SYMPHONIES

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°666 Juin/Juillet 2011Rédacteur : Jean Salmona (56)

Éty­mologique­ment, une sym­phonie est une pièce d’orchestre, c’est-à-dire un morceau de musique joué par plusieurs instru­ments simul­tané­ment. Il y aurait beau­coup à dire sur les dif­férences de cul­tures – et peut-être de valeurs sociales – qui sous-ten­dent les formes sym­phoniques dans divers­es sociétés : dans la musique occi­den­tale dite clas­sique, du XVI­Ie au XXe siè­cle, chaque instru­ment joue une par­tie qui lui est affec­tée en pro­pre, l’ensemble étant régi par des lois très strictes, notam­ment celles du con­tre­point ; dans la musique arabe, les instru­ments jouent générale­ment à l’unisson des mélodies com­plex­es ; dans le jazz clas­sique (avant le free­jazz), chaque instru­ment impro­vise sur une trame har­monique don­née au départ, etc. Mais dans pra­tique­ment tous les cas, il y a dans la sym­phonie une notion d’ordre et de fusion de cha­cun dans le groupe.

Mahler, Rachmaninov

La 2e Sym­phonie de Mahler, avec deux voix solistes et choeurs, con­stitue sans doute le som­met de la com­plex­ité pour une oeu­vre sym­phonique, que seules approcheront par la suite cer­taines sym­phonies de Chostakovitch ; et pas seule­ment en rai­son de ses 10 mou­ve­ments (5 en théorie) et de ses près de 90 min­utes. Elle est com­posée à 34 ans par un musi­cien encore incon­nu en tant que com­pos­i­teur, niet­zschéen, wag­nérien, uni­ver­sal­iste, juif pas encore con­ver­ti, qui a pour pro­fes­sion de foi musi­cale que la sym­phonie « doit être tel le monde et con­tenir toute chose ». On attendait l’enregistrement en con­cert du Berlin­er Phil­har­moniker, dirigé par Simon Rat­tle, qui asso­cie Kate Roy­al, sopra­no, Mag­dale­na Kozena, mez­zo, et le choeur de la Radio de Berlin1. Pas de sur­prise : des instru­men­tistes d’exception qui con­stituent aujourd’hui la meilleure for­ma­tion du monde, une par­faite homogénéité de tous les pupitres, et une direc­tion toute de clarté et de sagesse, qui con­traste avec celle, fougueuse et habitée, de Bern­stein, et se rap­proche de l’interprétation his­torique de Bruno Wal­ter (1958), qui fut l’ami de Mahler.

Rach­mani­nov est plus con­nu par ses con­cer­tos que par sa musique sym­phonique. Sa 2e Sym­phonie, com­posée en 1906–1907, peu après le Con­cer­to pour piano n° 2, vaut plus que le détour pour qui aime les mélodies belles à pleur­er, les har­monies roman­tiques, les orches­tra­tions sem­blables à celles de la musique de film avec cordes soyeuses, cors pro­fonds, bois lan­goureux et discrets.

D’une cer­taine façon du post- Tchaïkovs­ki, ou encore un con­cer­to où il ne manque que le piano : de la belle musique, qui ne cherche pas à épa­ter ni à démon­tr­er mais à vous émou­voir, et qui y parvient joli­ment. Anto­nio Pap­pano vient d’enregistrer cette oeu­vre rare à la tête de l’Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile de Rome2 et l’on se prend à penser que les Ital­iens, sen­ti­men­taux ma non trop­po, sont, peutêtre, mieux indiqués encore que les Russ­es pour inter­préter la musique russe.

Chabrier, Liszt

Coffret CD LisztChabri­er et Liszt sont d’abord des com­pos­i­teurs de musique de piano, mais ils trait­ent le piano comme un orchestre : quand on écoute des pièces pour piano de Chabri­er ou Liszt, on peut enten­dre un orchestre, ce qui ne serait pas le cas avec Chopin ou Schu­mann. Chabri­er, ami de Ver­laine et attaché au min­istère de l’Intérieur, com­pose aus­si des opérettes qui fer­ont l’admiration de Ravel.

Trois d’entre elles ont été enreg­istrées par des solistes, l’Ensemble Vocal et l’Orchestre du Col­legium Musicum de Stras­bourg dirigé par Roger Delage : Une édu­ca­tion man­quée, Fisch-Ton-Kan, Vau­cochard et Fils 1er3. C’est drôle, enlevé, joli, par­fois grinçant : une musique légère et fine, qui ne se prend pas au sérieux.

Les Douze Études d’exécution tran­scen­dante de Liszt comptent, avec Islamey de Bal­akirev, par­mi les pages les plus tech­nique­ment dif­fi­ciles du piano. C’est l’apogée du roman­tisme échevelé mais qui ne peut se sat­is­faire que de l’absolue rigueur pianis­tique sous peine d’être un mag­ma inaudi­ble. Après Cziffra, c’est Vladimir Ovchin­nikov qui s’est attaqué à ce mon­u­ment de la lit­téra­ture pianis­tique4. Avec une tech­nique sans faille, en prenant tous les risques avec une appar­ente facil­ité, il vous emmène en un par­cours hal­lu­ci­nant d’où vous ressor­tirez four­bu, grog­gy et trans­porté. Mais ce n’est certes pas de la vir­tu­osité pure, et la dernière Étude du recueil, Chas­se-neige, tout aus­si orches­trale dans son esprit que les autres, est une sorte d’exaltation amère du temps qui passe. Une petite sym­phonie mélan­col­ique pour un seul instrument.

1. 2 CD EMI.
2. 1 CD EMI.
3. 1 CD ARION.
4. 1 CD EMI.

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