CD Eternal Stories Michel Portel et Quatuor EBENE

En même temps

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°727 Septembre 2017Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Mélanges de sons entre musique clas­sique et jazz (2CD)
Bon­heur de Bach (3 CD)
 

Les stoï­ciens comme Épic­tète ou Marc Aurèle prônent une éthique non maté­ria­liste du conten­te­ment. Cinq siècles aupa­ra­vant, Épi­cure sou­te­nait que le bon­heur est acces­sible et que la phi­lo­so­phie y conduit. 

La musique, qu’elle apporte sim­ple­ment le conten­te­ment ou qu’elle soit plus ambi­tieu­se­ment, pour les élus, source de bon­heur, devrait rap­pro­cher les uns et les autres. 

FUSION

En musique comme en cui­sine, il est de bon ton, aujourd’hui, de recher­cher le rap­pro­che­ment de saveurs ou de sons, en réa­li­té de cultures, jusqu’ici bien séparées. 

Certes, les gas­tro­nomes cha­grins pré­fé­re­ront une blan­quette de veau à un pois­son cru mari­né au yuzu, mais les ama­teurs de musique à l’esprit ouvert seront ravis de décou­vrir un grand qua­tuor clas­sique accueillir un musi­cien de jazz et un pia­niste de jazz accom­pa­gner, avec un arran­ge­ment jaz­zique, une mez­zo-sopra­no dans des lie­der classiques. 

C’est pré­ci­sé­ment ce que nous offrent deux disques tout récents : Eter­nal Sto­ries1 asso­cie le Qua­tuor Ébène et le cla­ri­net­tiste Michel Por­tal, aux­quels se joignent Richard Héry aux per­cus­sions et Xavier Tri­bo­let aux cla­viers, dans des com­po­si­tions savam­ment orches­trées de Por­tal, Piaz­zol­la et quelques autres ; tan­dis que Thou­sand of Miles2 pré­sente la mez­zo-sopra­no Kate Lind­sey et le pia­niste Bap­tiste Tro­ti­gnon dans des chan­sons de Kurt Weill et des lie­der d’Alma Mah­ler, Erich Korn­gold et Alexan­der von Zem­lins­ky, tous réfu­giés aux US pen­dant la Deuxième Guerre mondiale. 

CD Thousand of miles mezzo-soprano Kate LindseyDisons-le tout de go : ce sont là deux divines surprises. 

Vous trou­ve­rez dans Eter­nal Sto­ries, au-delà de recherches très raf­fi­nées de com­bi­nai­son de timbres et d’harmonies et d’improvisations maî­tri­sées, un intense sen­ti­ment de plé­ni­tude : écou­tez Élu­cu­bra­tion de Xavier Tri­bo­let et aus­si les trois Tango Sen­sa­tions de Piaz­zol­la avec Michel Por­tal au ban­do­néon ; c’est le plai­sir pur. 

Dans Thou­sand of Miles, une évi­dence s’impose : seul un jazz­man pou­vait renou­ve­ler ain­si les Songs de Kurt Weill dont il a revu les accom­pa­gne­ments pia­nis­tiques de manière presque géniale, tout en res­tant fidèle aux har­mo­nies ori­gi­nales de la ver­sion orchestrale. 

Et la décou­verte des lie­der qua­si inédits d’Alma Mah­ler, Zem­lins­ky et Korn­gold vous emmè­ne­ra au nirvana. 

BONHEUR DE BACH

Les Suites fran­çaises, que vient d’enregistrer Vla­di­mir Ash­ke­na­zy3, datent de la période heu­reuse où Bach était à Köthen et com­po­sait libre­ment. Écrites à l’origine pour ses élèves, comme le Cla­vier bien tem­pé­ré et les Inven­tions, elles pour­raient n’être, comme les suites de danses de ses contem­po­rains fran­çais et alle­mands, que des groupes de pièces jolies et sub­tiles faites pour le divertissement. 

CD Bach French suites par Vladimir Ashkenazy CD : Bach and friends, Louis Noël Bestion de Camboulas au clavecin et à l’orgue des Mais voi­là, Bach magni­fie et trans­cende tout ce qu’il touche et ces Alle­mandes, Cou­rantes, Sara­bandes, Gigues et autres Menuets vont bien au-delà du pro­pos : il n’y a pas chez Bach de pièces secondaires. 

Ash­ke­na­zy est assez grand pia­niste pour s’effacer devant Bach ; il joue ces Suites avec clar­té, séré­ni­té et un res­pect abso­lu de la partition. 

Sous le titre Bach and friends, Louis-Noël Bes­tion de Cam­bou­las joue au cla­ve­cin et à l’orgue des pièces de Bux­te­hude, Schei­de­mann, Fischer, Pachel­bel, Muf­fat, Böhm et deux œuvres de Bach : la Tocca­ta en sol mineur au cla­ve­cin et la Fan­tai­sie et fugue en ut mineur à l’orgue4. Un des mérites de ce disque est de per­mettre de com­pa­rer des pièces de fac­ture simi­laire de Bach et de ses contem­po­rains les plus doués, dans tous les cas au béné­fice de Bach. 

CD Bach Quatuor Ponticelli violoncellesAvant Köthen, le séjour de Bach auprès de l’autoritaire duc de Wei­mar s’était, on le sait, ter­mi­né en prison. 

C’est au cours de ce mois de réclu­sion que Bach aurait com­po­sé les cho­rals pour orgue de l’Orgelbü­chlein que le Qua­tuor Pon­ti­cel­li de vio­lon­celles a enre­gis­trés il y a peu5. Il s’agit de 36 pièces très courtes, adres­sées par Bach « À l’unique Dieu suprême pour l’honorer. Au pro­chain, pour en faire son éducation ». 

La trans­crip­tion pour 4 vio­lon­celles de ces concen­trés de musique, d’une richesse inouïe, per­met d’en décou­vrir les sub­ti­li­tés et sur­tout nous émeut mieux que ne le fait la ver­sion pour orgue. 

Bach, qui trans­cri­vait fré­quem­ment, n’aurait pas désa­voué cette adap­ta­tion de ce qu’il a écrit de plus fort dans la conci­sion. Écou­tez O Mensch, bewein dein Sünde gross, et ten­tez de rete­nir vos larmes. 

Au fond, Bach nous apporte à la fois le plai­sir sen­suel – le « conten­te­ment » – et le bon­heur de la trans­cen­dance. À la fois ou plu­tôt en même temps, comme on dit aujourd’hui.

____________________________
1. 1 CD ERATO
2. 1 CD ALPHA
3. 1 CD DECCA
4. 1 CD AMBRONAY
5. 1 CD TRITON

Poster un commentaire