Curiosités

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°762 Février 2021
Par Jean SALMONA (56)

La curiosité intel­lectuelle – vouloir com­pren­dre – dérive d’un besoin aus­si fon­da­men­tal que la faim ou la sex­u­al­ité : l’énergie exploratrice.
Arthur Koestler, Le cri d’Archimède

Jadis, tout homme cul­tivé qui pou­vait se l’offrir avait un « cab­i­net de curiosités » où ses amis pou­vaient admir­er des objets rares et générale­ment exo­tiques. Sor­tir des sen­tiers bat­tus, pour les édi­teurs de musique enreg­istrée, relève de l’exploit : faut-il pub­li­er un énième enreg­istrement des Bal­lades de Chopin, ou un disque improb­a­ble, pari sur l’intérêt du pub­lic ? Les qua­tre enreg­istrements qui suiv­ent, intéres­sants à plus d’un titre, devraient éveiller… votre curiosité.


Brahms aujourd’hui

Sous ce titre, un disque récent rassem­ble les essais de trois com­pos­i­teurs con­tem­po­rains – Philippe Her­sant, Nico­las Bacri, Gra­ciane Finzi – inspirés par les trois Sonates pour vio­lon et piano de Brahms, joués par la vio­loniste Agnès Pyka et Lau­rent Wagschal au piano . La musique de cham­bre de Brahms – indé­fectible­ment tonale et roman­tique – se prête par­ti­c­ulière­ment bien à cet exer­ci­ce 1 : com­ment Brahms aurait-il écrit s’il avait con­nu Debussy, Bartók, Prokofiev et Art Tatum ? Nos trois com­pos­i­teurs, qui ont une cul­ture et un méti­er de haut niveau, se tirent avec hon­neur et brio de cet exer­ci­ce, sans échap­per – et c’est bien ain­si – aux évo­ca­tions de Debussy, Prokofiev et même Ravel. 

1 CD KLARTHE


Bach Reworks

Dans le même esprit, le pianiste islandais Víkingur Ólaf­s­son, qui s’est illus­tré par ses inter­pré­ta­tions de Bach, a enreg­istré sous ce titre des pièces de divers com­pos­i­teurs con­tem­po­rains, notam­ment nordiques, inspirées par Bach. Con­traire­ment à Busoni, qui tran­scrivait sim­ple­ment Bach en mul­ti­pli­ant les notes, trans­for­mant chaque pièce tran­scrite en une œuvre orches­trale… pour piano, les pièces enreg­istrées ici sont sobres et min­i­mal­istes. Une vision intéres­sante du monde de Bach vu par l’Europe du Nord. 

1 CD Deutsche Grammophon


Quatuor Ardeo : métissage

Les com­pos­i­teurs con­tem­po­rains, con­fron­tés à la triste évi­dence du « tout est dit », ont divers­es façons d’innover. Jouer sur l’instrumentarium en est une. C’est ce qu’a choisi George Crumb qui, en pleine guerre du Viêt­nam, a écrit Thir­teen Images from the Dark Land, chant funèbre fondé sur un métis­sage Ori­ent-Occi­dent, qui asso­cie au quatuor clas­sique des instru­ments tels qu’harmonica de verre, tam-tam chi­nois, etc. Échap­pant aux canons aux­quels nous sommes habitués, Crumb joue non sur les struc­tures mais sur l’évocation poé­tique : écouter sans chercher à analyser et se laiss­er envahir.

Sur le même CD, des pièces de Pur­cell et Mon­tever­di et, de Schu­bert, le très beau Quatuor Rosamunde et la tran­scrip­tion de deux Lieder.

1 CD KLARTHE


Hendrik Hofmeyr

Last but not least, une véri­ta­ble décou­verte : celle du com­pos­i­teur d’Afrique du Sud Hen­drik Hofmeyr dont un disque récent ‑présente, sous le titre Par­ti­ta Africana, six pièces pour piano, flûte et piano, vio­lon et piano, vibra­phone et piano. Avouons nous être dés­in­téressé des ‑références africaines de ces pièces : la vraie musique se passe d’explications. Et c’est la divine sur­prise : voilà un com­pos­i­teur majeur, incon­nu – ou presque – en Europe, qui ne relève d’aucune école et dont la musique, tonale, remar­quable­ment con­stru­ite, pro­cure un véri­ta­ble plaisir d’écoute. On attend avec impa­tience que l’on nous mon­tre d’autres faces de sa musique, sym­phonique en ‑par­ti­c­uli­er. Plus qu’une curiosité, une ‑révéla­tion.

1 CD TRITON


1. Lors d’une soirée Jazz X au Club Lionel Hamp­ton du Méri­di­en Étoile, Jean-Marc Phe­lip­peau (89), Frédéric Mor­lot (2001) et l’auteur de ces lignes avaient déjà impro­visé sur un Inter­mez­zo de l’opus 119 de Brahms.

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