Figure 1 – Induction unipolaire

Effet dynamo : de la production industrielle d’électricité au champ magnétique des étoiles

Dossier : La physique au XXIe siècleMagazine N°607 Septembre 2005Par : Stéphan FAUVE

À la fin du xixe siè­cle, la con­fronta­tion des lois de l’élec­tro­mag­nétisme à celle de la mécanique a per­mis l’élab­o­ra­tion de la théorie de la rel­a­tiv­ité. Ce qui est moins con­nu, bien que cette décou­verte ait per­mis la pro­duc­tion indus­trielle de la majeure par­tie de l’élec­tric­ité que nous con­som­mons, c’est qu’à la même époque Siemens et Wheat­stone mon­traient com­ment trans­former de l’én­ergie mécanique en énergie élec­tro­mag­né­tique en exploitant un mécan­isme d’instabilité.

Le même proces­sus se man­i­feste de manière plus spec­tac­u­laire encore à tra­vers l’ap­pari­tion d’un champ mag­né­tique spon­tané dans les planètes et les étoiles. Mais, dans ces dynamos naturelles, aucun bobi­nage ne con­traint la géométrie des courants élec­triques et l’én­ergie mécanique disponible provient d’é­coule­ments forte­ment tur­bu­lents. Com­ment expli­quer, dans ces con­di­tions, l’ex­is­tence de champs mag­né­tiques cohérents à grande échelle ? Plusieurs expéri­ences en cours sur des écoule­ments de sodi­um liq­uide devraient nous aider à mieux com­pren­dre les mécan­ismes com­plex­es à l’œu­vre dans ces objets astrophysiques.

De l’induction électromagnétique à la production d’électricité

En 1831, Fara­day décou­vre le phénomène d’in­duc­tion : une vari­a­tion de flux de champ mag­né­tique à tra­vers un cir­cuit con­duc­teur pro­duit un courant élec­trique. Cette vari­a­tion peut être obtenue par la mise en mou­ve­ment de la source du champ par rap­port au cir­cuit. La dynamo de bicy­clette exploite cet effet élé­men­taire. On peut not­er que, dans cette pre­mière appli­ca­tion sim­ple, le champ mag­né­tique de l’aimant existe au préal­able, indépen­dam­ment de la mise en mou­ve­ment du galet d’en­traîne­ment. Par ailleurs, la bobine où appa­raît le courant a une géométrie fixée une fois pour toutes.

En 1867, Siemens met en évi­dence une con­séquence sub­tile du phénomène d’in­duc­tion. Dans le cadre d’un dis­posi­tif dénué de champ mag­né­tique préal­able, plus sophis­tiqué que la sim­ple dynamo de bicy­clette, il mon­tre qu’un courant élec­trique peut quand même être engen­dré à par­tir d’un tra­vail mécanique. Dans ce type de dis­posi­tif (fig­ure 1), la géométrie du cir­cuit élec­trique est choisie de sorte qu’une per­tur­ba­tion ini­tiale de champ mag­né­tique est ampli­fiée par le courant induit résul­tant du mou­ve­ment du rotor.

Fig­ure 1 – Induc­tion unipolaire


a) La rota­tion à vitesse angu­laire Ω d’un disque con­duc­teur soumis à un champ mag­né­tique B0 engen­dre une force élec­tro­motrice pro­por­tion­nelle à Ω et B0 entre A et P. Si l’on ferme le cir­cuit à l’aide de bal­ais, un courant I cir­cule donc dans la résistance.
b) La dif­fi­culté ren­con­trée par Siemens et Wheat­stone, qui util­i­saient des dis­posi­tifs beau­coup plus com­pliqués que celui de la fig­ure, con­sis­tait à engen­dr­er un courant sans appli­quer un champ mag­né­tique externe B0.
L’idée est de choisir la géométrie du cir­cuit élec­trique afin d’utiliser le courant induit pour engen­dr­er le champ mag­né­tique B nécessaire.
On est ain­si con­duit à un prob­lème typ­ique d’instabilité : une per­tur­ba­tion de champ engen­dre un courant qui à son tour ampli­fie le champ si le sens de rota­tion est choisi con­ven­able­ment en fonc­tion de l’induction mutuelle entre le cir­cuit et le disque et si ce dernier tourne suff­isam­ment vite pour com­penser les pertes par effet Joule.

On a donc un mécan­isme typ­ique d’in­sta­bil­ité con­duisant, au-delà d’une vitesse angu­laire cri­tique, à la créa­tion d’un courant et du champ mag­né­tique asso­cié. Dans les con­fig­u­ra­tions les plus sim­ples, une analyse mon­tre que cette vitesse est don­née par le rap­port entre la résis­tance du cir­cuit et l’in­duc­tion mutuelle entre le rotor et le sta­tor. La force de Laplace tend à s’op­pos­er au mou­ve­ment du rotor et un opéra­teur extérieur doit donc fournir un tra­vail mécanique afin de main­tenir le courant élec­trique et le champ mag­né­tique créés, qui sont lim­ités par la puis­sance mécanique disponible. L’ef­fet dynamo con­siste ain­si à pro­duire de l’én­ergie élec­tro­mag­né­tique à par­tir d’un tra­vail mécanique, sans champ mag­né­tique imposé. C’est le principe de base des alter­na­teurs et dynamos industriels.

En 1919, Lar­mor pro­pose un mécan­isme ana­logue au précé­dent afin d’ex­pli­quer l’o­rig­ine du champ mag­né­tique du Soleil. Le mou­ve­ment d’un con­duc­teur solide y est rem­placé par l’é­coule­ment d’un flu­ide con­duc­teur de l’élec­tric­ité. À une per­tur­ba­tion de champ mag­né­tique est asso­cié un champ élec­trique dans le référen­tiel lié aux par­tic­ules flu­ides en mou­ve­ment. Il en résulte donc un courant qui, à son tour, engen­dre un champ mag­né­tique. Si celui-ci ren­force la per­tur­ba­tion ini­tiale, on obtient une dynamo qui pro­duit de l’én­ergie élec­tro­mag­né­tique à par­tir de la puis­sance mécanique disponible dans l’écoulement.

Cepen­dant, une dif­fi­culté se présente immé­di­ate­ment par rap­port au cas des dynamos indus­trielles. La géométrie des courants induits n’est pas fixée au sein du flu­ide, celui-ci présen­tant en général une con­duc­tiv­ité élec­trique homogène dans l’e­space. Ain­si, il n’est pas évi­dent a pri­ori que l’ef­fet dynamo soit pos­si­ble dans un flu­ide, ou plus générale­ment, dans tout milieu de con­duc­tiv­ité élec­trique homogène dans l’e­space où les courants peu­vent cir­culer libre­ment. Il a même été démon­tré que l’ef­fet dynamo est impos­si­ble si le sys­tème physique con­sid­éré pos­sède trop de symétries ; c’est le cas par exem­ple d’un écoule­ment plan ou encore de toute con­fig­u­ra­tion avec un écoule­ment et un champ mag­né­tique axisymétriques.

Mécanismes et défis des dynamos fluides turbulentes

Ces ” théorèmes anti-dynamo ” ont sans doute eu un impact négatif sur le sujet. En effet, mis à part des exem­ples assez arti­fi­ciels, il faut atten­dre les années soix­ante-dix pour décou­vrir les pre­mières con­fig­u­ra­tions sim­ples de dynamo homogène. En 1972, Roberts cal­cule le seuil de l’ef­fet dynamo pour un écoule­ment sous la forme d’un réseau car­ré péri­odique de tour­bil­lons alternés. L’an­née suiv­ante, Pono­marenko mon­tre qu’un seul tour­bil­lon en con­tact élec­trique avec un milieu con­duc­teur infi­ni peut égale­ment engen­dr­er un champ mag­né­tique. L’in­gré­di­ent essen­tiel de ces deux écoule­ments est la présence simul­tanée de com­posantes de vitesse axi­ale et azimu­tale au niveau de chaque tour­bil­lon, de sorte que l’hélic­ité moyenne est non nulle. Il en résulte que l’é­coule­ment n’est pas invari­ant par symétrie miroir.

L’im­por­tance de l’hélic­ité dans les mécan­ismes de base de la dynamo avait été com­prise qual­i­ta­tive­ment par Park­er dès 1954, qui avait con­staté qu’elle avait pour effet de déformer les lignes de champ mag­né­tique en engen­drant une com­posante de courant par­al­lèle au champ ini­tial. Cet effet, bap­tisé ” effet alpha “, induit un cou­plage entre les dif­férentes com­posantes du champ mag­né­tique, qui n’ex­iste pas en l’ab­sence d’écoulement.

Ce n’est qu’en 2000 qu’ont eu lieu les pre­mières mis­es en évi­dence expéri­men­tales d’un effet dynamo engen­dré par l’é­coule­ment de sodi­um liq­uide, à par­tir de l’é­coule­ment de Roberts à Karl­sruhe et de celui de Pono­marenko à Riga. De nom­breux prob­lèmes restent cepen­dant à com­pren­dre. En pre­mier lieu, quel est l’ef­fet de la tur­bu­lence sur la dynamo ? Celle-ci est de fait dif­fi­cile­ment évitable car même dans le sodi­um, dont la con­duc­tiv­ité élec­trique est la plus élevée par­mi les métaux liq­uides disponibles, le champ mag­né­tique dif­fuse par effet Joule 100 000 fois plus vite que la quan­tité de mou­ve­ment ne dif­fuse par viscosité.

La dynamo ne pou­vant être engen­drée que lorsque l’ad­vec­tion par l’é­coule­ment (l’en­traîne­ment par le flu­ide en mou­ve­ment) domine la dif­fu­sion Joule, il en résulte que l’im­por­tance rel­a­tive de l’ad­vec­tion par rap­port à la dif­fu­sion visqueuse, c’est-à-dire le nom­bre de Reynolds, Re, est gigan­tesque, supérieur au mil­lion dans tous les cas con­nus. Il est donc clair que les champs mag­né­tiques d’ob­jets astro­physiques (galax­ies, étoiles, planètes) sont engen­drés par des écoule­ments moins ordon­nés que ceux qui ont pu être étudiés ana­ly­tique­ment ou même numériquement.

Dans les expéri­ences de Karl­sruhe et de Riga, les fluc­tu­a­tions tur­bu­lentes de grande échelle ont été sup­primées par les con­traintes géométriques, afin de se rap­procher le plus pos­si­ble des mod­èles de dynamo lam­i­naire qui les ont inspirées. Le champ mag­né­tique y est engen­dré par la par­tie cohérente de l’é­coule­ment, c’est-à-dire son champ de vitesse moyen au cours du temps.

Or, de nom­breux mod­èles phénoménologiques dévelop­pés dans le con­texte des dynamos astro­physiques sem­blent indi­quer qu’un effet dynamo peut aus­si être obtenu lorsque la moyenne du champ de vitesse est nulle, c’est-à-dire unique­ment à par­tir des fluc­tu­a­tions tur­bu­lentes. La mise en évi­dence expéri­men­tale d’une telle dynamo engen­drée par un écoule­ment non con­traint et donc tur­bu­lente à grande échelle est un enjeu majeur. L’in­térêt n’est pas seule­ment de se rap­procher (un peu) des con­di­tions de fonc­tion­nement des dynamos astro­physiques ou géo­physiques ; il est égale­ment fon­da­men­tal de com­pren­dre com­ment un champ pos­sé­dant une par­tie cohérente à grande échelle spa­tiale peut être engen­dré par des fluc­tu­a­tions désordonnées.

Quelles sont les car­ac­téris­tiques d’une insta­bil­ité se pro­duisant à par­tir d’un état désor­don­né ? Des phénomènes qual­i­tat­ifs nou­veaux par rap­port à ceux asso­ciés aux bifur­ca­tions d’é­tats sta­tion­naires ou péri­odiques exis­tent-ils ? La réponse à ces ques­tions néces­site, si l’on veut aller au-delà de mod­èles phénoménologiques de type champ moyen, le développe­ment de nou­veaux out­ils mathématiques.

Fig­ure 2 – Champ mag­né­tique à la sur­face du Soleil
Champ magnétique à la surface du Soleil
Boucles de champ mag­né­tique à la sur­face du Soleil, visu­al­isées lors de la mis­sion spa­tiale TRACE (Stan­ford-Lock­heed Insti­tute for Space Research, and part of the NASA Small Explor­er program).

Une autre ques­tion con­cerne les mécan­ismes de sat­u­ra­tion du champ mag­né­tique engen­dré par effet dynamo. Autrement dit, peut-on estimer l’én­ergie mag­né­tique par unité de vol­ume qu’il est pos­si­ble d’obtenir par effet dynamo à par­tir des car­ac­téris­tiques du flu­ide et de l’é­coule­ment ? Un cal­cul per­tur­batif au voisi­nage du seuil n’est pos­si­ble que dans le cas d’un écoule­ment lam­i­naire. Il prédit des champs mag­né­tiques 1 000 fois plus faibles que ceux qui ont été mesurés dans les expéri­ences de Karl­sruhe et de Riga. Il a été observé récem­ment qu’une approche phénoménologique nég­ligeant la vis­cosité du flu­ide lorsque l’on estime la réac­tion de la force de Laplace sur l’é­coule­ment, ce qui sem­ble jus­ti­fié dans la lim­ite où l’é­coule­ment est forte­ment tur­bu­lent, per­met d’obtenir des pré­dic­tions en meilleur accord avec les résul­tats expéri­men­taux. Cela mon­tre qu’un mod­èle lam­i­naire ne peut pas per­me­t­tre l’es­ti­ma­tion d’une valeur per­ti­nente pour les champs mag­né­tiques des étoiles ou des planètes. En plus du car­ac­tère tur­bu­lent de l’é­coule­ment, l’ef­fet de la force de Cori­o­lis doit être pris en compte.

Les champs mag­né­tiques d’ob­jets astro­physiques ont des valeurs qui vont de10-10 tes­la pour le champ de notre galax­ie, à 102 — 104 tes­la pour cer­taines naines blanch­es, et même jusqu’à 108 tes­la dans le cas d’é­toiles à neu­trons. La com­préhen­sion des dif­férents mécan­ismes de sat­u­ra­tion du champ mag­né­tique per­me­t­trait de tir­er des infor­ma­tions rel­a­tives à la struc­ture interne des écoule­ments qui l’en­gen­drent. Cela est égale­ment vrai dans le cas de la dynamo ter­restre, à con­di­tion de mieux en com­pren­dre les mécan­ismes, ce qui est l’ob­jec­tif d’une expéri­ence réal­isée au LGIT (Greno­ble).

Le champ mag­né­tique des galax­ies pose un autre type de prob­lème, celui du temps de crois­sance du champ engen­dré par effet dynamo. Si celui-ci est de l’or­dre de l’échelle de temps de dif­fu­sion par effet Joule, comme cer­tains mod­èles le prédis­ent, on obtient un temps de crois­sance supérieur à l’âge de la galax­ie. Cer­tains écoule­ments pos­sè­dent des pro­priétés géométriques par­ti­c­ulières qui per­me­t­tent d’am­pli­fi­er un champ mag­né­tique sur l’échelle de temps asso­ciée à l’é­coule­ment et donc indépen­dante de la con­duc­tiv­ité élec­trique du flu­ide. Si la dynamo galac­tique fonc­tion­nait suiv­ant ce mécan­isme, cela per­me­t­trait l’am­pli­fi­ca­tion suff­isam­ment rapi­de d’un champ mag­né­tique à petite échelle mais n’ex­plique pas l’ex­is­tence d’une com­posante de champ mag­né­tique cohérente à l’échelle de toute la galaxie.

Enfin, comme toute insta­bil­ité, la dynamo néces­site une per­tur­ba­tion ini­tiale. Dans une expéri­ence de lab­o­ra­toire, c’est le champ mag­né­tique ter­restre ; dans un alter­na­teur indus­triel, un faible champ mag­né­tique est sou­vent imposé afin d’amorcer le régime autoen­tretenu. Mais quel est alors le germe de champ mag­né­tique à par­tir duquel les champs mag­né­tiques galac­tiques ont été ampli­fiés par effet dynamo ? Existe-t-il un mécan­isme macro­scopique ou faut-il chercher ce champ pri­mor­dial au niveau des inter­ac­tions fondamentales ?

Enjeux et perspectives expérimentales

Les prob­lèmes posés par la dynamo tur­bu­lente, tant au niveau des insta­bil­ités et phénomènes non linéaires que des appli­ca­tions en astro­physique et géo­physique, ont motivé depuis quelques années la mise en place de plusieurs expéri­ences sur des écoule­ments de sodi­um liq­uide. Le prob­lème majeur pour réalis­er une dynamo tur­bu­lente est le choix du type d’é­coule­ment et son dimen­sion­nement, dans la mesure où les nom­bres de Reynolds mis en jeu ren­dent impos­si­ble toute sim­u­la­tion numérique directe réal­iste. Plusieurs expéri­ences à l’é­tranger et en France ten­tent actuelle­ment d’ob­serv­er et d’é­tudi­er une dynamo turbulente.

L’ex­péri­ence ” VKS “, réal­isée dans le cadre d’une col­lab­o­ra­tion entre le CEA, l’ENS-Lyon et l’ENS-Paris, a mis en évi­dence les mécan­ismes élé­men­taires de la dynamo tur­bu­lente : champ mag­né­tique induit par la rota­tion dif­féren­tielle et ” effet alpha “. Elle n’a cepen­dant pas per­mis d’at­tein­dre le seuil d’au­toex­ci­ta­tion de la dynamo.

Des expéri­ences sim­i­laires, réal­isées dans les uni­ver­sités du Mary­land et du Wis­con­sin aux États-Unis, ten­tent égale­ment d’at­tein­dre cet objectif.

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