Quelle place économique pour la France dans le monde en 2050 ?

Dossier : Le territoire français en 2050Magazine N°605 Mai 2005
Par Pierre JACQUET (75)

Pour abor­der cette réflex­ion, il con­vient de met­tre entre par­en­thès­es les débats de court terme qui domi­nent l’ex­pres­sion médi­a­tique et bour­sière : l’analyse économique con­jonc­turelle apporte peu d’in­for­ma­tions per­ti­nentes pour appréhen­der l’évo­lu­tion à long terme de l’é­conomie française, sous réserve cepen­dant d’ef­fets réma­nents pos­si­bles des poli­tiques de court terme (voir par exem­ple Bénassy-Quéré et al., p. 405–407). La crois­sance qui compte, pour l’avenir, est celle que les écon­o­mistes appel­lent “crois­sance poten­tielle”, à savoir celle de la “pro­duc­tion poten­tielle” ou valeur ajoutée qu’un pays est capa­ble de pro­duire sans ten­sions infla­tion­nistes, compte tenu des fac­teurs de pro­duc­tion dont il dis­pose et de sa pro­duc­tiv­ité. Cette notion n’est certes pas facile­ment mesurée, mais elle con­di­tionne en quelque sorte la “vitesse lim­ite” du développe­ment d’une économie. En deçà, les fac­teurs sont sous-util­isés ; au-delà, il y a risque d’in­fla­tion. La crois­sance poten­tielle fait abstrac­tion des cycles économiques ; ses déter­mi­nants con­di­tion­nent l’ap­proche prospec­tive de la crois­sance à long terme.

Il est utile d’adopter une per­spec­tive longue et de revenir sur les cinquante dernières années. Les “trente glo­rieuses”, entre 1945 et 1975, ont été celles du rat­tra­page de l’é­conomie améri­caine par les économies européennes et le Japon. Ce proces­sus, cepen­dant, s’est inter­rompu dans les années qua­tre-vingt. En ce qui con­cerne la France, son revenu par habi­tant (en dol­lars de par­ité de pou­voir d’achat) passe de 60 % du revenu par habi­tant améri­cain en 1960 à plus de 80 % au début des années soix­ante-dix, stagne en niveau relatif dans les années soix­ante-dix et qua­tre-vingt, puis amorce un déclin sen­si­ble dans les années qua­tre-vingt-dix pour attein­dre env­i­ron 75 % en 2004. Le rat­tra­page a donc été par­tiel, et s’est en par­tie retourné. Le risque existe, noté dans le Rap­port Camdessus (2004), que la France soit en train de “décrocher”.

Faut-il s’inquiéter d’une croissance atone ?

Cette inter­ro­ga­tion, évidem­ment cen­trale, est moins sim­ple qu’il n’y paraît. L’in­di­vidu et la société pour­suiv­ent en effet d’autres objec­tifs que la crois­sance économique — définie comme la vari­a­tion annuelle du Pro­duit intérieur brut ou PIB, c’est-à-dire la valeur ajoutée totale. Le chiffre du revenu ou PIB par habi­tant donne une représen­ta­tion très réduc­trice du niveau de vie. Ce dernier, par déf­i­ni­tion une moyenne, ne dit rien par exem­ple sur la répar­ti­tion des revenus, et l’on sait que la crois­sance elle-même ne béné­fi­cie pas néces­saire­ment automa­tique­ment aux plus pau­vres. Le chiffre du PIB laisse égale­ment de côté d’im­por­tants déter­mi­nants du niveau de vie : les activ­ités non marchan­des et la sat­is­fac­tion que peut pro­cur­er le loisir ne sont pas bien compt­abil­isées dans les chiffres de crois­sance ; le cal­cul du PIB ignore aus­si les dom­mages au pat­ri­moine naturel ou aux con­di­tions de vie qu’en­traî­nent les proces­sus de pro­duc­tion ou de con­som­ma­tion, par la pol­lu­tion atmo­sphérique, visuelle ou sonore, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, l’at­teinte à la bio­di­ver­sité. Le taux de crois­sance du Pro­duit intérieur brut ne doit donc pas faire l’ob­jet d’un fétichisme aveugle.

La crois­sance, cepen­dant, con­di­tionne la taille rel­a­tive des économies. Or, la taille n’est pas indif­férente. Elle per­met de mobilis­er les économies d’échelle, objec­tif impor­tant du proces­sus d’in­té­gra­tion européenne. Elle ali­mente aus­si le jeu d’in­flu­ence respec­tive des nations. Un dif­féren­tiel de crois­sance soutenu con­duit à des dif­férences très mar­quées de la taille absolue et rel­a­tive des économies après quelques décen­nies. En 1913, le PIB par tête de l’Ar­gen­tine est de 70 % supérieur à celui de l’Es­pagne ; ce dernier lui est aujour­d’hui supérieur de 50 %. De même, celui du Ghana dépasse de 50 % celui de la Corée du Sud au lende­main de la Sec­onde Guerre mon­di­ale, pour ne plus en représen­ter aujour­d’hui qu’un dix­ième (Bénassy-Quéré et al., 2004, p. 348). Une hausse d’un point de la crois­sance poten­tielle de la zone euro, de 2 % à 3 %, per­me­t­trait en ter­mes relat­ifs d’ac­croître le revenu de la zone d’un tiers après trois décen­nies et des deux tiers en un demi-siè­cle. Sur plusieurs décen­nies, la place des pays et leur influ­ence peu­vent être pro­fondé­ment modifiées.

Le taux de crois­sance poten­tiel représente donc un enjeu poli­tique majeur. L’in­flu­ence de la France dans le monde passe, certes, par l’U­nion européenne et le ren­force­ment de sa capac­ité d’ac­tion col­lec­tive. Mais la crois­sance des pays mem­bres est l’une des con­di­tions du main­tien de leur rang, de leur capac­ité à préserv­er leur autonomie, leur capac­ité à définir des préférences col­lec­tives et des choix de sociétés qui leur seront pro­pres, de con­tin­uer à jouer un rôle moteur dans l’in­té­gra­tion européenne. C’est d’au­tant plus impor­tant aujour­d’hui que de grands pays sem­blent avoir “décol­lé” ou être en passe de le faire. La Chine, l’Inde, dans une moin­dre mesure le Brésil, seront demain les grandes puis­sances mon­di­ales. Leur émer­gence sig­ni­fie que d’im­menses marchés sont en créa­tion et ali­menteront la crois­sance mon­di­ale. Mais elle s’ac­com­pa­g­n­era égale­ment de nou­veaux boule­verse­ments des hiérar­chies économiques et poli­tiques. À l’hori­zon des prochaines décen­nies, pour la France comme pour l’Eu­rope, l’en­jeu est d’établir avec ces grandes puis­sances en devenir des parte­nar­i­ats économiques et poli­tiques suff­isam­ment robustes. Une Union européenne dynamique et inté­grée y parvien­dra mieux qu’une col­lec­tion de pays insuff­isam­ment coor­don­née et dont la crois­sance économique resterait atone.

C’est aus­si la crois­sance économique qui donne aux sociétés les moyens de choisir leur des­tin, d’or­gan­is­er la redis­tri­b­u­tion de façon durable et d’œu­vr­er pour les préférences col­lec­tives. Avec des poli­tiques sociales appro­priées, elle per­met à la fois la sat­is­fac­tion de nom­breux besoins per­son­nels et la pro­duc­tion de biens col­lec­tifs comme la san­té, la pro­tec­tion sociale ou la sécurité.

L’ob­ser­va­tion des ten­dances passées n’est pas en la matière de bon augure. Le taux de crois­sance poten­tielle de la France et de l’U­nion européenne sem­ble pla­fon­ner aux envi­rons de 2 % par an. C’est un hand­i­cap majeur qui, sauf à trou­ver les clefs d’une accéléra­tion, obère les per­spec­tives économiques à l’hori­zon 2050. Le som­met de Lis­bonne, en 2000, ori­en­tait les poli­tiques publiques européennes vers la recherche d’un sur­saut de crois­sance poten­tielle en posi­tion­nant l’U­nion comme “l’é­conomie de la con­nais­sance la plus com­péti­tive et la plus dynamique du monde”. Les recom­man­da­tions faites à Lis­bonne appa­rais­sent rétro­spec­tive­ment comme un vœu pieux. Bien plus, les réal­i­sa­tions remar­quables de l’U­nion européenne dans les deux dernières décen­nies du xxe siè­cle (marché unique, mon­naie unique) n’ont pas per­mis de relever le taux de crois­sance poten­tielle de la zone. La com­para­i­son avec les États-Unis depuis le milieu des années 1990 est édi­fi­ante. La crois­sance poten­tielle améri­caine, même après l’ex­plo­sion de la bulle des nou­velles tech­nolo­gies, reste soutenue. L’un des grands spé­cial­istes améri­cains de la pro­duc­tiv­ité, Robert Gor­don (2003), estime que la pro­duc­tion poten­tielle améri­caine devrait dans les vingt prochaines années croître à un rythme annuel de 3,28 %.

Des perspectives de croissance à long terme peu encourageantes

À long terme, le niveau du Pro­duit intérieur brut (PIB) est déter­miné par la démo­gra­phie et le pro­grès tech­nique. Ni l’un ni l’autre ne sont exogènes. Les ten­dances actuelles, cepen­dant, ne sont guère favor­ables en France ou en Europe.

Une démographie de déclin

Dans le scé­nario moyen des pro­jec­tions des Nations unies mis­es à jour en 2002, la pop­u­la­tion française croît mod­éré­ment jusqu’en 2040 env­i­ron (de 60 mil­lions en 2003 à 64,8 mil­lions en 2040) puis se met à décroître. La pop­u­la­tion de l’Eu­rope décroît de 728 mil­lions en 2000 à 632 mil­lions en 2050. Celle du Japon décroît à par­tir de 2010, de 128 mil­lions à 110 mil­lions en 2050, celle de l’Alle­magne égale­ment (de 82,5 mil­lions en 2010 à 79 mil­lions en 2050). Par­mi les grands pays indus­tri­al­isés, seuls les États-Unis voient leur pop­u­la­tion con­tin­uer de s’ac­croître sur la péri­ode, de 285 mil­lions d’habi­tants en 2000 à 408,7 mil­lions en 2050. Ces prévi­sions sont très dépen­dantes des hypothès­es faites sur les taux de mor­tal­ité et de fécon­dité et se fondent sur des hypothès­es sta­tiques con­cer­nant les pra­tiques et poli­tiques migra­toires. Elles sont donc intrin­sèque­ment d’une fia­bil­ité dis­cutable. Tou­jours dans le scé­nario moyen des Nations unies, la France est au 20e rang en ter­mes de pop­u­la­tion en 2000 et passe au 28e en 2050, l’Alle­magne passe du 12e au 21e rang, la Russie du 6e au 18e, les États-Unis con­ser­vent leur 3e rang der­rière l’Inde et la Chine. En 2050, le monde com­pren­dra 8 pays de plus de 200 mil­lions d’habi­tants : l’Inde, la Chine, les États-Unis, le Pak­istan, l’In­donésie, le Nige­ria, le Bangladesh et le Brésil.

Évo­lu­tion pro­jetée de la pop­u­la­tion active française
Source : INSEE
www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/population_active.htm

La struc­ture de la pop­u­la­tion, elle aus­si, se déforme, avec une aug­men­ta­tion de l’âge moyen et de la pro­por­tion des per­son­nes âgées. Tou­jours dans le scé­nario moyen des Nations unies, la pro­por­tion des plus de 60 ans dans la pop­u­la­tion française passerait de 20,5 % en 2000 à 32,3 % en 2050 ; cette évo­lu­tion est assez représen­ta­tive de l’évo­lu­tion démo­graphique dans l’U­nion européenne. En revanche, ce même ratio aux États-Unis n’at­teindrait en 2050 que 25,5 %. Comme le rap­pel­lent oppor­tuné­ment Agli­et­ta et al. (2003), il faut se garder de con­clu­sions trop hâtives sur l’im­pact de ce phénomène. Les pro­grès de la san­té et le recul de la mor­tal­ité peu­vent en effet con­duire à adopter un indi­ca­teur relatif de mesure de l’âge, et à par­ler non de vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion, mais d’un recul du vieil­lisse­ment. Cepen­dant, à com­porte­ments et régle­men­ta­tions con­stants, ce ” vieil­lisse­ment ” démo­graphique con­duit à une baisse de la pop­u­la­tion en âge de tra­vailler, et à une baisse de la pop­u­la­tion active — même si l’Eu­rope s’en­gage dans la voie tracée à Lis­bonne, qui pré­conise un taux d’ac­tiv­ité de 70 %. Les prévi­sions de l’IN­SEE pour la France annon­cent que la pop­u­la­tion active française attein­dra un max­i­mum en 2007 et bais­sera ensuite (voir graphique ci-dessous). Tou­jours à com­porte­ments et régle­men­ta­tions con­stants, le vieil­lisse­ment con­duit égale­ment à un accroisse­ment mar­qué du ” ratio de dépen­dance ” du nom­bre de retraités rap­porté au nom­bre d’actifs.

Il est pos­si­ble de cor­riger cette ten­dance à la diminu­tion de la pop­u­la­tion active en met­tant en œuvre des poli­tiques actives visant à stim­uler l’of­fre de tra­vail, par exem­ple une remon­tée de l’âge effec­tif de ces­sa­tion d’ac­tiv­ité, une inci­ta­tion à l’ac­tiv­ité ou un encour­age­ment de l’im­mi­gra­tion. Le fac­teur migra­toire, par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile à appréhen­der, peut sen­si­ble­ment mod­i­fi­er les prévi­sions démo­graphiques. Gilbert Cette (2004) indique que l’im­mi­gra­tion a accru la crois­sance annuelle de la pop­u­la­tion active améri­caine de 0,5 à 1 point de pour­cent­age sur la dernière décen­nie. Une poli­tique d’im­mi­gra­tion volon­tariste et sélec­tive (accueil de migrants qual­i­fiés et accom­pa­g­nés d’en­fants) con­tribuerait, comme le mon­tre l’é­tude de l’Ifri (Miotti et Sach­wald, 2004), à atténuer cer­tains des traits men­tion­nés ci-dessus, ren­forcerait la capac­ité d’in­no­va­tion et accroî­trait le poten­tiel de crois­sance. Mais elle représen­terait aus­si d’im­por­tants enjeux d’in­té­gra­tion sociale et de poli­tiques publiques et appro­fondi­rait le dilemme entre une vision de court terme qui con­sid­ère les migrants comme des con­cur­rents sur le marché du tra­vail en péri­ode de chô­mage, et un impératif de dynamisme de la pop­u­la­tion active sur le long terme.

Pour com­pren­dre les déter­mi­nants de la crois­sance de façon plus détail­lée, il est d’usage de par­tir d’une décom­po­si­tion compt­able du PIB par habi­tant. Le PIB lui-même est égal au pro­duit entre le nom­bre d’heures total tra­vail­lées et la pro­duc­tiv­ité horaire moyenne. On peut ain­si écrire :

Q = Q/H x H/L x L/A x A/T x T/N x N

où Q est la pro­duc­tion, H le nom­bre d’heures tra­vail­lées, L le nom­bre de per­son­nes employées, A la pop­u­la­tion active, T la pop­u­la­tion en âge de tra­vailler et N la pop­u­la­tion totale.

L’i­den­tité ci-dessus implique que le taux de crois­sance du PIB par habi­tant Q/N est la somme des taux de crois­sance de la pro­duc­tiv­ité horaire Q/H, du nom­bre moyen d’heures tra­vail­lées par employé H/L, du taux d’emploi L/A, du taux d’ac­tiv­ité A/T, et de la pro­por­tion de la pop­u­la­tion en âge de tra­vailler T/N. Cette iden­tité souligne cinq com­posantes compt­a­bles essen­tielles de la crois­sance à long terme du revenu poten­tiel par habitant.

Part de la pop­u­la­tion des 25–64 ans n’ayant pas atteint le sec­ond cycle du sec­ondaire, 2002
France 35%
Allemagne 27%
Corée 30%
Suède 18%
Japon 16%
Royaume-Uni 16%
États-Unis 13%
Source : OCDE, Regards sur l’éducation, 2004

Cepen­dant, les dif­férentes com­posantes de l’i­den­tité compt­able ne sont a pri­ori pas indépen­dantes les unes des autres, et l’i­den­tité est muette sur les rela­tions causales. L’é­tude appro­fondie de Gilbert Cette (2004) souligne la com­plex­ité du lien entre pro­duc­tiv­ité, crois­sance, PIB par habi­tant et emploi, et attire l’at­ten­tion sur les insuff­i­sances de l’ap­proche compt­able. Par exem­ple, le revenu par habi­tant de la France est inférieur d’en­v­i­ron 25 % à celui des États-Unis ; cet écart peut se décom­pos­er en un avan­tage de pro­duc­tiv­ité horaire pour la France (env­i­ron 5 %), et un coût de 30 %, dû à par­ties égales à une moin­dre durée du tra­vail et un taux d’emploi plus faible en France. Mais la faib­lesse du taux d’emploi français gon­fle arti­fi­cielle­ment la pro­duc­tiv­ité horaire moyenne, puisque les tra­vailleurs qui con­ser­vent leur emploi ont une pro­duc­tiv­ité supérieure à ceux qui se retrou­vent au chômage.

Gilbert Cette (2004) en déduit une mesure “struc­turelle” de la pro­duc­tiv­ité horaire, cor­rigée pour les écarts de taux d’emploi et de durée du tra­vail vis-à-vis des États-Unis, et qui donne alors un avan­tage clair à ces derniers (env­i­ron 7 % par rap­port à la France). Cette analyse con­firme que ce sont bien les États-Unis qui définis­sent la fron­tière d’ef­fi­cience tech­nologique pour le monde entier, et invite à faire porter les efforts sur les gains de pro­duc­tiv­ité et sur l’innovation.

Certes, tout gain de PIB n’est pas néces­saire­ment perçu comme une amélio­ra­tion du niveau de vie s’il s’ac­com­pa­gne d’une détéri­o­ra­tion de la per­cep­tion de con­fort par les pop­u­la­tions ou s’il va à l’en­con­tre d’une authen­tique “préférence pour le loisir”. Encore faut-il être capa­ble de mesur­er cor­recte­ment de telles per­cep­tions ou préférences sociales et pou­voir, dans un monde très con­cur­ren­tiel, préserv­er les moyens d’as­sumer de telles préférences.

Une dynamique d’innovation insuffisante

Le mod­èle de crois­sance par l’in­no­va­tion, dans lequel l’é­conomie améri­caine s’est claire­ment engagée, remet à l’hon­neur le proces­sus “schumpétérien” de “destruc­tion créa­trice”. Or, ce proces­sus ne fonc­tionne pas bien en France, où la destruc­tion de capac­ités obsolètes est tou­jours vécue comme un drame plutôt que comme le moyen de libér­er les ressources néces­saires au développe­ment des nou­velles activ­ités. La con­séquence est une rel­a­tive iner­tie de la struc­ture sec­to­rielle de la pro­duc­tion. Miotti et Sach­wald (2004) y voient l’une des raisons dans une régle­men­ta­tion élevée et une insuff­isante con­cur­rence sur le marché des biens, qui con­stituent une pro­tec­tion pour les entre­pris­es en place et lim­i­tent les inci­ta­tions à réalis­er des investisse­ments de productivité.

L’é­conomie de la con­nais­sance et la dynamique d’in­no­va­tion asso­ciée reposent égale­ment sur deux piliers : l’en­seigne­ment supérieur et la recherche. La qual­i­fi­ca­tion de la pop­u­la­tion active est une con­di­tion de l’in­tro­duc­tion et de la dif­fu­sion des nou­velles tech­nolo­gies dans les proces­sus de pro­duc­tion. Or, l’en­seigne­ment supérieur est com­par­a­tive­ment nég­ligé en France (Aghion et Cohen, 2004). Les sta­tis­tiques de l’OCDE mon­trent que la part de la pop­u­la­tion active atteignant le deux­ième cycle du sec­ondaire est plus faible en France qu’aux États-Unis ou que dans de nom­breux autres pays.

Quant à l’in­vestisse­ment de recherche et développe­ment, il con­di­tionne les pro­grès de la pro­duc­tiv­ité dans les secteurs de haute tech­nolo­gie. Or l’ef­fort de recherche français, notam­ment privé, est insuff­isant. Ces prob­lèmes sont aujour­d’hui con­nus et large­ment documentés.

Conclusion

Scénarios
Source : cal­culs à par­tir des chiffres de PIB par habi­tant et scé­nar­ios de crois­sance poten­tielle présen­tés et dis­cutés dans CETTE (2004) et des prévi­sions démo­graphiques des Nations unies (2002, vari­ante moyenne).

La prise en compte de ces dif­férents élé­ments con­duit à des scé­nar­ios de crois­sance poten­tielle pour la France assez déca­pants. Miotti et Sach­wald (2004) con­sid­èrent que “le taux de crois­sance de 3 % qui per­me­t­trait de faire fon­dre le chô­mage et les déficits publics sem­ble en effet hors d’at­teinte”. D’après eux, le scé­nario ten­dan­ciel repose plutôt sur une per­spec­tive de crois­sance de 1,2 % à l’hori­zon 2030. Ils pensent que la France peut attein­dre une crois­sance poten­tielle de 2,1 %, au prix d’un effort volon­tariste visant à lim­iter le déclin de la pop­u­la­tion active et à stim­uler l’innovation.

Ces poli­tiques impli­queraient une évo­lu­tion des insti­tu­tions économiques et sociales et de l’at­ti­tude vis-à-vis des migrants et du pro­grès sci­en­tifique et tech­nique. La tâche s’an­nonce donc rude. Même dans le cas de ce scé­nario volon­tariste, la per­for­mance est très insuff­isante pour met­tre la France dans une nou­velle dynamique de rat­tra­page des États-Unis.

Gilbert Cette (2004, p. 48) con­firme la sobriété de cette analyse. Il anticipe une crois­sance poten­tielle annuelle d’en­v­i­ron 2,5 % aux États-Unis, 2 % dans les pays européens et 1,25 % au Japon entre 2005 et 2020, puis 2,75 % aux États-Unis, 1,75 % en France et au Roy­aume-Uni, 1,25 % en Alle­magne, Espagne et Ital­ie, et 1 % au Japon sur la péri­ode 2020–2050. À ce rythme, le PIB par habi­tant de la France ne vaudrait plus que la moitié du PIB par habi­tant améri­cain en 2050.

L’é­tat des lieux n’est donc pas encour­ageant, même si la France sem­ble s’en sor­tir mar­ginale­ment mieux que d’autres grands pays européens. Il est d’au­tant plus urgent d’ori­en­ter les poli­tiques publiques vers le sou­tien de l’in­no­va­tion et de l’ac­tiv­ité. Les prévi­sions ne font que pro­jeter le présent : elles sont faites pour être démenties.

Dans les années 1980, le dis­cours dom­i­nant aux États-Unis por­tait sur le défi japon­ais, le déclin de la pro­duc­tiv­ité et le risque de désin­dus­tri­al­i­sa­tion. Les années 1990 ont don­né à ce pays un élan qu’au­cune étude n’an­tic­i­pait. On ne peut que souhaiter que les scé­nar­ios exis­tants aient le même sort. L’analyse des per­spec­tives de crois­sance de la France et l’ex­em­ple améri­cain for­ment un vibrant appel à l’action.
 

Références bibliographiques

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? Bénassy-Quéré A., B. CoEuré, P. Jacquet et J. Pisani-Fer­ry (2004), Poli­tique Économique, De Boeck.
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