Éclectisme

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°531 Janvier 1998Rédacteur : Jean SALMONA (56)

… En hiv­er aus­si, et en musique tout comme en lit­téra­ture : vous musardez autour des rayons de votre bib­lio­thèque, hési­tant pour vous accom­pa­g­n­er avant de trou­ver le som­meil entre Tristes tropiques, L’Éducation sen­ti­men­tale et Du côté de Guer­mantes, tous cent fois lus et relus, et vous allez pren­dre, en défini­tive, un Ray­mond Chan­dler aperçu par hasard et dont vous feignez d’avoir oublié le déroule­ment. De même, vous songiez à l’Art de la fugue, et vous allez écouter Nino Rota…

Nino Rota et quelques autres

Vous avez des réminis­cences d’Amar­cord et autres Huit et demi, ou du Molière imag­i­naire pour le bal­let de Béjart, et vous allez trou­ver une manière de Poulenc ital­ien, savant et plein de charme, dans le CD qui réu­nit le Con­cer­to soirée, la Danse pour petit orchestre, la Sonate pour orchestre de cham­bre, et la Fan­taisie sur douze notes de Don Gio­van­ni1, avec Danielle Laval au piano. Heureux de votre décou­verte, vous allez vous tourn­er à présent vers du plus con­nu, en essayant les Nuits d’été de Berlioz, par Susan Gra­ham, mez­zo-sopra­no2 : une petite mer­veille, avec une voix fraîche et bien en sit­u­a­tion, qui lim­ite les vibratos au strict néces­saire, et un orchestre d’opéra, donc léger, celui du Roy­al Opera House, dirigé par John Nel­son. Sur le même CD, des airs de la Damna­tion, des Troyens…Vivent les Anglaises !

Les trois derniers quatuors de Haydn vous atten­dent un peu plus loin, par L’Archibudelli, quatuor qui joue sur des instru­ments d’époque, de manière décon­trac­tée et famil­ière3 : ce n’est ni Mozart ni Beethoven, sim­ple­ment de la musique raf­finée, pour le plaisir d’un hédoniste.

Baroques

Ain­si mis en appétit, vous allez décider de don­ner une dimen­sion intel­lectuelle à votre plaisir, avec une ambitieuse His­toire de la musique baroque, sous-titre la Voie pro­fane (il y a aus­si deux autres vol­umes, le Domaine sacré et le Monde instru­men­tal), en cinq CD (le Madri­gal, la Nais­sance de l’opéra, L’Angleterre au XVIIe siè­cle, Un siè­cle d’opéra français, Le règne de l’opéra seria) et un livret très savant doté d’un glos­saire, dans une présen­ta­tion superbe qui donne effec­tive­ment envie d’en savoir plus4.

Et vous allez ain­si errer, au gré de votre fan­taisie, de Las­sus à Cam­pra, de Mon­tever­di à Vival­di, avec des noms moins fam­i­liers comme Bot­tri­gari, Cav­al­li, Lawes, Lam­bert, Graun, etc. Et vous jouirez non seule­ment du bon­heur de l’écoute d’une musique extra­or­di­naire­ment diverse d’une époque foi­son­nante, mais de la sat­is­fac­tion que pro­cure, à tout être doté de rai­son, l’acquisition de la connaissance.

Vous pour­rez alors écouter autrement qu’en dilet­tante le vol­ume 5 des œuvres pour luth de John Dow­land, tou­jours jouées par Paul O’Dette5, et le choix de motets, sonates, can­zoni de Noël, de Schütz et de Gabrieli, par l’Academy of Ancient Music (6) : un petit régal pour l’aficionado du baroque. Au pas­sage, vous vous deman­derez pourquoi les Anglais sont par­mi les meilleurs, aujourd’hui, dans l’univers de la musique baroque.

Concertos

On attendait avec impa­tience, après le disque des Con­cer­tos n°1 de Prokofiev et Chostakovich (il faut se faire à cette orthographe imposée par les Anglo-Sax­ons) par Max­im Vengerov et le Lon­don Sym­pho­ny dirigé par Ros­tropovich, disque fab­uleux que l’on n’est pas prêt d’oublier, les Con­cer­tos n°2 des mêmes, par les mêmes : c’est chose faite7. Vengerov s’est assa­gi, mais pas trop, heureuse­ment, et il reste, pour nous, l’interprète de tous les super­lat­ifs pour ces œuvres phares du XXe siècle.

Dans un autre reg­istre, évidem­ment, Mur­ray Per­ahia joue l’intégrale des œuvres pour piano et orchestre de Schu­mann, avec le Phil­har­monique de Berlin dirigé par Clau­dio Abba­do8. Il y a le Con­cer­to, bien sûr, mer­veilleux de rigueur tech­nique et de roman­tisme con­trôlé (ah ! ce léger retenu dans l’ineffable petit thème de valse, à appari­tion unique, de la fin du dernier mou­ve­ment !) ; mais il y a aus­si les deux Konz­ert­stücke, beau­coup moins joués, et qui ne méri­tent pas cet oubli.


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Pour ter­min­er, un de ces petits dis­ques qui réchauf­fent le cœur et l’âme : le Quatuor n°9 et le Quin­tette avec piano, de Dvo­rak, par le Melos Quar­tett et Karl Engel au piano9. Le Quin­tette est le plus forte­ment émou­vant des trois grands (les deux autres étant ceux de Schu­mann et Brahms). Mais la sur­prise, pour ceux qui ne le con­nais­sent pas, est le 9e Quatuor : courez l’écouter, et soyez heureux que la musique existe, avec trois ou qua­tre autres choses, le tra­vail, l’amour, l’amitié, la cui­sine, pour que la vie vaille la peine d’être vécue.

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1. 1 CD Auvidis K 1034.
2. 1 CD Sony SK 62730.
3. 1 CD Sony SK 62731.
4. 5 CD Har­mo­nia Mun­di HMX 2908001.
5. 1 CD Har­mo­nia Mun­di 907164.
6. 1 CD Har­mo­nia Mun­di USA HMU 907 202.
7. 1 CD Teldec 0630 13150 2.
8. 1 CD Sony SK 64577.
9. 1 CD Har­mo­nia Mun­di 901510.

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