Vélos aux Pays-Bas

La bicyclette, c’est sérieux !

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997Par : Jean SIVARDIÈRE (61), président de la FNAUT, ancien administrateur de la SNCF

Soit une respectable assem­blée de gens sérieux, c’est-à-dire com­posée majori­taire­ment de poly­tech­ni­ciens et d’é­nar­ques, se pen­chant sur le prob­lème dif­fi­cile des déplace­ments urbains. Avancez timide­ment l’idée qu’il ne faut pas oubli­er la marche à pied et la bicy­clette : vous sus­citerez immé­di­ate­ment (même si vous êtes vous-même poly­tech­ni­cien, sci­en­tifique et peu chevelu) quelques sourires con­de­scen­dants : voilà encore un écol­o­giste qui a réus­si à s’in­tro­duire par­mi nous et qui veut revenir au néolithique après avoir “sup­primé toutes les voitures”.

Osez ajouter, en évo­quant l’ex­em­ple des Pays-Bas, que la bicy­clette peut rede­venir un trans­port de masse et con­tribuer à désen­gorg­er nos cités, ce sera l’hi­lar­ité. C’est bien con­nu : “le vélo, c’est bon pour les Hol­landais”. Mais faut-il si vite hauss­er les épaules ? Il n’y a pas si longtemps, on entendait sou­vent dire : “le tramway, c’est bon pour les Suiss­es”. C’é­tait avant le retour du tramway à Nantes, Greno­ble, Saint-Denis, Stras­bourg, Rouen et ses suc­cès spectaculaires.


Vélos aux Pays-Bas.  © MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT

Les qual­ités de la bicy­clette sont évi­dentes — absence de bruit et de pol­lu­tion de l’air, faible encom­bre­ment, faible coût d’achat et d’u­til­i­sa­tion, béné­fices pour la san­té — et en font un mode de déplace­ment urbain idéal. Bien enten­du la bicy­clette a aus­si ses lim­ites : elle exige un effort physique face au vent et dans les côtes, elle expose au froid et aux intem­péries, elle ne con­vient que pour des tra­jets quo­ti­di­ens inférieurs à 5–10 kilo­mètres. On ne ver­ra donc jamais toute une pop­u­la­tion urbaine se déplac­er à bicy­clette. Faut-il pour autant se résign­er à voir les cyclistes se raré­fi­er et ne con­stituer qu’un noy­au résidu­el de marginaux ?

Aujour­d’hui, en France, 5 % seule­ment, en moyenne, des déplace­ments urbains mécan­isés sont effec­tués en deux-roues (essen­tielle­ment en bicy­clette) con­tre 10 % en trans­port col­lec­tif et 80 % en auto­mo­bile. À Stras­bourg, cepen­dant, la part modale des deux-roues atteint 15 %, celle de la seule bicy­clette 12 % (une part supérieure à celle du trans­port pub­lic avant la mise en ser­vice du tramway). La part de la bicy­clette est de l’or­dre de 25 % dans bien des villes suiss­es, alle­man­des et danois­es, elle dépasse 40 % dans cer­taines villes néer­landais­es comme Delft, où pour­tant le cli­mat est défa­vor­able : à Ams­ter­dam, les ban­quiers font du vélo comme les ouvri­ers et les étudiants.

Une poli­tique urbaine favor­able à la bicy­clette est-elle souhaitable, peut-elle être efficace ?

  • Bien des déplace­ments urbains effec­tués en auto­mo­bile sont des déplace­ments de prox­im­ité : un sur deux se fait sur moins de trois kilo­mètres, un sur huit sur moins de 500 mètres (cours­es, accom­pa­g­ne­ments à l’é­cole). Or ces déplace­ments sont les plus pol­lu­ants car un pot cat­aly­tique ne fonc­tionne qu’après un tra­jet de plusieurs kilo­mètres, quand le moteur est chaud : ils pour­raient être beau­coup moins fréquents si le cycliste était pris en compte dans l’amé­nage­ment des quartiers (ban­des cyclables, zones 30 où la vitesse est lim­itée à 30 km/h).
  • La bicy­clette peut être un com­plé­ment utile du trans­port pub­lic, elle offre des pos­si­bil­ités de rabat­te­ment qui élar­gis­sent la zone d’in­flu­ence du trans­port pub­lic et améliorent ain­si sa rentabil­ité. Ces pos­si­bil­ités sont encore large­ment inex­plorées en France : aux Pays-Bas, 35 % des usagers des trains régionaux se ren­dent à la gare en bicyclette.
  • L’usage de la bicy­clette, comme celui du tramway, n’est pas une affaire de chro­mo­somes ou de par­tic­u­lar­isme cul­turel, il est tout sim­ple­ment lié aux efforts des indus­triels et des amé­nageurs. On dit volon­tiers que le cyclisme util­i­taire n’est pas adap­té à la men­tal­ité française, que les Français s’in­téressent seule­ment au Tour de France : or à Genève, ville romande, l’u­til­i­sa­tion de la bicy­clette a aug­men­té de 75 % depuis le lance­ment d’une poli­tique inci­ta­tive en 1987. En espér­er un plus large usage en France n’a donc rien d’utopique.
  • Dans les villes nord-européennes et ital­i­ennes, la réduc­tion de la cir­cu­la­tion auto­mo­bile s’est faite surtout au béné­fice des modes non motorisés. Or les amé­nage­ments pour pié­tons et cyclistes sont peu coû­teux, et mod­i­fi­ables en cas d’er­reur de con­cep­tion. La Com­mu­nauté urbaine de Stras­bourg con­sacre 20 mil­lions de francs par an aux deux-roues, c’est le record de France mais cet effort reste mod­este : le moin­dre échangeur autorouti­er coûte deux fois plus cher. La rentabil­ité des amé­nage­ments pour pié­tons et cyclistes, en ter­mes de trans­fert modal obtenu par mil­lion de francs investi, est beau­coup plus forte que celle des investisse­ments, indis­pens­ables par ailleurs, de trans­port collectif.


Trois types d’ini­tia­tives sont néces­saires pour pro­mou­voir l’usage de la bicyclette.

  • Il faut tout d’abord met­tre en place un ensem­ble d’amé­nage­ments très fins et diver­si­fiés qui facili­tent les déplace­ments du cycliste. De nom­breuses for­mules sont à la dis­po­si­tion des amé­nageurs pour assur­er la sécu­rité : pistes et ban­des cyclables, sas aux car­refours, sig­nal­i­sa­tion spé­ci­fique. Mais il faut égale­ment offrir des garages de capac­ité suff­isante et où l’on soit sûr de retrou­ver sa mon­ture : le risque de vol est aus­si dis­suasif que l’in­sécu­rité. De tels garages man­quent dans les immeubles, sur les lieux de tra­vail, dans les étab­lisse­ments sco­laires et les uni­ver­sités, auprès des gares et des ser­vices publics, à prox­im­ité des commerces.
     
    Con­traire­ment à une idée reçue, tous ces amé­nage­ments exi­gent de grandes com­pé­tences et ne peu­vent être con­fiés au pre­mier tech­ni­cien venu, car il faut soign­er le détail : les pistes cyclables doivent être bien revêtues et faciles à entretenir ; il faut éviter les détours dis­suasifs (car­refours à l’anglaise, tra­ver­sée des grandes voiries) et rechercher au con­traire des rac­cour­cis, offrir un envi­ron­nement végé­tal attrayant. Enfin il est pru­dent de con­sul­ter les asso­ci­a­tions de cyclistes urbains afin d’éviter les erreurs grossières.
     
  • Con­traire­ment à une opin­ion répan­due, de nom­breux prob­lèmes tech­niques encore mal réso­lus freinent l’es­sor de la bicy­clette. Il n’est pas si sim­ple de trou­ver un vélo offrant des freins fonc­tion­nant cor­recte­ment par temps humide et un éclairage act­if et pas­sif effi­cace, et équipé d’un écar­teur de dan­ger et d’une béquille. Il manque sur le marché français un vélo urbain rus­tique, à longue durée de vie et bon marché ; un vélo pli­able facile à manip­uler ; un vélo équipé pour le trans­port des petits paque­ts ; un tri­cy­cle. Le cycliste quo­ti­di­en se heurte aus­si à divers obsta­cles très con­crets : dif­fi­cultés d’ha­bille­ment en cas de froid ou de pluie, entre­tien et réparation.
     
    Par ailleurs, il n’ex­iste pas de bicy­clette de prix abor­d­able équipée d’un moteur élec­trique aux­il­i­aire. On con­sacre des sommes con­sid­érables à la voiture élec­trique sans avoir réelle­ment éval­ué son créneau et ses effets per­vers : pourquoi ne pas étudi­er une bicy­clette munie d’un sys­tème de récupéra­tion d’én­ergie, ou présen­tant un meilleur ren­de­ment énergétique ?
     
  • Il faut enfin mod­erniser l’im­age de la bicy­clette et en faire un mode de déplace­ment “respectable” et non réservé aux étu­di­ants pau­vres et aux auto­phobes irré­ductibles. Il ne suf­fit pas que Mon­sieur le maire monte cinq min­utes sur une bicy­clette flam­bant neuve le jour de la “fête du vélo”, de préférence devant le pho­tographe du jour­nal local.


De nom­breuses for­mules ont été expéri­men­tées dans divers­es villes : loca­tion ou prêt aux étu­di­ants, vélos banal­isés, vélos de fonc­tion dans les ser­vices publics. Le gou­verne­ment pour­rait inter­venir lui aus­si : prime à l’achat d’une bicy­clette neuve ou baisse de TVA ; réforme du code de la route (dis­tinc­tion entre bicy­clette et cyclomoteur).

Con­cevoir une piste cyclable est aujour­d’hui moins val­orisant qu’imag­in­er le tracé d’une ligne TGV ou d’une autoroute : ce n’est pas une rai­son pour sourire de la bicy­clette qui pour­rait être, si on le voulait, un out­il pré­cieux pour remod­el­er une vie urbaine dont la qual­ité s’est ter­ri­ble­ment dégradée.

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