Assurer l’avenir en transformant l’entreprise : un pari fondé sur les femmes et les hommes

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°618 Octobre 2006
Par Georges VIALLE (71)

Contrer les menaces externes

En dehors du cas d’une baisse sen­si­ble des résul­tats, les prin­ci­paux fac­teurs qui poussent une entre­prise à se lancer dans un pro­gramme de trans­for­ma­tion1 sont externes. Incer­ti­tudes con­jonc­turelles, rup­tures tech­nologiques, con­cur­rence accrue, muta­tion de la demande, etc., con­stituent autant de défis invo­qués par les dirigeants qui ont récem­ment lancé un pro­gramme de transformation.

L’am­pleur de la trans­for­ma­tion dépend de la posi­tion de l’en­tre­prise sur son marché et de la matu­rité de ce dernier :

• la plus impérieuse est la sit­u­a­tion « le dos au mur ». Sur un marché qui ne crée plus de valeur en rai­son notam­ment de la con­cur­rence de com­pag­nies de type low-cost et de la hausse du coût de l’én­ergie, les entre­pris­es tra­di­tion­nelles, sévère­ment men­acées, doivent revis­iter leurs fon­da­men­taux et repenser la nature de leurs métiers. Le secteur de l’aérien en est une bonne illus­tra­tion. Ces dernières années, de nom­breuses compa­gnies aéri­ennes ont con­nu de graves dif­fi­cultés entraî­nant par­fois leur dis­pari­tion tant aux États-Unis qu’en Europe. Pour­tant, cer­taines ont mis en œuvre un proces­sus de trans­for­ma­tion rad­i­cale, telle Air France qui, au tra­vers de sa pri­vati­sa­tion, du hub de Rois­sy et du rap­proche­ment avec KLM, a réus­si à redress­er la barre et à retrou­ver le chemin de la croissance ;

« Nous sommes exposés à une con­cur­rence de plus en plus vive dans le secteur du tourisme, tant en France qu’en Europe… L’explosion des nou­velles tech­nolo­gies induit une con­nais­sance immé­di­ate du marché tan­dis que l’émergence de nou­veaux modes de trans­port tels que les com­pag­nies low­cost autorise l’accès à des des­ti­na­tions loin­taines, grâce à des prix com­péti­tifs. Nous nous trou­vons donc dans un con­texte de con­cur­rence exac­er­bée » témoigne le PDG d’un grand groupe de tourisme…

• sur un marché plus sta­ble, il peut s’a­gir de redress­er la posi­tion con­cur­ren­tielle, de regag­n­er des parts de marché ou d’in­nover. Avec des sit­u­a­tions très con­trastées, le secteur de l’au­to­mo­bile en est assez emblé­ma­tique. Si cer­tains con­struc­teurs plon­gent inéluctable­ment vers des résul­tats négat­ifs voire la fail­lite, d’autres, a con­trario, réagis­sent vigoureuse­ment pour faire face à la chute soudaine de leurs résul­tats, à l’im­age de Renault qui en 1997 per­dait 4 mil­liards de francs. Après avoir con­clu une alliance avec Nis­san en 1999, l’en­tre­prise en est à son deux­ième plan de redresse­ment. Le pre­mier, basé sur une mod­erni­sa­tion des struc­tures et une réduc­tion dras­tique des coûts, a généré 3 % de marge opéra­tionnelle. Le sec­ond récem­ment présen­té par Car­los Ghosn per­me­t­tra à l’entre­prise de gag­n­er d’i­ci 2009 quelque 6 % de marge, en déploy­ant la gamme véhicules à 26 nou­veautés et en pro­duisant près d’un mil­lion de véhicules sup­plé­men­taires pour les marchés à l’international ;

 le dernier cas con­cerne les sociétés agis­sant sur des marchés en crois­sance et dont les indi­ca­teurs sont en majorité favor­able­ment ori­en­tés. Dans de telles con­di­tions, la mobil­i­sa­tion des éner­gies internes est plus com­plexe pour con­solid­er une posi­tion forte ou anticiper les évo­lu­tions de marché. Néan­moins, L’Oréal, avec une crois­sance à 2 chiffres depuis plus de vingt ans, relève quo­ti­di­en­nement ce défi. Inscrite dans un pro­gramme de change­ment per­ma­nent, cette entre­prise se déploie sans cesse sur de nou­veaux seg­ments de clien­tèle (junior, eth­nique, éthique, etc.) au tra­vers par exem­ple de l’in­no­va­tion pro­duits, du rachat de sociétés comme May­belline ou Body Shop ou de l’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion de sa cou­ver­ture com­mer­ciale avec 25 % des ventes dans les pays émergents.

Notons que dans tous les cas, en revanche, la propen­sion de l’en­tre­prise à se trans­former est rarement inscrite dans son code géné­tique. À nos yeux, les meilleures en la matière sont celles qui ont réus­si à inté­gr­er le change­ment tant dans leur cul­ture que dans leurs sys­tèmes, du man­age­ment des hommes à leur infor­ma­tion et leur rémunération.

Mobiliser massivement…

« Nous avons com­mencé à tra­vailler au cours du mois de sep­tem­bre. Le sémi­naire de lance­ment des dif­férents chantiers s’est tenu mi-décem­bre. Les équipes ont été com­posées. Un comité de pilotage a été insti­tué. Les chantiers se sont déroulés jusqu’au milieu du mois d’avril. Ils ont impliqué une cen­taine de col­lab­o­ra­teurs. Ils ont réus­si à faire ce tra­vail de remise en cause grâce à leur impli­ca­tion » témoigne le PDG d’un groupe de près de 9000 collaborateurs.

Sur le chemin de la trans­for­ma­tion, les obsta­cles ne man­quent pas : déficit de vision stratégique, manque d’im­pli­ca­tion en amont, réti­cences de toutes sortes, appro­pri­a­tion insuff­isante des équipes, ambiguïté de la com­mu­ni­ca­tion interne, inca­pac­ité à mesur­er les impacts économiques…

Si le pro­jet est démar­ré sans une forte mobil­i­sa­tion, les équipes internes peu­vent dif­fi­cile­ment se l’ap­pro­prier ou s’ex­traire de leur quo­ti­di­en. Or, selon l’am­pleur de la trans­for­ma­tion, elle peut exiger plusieurs dizaines d’équiv­a­lents temps plein au pic de charge pour des grands groupes. Nous sommes con­va­in­cus que la réus­site dépend en grande par­tie de la capac­ité de l’en­tre­prise à dégager tout ou par­tie du temps de ses équipes, allant sou­vent jusqu’à met­tre en place une équipe dédiée à 100 % à la pré­pa­ra­tion et au pilotage de la mise en œuvre de la transformation.

… dans une architecture fondée sur de vrais engagements…

Le pro­gramme devra être struc­turé autour d’une vision stratégique claire et de grands axes de développe­ment pour que le sens de l’ensem­ble des actions soit com­pris par tous. Une déf­i­ni­tion claire des rôles et respon­s­abil­ités, un for­mal­isme des engage­ments, des plans d’ac­tion et des échéances cri­tiques facili­tent grande­ment le pilotage par les dirigeants, la mobil­i­sa­tion des équipes ain­si que la com­mu­ni­ca­tion interne et donc l’at­teinte effec­tive des objectifs.

Un pro­gramme de trans­for­ma­tion ne sig­ni­fie pas pour autant « réin­ven­ter la roue ». Plus de 50 % des chantiers à retenir exis­tent déjà dans l’en­tre­prise mais s’en­lisent faute de temps, de ressources et de vis­i­bil­ité. La démarche a donc aus­si voca­tion à accélér­er les pro­jets déjà existants.

Mal­gré une archi­tec­ture claire­ment définie, la com­plex­ité de tels pro­grammes entraîne fréquem­ment un risque d’es­souf­fle­ment au sein de l’orga­ni­sa­tion. Seuls l’in­vestisse­ment fort et soutenu de la direc­tion générale ain­si que l’en­gage­ment man­agér­i­al et opéra­tionnel per­me­t­tent de main­tenir le rythme et l’am­bi­tion du programme.

Le temps est l’é­talon de la pro­gres­sion de la trans­for­ma­tion au sein de l’en­tre­prise. Même accéléré, un tel pro­gramme prend de dix-huit à vingt-qua­tre mois pour porter tous ses fruits. Des vic­toires rapi­des peu­vent être obtenues de six à douze mois après le lance­ment et cou­vrent large­ment les coûts du pro­gramme mais chaque phase est cru­ciale et ne doit en aucun cas être nég­ligée. Si tel était le cas, l’en­tre­prise irait droit vers de véri­ta­bles décon­v­enues lors du déploiement du projet.

… pour des résultats significatifs

Sur la foi de notre expéri­ence, les résul­tats obtenus à l’is­sue d’un pro­gramme bien mené sont de l’or­dre de 10 à 15 % de gains sup­plé­men­taires d’EBIT en pour­cent­age du chiffre d’af­faires. Comme l’il­lus­trent les exem­ples ci-dessus, la source de ces résul­tats, crois­sance des revenus ou baisse des coûts, est assez con­trastée en fonc­tion de la nature des entre­pris­es et de leur secteur d’ac­tiv­ité. Ces enjeux sont con­fir­més par l’ensem­ble des dirigeants inter­viewés par Mer­cer et qui ont récem­ment con­duit une trans­for­ma­tion : ils dis­ent avoir réal­isé en moyenne 12 % de crois­sance de chiffre d’affai­res et obtenu des réduc­tions de coûts de 5 à 10 %.

Les dirigeants s’in­ter­ro­gent sou­vent sur le temps req­uis pour récolter les fruits d’un pro­gramme de trans­for­ma­tion de façon tan­gi­ble. L’ex­péri­ence mon­tre qu’il y a un véri­ta­ble impact à court terme sous forme de vic­toires rapi­des et que, dès la pre­mière année de mise en œuvre, les résul­tats s’améliorent. Dans la majorité des cas, ce sont même ces résul­tats à court terme qui aut­o­fi­nan­cent le pro­jet de trans­for­ma­tion. Pour ce qui est de l’im­pact réel en année pleine, les résul­tats sont générale­ment pro­duits en total­ité au bout de la troisième année.

… mais pas sans revisiter le Business Design de l’entreprise

La qual­ité de l’exé­cu­tion, nous l’avons vu, est pri­mor­diale mais cela ne doit pas faire oubli­er qu’un pro­jet de trans­for­ma­tion est avant tout une com­bi­nai­son réussie entre stratégie, organ­i­sa­tion et exé­cu­tion. Il serait vain de démar­rer un tel pro­jet sans revis­iter le Busi­ness Design de l’entre­prise et l’ensem­ble de ses com­posantes. C’est ce que con­fir­ment plus des deux tiers des dirigeants inter­viewés et ayant con­duit un pro­gramme de trans­for­ma­tion. Sou­vent aus­si l’or­gan­i­sa­tion évolue pour répon­dre aux nou­veaux enjeux.

Trois conseils pour conclure

Ne cédez pas aux idées reçues !

Pour créer le change­ment, voire même dans cer­tains cas la rup­ture, la déci­sion seule ne suf­fit pas à génér­er des résul­tats. La mobil­i­sa­tion du top et du mid­dle man­age­ment autour d’un pro­jet de trans­for­ma­tion claire­ment défi­ni est prépondérante.

Ne con­fondez pas objec­tifs et moyens !

S’il faut des moyens pour attein­dre les objec­tifs… ceux-ci doivent tou­jours être ajustés en fonc­tion des objec­tifs et non l’in­verse. Quant à l’or­gan­i­sa­tion, bien qu’im­por­tante, elle doit rester un moyen au ser­vice de la performance.

Enfin, un pro­gramme ne peut réus­sir que s’il devient un véri­ta­ble enjeu d’en­tre­prise partagé par tous et qu’il s’ap­puie sur une dynamique entière­ment nouvelle.

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Georges Vialle est directeur au sein du cab­i­net de con­seil en stratégie et trans­for­ma­tion Mer­cer Man­age­ment Con­sult­ing. Il dirige la pra­tique télé­com­mu­ni­ca­tions, tech­nolo­gies et médias au bureau de Paris.

1. Source : enquête Mer­cer Man­age­ment Con­sult­ing sur les straté­gies de trans­for­ma­tion menée auprès de plus de 50 dirigeants de grands groupes européens (juin 2006).

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