MUSIQUES FRANÇAISES

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°665 Mai 2011Rédacteur : Jean Salmona (56)

Vil­lon, poète et truand, dédie sa Bal­lade aux femmes de Paris et ne dit rien de la musique de la France d’alors qui, il est vrai, n’avait pas encore connu au XVe siècle les raf­fi­ne­ments de la Renais­sance et des époques à venir. Mais au diable la diplo­ma­tie et vive le chau­vi­nisme : y a‑t-il, depuis Rameau et Cou­pe­rin, musique à la fois plus sub­tile, plus légère et plus jubi­la­toire que la musique fran­çaise ? Et si Mozart, tou­jours sub­til, est sou­vent léger et jubi­la­toire, n’est-ce pas à Paris plus qu’à Vienne qu’il le doit ?

Poulenc, Fauré, Debussy

Quelle musique est plus jolie que celle de Pou­lenc, véri­table musique de prin­temps ? Les bonnes âmes de la musique contem­po­raine font la fine bouche devant ce com­po­si­teur raf­fi­né et mon­dain mais rien moins qu’intellectuel, qui vise le plai­sir avant toute chose. Et notre regret­té cama­rade Claude Helf­fer, superbe pia­niste, refu­sa de jouer le Concer­to pour deux pia­nos salle Pleyel pour le bicen­te­naire de l’X : vous savez, nous dit-il, que Pou­lenc n’est pas ma tasse de thé.

Coffret CD Juliette HurelC’est pré­ci­sé­ment ce même concer­to qu’ont enre­gis­tré Jos Van Immer­seel et Claire Che­val­lier avec l’Anima Eter­na Brugge1. Ce n’est pas un concer­to très ortho­doxe, avec des thèmes échap­pés du music-hall, des cita­tions de Stra­vins­ki, des rémi­nis­cences de Mozart, mais c’est sans doute le plus joyeux et le plus joli que l’on puisse entendre. La Suite fran­çaise, qui figure sur le même disque, écrite pour bois, cuivres, cla­ve­cin et per­cus­sions, est un hom­mage à la musique fran­çaise du XVIe siècle. Le Concert cham­pêtre pour cla­ve­cin et orchestre, créé en 1929 par Wan­da Lan­dows­ka, est un clin d’oeil au XVIIIe siècle et une petite mer­veille de légè­re­té. « Ce concer­to », a dit Pou­lenc, « est cham­pêtre selon Dide­rot et Rous­seau ». L’andante est une des plus jolies choses que Pou­lenc ait écrites.

C’est encore Pou­lenc qui ouvre le disque récent Impres­sions fran­çaises de la grande – et belle – flû­tiste Juliette Hurel avec sa Sonate pour flûte et pia­no, jouée avec la pia­niste Hélène Cou­vert2 : musique fine de plai­sir pur, à la fois vir­tuose et sen­suelle, et que vous chan­ton­ne­rez long­temps après l’avoir entendue.

Elle est rigou­reu­se­ment dans la ligne de la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debus­sy, qui lui est anté­rieure de cin­quante ans et qui est for­mel­le­ment plus exi­geante. Enfin, des pièces de moindres dimen­sions de Fau­ré, dont la Sici­lienne et une très belle et peu connue Fan­tai­sie pour flûte et pia­no, et de Debus­sy, dont Syrinx, figurent sur le même disque.

Rameau, Fonscolombe, Cavanna

Coffret DVD : Rameau au pianoNotre cama­rade Jean-Pierre Ferey a enre­gis­tré il y a peu cinq Suites et extraits de Suites de Rameau3.
L’originalité de son inter­pré­ta­tion tient à son choix du pia­no de pré­fé­rence au cla­ve­cin – un Fazio­li au timbre d’une extra­or­di­naire clar­té dont il joue comme d’un cla­ve­cin, sans jamais uti­li­ser la pédale forte – et à son sou­ci de jouer tous les orne­ments, ce qui est rare au pia­no. Le résul­tat est une musique par­fai­te­ment déliée et enle­vée, qui rap­pelle les Sonates de Scarlatti.

On redé­couvre Emma­nuel de Fons­co­lombe (1810−1875), aris­to­crate et musi­cien pro­ven­çal, qui s’est illus­tré par sa musique d’église, avec un enre­gis­tre­ment de son allègre Messe brève4 pour quatre solistes et orgue. Peu nous chaut qu’il ait été l’arrière-grand-père de Saint-Exupéry.

En revanche, on appré­cie sa musique car­rée et bien construite, témoi­gnage d’une époque où un homme bien né, qui vivait de ses terres en pro­vince, pou­vait en même temps être maître de cha­pelle dans une église et consa­crer une par­tie de son temps à la composition.

On ter­mi­ne­ra par Ber­nard Cavan­na, com­po­si­teur fran­çais d’aujourd’hui, dont la musique est pré­sen­tée sur un disque récent : Shan­ghai Concer­to, Trois strophes sur le nom de Patrice Lumum­ba et Karl Koop Concert5. Décrire cette musique avec ses répé­ti­tions et ses emprunts est une gageure. Le par­ti pris est de sur­prendre et de navi­guer à la limite du canu­lar : le titre exact de Karl Koop Concert est Comé­die pom­pière, sociale et réa­liste pour accor­déon et orchestre. On se sou­vient que Satie lui-même s’est ingé­nié à affec­ter à ses pièces pour pia­no des titres pro­vo­ca­teurs. Mais Cavan­na est nova­teur, et sa musique suf­fi­sam­ment légère et sub­tile, voire par­fois jubi­la­toire – on pour­rait dire une musique de khô­miss – pour lui faire par­don­ner une volon­té appa­rente de cho­quer l’auditeur bourgeois.

1. 1 CD ZIG ZAG.
2. 1 CD ZIG ZAG.
3. 1 CD SKARBO.
4. 1 CD VOL.
5. 1 CD AEON.

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