Dépenses de voyage versus chiffre d'affaire

De nouveaux acteurs du conseil pour un nouvel enjeu :

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°579 Novembre 2002
Par Hervé JOSEPH-ANTOINE (92)

Le besoin de mondialisation des achats

Le besoin de mondialisation des achats

La recherche sys­té­ma­tique de leviers d’aug­men­ta­tion des marges opéra­tionnelles con­duit aujour­d’hui les grands groupes à s’in­téress­er à l’op­ti­mi­sa­tion de leurs achats au niveau inter­na­tion­al, ain­si qu’à la réduc­tion des coûts internes liés à ces proces­sus d’achat. Les achats cen­traux sont en général man­datés par les direc­tions générales pour men­er à bien cette mis­sion, avec un périmètre sou­vent européen ou glob­al et un enjeu financier significatif.

Prob­lème théorique sim­ple de cal­cul d’élas­tic­ité des prix pour opti­miser le pou­voir d’achat lié à de plus gros vol­umes, la réus­site d’un tel pro­jet dépend en pra­tique de nom­breux fac­teurs humains, voire cul­turels. Trans­verse par nature, cette mis­sion con­siste aus­si à favoris­er l’échange des meilleures pra­tiques entre tous les pays et busi­ness units, ain­si qu’à créer un réseau de con­tacts clés afin de mieux communiquer.

Ain­si, depuis quelques années, les grands groupes inter­na­tionaux s’at­tachent à opti­miser leurs achats non liés à la pro­duc­tion après avoir opti­misé leurs achats de pro­duc­tion. Pour ce faire, ils font de plus en plus appel aux grands général­istes du con­seil. Cepen­dant, dans le cas par­ti­c­uli­er des achats liés aux déplace­ments pro­fes­sion­nels, ils ont aus­si recours au départe­ment con­seil des agences de voy­ages, leurs parte­naires tra­di­tion­nels et priv­ilégiés dans la ges­tion des voy­ages professionnels.

Les dépenses de voyage : un périmètre idéal pour réduire les coûts indirects

Les dépens­es de voy­age con­stituent en moyenne 0,55 % du chiffre d’af­faires (dans une fourchette de 0,30 % à 1,30 % suiv­ant les secteurs d’ac­tiv­ité et le niveau d’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion du groupe).

Si cette dépense ne con­stitue finale­ment en moyenne qu’en­v­i­ron 5 % des achats non liés à la pro­duc­tion (achats indi­rects), l’ef­fet sur la marge opéra­tionnelle, des 5 à 20 % d’é­conomies sur ce poste de coût, est sig­ni­fi­catif. Cepen­dant en com­para­i­son des caté­gories — marketing/communication, flotte de véhicules, matériel de bureau, restau­ra­tion, net­toy­age, copieurs, fret, ordi­na­teurs ou sécu­rité — , les économies appa­rais­sent comme naturelle­ment beau­coup plus accessibles :

  • les effets de vol­ume sont max­i­mums : le marché des four­nisseurs de voy­age (com­pag­nies aéri­ennes, hôtels, com­pag­nies de loca­tion de véhicules, agences de voy­ages) est par essence un marché international ;
  • il est pos­si­ble de con­naître très rapi­de­ment l’é­tat des lieux et le poten­tiel d’é­conomies car l’ensem­ble des don­nées d’achat est disponible de manière détail­lée par l’in­ter­mé­di­aire des agences de voy­ages en place ;
  • l’im­pli­ca­tion des achats des groupes au sein de l’or­gan­i­sa­tion con­cer­nant ce sujet est naturelle : les achats de voy­age sont sou­vent de la respon­s­abil­ité directe des départe­ments achats locaux. Ce n’est pas le cas, par exem­ple, des dépens­es de mar­ket­ing et de com­mu­ni­ca­tion qui sont sous la respon­s­abil­ité des direc­tions marketing ;
  • il est pos­si­ble de met­tre en place plus rapi­de­ment une poli­tique d’achat nou­velle. En effet, les presta­tions de voy­age ont aus­si la par­tic­u­lar­ité d’être non stock­ables, util­isées très rapi­de­ment et en grand nom­bre. Les trans­ac­tions d’achat (en moyenne cent mille trans­ac­tions annuelles pour un groupe de 3 mil­liards d’eu­ros de chiffre d’af­faires) sont réal­isées par une ou plusieurs agences de voy­ages qui con­stituent un point de pas­sage obligé pour ce flux d’achat ;
  • la notoriété du secteur du voy­age donne une vis­i­bil­ité idéale à un tel pro­jet : tous les employés sont util­isa­teurs, dirigeants et cadres sont en général de grands con­som­ma­teurs et ont sou­vent leur pro­pre avis sur la question.


Rapi­de­ment réal­is­ables, rémunéra­teurs et vis­i­bles, les pro­grammes de maîtrise glob­ale des dépens­es de voy­age sont sou­vent devenus un point de départ pour les grands pro­jets de glob­al­i­sa­tion des achats.

On a donc assisté ces cinq dernières années à l’émer­gence d’un véri­ta­ble marché du con­seil dans l’op­ti­mi­sa­tion des dépens­es de voy­ages professionnels.

Un exemple de demande du marché : l’optimisation des achats aériens

Com­ment se traduit ce besoin de glob­al­i­sa­tion des achats pour les prin­ci­pales caté­gories d’achats de voyage ?

Les achats aériens con­stituent env­i­ron deux tiers du total des dépens­es de voy­age dans les sociétés inter­na­tionales, alors que les dépens­es d’hô­tel en représen­tent env­i­ron 15 %, et les dépens­es de loca­tion de véhicules, d’a­gence de voy­ages, et de coûts internes asso­ciés entre 5 et 10 %.

Pour la plu­part des groupes implan­tés en Europe sont négo­ciés locale­ment des con­trats avec les com­pag­nies aéri­ennes y com­pris avec la com­pag­nie nationale ” flag car­ri­er ” de chaque pays.

Ces com­pag­nies nationales sont sou­vent en posi­tion dom­i­nante en ter­mes d’of­fre sur leur aéro­port prin­ci­pal, ce qui leur donne peu de raisons économiques de con­céder des con­di­tions tar­i­faires avan­tageuses au départ de cette base.

La stratégie d’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion fonc­tionne donc pleine­ment puisqu’elle con­duit les entre­pris­es à rechercher des com­bi­naisons d’un nom­bre réduit de com­pag­nies aéri­ennes, puis à pro­pos­er à ces dernières des parte­nar­i­ats attrac­t­ifs leur per­me­t­tant de gag­n­er des revenus sur des marchés non cap­tifs, et donc d’of­frir en retour des réduc­tions de tar­ifs supplémentaires.

Un tra­vail ana­ly­tique détail­lé sur un grand nom­bre de cou­ples orig­ine-des­ti­na­tion est néces­saire afin de déter­min­er les meilleurs parte­naires, de mesur­er les économies poten­tielles, de pro­pos­er plusieurs options et enfin de mesur­er le pou­voir de négo­ci­a­tion par des indi­ca­teurs de niveau monop­o­lis­tique de chaque parte­naire potentiel.

L’op­ti­mi­sa­tion des achats aériens pour l’ensem­ble d’un groupe exige aus­si une mesure agrégée du béné­fice apporté par une telle opti­mi­sa­tion. Les ter­mes financiers des con­trats aériens sont par­ti­c­ulière­ment com­plex­es en Europe, car ils inclu­ent des claus­es de prix sur cer­taines orig­ines-des­ti­na­tions, des claus­es par­ti­c­ulières de com­mis­sion­nement des inter­mé­di­aires, agences de voy­ages, ain­si que des sys­tèmes de remis­es de fin d’année.

La capac­ité de l’en­tre­prise à obtenir en un seul chiffre la valeur apportée par chaque con­trat, sans perte en ligne, est donc primordiale.

Le mécan­isme com­plet d’achat se partage entre la déci­sion stratégique des achats du groupe de sign­er des con­trats cadres avec des parte­naires com­pag­nies aéri­ennes priv­ilégiés, et le respect par l’u­til­isa­teur — l’employé voyageur -, de ces con­trats cadres.

La réus­site de la glob­al­i­sa­tion des achats aériens passe aus­si par le suivi con­tinu, par pays, par busi­ness unit, par site, éventuelle­ment par voyageur, des com­porte­ments d’achats util­isa­teurs. Ce pilotage con­siste, par exem­ple, à mesur­er et engager des actions afin de respecter les engage­ments de parts de marché pris auprès d’une com­pag­nie aéri­enne sur une route aéri­enne donnée.

Lignes aériennes européennes

Un marché de nouveaux acteurs spécialisés

Des acteurs appar­tenant à des métiers con­nex­es ont investi mas­sive­ment ce nou­veau marché du con­seil dans les achats de voy­age, aujour­d’hui en forte expan­sion : grands réseaux d’a­gences de voy­ages (Carl­son Wag­onlit Trav­el, Amer­i­can Express, Rosen­bluth, Busi­ness Trav­el Inter­na­tion­al), con­sol­i­da­teurs de don­nées, con­sul­tants indépendants.

Les com­pé­tences et out­ils req­uis pour répon­dre aux besoins des clients néces­si­tent en effet d’im­por­tants investisse­ments dans des domaines très spécialisés :

  • des bases de don­nées mon­di­ales : cou­ver­ture des routes par les com­pag­nies aéri­ennes (qual­i­fi­ca­tion du niveau de ser­vice offert : ser­vice direct ou avec con­nex­ion, nom­bre de fréquences, posi­tion de mono­pole), référence­ment de dizaines de mil­liers de don­nées hôtels (ser­vices offerts, types de cham­bres), tar­ifs publics et négo­ciés avec les entre­pris­es sur toutes les routes aéri­ennes et tous les hôtels, don­nées de marché pour réalis­er des étalon­nages (bench­mark), niveau de tax­es et de commission ;
  • des ressources spé­cial­isées dans le domaine du voy­age : con­nais­sance du secteur aérien, du secteur hôte­lier, des pra­tiques de rev­enue man­age­ment ;
  • des mod­èles de recherche opéra­tionnelle afin d’éla­bor­er des scé­nar­ios de con­sol­i­da­tion sur un nom­bre réduit de four­nisseurs, de mesur­er les économies poten­tielles, d’é­val­uer la valeur ajoutée des propositions.


La pra­tique du con­seil par ces acteurs spé­cial­isés se dis­tingue du mod­èle clas­sique du con­sul­tant dans son offre de services :

  • des presta­tions stan­dard­is­ées sous forme de ” pro­duits ” : pro­gramme annuel de glob­al­i­sa­tion des achats hôte­liers, pro­gramme d’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion des achats aériens pour l’Eu­rope, pro­gramme d’op­ti­mi­sa­tion men­su­el des dépenses ;
  • des ser­vices régis plus par une oblig­a­tion de résul­tat que par des moyens engagés. La tar­i­fi­ca­tion des ser­vices peut dépen­dre des économies réal­isées sur les achats ;
  • des ser­vices sou­vent proches de mod­èles d’ex­ter­nal­i­sa­tion (out­sourc­ing ) des achats : les ressources internes précédem­ment dédiées sont rem­placées par des con­trats avec ces con­sul­tants sur la base d’é­conomies à réaliser.


Ces acteurs spé­cial­isés du con­seil dans l’op­ti­mi­sa­tion des achats de voy­age ne sont pour autant pas directe­ment des con­cur­rents des général­istes du con­seil. Ces derniers (AT Kear­ney, KPMG…) ont dévelop­pé des pra­tiques spé­ci­fiques afin de pou­voir accom­pa­g­n­er de grands pro­grammes de glob­al­i­sa­tion des achats pou­vant aller jusqu’à plusieurs mil­liards d’eu­ros. Ils n’ont pas dévelop­pé de savoir-faire spé­ci­fique dans la caté­gorie des achats de voy­age et font eux-mêmes sou­vent appel aux acteurs spé­cial­isés pour inclure cette caté­gorie à leur champ d’intervention.

Conclusion

La con­jonc­ture économique actuelle redou­ble l’at­ten­tion des multi­na­tionales vers le con­trôle de leurs coûts et de leurs achats et devrait accélér­er la crois­sance de ce marché du con­seil dans les achats de voy­age, pous­sant de plus en plus d’ac­teurs à s’y lancer. 

Hervé Joseph-Antoine est directeur Europe de la pra­tique Air Sourc­ing de CWT Solu­tions Group, struc­ture d’au­dit et de con­seil stratégique, fil­iale de Carl­son Wag­onlit Travel.
Forte d’une équipe inter­na­tionale de 40 con­sul­tants, le CWT Solu­tions Group accom­pa­gne les grandes entre­pris­es, clientes ou non de Carl­son Wag­onlit Trav­el, dans leur recherche d’op­ti­mi­sa­tion et de réduc­tion des coûts. Il inter­vient dans trois domaines spé­ci­fiques : les achats stratégiques aériens et hôte­liers, le choix et le déploiement d’outils tech­nologiques et le meet­ing man­age­ment (ges­tion des réunions).

Poster un commentaire