Schéma d'un réseau de câbles sous-marins

Les réseaux de communication sous-marins, au cœur du monde digital de demain

Dossier : Dossier FFEMagazine N°732 Février 2018
Par Philippe PIRON (D2000)
Par Paul GABLA (X83)
Par Olivier GAUTHERON (83)

UNE EMPRISE CROISSANTE AU FIL DES DEUX DERNIERS SIÈCLES

Depuis un siècle et demi, les télé­com­mu­ni­ca­tions inter­con­ti­nen­tales se sont déve­lop­pées grâce aux câbles sous-marins. L’essor des échanges com­mer­ciaux mon­dia­li­sés a dopé la den­si­fi­ca­tion de ces réseaux, évo­luant de la paire de cuivre à la tech­no­lo­gie coaxiale et enfin à la fibre optique, avec un essor consi­dé­rable ces der­nières années. 

Aujourd’hui, loin devant le satel­lite (réser­vé aux solu­tions d’accès ou de dif­fu­sion télé­vi­suelle), plus de 99 % du tra­fic inter­con­ti­nen­tal voix et don­nées confon­dues s’effectue via des câbles sous-marins. 

Plus de 350 liai­sons, tota­li­sant près d’un mil­lion de km assurent les trans­mis­sions du monde entier, avec des capa­ci­tés de l’ordre de 200 Tbit/s par liai­son pour les plus récentes (soit 20 000 fois la capa­ci­té du pre­mier câble trans­at­lan­tique optique) avec un niveau de fia­bi­li­té per­met­tant une durée d’exploitation de plus de 25 ans. 

LES RÉSEAUX SOUS-MARINS AU CŒUR DE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

Conçus ini­tia­le­ment pour trans­mettre des signaux télé­gra­phiques, les réseaux sous-marins véhi­culent désor­mais des don­nées numé­riques à très haut débit, depuis les simples échanges de cour­riels jusqu’à la vidéo haute défi­ni­tion. La supé­rio­ri­té tech­no­lo­gique des réseaux sous-marins à fibre optique a atti­ré l’attention des acteurs « Over The Top » tels que Face­book, Google, Ama­zon ou Microsoft. 

D’un mar­ché his­to­ri­que­ment domi­né par les grands opé­ra­teurs télé­coms pour com­mer­cia­li­ser du trans­port de don­nées, le sec­teur des réseaux sous-marins sert aujourd’hui les besoins propres des OTT. En effet, si la crois­sance inter­na­tio­nale du tra­fic IP conti­nue de croître à des taux plus qu’enviables (+22 % par an), le déve­lop­pe­ment du tra­fic entre centres de don­nées (+44 % par an) a défi­ni­ti­ve­ment pris le pas sur les échanges « d’homme à homme ». 

En effet, du fait de l’implantation conti­nen­tale des « méga data­cen­ters », la sécu­ri­sa­tion des don­nées exige des sto­ckages simul­ta­nés en dif­fé­rents endroits de la pla­nète et un trans­fert per­ma­nent de don­nées afin de mini­mi­ser le coût d’exploitation de ces datacenters. 

Pour répondre aux besoins crois­sants de capa­ci­té, de connec­ti­vi­té et de flexi­bi­li­té, les routes sous-marines se mul­ti­plient afin d’offrir une rési­lience accrue. 

De 1998 à 2009, grâce au mul­ti­plexage en lon­gueur d’onde, la capa­ci­té de trans­mis­sion d’une fibre sous-marine est pas­sée de 20 Gbit/s (8 lon­gueurs d’onde modu­lées cha­cune en inten­si­té à 2,5 Gbit/s) à 1 Tbit/s (100 lon­gueurs d’onde à 10 Gbit/s).

Avec l’arrivée de la tech­no­lo­gie de détec­tion cohé­rente en 2010 qui per­met de détec­ter désor­mais, en plus de l’intensité, la phase et la pola­ri­sa­tion du champ élec­tro­ma­gné­tique, il est pos­sible d’utiliser des for­mats de modu­la­tion — com­bi­nant codage en phase et en inten­si­té au mul­ti­plexage en pola­ri­sa­tion — por­tant cette capa­ci­té à 20 Tbit/s par fibre, soit 200 Tbit/s pour un câble com­por­tant 10 fibres optiques par sens de transmission. 

Par ailleurs, les liai­sons sont équi­pées d’unités de rac­cor­de­ment en mer capables de redi­ri­ger à la demande tout ou par­tie du tra­fic entre les dif­fé­rentes sta­tions d’extrémité connec­tées au réseau terrestre. 

Outre les appli­ca­tions de télé­com­mu­ni­ca­tions, l’introduction de la fibre au sein des réseaux sous-marins per­met d’offrir de nou­velles fonc­tion­na­li­tés en connec­tant des sen­seurs externes à la liai­son (hydro­phones, accé­lé­ro­mètres…) ou en uti­li­sant la fibre elle-même en tant que cap­teur intrin­sèque, sen­sible aux ondes acous­tiques, vibra­toires, etc. 

Les réseaux sous-marins ne connectent plus seule­ment le monde de conti­nent à conti­nent, ils per­mettent éga­le­ment de son­der les fonds en recherche sis­mique et d’assurer la sécu­ri­té des infra­struc­tures cri­tiques mili­taires ou civiles. 

DES GRANDS PROJETS D’INGÉNIERIE COMPLEXES

L’industrie de ces réseaux s’est struc­tu­rée autour de sys­té­miers inté­grés ver­ti­ca­le­ment qui pro­posent des solu­tions clés en main, incluant à la fois la concep­tion, la fabri­ca­tion, l’installation ter­restre et marine, ain­si que l’exploitation et la main­te­nance du sys­tème com­plet pen­dant sa durée de vie. 

Un sys­tème sous-marin est consti­tué de dif­fé­rents éléments : 

  • une sec­tion ter­restre (« Dry Plant ») com­po­sée de l’alimentation haute ten­sion (15 kV) de la liai­son sous-marine, des ter­mi­naux et des réseaux de trans­mis­sion ter­restres connec­tant les centres de don­nées (points de pré­sence « PoP ») aux sta­tions d’atterrage des câbles.
    Le cœur des ter­mi­naux est consti­tué du mul­ti­plexage de plu­sieurs lon­gueurs d’onde modu­lées à très haut débit. Grâce à la com­bi­nai­son de la détec­tion optique cohé­rente et du trai­te­ment numé­rique du signal, il est pos­sible de coder à la fois l’amplitude et la phase de cha­cun des deux axes de pola­ri­sa­tion de chaque lon­gueur d’onde optique. Comme en radio, il est pos­sible de trans­mettre plu­sieurs bits par sym­bole émis et le codage est adap­té à la dis­tance de transmission.
    Plus récem­ment, des tech­niques dites « Pro­ba­bi­lis­tic Constel­la­tion Sha­ping » per­mettent d’imaginer que d’ici deux à trois ans, la capa­ci­té de trans­mis­sion sur une fibre optique aura atteint la limite théo­rique énon­cée par Shan­non en 1948. 
  • une sec­tion sous-marine (« Wet Plant ») com­pre­nant le câble sous-marin inté­grant la liai­son optique et les dif­fé­rents équi­pe­ments opto­élec­tro­niques immer­gés (répé­teurs, uni­tés de rac­cor­de­ment, sen­seurs…). En effet, pour com­pen­ser l’atténuation de la fibre, le signal optique est pério­di­que­ment ampli­fié par des ampli­fi­ca­teurs optiques à fibre dopée Erbium (« EDFA ») dont l’espacement varie entre 60 et 130 km sui­vant la lon­gueur du réseau et la capa­ci­té trans­mise. Ces répé­teurs sont conçus pour fonc­tion­ner durant 25 ans sans défaut, car toute panne entraî­ne­rait l’arrêt du trafic.
    Un répé­teur peut conte­nir jusqu’à 32 EDFAs et doit pos­sé­der les pro­prié­tés de résis­tance à la pres­sion (800 bar cor­res­pon­dant à 8000 m d’immersion), de tenue à la ten­sion élec­trique (15 kV) et d’étanchéité à l’eau ain­si qu’à l’hydrogène.
    Le câble à pro­pre­ment par­ler est com­po­sé d’un tube d’acier inoxy­dable de 2 mm de dia­mètre conte­nant les 32 fibres optiques pro­té­gées par un gel, une voûte consti­tuée d’une tor­sade de fils d’acier des­ti­nés à garan­tir la résis­tance à la pres­sion et à la tor­sion lors du lovage en usine ou sur le navire, d’un conduc­teur de 0,5 mm d’épaisseur et d’1,0 ohm/km de résis­ti­vi­té qui per­met d’alimenter en cou­rant conti­nu (1 A) les répé­teurs depuis les sta­tions d’atterrage, d’un enro­bage de poly­éthy­lène des­ti­né à assu­rer l’isolation élec­trique entre le conduc­teur et l’eau de mer, et enfin d’une armure pro­tec­trice com­po­sée de torons d’aciers d’un dia­mètre de 3 mm main­te­nus par un com­po­site de gou­dron et de fibres polypropylène. 

La concep­tion de la liai­son implique de trou­ver les meilleurs com­pro­mis de route et d’ensouillage en fonc­tion des contraintes bathy­mé­triques et des menaces sous-marines (sis­miques, cha­lu­tage, ancrage…) tout en gar­dant le meilleur ratio vitesse/contraintes de pose par le navire câblier. 

Le tout est recet­té sur la base d’une per­for­mance optique de bout en bout : capa­ci­té, latence, traitement/reconnaissance du signal trans­mis… Les sys­té­miers doivent alors maî­tri­ser plu­sieurs dizaines de corps de métiers dif­fé­rents, depuis l’ingénierie sys­tème jusqu’aux com­pé­tences élec­tro­niques, optiques, méca­niques, ther­miques, élec­triques, fia­bi­li­té, en pas­sant par l’ingénierie marine ou la conduite de grands pro­jets d’infrastructures.

La maî­trise de ce très grand éven­tail de com­pé­tences a don­né lieu à une concen­tra­tion autour de trois grands acteurs : Alca­tel Sub­ma­rine Net­works, TE Sub­com et NEC. Ils dis­posent de capa­ci­tés de R&D impor­tantes (entre 5 et 8 % du CA), de moyens indus­triels consé­quents et de flottes de navires avec leurs équi­pe­ments spé­cia­li­sés (drônes, engins sous-marins télé­gui­dés) néces­saires à la pose ain­si qu’à la main­te­nance des sys­tèmes déployés. 

DES INFRASTRUCTURES SOUTENANT LES APPLICATIONS TEMPS-RÉEL DE DEMAIN

La per­for­mance tech­no­lo­gique des sys­tèmes à fibre optique aug­mente de façon conti­nue, afin de ser­vir des appli­ca­tions de plus en plus gour­mandes en bande pas­sante : réseaux mobiles 4G/5G, strea­ming vidéo ultra-haute défi­ni­tion (8K), objets connectés/M2M, tran­sac­tions finan­cières à haute fréquence. 

La ten­dance devrait conti­nuer à s’accélérer : de nou­velles appli­ca­tions temps-réel, comme la réa­li­té vir­tuelle, la réa­li­té aug­men­tée ou encore les véhi­cules auto­nomes, exi­ge­ront des futurs réseaux inter­na­tio­naux un bond impor­tant en matière de capa­ci­té et de réduc­tion des temps de latence. Par exemple, les appli­ca­tions de réa­li­té vir­tuelle et de réa­li­té aug­men­tée (si pos­sible en 360° inter­ac­tive !) exigent une bande pas­sante 25 fois plus éle­vée que le strea­ming vidéo en HD, ain­si qu’un temps de latence réduit à moins de 0,1 ms afin d’offrir flui­di­té et réalisme. 

D’autres appli­ca­tions dyna­miques tendent à cou­vrir des besoins socié­taux appor­tant aux ter­ri­toires les plus iso­lés les bien­faits du e‑learning inter­ac­tif, de la télé­mé­de­cine ou de la tra­duc­tion simul­ta­née automatisée. 

Le volume de don­nées trans­por­té d’ici 2025 devrait ain­si être mul­ti­plié par 60, tout en amé­lio­rant le niveau de sécu­ri­sa­tion (redon­dance et chif­frage des don­nées) et de rési­lience des réseaux. 

Après plus d’un siècle, il est pour le moins fas­ci­nant que ce sec­teur, à la croi­sée des indus­tries méca­niques, navales, élec­tro­niques et optiques, soit tou­jours au cœur des évo­lu­tions tech­no­lo­giques les plus avancées. 

Les réseaux sous-marins ont su pré­emp­ter des tech­no­lo­gies d’avant-garde, tout en pré­ser­vant leur ADN d’infrastructures à très haute fia­bi­li­té. Car la bonne marche du monde entier en dépend !

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