Musiques oubliées

Musiques oubliées

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°777 Septembre 2022
Par Jean SALMONA (56)

Plusieurs raisons peu­vent expli­quer pourquoi une musique tombe dans l’oubli. Le goût du pub­lic a changé, les inter­prètes ne s’y intéressent plus, les édi­teurs ne pub­lient plus les par­ti­tions – raisons qui peu­vent se cumuler bien enten­du. Il peut y avoir aus­si une poli­tique délibérée de jeter aux oubli­ettes cer­taines musiques afin de pro­mou­voir des musiques nou­velles, comme cela fut le cas lorsque Pierre Boulez rég­nait sur l’establishment musi­cal : on se sou­vient aujourd’hui de Jean Riv­i­er, Jacques Ibert, Jean Françaix, Jean-Michel Damase, André Jolivet et bien d’autres, effacés pen­dant des décen­nies comme, du temps de Staline, dis­parais­saient des pho­tos offi­cielles ceux qui n’étaient plus en cour auprès du Comité cen­tral. Et la « valeur » objec­tive des musiques oubliées n’est pas tou­jours en cause : Mendelssohn a tiré de l’oubli (relatif) les Can­tates et Pas­sions de Bach…

Dans les jeunes herbes
le saule
oublie ses racines
Yosa Buson, Haiku

Quatuors pour trois instruments

L’oubli s’explique aus­si par des raisons tech­niques. Au XIXe siè­cle, en l’absence de moyens de repro­duc­tion du son, chaque famille était dotée d’un piano, tan­dis que fleuris­saient les tran­scrip­tions des sym­phonies de Beethoven, des opéras de Meyer­beer, etc. Ain­si fit florès la for­ma­tion piano à qua­tre mains – vio­lon – vio­lon­celle que tirent de l’oubli Antoine Mourlas, Mary Olivon, Hec­tor Bur­gan et Cyrielle Golin en enreg­is­trant qua­tre pièces en pre­mière mon­di­ale : deux Quatuors mondains de Her­mann Berens, une très jolie Séré­nade de print­emps de Fer­di­nand Hum­mel et une tran­scrip­tion de l’ouverture de Ruy Blas de Mendelssohn. Musiques de salon d’une époque où l’on se réu­nis­sait le dimanche, en famille, entre amis, pour le plaisir de faire de la musique.

1 CD CALLIOPE


Respighi

Ottori­no Respighi (1879–1936) aura été le pape ital­ien de la musique tonale au XXe siè­cle. Con­traire­ment à Rav­el et Debussy, pas d’innovations har­moniques mais des recherch­es de tim­bres inédits grâce à une orches­tra­tion très tra­vail­lée, avec un sort par­ti­c­uli­er fait aux per­cus­sions et aux vents. On con­naît les blue chips, les Fontaines de Rome, les Pins de Rome, agréable musique à pro­gramme. Mais on décou­vre, grâce à un enreg­istrement du Lon­don Phil­har­mon­ic Orches­tra dirigé par Alessan­dro Crudele, la suite Belkis, regi­na di Saba. Plus ambitieuse que les pages les plus con­nues, Belkis révèle une capac­ité inven­tive sans doute inspirée par Rav­el (Daph­nis et Chloé) et Stravin­s­ki (Le Sacre) à laque­lle on ne s’attendait pas chez Respighi. Sur le même disque, les Pins de Rome et Impres­sioni brasil­iane.

1 CD LINN


Brahms, sextuors

Les deux Sex­tuors à cordes de Brahms, œuvres de jeunesse, ont été tirés de l’oubli en 1952 par Pablo Casals qui en a lais­sé un enreg­istrement de légende avec Isaac Stern, puis par Louis Malle qui a choisi l’andante du Sex­tuor n° 1 pour son film Les Amants (1958). En réal­ité, il s’agit bien de deux pièces majeures, char­nues, d’une belle com­plex­ité, dont seule la rareté de la for­ma­tion sex­tuor peut jus­ti­fi­er le relatif oubli dans lequel elles se trou­vent, hormis quelques con­certs dans des fes­ti­vals (Fes­ti­val de Pâques à Aix par exem­ple). Courez les écouter toutes affaires ces­santes dans le bel enreg­istrement qu’en don­nent le Quatuor Bel­cea avec Tabea Zim­mer­mann, alto, et Jean-Gui­hen Queyras, vio­lon­celle : ce que Brahms a écrit de
plus sincère, de plus fort, en atten­dant le Quin­tette avec clar­inette. Une con­so­la­tion, un refuge, une aide à l’oubli en ces temps difficiles.

1 CD ALPHA

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