L’ouverture des entreprises de réseau à la concurrence

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°579 Novembre 2002
Par Henri TCHENG (86)
Par Catherine COULOMB
Par Françoise BRUNA ROSSO

Les grandes phases de l’ouverture à la concurrence

Même si les métiers des sept marchés sont dif­férents, les mécan­ismes qui assurent la tran­si­tion du mono­pole vers la con­cur­rence sont sim­i­laires. Qua­tre phas­es com­posent ce processus :

Phase 1 : stabilité monopolistique

La poli­tique de l’opéra­teur his­torique est dic­tée par un État action­naire unique qui fixe tant la rémunéra­tion des cap­i­taux, que les prix et les marges des prestations.

L’ab­sence de con­cur­rence cou­plée au principe de spé­cial­ité qui fixe les domaines d’ac­tiv­ité de l’opéra­teur his­torique lim­ite ses objec­tifs à une oblig­a­tion de moyens (achem­iner de façon con­tin­ue l’élec­tric­ité, livr­er les plis postaux…).

L’en­tre­prise en mono­pole axe ses efforts sur la ges­tion des infra­struc­tures et la sta­bil­ité sociale.

Phase 2 : crise d’identité

L’opéra­teur his­torique se voit con­fron­té à une sit­u­a­tion de con­cur­rence, nou­velle pour lui à bien des égards. Les change­ments dans le com­porte­ment des acteurs (État, régu­la­teur, clients, con­cur­rents) oblig­ent l’opéra­teur à s’in­ter­roger sur :

  • sa stratégie, son organ­i­sa­tion et son pilotage : redéf­i­ni­tion des métiers et des cibles com­mer­ciales (clients éli­gi­bles), mise en œuvre d’indi­ca­teurs de performance…,
  • son évo­lu­tion cul­turelle : for­ma­tion du per­son­nel à l’ap­proche client et aux nou­veaux métiers, sen­si­bil­i­sa­tion pour le pas­sage d’une oblig­a­tion de moyens à une oblig­a­tion de service…,
  • ses modes de com­mu­ni­ca­tion : déter­mi­na­tion de la com­mu­ni­ca­tion avec les nou­veaux acteurs notam­ment avec l’au­torité de régu­la­tion qui impose à l’en­tre­prise anci­en­nement en mono­pole de nou­velles con­traintes régle­men­taires (dis­so­ci­a­tion compt­able notam­ment) et, plus large­ment, impose une dis­crim­i­na­tion pos­i­tive envers les nou­veaux entrants,
  • les impacts des évo­lu­tions citées ci-dessus sur son sys­tème d’information.

Phase 3 : recentrage

L’en­tre­prise s’é­tant séparée des activ­ités des­tinées à être régulées se con­cen­tre sur les métiers con­cur­ren­tiels et généra­teurs de revenus.

Les évo­lu­tions analysées lors de la phase de ” crise d’i­den­tité ” sont mis­es en œuvre sur le terrain.

À titre d’il­lus­tra­tion le recen­trage de l’ac­tiv­ité de l’en­tre­prise vers des métiers plus rémunéra­teurs voit sa con­créti­sa­tion par des acqui­si­tions ou des alliances.

L’en­tre­prise ren­force ses out­ils de struc­tura­tion de la rela­tion client (CRM) et de pilotage.

Phase 4 : concurrence

Les pres­sions exer­cées par les acteurs du marché sont alors multiples :

  • les nou­veaux action­naires analy­sent les indi­ca­teurs de per­for­mance des activ­ités non régulées,
  • le con­trôle de la con­cur­rence est alors exer­cé par les juri­dic­tions en place (Con­seil de la con­cur­rence) et non plus par l’au­torité de régu­la­tion. On assiste à une sorte de ” banal­i­sa­tion ” du secteur,
  • l’au­torité de régu­la­tion, indépen­dante de l’opéra­teur his­torique et arbi­tre du marché, tente d’aug­menter la pro­duc­tiv­ité du secteur régulé.

Positionnement des sept marchés européens

Quelles actions à mener pour les opérateurs historiques ?

Pour par­venir à leur état de développe­ment opti­mal dans l’u­nivers con­cur­ren­tiel, les opéra­teurs de chaque secteur doivent procéder à des change­ments impor­tants en interne.

On peut dis­tinguer sept grands chantiers ” clas­siques ” aux­quels sont con­fron­tés, à un moment ou à un autre, les secteurs en cours de dérégu­la­tion. Ces sept chantiers recou­vrent soit des évo­lu­tions struc­turelles de l’en­tre­prise, soit des évo­lu­tions managériales.

Séparer par activités

L’ou­ver­ture des marchés impose pour les monopoles his­toriques une sépa­ra­tion compt­able, voire juridique, des activ­ités entre les domaines ouverts à la con­cur­rence et les domaines régulés (créa­tion de RFF pour le rail, de RTE pour l’électricité…)

Notre expéri­ence nous apprend que les points clefs d’une dis­so­ci­a­tion réussie sont :

  • la réflex­ion sur le niveau de dis­so­ci­a­tion (s’ag­it-il d’un ” exer­ci­ce en cham­bre ” ou d’un out­il de pilotage ?),
  • la déter­mi­na­tion des périmètres et l’af­fec­ta­tion des élé­ments mixtes (com­ment affecter des ressources mixtes, des act­ifs ou des pas­sifs mixtes ?),
  • le recense­ment et la val­ori­sa­tion des échanges interactivités,
  • l’adap­ta­tion des struc­tures man­agéri­ales, fonc­tion­nelles et techniques.

Interagir avec un nouvel environnement

L’émer­gence d’un régu­la­teur, le change­ment de posi­tion sur la chaîne de la valeur, l’ou­ver­ture du cap­i­tal, l’ar­rivée de con­cur­rents… sont quelques exem­ples d’événe­ments qui néces­si­tent de faire évoluer le rela­tion­nel de l’en­tre­prise avec son envi­ron­nement. Il faut ain­si appren­dre à pilot­er la rela­tion avec le régu­la­teur, éla­bor­er une com­mu­ni­ca­tion finan­cière des­tinée aux action­naires et ana­lystes, com­pos­er avec les nou­veaux venus qui sont sou­vent aus­si clients (par exem­ple réalis­er des alliances comme on en voit dans le secteur du trans­port aérien).

Repenser la relation client

Avant que la con­cur­rence ne vienne pren­dre des parts de marché, il est essen­tiel que les acteurs déjà en place, dis­posant de bases clients enviées, con­soli­dent cet acquis. Dans un deux­ième temps, ils pour­ront mieux l’ex­ploiter pour riposter aux nou­veaux venus.

Les opéra­teurs his­toriques dis­posent de bases dont les vol­umes con­stituent une force essen­tielle si les don­nées en sont bien exploitées.

Les out­ils du CRM (cus­tomer rela­tion­ship man­age­ment) per­me­t­tent de seg­menter la clien­tèle et de cibler les offres en direc­tion des clients les plus récep­tifs, voire de les personnaliser.

Mais le pro­jet de mise en place d’un tel out­il dépasse de très loin le seul enjeu technologique.

Le prin­ci­pal enjeu est d’or­dre humain : il faut pass­er d’une logique de ser­vice pub­lic des­tiné à des usagers à une rela­tion qui place le client au cœur de la stratégie d’en­tre­prise. L’ori­en­ta­tion client ne se décrète pas, elle doit se vivre au quo­ti­di­en dans tous les niveaux de l’entreprise.

Définir de nouvelles offres et se diversifier

L’ou­ver­ture des marchés va de pair avec un assou­plisse­ment des principes lim­i­tat­ifs (spé­cial­ité…) qui cadrent le fonc­tion­nement des monopoles. Cela per­met aux dif­férents acteurs de se bat­tre dans des con­di­tions com­pa­ra­bles. En univers con­cur­ren­tiel, la fidéli­sa­tion des clients devient essen­tielle. Cela passe par la con­cep­tion de nou­velles offres, inclu­ant des com­bi­naisons de ser­vices dépas­sant le périmètre d’ac­tiv­ités d’origine.

Les exem­ples sont nom­breux : train + loca­tion de voiture + hôtel, eau + out­sourc­ing des traite­ments d’ef­flu­ents, énergie + assur­ance… Pour dévelop­per ces offres de pro­duits et de ser­vices, il faut soit nouer des alliances sous forme de parte­nar­i­at, soit créer ou acquérir des fil­iales dédiées à ces activ­ités nouvelles.

Accroître sa couverture géographique

La perte oblig­ée de parts de marché sur le ter­ri­toire his­torique impose de bâtir une stratégie de crois­sance externe. Ce point est ren­for­cé si l’on con­sid­ère l’élar­gisse­ment géo­graphique des marchés qui de nationaux devi­en­nent européens.

À terme, on peut raisonnable­ment prévoir que cha­cun des secteurs sera dom­iné par trois ou qua­tre grands acteurs européens aux côtés desquels pour­ront encore cohab­iter quelques acteurs de taille plus réduite.

Les acteurs en place doivent se pré­par­er à ces mou­ve­ments et définir leur objectif.

Engager les évolutions humaines et culturelles

Au vu du nom­bre et de l’am­pleur des change­ments à opér­er on com­prend que les gag­nants seront ceux qui auront anticipé le plus tôt et le mieux tous ces mouvements.

Les entre­pris­es con­cernées sont toutes de grande taille et le man­age­ment ne peut réus­sir ces révo­lu­tions sans s’as­sur­er de l’ad­hé­sion du per­son­nel à ces nou­velles orientations.

Cela néces­site d’en­tre­pren­dre plusieurs actions d’ac­com­pa­g­ne­ment du change­ment (for­ma­tion, coach­ing, partage des con­nais­sances…) en com­plé­ment aux grands chantiers déjà dess­inés ci-dessus.

C’est un fac­teur clef de suc­cès trans­verse à tous ces projets.

Faire évoluer les outils de pilotage

Réus­sir le pilotage des nou­veaux objec­tifs stratégiques passe par le développe­ment d’outils ad hoc. Les prin­ci­paux d’en­tre eux concernent :

  • la con­nais­sance du con­texte : études de marché, veilles stratégiques,
  • la moti­va­tion des hommes : résul­tats ver­sus objec­tifs, reward­ing, etc.,
  • la con­nais­sance des grandes struc­tures de coûts de l’entreprise :

— glob­ale­ment, pour dis­tinguer les activ­ités ” vach­es à lait ” des ” poids morts “,
 — sur la par­tie régulée, pour qu’au min­i­mum les tar­ifs négo­ciés n’en­gen­drent pas de pertes.

Le rôle de l’État doit évoluer

Pour per­me­t­tre aux entre­pris­es con­cernées de con­duire ces grandes trans­for­ma­tions, l’É­tat doit faire évoluer les rela­tions qu’il entre­tient avec cer­taines d’en­tre elles.

En effet, dans un con­texte de pres­sion européenne forte pour la mise en con­cur­rence de cer­taines activ­ités, les lim­ites de la rela­tion avec un État action­naire sont mis­es en évi­dence (ponc­tion­ner l’en­tre­prise, forcer au finance­ment par endet­te­ment, ne pas dis­pos­er de vision indus­trielle du développe­ment…). On voit ain­si les enjeux du débat qui com­mence sur l’ou­ver­ture — à des investis­seurs privés — du cap­i­tal de cer­taines entreprises. 

Poster un commentaire