CD Martha Argerich

Jeunesse

Dossier : Arts,Lettres et SciencesMagazine N°721 Janvier 2017Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Rimbaud, mort à trente-sept ans, avait vingt ans lorsqu’il écri­vit son der­nier poème. C’est à l’âge de seize ans que Menu­hin a été le plus bou­le­ver­sant. En revanche, Mozart, enfant pro­dige, a com­po­sé ses œuvres les plus fortes dans ses der­nières années. 

Le génie jaillit tou­jours dans la fraî­cheur de la jeu­nesse, quand tout est encore pos­sible ; mais tenir la dis­tance et faire mieux encore dans l’âge mûr est le pri­vi­lège de quelques rares élus. 

MARTHA ARGERICH

À huit ans, Mar­tha Arge­rich jouait en concert le Concer­to en ré mineur de Mozart. Aujourd’hui, à 75 ans, son jeu n’a jamais été aus­si juvé­nile, ter­ri­fiant de vir­tuo­si­té maî­tri­sée. Écou­tez à l’aveugle n’importe lequel de ses enre­gis­tre­ments : vous recon­naî­trez entre mille ce jeu à la fois aérien et per­cu­tant, cette tech­nique d’acier et ces tem­pos ver­ti­gi­neux, cette pré­ci­sion extrême – avec une uti­li­sa­tion très rare de la pédale forte – et aus­si cette sen­si­bi­li­té à fleur de peau. 

Arge­rich domine l’instrument pia­no comme seul, peut-être, Horo­witz avant elle. War­ner publie une rétros­pec­tive1 de l’ensemble des enre­gis­tre­ments réa­li­sés au cours du temps pour les labels EMI, Era­to et Tel­dec (à l’exception des enre­gis­tre­ments live du fes­ti­val de Luga­no, qui ont été cités au fil du temps dans ces colonnes). 

On y trouve : 

  • de Cho­pin, l’enregistrement mythique de 1965, avec notam­ment la Sonate n° 3 en si mineur, le 3e Scher­zo, la Polo­naise en la bémol majeur ; et les deux Concer­tos enre­gis­trés en 1999 ; 
  • de Schu­mann, les Fan­ta­siestücke op. 12 et 73, le Concer­to (cou­plé avec le rare Concer­to pour vio­lon par Gidon Kre­mer), le Quin­tette avec pia­no, les Scènes d’enfants, la 2e Sonate pour vio­lon et pia­no, entre autres ; 
  • de Pro­ko­fiev, les Concer­tos 1 et 3 et la 7e Sonate, de Bar­tok le 3e Concer­to et la Sonate ;
  • de Brahms, les Varia­tions sur un thème de Haydn, la rare Sonate pour 2 pia­nos, 5 Valses op. 39 ;
  • de Mozart, les Concer­tos 19, 20, 25, le Concer­to pour 2 pia­nos avec Alexandre Rabinovitch ; 
  • de Bee­tho­ven, la Sonate à Kreut­zer avec Itz­hak Perl­man et le 1er Concer­to ;
  • de Fal­la, les Nuits dans les jar­dins d’Espagne ;
  • de Mes­siaen, les Visions de l’Amen ;
  • de Ravel, la Sona­tine, Gas­pard de la nuit et La Valse (à deux pia­nos avec Alexandre Rabinovitch) ; 
  • la Sonate de Franck avec Perl­man et la même trans­crite au vio­lon­celle avec Mischa Maisky ; 
  • et nombre de pièces de Bach, Debus­sy, Liszt, Koda­ly, Scar­lat­ti, Dukas, Richard Strauss. 

Les concer­tos sont accom­pa­gnés par divers orchestres dont le Sym­pho­nique de Mont­réal (dir. Charles Dutoit) et le Cham­ber Orches­tra of Europe (dir. Niko­laus Harnoncourt). 

D’une œuvre à l’autre, d’une année à l’autre, on reste sous le charme, stu­pé­fait par ces inter­pré­ta­tions sans cesse renou­ve­lées, par cette per­fec­tion de la forme, cette géné­ro­si­té écla­tante ; une éter­nelle jeunesse. 

CARL PHILIPP EMANUEL BACH

CD CARL PHILIPP EMANUEL BACH à la flute Emmanuel PahudEmma­nuel Pahud, pre­mier flû­tiste du Phil­har­mo­nique de Ber­lin, fran­çais (et suisse), est sans doute le meilleur flû­tiste de sa géné­ra­tion, le digne suc­ces­seur de Jean-Pierre Rampal. 

Il vient d’enregistrer trois des concer­tos pour flûte de CPE Bach avec la Kam­me­ra­ka­de­mie Pots­dam diri­gée du cla­ve­cin par Tre­vor Pin­nock2.

La musique de CPE Bach, né en 1714 quand Jean- Sébas­tien avait 29 ans et mort trois ans avant Mozart, musique réso­lu­ment clas­sique, garde encore des traces du style baroque. Mais elle se dis­tingue sur­tout, tout par­ti­cu­liè­re­ment dans ces concer­tos pour flûte, par son jaillis­se­ment et son inven­ti­vi­té, arché­type, pour nous, du style galant et brillant du XVIIIe siècle. 

Pahud, avec l’âge mûr (il a 46 ans), n’a rien per­du de son brio ni de sa tech­nique vir­tuose, indis­pen­sable pour jouer ces pièces com­plexes et exi­geantes. Mais il a gar­dé aus­si cette can­deur, cette sin­cé­ri­té qui rap­pellent ce que disait Romain Gary : ce qu’il y a de plus fort dans un homme, c’est le petit gar­çon non qu’il a été mais qu’il est resté. 

DUTILLEUX – SZYMANOWSKI

La musique d’Henri Dutilleux n’est pas facile. Ato­nale, pro­fon­dé­ment ori­gi­nale, elle ne relève d’aucune école. 

CD DUTILLEUX – SZYMANOWSKI au piano Maroussia GentetDutilleux a rela­ti­ve­ment peu écrit pour le pia­no, mais la meilleure façon d’aborder sa musique est d’écouter la Sonate pour pia­no, que vient d’enregistrer Marous­sia Gen­tet, avec trois Pré­ludes et aus­si Masques de Szy­ma­nows­ki3.

Pas­sé la pre­mière sur­prise, on prend conscience de la filia­tion évi­dente avec Debus­sy, Ravel et même Fau­ré : une musique poé­tique qui s’adresse à la sen­si­bi­li­té de l’auditeur et le touche par des har­mo­nies sub­tiles et des ful­gu­rances inat­ten­dues. Il y a aus­si des rémi­nis­cences de Bar­tok dans les pas­sages où le pia­no est trai­té comme un ins­tru­ment de percussion. 

Szy­ma­nows­ki, lui aus­si, est d’abord connu pour sa musique sym­pho­nique (son très beau Concer­to pour vio­lon, sa 3e Sym­pho­nie). Il dis­pa­raît en 1937, la même année que Ravel ; Masques se situe, d’une cer­taine manière, à l’intersection des musiques de Ravel, Debus­sy et Scria­bine : musique raf­fi­née et éli­tiste que l’on pour­rait appa­ren­ter, en pein­ture, à Klimt. 

Ser­vie par une qua­li­té d’enregistrement excep­tion­nelle, Marous­sia Gen­tet inter­prète ces pièces, qui néces­sitent un tou­cher très fin, avec une grande sen­si­bi­li­té et une extrême précision. 

Elle est jeune et c’est un nom qu’il fau­dra suivre avec attention. 

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1. 20 CD Warner.
2. 1 CD Warner.
3. 1 CD Passavant.

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