Richard Wagner : Rienzi

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°689 Novembre 2013Par : l'Opéra de Berlin, mise en scène Philip StölzlRédacteur : Marc Darmon (83)

Un dif­fi­cile chal­lenge à relever, et une réus­site totale. Voilà un des spec­ta­cles les plus intel­li­gents qu’il nous ait été don­né de voir depuis longtemps (au niveau des Troyens au Châtelet, ou des Noces de Figaro à Covent Gar­den, il y a près de dix ans tout de même).

DVD Rienzi, ou le Dernier des tribuns, opéra de Wagner Rien­zi, ou le Dernier des tri­buns est le troisième opéra de Richard Wag­n­er. En fait on ne joue plus Les Fées et la Défense d’aimer, c’est donc le plus ancien des opéras encore joués, même s’il est infin­i­ment moins représen­té que les suiv­ants. Les qua­trième et cinquième opéras, Le Vais­seau fan­tôme et Tannhäuser ont, eux, à peu près la même pop­u­lar­ité que tous les opéras de la maturité.

Évidem­ment, on n’est pas ici au niveau des dix grands opéras de Wag­n­er, le com­pos­i­teur l’ayant suff­isam­ment renié, comme les deux précé­dents, pour l’interdire à Bayreuth. Cer­tains y voy­aient même le « meilleur opéra de Meyer­beer », indi­quant par là avec ironie ce qu’il doit au « grand opéra » français.

Mais, tout de même, Wag­n­er est là en germe, pas­sion­nant pour l’amateur qui ver­ra ici une représen­ta­tion de cet opéra rare dans des con­di­tions opti­males, et qui s’amusera à retrou­ver les élé­ments fon­da­teurs du wag­nérisme à venir : leit­mo­tiv (quelques-uns), mélodie con­tin­ue, drama­tisme, quelques airs, etc.

Et quelques moments de vrai­ment grande musique, comme le chœur et toute la fin de l’acte III.

Le thème de l’opéra est l’ascension et de la chute d’un dic­ta­teur à Rome au XIVe siè­cle. Comme ses prédécesseurs à Rome, Auguste (chez Corneille) et Titus (chez Mozart), il par­donne aux con­jurés. Il refuse d’être fait roi mais se fait nom­mer « pro­tecteur des droits du peu­ple » et prend un titre issu de l’antiquité, « tri­bun » (pop­ulisme ren­dant l’analogie inévitable avec d’autres dic­ta­teurs du passé).

Philip Stol­zl a décidé de le représen­ter dans le ton de Chap­lin, Rien­zi ayant les com­porte­ments suc­ces­sive­ment de Hynkel et Ben­zi­no Napaloni (dans Le Dic­ta­teur), dans un univers sou­vent orwellien. Les allu­sions sont à la fois très fines et très claires, comme ce dic­ta­teur écoutant l’Ouverture (de Rien­zi, bien sûr, pas celle de Lohen­grin comme dans le film) dans son bureau ressem­blant au Kehlstein­haus, et jouant avec le globe terrestre.

Évidem­ment, tout est mis en scène pour que l’on fasse le par­al­lèle. Les allo­cu­tions entraî­nantes du tri­bun aux Romains sont représen­tées sous forme de dis­cours publics exal­tants, les dis­cus­sions de Rien­zi avec ses lieu­tenants sont mis­es en scène dans un quarti­er général sous un bunker…

Le met­teur en scène donne une vis­i­bil­ité plus impor­tante à deux rôles sec­ondaires, pour illus­tr­er l’ascension des col­lab­o­ra­teurs de la pre­mière heure de Rien­zi, et ain­si rap­pel­er une des car­ac­téris­tiques de ces régimes, le népo­tisme et la pro­mo­tion des vils par­ti­sans. Ce qui se passe sur scène (nom­breux dis­cours de Rien­zi, notam­ment) est sou­vent pro­jeté à la façon d’images d’archives, ressem­blant à la fois aux images de l’époque et au film de Chaplin.

Sans coupures, l’opéra serait le plus long de Wag­n­er (et pour­tant Le Cré­pus­cule des dieux dure déjà qua­tre heures trente). La pro­duc­tion filmée ici dure tout de même près de trois heures, les coupures con­cer­nant surtout les trois derniers des cinq actes. Naturelle­ment, l’opéra de Wag­n­er n’a rien d’un plaidoy­er pro­fas­ciste. Au con­traire, Wag­n­er et l’auteur dont il s’est inspiré ont été mar­qués par la révo­lu­tion bour­geoise de 1830 en France et ses con­séquences en Europe.

Reste l’ambiguïté née de l’antisémitisme de Wag­n­er et de la récupéra­tion de ses opéras, et notam­ment celui-ci, par le régime nazi, qu’il serait trop long de com­menter ici. Ce qui rend sub­tile et com­plexe la façon dont cette pro­duc­tion joue sur le sec­ond degré.

Rarement mon­té, cet opéra mérite pour­tant d’être joué. Les qual­ités nom­breuses de ce DVD (le Blu-Ray est superbe), mise en scène et décors, inter­pré­ta­tion musi­cale, image et son, nous en don­nent l’occasion dans les meilleures conditions.

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