Pose de câbles de réseaux sous-marins

Les réseaux sous-marins : un enjeu technologique et de souveraineté nationale

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°789 Novembre 2023
Par Paul GABLA (X83)

Dans un monde en con­stante évo­lu­tion, où la demande pour des infra­struc­tures numériques ne cesse de croître, le secteur des réseaux sous-marins se trou­ve en pre­mière ligne pour répon­dre à ces impérat­ifs. Alca­tel Sub­ma­rine Net­works, leader mon­di­al dans ce domaine, con­solide sa posi­tion pour répon­dre effi­cace­ment à cette crois­sance. Entre­tien avec Paul Gabla (X83), Vice-Prési­dent Sales & Mar­ket­ing de ce cham­pi­on européen.

Quelles sont les domaines d’expertise de votre entreprise ?

Alca­tel Sub­ma­rine Net­works se posi­tionne comme leader mon­di­al dans le domaine des réseaux sous-marins à fibre optique. En plus de nos activ­ités télé­coms qui demeurent notre cœur de méti­er, nous avons égale­ment dévelop­pé des solu­tions et appli­ca­tions spé­ci­fiques des­tinées aux secteurs de l’énergie, de l’exploitation et pro­duc­tion pétrolière et gazière.

Dans le secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions, nous relions les pays entre eux avec des réseaux à fibre optique à très haute capac­ité. Ces réseaux for­ment l’ossature de l’Internet que nous util­isons quo­ti­di­en­nement. Selon les esti­ma­tions des ana­lystes, plus de 98% des échanges de don­nées inter­na­tionaux tran­si­tent par ces câbles sous-marins. Déployée sur l’ensemble de la planète, cette infra­struc­ture relie pra­tique­ment tous les pays au sein d’un réseau haute­ment mail­lé. Nous avons égale­ment éten­du notre exper­tise au secteur de l’Energie depuis une quin­zaine d’années. Nous tra­vail­lons avec les opéra­teurs et les four­nisseurs de ce marché, qui sont générale­ment aus­si des four­nisseurs d’énergie, en leur four­nissant des appli­ca­tions conçues pour opti­miser les opéra­tions sur leurs plate­formes off­shore. Dans ce cadre, nous con­nec­tons ces plate­formes au con­ti­nent à l’aide de réseaux et de câbles à fibre optique haute capac­ité, facil­i­tant ain­si le trans­fert d’informations et la ges­tion à dis­tance des instal­la­tions. Nous avons innové en dévelop­pant des tech­nolo­gies basées sur des senseurs à fibre optique. Ces tech­nolo­gies ouvrent la voie à de nou­velles appli­ca­tions telles que la détec­tion d’évènements sis­miques, la car­togra­phie du taux de rem­plis­sage des puits pétroliers, et la sur­veil­lance en temps réel des câbles et des instal­la­tions sous-marines.

Aujourd’hui, nous sommes l’un des qua­tre plus grands fab­ri­cants mon­di­aux de réseaux de câbles sous-marins ; nous sommes lead­ers en ter­mes de parts de marché et cham­pi­on européen sur ce secteur. Nous comp­tons près de 2 000 col­lab­o­ra­teurs répar­tis sur plusieurs sites en Europe. Notre cen­tre de R&D est situé en région parisi­enne et notre usine dédiée à la fab­ri­ca­tion de câbles sous-marins est implan­tée à Calais dans le nord de la France. Notre usine spé­cial­isée dans les équipements immergés se trou­ve à Green­wich, à prox­im­ité de Lon­dres. Nous dis­posons égale­ment d’un site en Norvège, dédié à nos activ­ités dans le secteur de l’Energie.

À ce jour, depuis l’introduction de la fibre optique dans les câbles de télé­com­mu­ni­ca­tions il y a près de quar­ante ans, nous avons déployé plus de 750 000 kilo­mètres de câbles à fibre optique.

Aujourd’hui, dans le monde des infrastructures numériques, comment résumeriez-vous votre positionnement ?

ASN est une entre­prise spé­cial­isée dans la con­struc­tion de l’infrastructure sous-marine qui con­stitue le socle d’Internet. Cette infra­struc­ture per­met non seule­ment aux ordi­na­teurs, aux smart­phones, et aux appli­ca­tions de fonc­tion­ner effi­cace­ment, mais elle facilite égale­ment le trans­port de grands vol­umes de données. 

Les réseaux que nous déployons jouent un rôle cru­cial dans la con­nex­ion des pays et leurs com­mu­ni­ca­tions inter­na­tionales telles que la télé­phonie et les trans­ferts de don­nées. Ils ser­vent égale­ment à inter­con­necter les data cen­ters des dif­férents acteurs du monde numérique d’aujourd’hui, y com­pris les opéra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tion et les géants de la tech comme les GAFAM. Nos solu­tions con­stituent une com­posante indis­pens­able de l’infrastructure glob­ale des télé­com­mu­ni­ca­tions. Les préoc­cu­pa­tions récentes con­cer­nant le risque que la Russie puisse inter­rompre la fonc­tion­nal­ité des câbles sous-marins en rai­son du con­flit en Ukraine ont mis en évi­dence l’importance stratégique et cri­tique de ces infra­struc­tures que nous met­tons à la dis­po­si­tion de nos par­ties prenantes. 

Ces réseaux sous-marins facili­tent l’accès aux infra­struc­tures mod­ernes et aux ser­vices asso­ciés pour tous les pays du monde. Au-delà de leur rôle essen­tiel dans le fonc­tion­nement d’Internet, les com­mu­ni­ca­tions et l’accès aux don­nées, ces infra­struc­tures per­me­t­tent égale­ment de soutenir le développe­ment de nou­veaux usages gour­mands en bande pas­sante : télémédecine, cours à dis­tance, visioconférences… 

Ces infra­struc­tures offrent égale­ment la pos­si­bil­ité à des ter­ri­toires insu­laires et à des zones géo­graphique­ment enclavées d’accéder à ces ser­vices mod­ernes, con­tribuant ain­si à l’amélioration de la qual­ité de vie des pop­u­la­tions locales. Nous avons, par exem­ple, déployé des réseaux sous-marins dans des régions par­ti­c­ulière­ment inhos­pi­tal­ières telles que le nord du Cana­da, où exis­tent des ter­ri­toires glacés abri­tant des vil­lages très isolés ayant un besoin cru­cial de ces réseaux pour se con­necter au reste du monde.

Fin 2022, vous avez déployé le plus grand réseau de 5G industrielle d’Europe. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Effec­tive­ment ! Nous avons déployé dans notre usine de câbles sous-marins de Calais, un réseau 5G privé entière­ment sécurisé, isolé du monde extérieur pour empêch­er tout échange de don­nées non autorisé. La mise en place de ce réseau indus­triel 5G ouvre la voie à l’introduction de nou­velles fonc­tion­nal­ités et de nou­velles méth­odes opéra­tionnelles au sein de l’entreprise. Par exem­ple, il nous per­me­t­tra de numéris­er cer­tains de nos proces­sus de fab­ri­ca­tion et de faciliter la cir­cu­la­tion de vol­umes impor­tants de don­nées en interne. 

Dans cette optique, nous avons dévelop­pé des appli­ca­tions haute­ment spé­cial­isées. Nous avons notam­ment mis en place des sys­tèmes de cap­teurs pour mesur­er en temps réel et cen­tralis­er les don­nées sur le taux de rem­plis­sage de nos cuves de stock­age de câbles. L’accès à une don­née en temps réel offre une vision extrême­ment pré­cise de la répar­ti­tion de nos stocks dans les dif­férentes cuves. Nous avons égale­ment mis en place des sys­tèmes d’assistance ou de main­te­nance à dis­tance, grâce à l’utilisation de lunettes con­nec­tées via ce réseau 5G. Ce dis­posi­tif nous per­met d’effectuer des inter­ven­tions à dis­tance ou de fournir une assis­tance en temps réel à un col­lab­o­ra­teur au sein de l’usine.

À terme, notre ambi­tion est de déploy­er ce réseau 5G interne sur l’ensemble de nos sites de pro­duc­tion. Notre objec­tif est de par­venir à une exploita­tion « zéro papi­er « et de cap­i­talis­er sur des don­nées en temps réel pour garan­tir une pro­duc­tion aus­si per­for­mante et agile que possible. 

En parallèle, quels sont les autres projets et chantiers qui vous mobilisent actuellement ?

Nous sommes actuelle­ment engagés dans plusieurs pro­jets et chantiers d’envergure. Le plus ambitieux d’entre eux est le réseau 2Africa, un pro­jet de câble sous-marin long de 45 000 km et qui fait le tour com­plet de l’Afrique. Le sys­tème 2Africa con­necte pra­tique­ment tous les pays côtiers du con­ti­nent au réseau mon­di­al sous-marin en util­isant des tech­nolo­gies de pointe dotées des plus hautes capac­ités tech­niques. Ce réseau s’étend jusqu’à Lon­dres, en Inde, au Pak­istan et dans les pays du Golfe. La durée totale de réal­i­sa­tion de ce pro­jet est de 5 ans.

En par­al­lèle, nous sommes égale­ment engagés dans deux autres pro­jets majeurs. Le pre­mier vise à con­necter l’Inde à l’Italie en pas­sant par les pays du Golfe, tan­dis que le sec­ond relie Sin­gapour aux États-Unis. 

Nous nous sommes égale­ment lancés dans un pro­jet indus­triel struc­turant pour l’entreprise, visant à aug­menter sig­ni­fica­tive­ment nos capac­ités de pro­duc­tion et d’installation au cours des trois prochaines années. Afin d’y par­venir, nous avons réal­isé un investisse­ment de plusieurs dizaines de mil­lions d’euros des­tiné à mod­erniser et aug­menter la capac­ité de pro­duc­tion de nos usines à Calais et à Green­wich, près de Lon­dres. Par ailleurs, nous avons mis en ser­vice deux nou­veaux navires dédiés, l’un à la pose de câbles et l’autre à la main­te­nance et répa­ra­tion de ces câbles. 

Et pour relever l’ensemble de ces défis, quels sont les talents que vous recherchez ? 

Nous nous sommes engagés dans une démarche de renou­velle­ment de notre vivi­er de com­pé­tences et de tal­ents. Nous opérons dans une indus­trie très pointue, tech­nique et spé­ci­fique. Nos métiers requièrent un haut niveau d’expertise et sont aus­si très pas­sion­nants et enrichissants. Nos col­lab­o­ra­teurs sont exposés à une grande diver­sité géo­graphique et cul­turelle. Tous ces fac­teurs expliquent d’ailleurs pourquoi nous avons un faible taux de turn-over ! 

Notre enjeu est de raje­u­nir nos équipes tout en pré­parant la relève de nos col­lab­o­ra­teurs en passe de par­tir à la retraite. Nous sommes à la recherche de jeunes ingénieurs ayant une forte appé­tence pour les domaines tech­niques, mais égale­ment pour la recherche et le développe­ment afin de per­fec­tion­ner nos pro­duits et solu­tions. Notre départe­ment R&D est pluridis­ci­plinaire et rassem­ble de nom­breux experts : des opti­ciens, des élec­tron­i­ciens, des infor­mati­ciens, des développeurs de logi­ciels, des mécani­ciens, des ingénieurs spé­cial­isés en ther­mique, en trans­mis­sion… Nous cher­chons égale­ment des pro­fils ori­en­tés vers l’industrie, la sup­ply-chain et la main­te­nance, ain­si que toutes les com­pé­tences tech­niques néces­saire au bon fonc­tion­nement d’un navire. De plus, nous avons des besoins dans des domaines var­iés tels que l’environnement mar­itime, le juridique, et le commercial.

Et pour conclure, comment vous projetez-vous ?

Nous sommes au cœur d’un développe­ment extrême­ment rapi­de des réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tion, stim­ulé par l’explosion des échanges de don­nées, du cloud, des out­ils de com­mu­ni­ca­tion, de l’Internet des objets, de l’intelligence arti­fi­cielle, du meta­verse, et de la réal­ité virtuelle et aug­men­tée. Nous sommes con­va­in­cus que cette ten­dance va s’intensifier à court et moyen termes.

Par­al­lèle­ment, notre activ­ité revêt une dimen­sion géopoli­tique très forte. Les câbles sous-marins sont désor­mais recon­nus comme un act­if stratégique par les États et divers écosys­tèmes géo­graphiques. Afin de garan­tir l’indépendance stratégique du secteur des télé­coms en Europe et en France, il est essen­tiel, voire impératif, de dis­pos­er d’un acteur fort dans le domaine des réseaux sous-marins et des télé­coms en général. Dans ce con­texte, notre ambi­tion est d’être ce cham­pi­on européen qui assur­era la sou­veraineté européenne en la matière.

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