L’Arcep, l’architecte et le gardien des réseaux de télécommunications

L’Arcep, l’architecte et le gardien des réseaux de télécommunications

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°776 Juin 2022
Par Olivier COROLLEUR (X98)

Fer­me­ture du réseau his­torique en cuiv­re, accéléra­tion du déploiement de la fibre optique, déploiement de la 5G, opti­mi­sa­tion de la cou­ver­ture de l’ensemble du ter­ri­toire nation­al, prise en compte de l’enjeu envi­ron­nemen­tal sont les prin­ci­paux sujets qui mobilisent actuelle­ment l’Arcep en plus de ses mis­sions clas­siques et de son rôle de régu­la­teur. Olivi­er Corolleur (X98), directeur général adjoint de l’Arcep, nous en dit plus dans cet entretien.

Présentez-nous l’Arcep.

L’Arcep, qui a vu le jour en 1997, est une autorité admin­is­tra­tive indépen­dante active dans la régu­la­tion des secteurs des com­mu­ni­ca­tions élec­tron­iques, des postes et de la dis­tri­b­u­tion de presse. Son indépen­dance est à con­sid­ér­er par rap­port aux acteurs économiques et aux pou­voirs poli­tiques. Son action est con­trôlée par le Par­lement et la Com­mis­sion Européenne. 

Il y a près de 25 ans, l’Arcep a été créée dans le con­texte de l’ouverture à la con­cur­rence des télé­com­mu­ni­ca­tions, un secteur qui a con­nu, et con­tin­ue de con­naître, de nom­breuses évo­lu­tions : inter­net fixe, déploiement des réseaux mobile, fibre optique… Aujourd’hui, ces réseaux d’échange jouent un rôle essen­tiel dans le fonc­tion­nement du pays, mais aus­si dans la vie quo­ti­di­enne de chaque Français. En rai­son de cette impor­tance crois­sante, le lég­is­la­teur européen a jugé néces­saire l’intervention d’une autorité indépen­dante pour s’assurer du bon développe­ment de ces réseaux. 

Au cours des 25 dernières années, l’Arcep s’est, en par­al­lèle, vue con­fi­er de nou­velles mis­sions dont la régu­la­tion du secteur postal (2005) et la dis­tri­b­u­tion de la presse (2019).


L’Arcep : dates clés 

1997 : Créa­tion de l’ART

2010 : Créa­tion du BEREC, qui rassem­ble les régu­la­teurs européens

2005 : Régu­la­tion du secteur postal et l’ART devient l’Arcep

2015 L’Arcep s’engage pour la pro­tec­tion de la neu­tral­ité du net

2017 : Mise en ligne de « Mon réseau mobile » et « J’alerte l’Arcep ». Le début de la régu­la­tion par la data pour l’Arcep

2017 : Fin des frais d’itinérance mobile en Europe, l’année de la prési­dence de l’Arcep au BEREC. 

2020 : L’Arcep attribue des fréquences pour l’arrivée de la 5G


L’Arcep rem­plit l’ensemble de ses mis­sions avec tou­jours le même but : s’assurer que les dynamiques et intérêts des opéra­teurs privés se con­cilient avec les objec­tifs de con­nec­tiv­ité du ter­ri­toire, de com­péti­tiv­ité et de con­cur­rence au béné­fice des util­isa­teurs. En effet, l’Arcep crée aus­si les con­di­tions de l’investissement des opéra­teurs privés et publics dans les infra­struc­tures pour amélior­er la con­nec­tiv­ité des ter­ri­toires. Aujourd’hui, en France mét­ro­pol­i­taine et en Out­re-mer, l’enjeu est de pour­suiv­re la dynamique de déploiement de la fibre optique et des réseaux mobiles et de garan­tir l’accès aux ser­vices postaux et à la dis­tri­b­u­tion de la presse, qui représen­tent des infra­struc­tures vitales au quo­ti­di­en des util­isa­teurs, mais aus­si au développe­ment des entreprises. 

Dans ce cadre, l’Arcep con­tribue aux pro­grammes gou­verne­men­taux, accom­pa­gne les col­lec­tiv­ités locales et con­trôle le respect des oblig­a­tions de déploiement des opérateurs.

L’Arcep garan­tit aus­si l’ouverture du marché à de nou­veaux acteurs et à toutes les formes d’innovations. Dans ce cadre, nous avons mis en place plusieurs espaces d’expérimentations comme un « bac à sable » régle­men­taire, des plate­formes d’expérimentation de la 5G avec les acteurs industriels….

Plus particulièrement, qu’en est-il de votre rôle de régulateur ? 

L’activité de régu­la­tion de l’Arcep s’articule autour de trois axes : 

  • L’activité de régu­la­tion : attri­bu­tion des fréquences radioélec­triques et des numéros aux opéra­teurs, oblig­a­tions aux opéra­teurs d’ouvrir et d’interconnecter les infra­struc­tures de leurs réseaux, fix­a­tion de tar­ifs struc­turants pour le secteur, règle­ment des dif­férends, suivi et con­trôle du respect par les opéra­teurs de leurs oblig­a­tions. En cas de non-respect par les opéra­teurs de leurs oblig­a­tions, l’Arcep peut être amenée à pronon­cer des sanctions ; 
  • Le suivi des évo­lu­tions de ces marchés et la pub­li­ca­tion de don­nées pour éclair­er les con­som­ma­teurs et les élus locaux au tra­vers de dif­férents out­ils : les obser­va­toires, les out­ils car­tographiques sur les réseaux fix­es (« Ma con­nex­ion inter­net ») et mobiles (« Mon réseau mobile »), l’application de détec­tion d’infractions à la neu­tral­ité du net (« Wehe »), la plate­forme de sig­nale­ment (« J’alerte l’Arcep »). L’ensemble de ces espaces sont à la dis­po­si­tion de tous et sont acces­si­bles en open data ; 
  • L’animation des secteurs régulés et la con­tri­bu­tion au dia­logue entre toutes les par­ties prenantes, à tra­vers des comités de con­cer­ta­tion sec­to­riels (opéra­teurs, four­nisseurs d’accès, acteurs de la dis­tri­b­u­tion de la presse…), des ren­con­tres régulières avec les élus, des ate­liers et des conférences.

Actuellement, où en est le déploiement de la 5G ? Quelles sont les prochaines étapes et les enjeux qui persistent ? 

En 2020 a eu lieu l’attribution pour la métro­pole de la bande de fréquences des 3,5 GHz, qui est la bande cœur de la 5G. Dès novem­bre 2020, qua­tre opéra­teurs mobiles ont été en mesure de lancer des offres com­mer­ciales et d’ouvrir des sites. Aujourd’hui, nous sommes encore dans une phase de démar­rage, même si ce dernier a été assez rapi­de. Fin 2021, les opéra­teurs ont mis en ser­vice entre 2 400 et 2 800 sites en util­isant cette bande. 

La 5G va per­me­t­tre d’accroître les débits notam­ment dans les zones où le réseau 4G est sat­uré. Le prochain enjeu va être de pou­voir libér­er toute la capac­ité de la 5G en matière d’innovation et au ser­vice de l’industrie. Le prochain jalon a été fixé en 2023 avec l’introduction par les prin­ci­paux opéra­teurs de la 5G dite stand­alone qui va per­me­t­tre l’émergence de nou­veaux types de services. 

Quatre ans après la signature du New Deal Mobile, quel bilan tirez-vous ? Quelles sont les perspectives ? 

Le bilan de cette ini­tia­tive est très posi­tif pour l’aménagement numérique du ter­ri­toire. Con­crète­ment, on a d’abord noté une général­i­sa­tion de la 4G portée par l’obligation pour les opéra­teurs d’équiper l’ensemble des sites en 4G à hori­zon fin 2020.

En 2021, ces efforts de déploiement ont été pour­suiv­is via le dis­posi­tif de cou­ver­ture ciblée : les opéra­teurs ont l’obligation dans un délai de deux ans d’étendre la cou­ver­ture à de nou­veaux sites iden­ti­fiés par arrêté du min­istre en charge des com­mu­ni­ca­tions élec­tron­iques. À ce stade, le New Deal Mobile n’a pas encore pro­duit tous ses effets car les déploiements vont se pour­suiv­re encore pen­dant plusieurs années. Toute­fois, on peut saluer la qual­ité du dia­logue entre l’État, les opéra­teurs et les col­lec­tiv­ités locales qui a per­mis de met­tre en place ce dis­posi­tif et d’identifier les zones pri­or­i­taires à couvrir. 

Dans le cadre du New Deal Mobile, le rôle de l’Arcep est de faire respecter les oblig­a­tions des opéra­teurs, d’assurer le suivi de la feuille de route et de veiller au déploiement en zones rurales dans la con­ti­nu­ité des engage­ments pris par les opéra­teurs à ce niveau. À cela s’ajoutent de forts enjeux dans les ter­ri­toires ultra-marins avec notam­ment l’attribution de nou­velles fréquences pour éten­dre la cou­ver­ture mobile. Nous avons aus­si un enjeu de trans­parence vis-à-vis du con­som­ma­teur qui relève, par ailleurs, de notre rôle de régu­la­teur. Cela passe notam­ment par la mise à dis­po­si­tion de don­nées, d’informations et de cartes de cou­ver­ture plus riches. 

L’actualité est aussi marquée par l’arrêt du réseau historique et la migration vers la fibre optique. Comment l’Arcep intervient-elle dans ce cadre ? 

Notre action cou­vre trois chantiers. D’abord, il s’agit de favoris­er l’achèvement de la cou­ver­ture du ter­ri­toire en fibre optique. C’est un chantier indus­triel qui est déjà en cours et qui avance à un rythme très élevé. En 2021, ont eu lieu de très forts déploiements qui ont égalé le record établi en 2020. Ce sont ain­si plus de 5 mil­lions de locaux sup­plé­men­taires qui ont été ren­dus rac­cord­ables et près de 14,5 mil­lions de locaux qui sont désor­mais rac­cordés à la fibre. Ces actions s’inscrivent dans le cadre de la stratégie gou­verne­men­tale d’accès au très haut débit et de général­i­sa­tion de la fibre optique. D’un point de vue opéra­tionnel, le ter­ri­toire est répar­ti en plusieurs zones :

Les zones les plus rurales où les opéra­teurs privés ont con­sid­éré que le déploiement de la fibre optique n’était pas rentable. Ces zones sont donc déployées sous le pilotage des col­lec­tiv­ités locales qui por­tent des pro­jets de réseau d’initiative publique sub­ven­tion­nés par l’État via le plan France Très Haut Débit, les col­lec­tiv­ités locales et l’Union européenne. Elles représen­tent près de 45% des locaux ;

Le reste du ter­ri­toire, soit un peu plus de la moitié des locaux, est com­posé des zones les plus dens­es où le déploiement du réseau est porté par les opéra­teurs privés (notam­ment par Orange et SFR). Plus de 85 % des locaux de cette zone ont été cou­verts à ce jour. Et sur les zones très dens­es et le cœur des grandes métrop­o­les, les opéra­teurs déploient le réseau jusqu’au pied des immeubles et là on enreg­istre plus de 88 % de locaux couverts.

Plus par­ti­c­ulière­ment dans les zones d’initiatives publiques, le déploiement s’est accéléré ces derniers mois alors que dans les zones d’initiative privée, nous obser­vons désor­mais un ralentissement.

Dans un sec­ond temps, l’Arcep veille au bon fonc­tion­nement du réseau et à la bonne qual­ité du ser­vice. Si les réseaux en fibre optique fonc­tion­nent très cor­recte­ment sur la grande majorité du ter­ri­toire, dans cer­taines zones, le niveau de qual­ité n’est pas sat­is­faisant ; des util­isa­teurs subis­sent des débranche­ments fréquents ; des armoires sont dégradées ; des nou­veaux clients ne parvi­en­nent pas à faire con­stru­ire leur rac­corde­ment au réseau…

Les alertes que nous recevons sont trop nom­breuses et témoignent de véri­ta­bles dif­fi­cultés dans ces zones. L’amélioration de la qual­ité de ser­vice est une de nos grandes pri­or­ités et cela con­cerne aus­si bien le réseau en cuiv­re, qui va encore fonc­tion­ner pen­dant plusieurs années, que le réseau en fibre optique.


L’arcep en bref

  • Un col­lège de 7 mem­bres nom­més par les Prési­dents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat 
  • 180 « Arcépi­ens », essen­tielle­ment des ingénieurs, juristes, écon­o­mistes, général­istes pas­sion­nés par les sujets télé­coms, numérique, postaux, presse…
  • 50 % de femmes à l’Arcep, y com­pris dans les postes de décision
  • + 50% investis dans les réseaux par les opéra­teurs télé­coms depuis 2014 (10,4 mil­liards d’euros en 2019)
  • 2e pays de l’OCDE en terme de prix abor­d­ables des télécoms
  • 90 000 sig­nale­ments reçus depuis décem­bre 2017 sur la plate­forme « J’alerte l’Arcep »

En 2019, l’Arcep a ain­si mis en place un groupe de tra­vail avec les opéra­teurs d’infrastructures et les opéra­teurs com­mer­ci­aux dans le cadre duquel les opéra­teurs ont adop­té en mars 2020 une pre­mière feuille de route sur la qual­ité, puis un plan d’action com­plé­men­taire a été pub­lié par l’Arcep en novem­bre 2021. Ces actions visent le développe­ment de nou­veaux out­ils per­me­t­tant un meilleur con­trôle de la qual­ité des rac­corde­ments par les opéra­teurs, le ren­force­ment de la for­ma­tion pour les inter­venants sur les réseaux, la mise en place de plans de reprise visant à remet­tre en con­for­mité les infra­struc­tures les plus dégradées… Sans ces actions d’optimisation, qui sont un gage de péren­nité du réseau et des investisse­ments con­sen­tis par tous les acteurs, publics et privés, nous ne pour­rons pas réus­sir la migra­tion du cuiv­re vers la fibre !

Enfin, dans un troisième temps, l’Arcep accom­pa­gne la fer­me­ture du réseau his­torique en cuiv­re, que l’opérateur Orange prévoit de réalis­er d’ici à 2030, et la migra­tion vers la fibre optique. L’Arcep sou­tient ce pro­jet pour des raisons de per­for­mance tech­nique et d’efficacité dans un con­texte d’obsolescence de l’infrastructure his­torique : il ne serait, en effet, pas per­ti­nent de con­serv­er durable­ment deux réseaux filaires. Plusieurs actions ont été engagées pour pré­par­er cette bas­cule avec des expéri­men­ta­tions de fer­me­ture lancées par Orange.

Comment abordez-vous la question environnementale ? 

L’empreinte envi­ron­nemen­tale du numérique est un sujet qui a gag­né en vis­i­bil­ité et en impor­tance au cours des dernières années. L’Arcep a souhaité s’en saisir pleine­ment afin d’établir un nou­veau chapitre de la régu­la­tion. En 2019, nous avons réal­isé un baromètre numérique qui a révélé une évo­lu­tion de l’opinion publique à ce sujet : en 2019, 38 % de la pop­u­la­tion française con­sid­érait le numérique comme une chance pour l’environnement con­tre 53 % des Français une décen­nie plus tôt. On assiste à une véri­ta­ble prise de con­science sur ce sujet et sur la néces­sité de chang­er les pratiques.

En effet, le numérique représente une part sig­ni­fica­tive des émis­sions de gaz à effet de serre (2,5 % en France) et cette pro­por­tion est en con­stante crois­sance. Des études esti­ment que les émis­sions du numérique vont aug­menter de 60 % à hori­zon 2040, soit représen­ter 6 à 7 % de l’empreinte car­bone nationale.

En 2020, l’Arcep a lancé la plate­forme « Pour un numérique souten­able » en parte­nar­i­at avec des asso­ci­a­tions, des insti­tu­tion­nels et des entre­pris­es du secteur du numérique. Cette démarche s’est notam­ment traduite par l’organisation d’ateliers qui ont per­mis des échanges entre les dif­férentes par­ties prenantes. Elle a aus­si don­né lieu à un rap­port pub­lié fin 2020 présen­tant trois axes : l’amélioration de la capac­ité de pilotage de l’empreinte envi­ron­nemen­tale numérique par les pou­voirs publics, l’intégration des enjeux envi­ron­nemen­taux dans les actions de régu­la­tion de l’Arcep, le ren­force­ment de l’incitation des acteurs économiques, privés, publics et des con­som­ma­teurs. 

Aujourd’hui, l’axe pri­or­i­taire est celui de la mise en place d’outils de mesure per­ti­nents. Dans ce cadre, nous tra­vail­lons notam­ment avec l’Ademe sur dif­férents pro­jets (out­ils, méthodolo­gies…). Cette col­lab­o­ra­tion résulte, par ailleurs, d’une let­tre mis­sion adressée par le gou­verne­ment en août 2020 à l’Ademe et l’Arcep. Les pre­miers résul­tats remis en jan­vi­er 2022 démon­trent la place impor­tante des ter­minaux util­isa­teurs dans cette empreinte envi­ron­nemen­tale : plus de ¾ de l’empreinte car­bone glob­ale du numérique.

Cette ques­tion doit être appréhendée par l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Nous avons lancé la col­lecte de don­nées envi­ron­nemen­tales auprès des opéra­teurs en 2020, qui a don­né lieu à la pub­li­ca­tion de la pre­mière édi­tion de notre enquête annuelle pour un numérique souten­able en avril 2022. Dans les mois à venir, la col­lecte de don­nées sera éten­due à l’ensemble des acteurs du numérique (four­nisseurs de ser­vice de com­mu­ni­ca­tion en ligne, exploitants de cen­tre de don­nées, fab­ri­cants de ter­minaux…). La 2e édi­tion de l’enquête annuelle pour un numérique souten­able, qui inté­grera des indi­ca­teurs sur l’impact envi­ron­nemen­tal de ces acteurs, est prévue courant 2023. En par­al­lèle, des ate­liers dans le cadre la plate­forme « Pour un numérique souten­able » sont aus­si prévus afin de tra­vailler sur les indi­ca­teurs les plus per­ti­nents pour ali­menter cette enquête. 

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