ital­iens, labels d’o­rig­ine et de qual­ité en oppo­si­tion aux DOC, équiv­a­lent de nos AOC. Il est cepen­dant vrai que ce pro­jet, qui éclaircit les niveaux de qual­ité des vins français, com­plex­i­fie en même temps l’offre. 

L’ensem­ble de ces grandes réformes et de cette coor­di­na­tion des acteurs n’é­tant pas près d’ar­riv­er, il sem­ble qu’il faille atten­dre la “mort” de nom­bre de pro­duc­teurs ou un réel engage­ment de nos poli­tiques pour espér­er une réac­tion coordonnée. 

Les respon­s­ables poli­tiques devraient tout de même avoir le courage d’af­fron­ter ce grand débat en pesant les prob­lèmes du court terme comme du long terme et d’align­er tout le monde der­rière un pilote, les crises viti­coles du passé, comme celle de 1907 dans le Langue­doc et celle de 1911 en Cham­pagne, nous ayant démon­tré leur impact sur l’or­dre pub­lic et sur la classe politique.

Thier­ry Brulé a écrit, lors de son MBA à l’In­sead, un rap­port de recherche inti­t­ulé : “The French wine indus­try : Fer­ment­ing a rev­o­lu­tion ?”.
Il peut être con­tac­té à l’adresse : thierry.brule@alumni.insead.edu

Poster un commentaire