La gestion des fins de carrière

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°579 Novembre 2002

Voici plusieurs années que je m’ef­force de mon mieux d’aider ceux de nos cama­rades que les hasards de la vie amè­nent à réfléchir à une réori­en­ta­tion pro­fes­sion­nelle et j’ai été plusieurs fois frap­pé par le prob­lème spé­ci­fique que pose la ges­tion des fins de car­rière. Ceci est d’au­tant plus vrai que les postes occupés ont été pres­tigieux. Tout se passe comme si, en quit­tant une prési­dence ou une direc­tion générale, la dif­fi­culté de la réori­en­ta­tion, déjà com­pliquée par le prob­lème de l’âge, se dou­blait d’une dif­fi­culté psy­chologique, celle d’avoir à ” descen­dre ” dans l’idée que la per­son­ne se fait de l’échelle des affectations.

Il y a là un prob­lème impor­tant qu’il importe de démys­ti­fi­er. Il est rel­a­tive­ment rare que quelqu’un qui a atteint jeune une posi­tion de pre­mier plan se trou­ve dans la même posi­tion dix ans plus tard. L’ac­céléra­tion générale des proces­sus indus­triels et financiers, les restruc­tura­tions fréquentes ont bien sou­vent rai­son des soi-dis­ant posi­tions acquis­es. Il est donc impor­tant de se tenir prêt au change­ment, s’il doit sur­venir, ce qui sig­ni­fie inté­gr­er l’idée que la ges­tion d’un cur­sus pro­fes­sion­nel peut par­faite­ment se traduire par la perte d’une sit­u­a­tion en vue sans que l’in­téressé doive pour autant se con­sid­ér­er comme un ” homme fini ” ou refuser telle ou telle propo­si­tion sous pré­texte qu’elle est ” inférieure ” à celle qu’il occu­pait précédemment.

Il est utile à ce stade de jeter un coup d’œil sur la sit­u­a­tion dans le pays phare du monde d’au­jour­d’hui, en l’e­spèce les États-Unis. Non seule­ment il est très courant dans ce pays de voir des ” grands patrons ” aban­don­ner un poste pres­tigieux pour pren­dre la direc­tion d’une mod­este start-up, mais il est tout aus­si courant de voir les mêmes hommes accepter volon­tiers un poste de con­seiller du prési­dent ou d’ad­min­is­tra­teur chargé de mis­sion, lors d’un change­ment les amenant à quit­ter leurs fonc­tions. Ceci n’est nulle­ment con­sid­éré comme déshon­o­rant, il s’ag­it tout au con­traire d’une façon recon­nue d’u­tilis­er l’ex­péri­ence et le tal­ent d’une personnalité.

Je crois qu’il faut voir là la car­ac­téris­tique d’une société beau­coup plus per­méable que la nôtre, où la dureté générale des affaires est com­pen­sée par une vision beau­coup plus sou­ple de la réal­ité et il me sem­ble que nous seri­ons bien inspirés d’in­té­gr­er cette vue moins linéaire et plus ouverte de la ges­tion des car­rières. Au cours de ces années, j’ai vu de nom­breux cas où de mau­vais­es déci­sions stratégiques avaient été pris­es par les intéressés parce qu’ils avaient raison­né en ter­mes de ” puis­sance ” et non d’in­térêt du poste. Il me sem­ble qu’une propo­si­tion non hiérar­chique ne devrait jamais être écartée par principe, même si elle se situe dans l’en­vi­ron­nement immé­di­at du groupe dans lequel ont été exer­cées les respon­s­abil­ités précé­dentes. Après l’inévitable réadap­ta­tion ini­tiale, une telle posi­tion peut con­duire à un épanouisse­ment per­son­nel d’une autre nature, mais tout aus­si réel.

Le prob­lème est bien sûr aggravé par le fait que pour se hiss­er vers les som­mets, il est con­nu qu’une (petite ?) dose de méga­lo­manie est néces­saire et que ce type de per­son­nal­ités a peut-être plus de mal que d’autres à se voir ” ramené à l’é­tat laïc “… Rai­son de plus pour prévenir à l’a­vance ceux qui se trou­vent dans ce cas qu’ils doivent se rap­pel­er que la ges­tion d’une vie, et de façon générale la ges­tion des hommes, passe par une com­préhen­sion plus large que la sim­ple vision hiérar­chique. Cer­taines dif­fi­cultés per­son­nelles aux­quelles j’ai été con­fron­té auraient pu être évitées par cette démarche qui relève du bon sens autant que de l’humilité.

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